Version pour publication : <Yann.M.Boutang@wanadoo.fr>
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Université de Compiègne
Séminaire "Changement organisationnel, Gestion des Ressources Humaines,
Communautés de Pratiques", l
sous-thème de la journée du jeudi 23 janvier
Réseau, Connaissance, Communauté : que reste-t-il de la firme ?"
Document 1
Mon intervention portera sur
« Externalités, réseau, et coopération, quelle théorie de la firme ? »
Elle suppose en cadrage initial le texte suivant ainsi que quelques tableaux annexes
sur les externalités, sur la typologie des firmes qui sont adjointe (document 2).
« Capitalisme cognitif et nouvelles formes de codification du
rapport salarial »
1
Yann Moulier Boutang
Professeur des Universités en sciences économiques
2
Isys-matisse
1
Ce papier a été présenté aux Journées d’études d’histoire économique : « Transformations
de la division du travail et nouvelles régulations » organisée par l ’équipe Innovation,
Systèmes, stratégie ISYS Matisse URM 85-95 Université de Paris I-CNRS. Une version
raccourcie va paraître dans l’ouvrage collectif ( Direction de Carlo Vercellone Sommes-nous
sorti du capitalisme industriel, La Dispute, Paris, Janvier 2003)
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Université de Vannes et IEP de Paris, Directeur du LEGETE (Laboratoire d’économie et de
gestion des entreprises et des territoires en Europe)
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La crise de la régulation du rapport salarial se traduit par une remise en
cause du modèle canonique du salariat (le contrat à durée déterminée) à
travers l’incidence des formes particulières d’emploi d’une part, et d’une
réduction sensible du montant et de la qualité des formes de protection
sociale en amont et en aval de l’entreprise. L’érosion du statut du salariat
canonique qui définissait les emplois expose près du quart (22%
exactement) de la population active employée à une incertitude
systématique. Parallèlement, un autre quart du salariat qui bénéficie lui
d’un régime de salariat atténué ou affaibli (statut de la fonction publique,
quasi garantie d’emploi à vie, régime plus favorable des retraites), voit sa
situation se dégrader à son tour
3
.
Le système de protection sociale a été conçu dans ses mécanismes
institutionnels après la seconde guerre mondiale pour un régime de plein
3
Sous différentes formes (privatisation du secteur public en France, réduction significative
du volume de la population bénéficiant de l'"emploi à vie" dans le secteur privé au Japon.
Last but not least, la fin du "salariat affaibli" ( W. Andreff) dans les anciens pays socialistes
avec la transition à l'économie de marché. Quelques contre tendances remarquables
apparaissent aux Etats-Unis avec l'introduction de l'emploi à vie dans l'industrie automobile
désirant fixer sa main d'œuvre tandis que les formes d'intéressement substantiel des salariés
au profit et à la valeur boursière des entreprises innovent par rapport à l'histoire du
capitalisme non tant par la méthode que par le nombre de personnes concernées et l'étrange
para-démocratie qui devient envisageable pour un socialisme rawlsien et Giddensien.
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emploi, d’une population active jeune et abondante, d’une salarisation à
temps plein croissante. Il perd à la fois son caractère automatique et
universel, ainsi que sa légitimité car il cesse de couvrir toutes les formes
de travail
4
, en particulier les plus défavorisées, donc celles qui attendent
protection de la loi plutôt que de la négociation d'un contrat.
Dans un contexte de retour à une croissance plus forte, des voix
s’élèvent pour réclamer une régulation plus ferme de la part des pouvoirs
publics du travail intérimaire, des CDD, des formes d’emploi des jeunes
afin que soit mis fin à un contournement du code du travail.
Ce papier se propose de montrer que la transformation des relations de
travail, et plus particulièrement du salariat n’est pas simplement à un
contournement conjoncturel du code du travail auquel la reprise de la
croissance pourrait mettre fin aisément. Cette transformation est
étroitement liée à une modification radicale du capitalisme dont le débat
sur la fin du travail constitue un symptôme et non l’ultima ratio. Cette
nouvelle "Grande Transformation" marque le passage à un nouveau
régime de capitalisme que nous appelons le "capitalisme cognitif"
5
Pour
mesurer l’ampleur des mutations intervenues depuis les années 1970,
on citera l'un de ses aspects le plus important, le passage spectaculaire
d’une interpénétration « des relations de services » et des services
informationnels et relationnels immatériels, avec la production
matérielle.
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La thèse défendue ici est que la transformation qui touche l’économie
capitaliste et la production de la valeur est globale et marque la sortie du
capitalisme industriel né avec la grande fabrique manchestérienne qui
reposait essentiellement sur le travail matériel ouvrier de transformation
de ressources matérielles. Pas plus que le capitalisme industriel n’avait
rompu avec la substance du capitalisme marchand esclavagiste, le
capitalisme « cognitif » qui s'annonce et qui produit et domestique le
vivant à une échelle jamais vue, n’évacue le monde de la production
industrielle matérielle : il le ré-agence, le réorganise, en modifie les
centres nerveux. Il ne s’agit donc pas d'entonner vingt ans après Daniel
Bell, l’éloge de l’ère post-industrielle ni de proclamer avec les chantres
de la New Economy l'avènement d'une société pacifiée et sans crise
7
,
4
Voir A. Supiot (1999)
5
Voir sur ce point C. Azaïs, A. Corsani et P. Dieuaide (Eds.) (2001) et Corsani A., Dieuaide,
P., M. Lazzarato, M., Monnier, J.-M., Moulier Boutang, Y., Paulré, B. & Vercellone, C.
(2001),
6
Voir C. du Tertre (1999)
7
Voir la contribution de B. Paulré à ce volume ainsi que B. Paulré (2000)°
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4
mais de lister les principales transformations stratégiques qui sont déjà
considérables séparément et qui surtout font système.
Le passage du capitalisme marchand esclavagiste agricole de
l’économie monde (déjà largement industriel dans l’économie de
plantation
8
à une transformation effective (subsomption formelle puis
réelle) de son centre, a été déterminant pour l’interrogation des
physiocrates sur le Tableau global de l’économie, puis des théoriciens
de la valeur travail de Smith à Marx. Aujourd’hui ne vivrait-on pas un
passage de même ampleur ? et ne doit-on pas reconstruire le tableau de
la production, de la création de valeur, les principes de la division du
travail, les limites mêmes de l’entreprise, la définition de l’activité
humaine pour comprendre les mutations du salariat en cours ?
On développera trois points, moins destinés à livrer des résultats que
des questions et des pistes d’un programme de recherche.
I) Les caractéristiques de ce qu’on appellera par raccourci une
« économie cognitive » ou le nouveau capitalisme.
II) Nous revisiterons les types de production à travers un schéma input
output plus analytique qu’opérationnel à partir d'une hétérogénéité
irréductible de quatre types de biens et services qui apparaissent dans
l'économie de l'information et qui restructurent l'ensemble de la
production de valeur.
III) Nous essaierons pour conclure de repérer les corollaires de ces
transformations qui s'amorcent à la fois du côté du contrat de travail, du
statut du salariat. Il va de soi qu'une telle nouvelle "grande
transformation" (Polanyi), possède aussi de fortes implications dans la
sphère financière et dans celle de la monnaie. Nous les laisserons de
côté ici.
Caractéristiques de l’économie de production de valeur aujourd’hui.
Résumons à l'extrême ces éléments qui ont été largement explorés mais
beaucoup plus rarement rapprochés les uns des autres.
- L'économie se caractérise aujourd'hui par une virtualisation croissante
et par la montée irrésistible du rôle de l'information
9
. L'immatériel a
dépassé vers 1995, l'économie matérielle dans le montant de la
8
Voir Y. Moulier Boutang (1998A et C)
9
Voir M. Porath(1976), G. Dang Nguyen, P. Petit & D. Phan D., (1997), C.Goldfinger (1994),
P. Chapignac (1996), J. Gadrey (1996) Rapport Henri Guillaume au Premier
Ministre, M. Castells (1996), J. Beale (1995), P. Petit, (Ed.), (1998), M. Catinat
(1999), Volle (199), D.T. Quah (2000),
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formation de capital
10
. Le caractère dominant dorénavant des services
n'est que la manifestation du déplacement du centre de la valorisation
vers les processus cognitifs.
- Le rôle désormais fondamental de la saisie de l'information, de son
traitement, de son stockage sous forme numérisée dans la production
de connaissance et dans la production tout court à partir de petits
ordinateurs décentralisés (1986) de plus en plus puissants reliés entre
eux par l'Internet (1995) et la Toile. Il s'agit de la révolution des NTIC,
nouvelles technologies de l'information et de la communication.
11
Cette révolution a été comparée à la révolution des chemins de fer
12
;
elle est en fait plus profonde. L'innovation commencée par les NTIC
qui couple la démocratisation très rapide des ordinateurs personnels
(PC) à l'utilisation de moyens de transmission de l'information
révolutionnaire dans leur débit dans leur coût ainsi qu'à leur mise en
réseau mondiale est loin d'être épuisée.
13
La mutation des NTIC n'est
ni celle de Gutenberg ni celle des chemins de fer. L'utilisation des
supports biologiques plutôt qu'électroniques repoussera dans la
décennie qui vient les limites des mémoires et leur coût tandis que
l'utilisation de nouveaux conducteurs comme l'électricité permettra à
l'information d'emprunter des réseaux déjà existants et donc
d'abaisser leur coût davantage encore. Les innovations en matière de
biotechnologie, de science de la vie (inventaire du génome) sont
relancées par les NTIC et les relancent à leur tour. C'est un
phénomène qu'on n'a pas observé durant la première révolution
industrielle, mais plutôt au moment de la Renaissance et de la
révolution copernicienne. En ce sens on doit parler d'un nouveau
paradigme ou modèle socio-technique.
14
- Les perspectives de croissance des économies développées, mais
également des pays émergents sont étroitement liées à une
réorganisation de la production. La production de marchandises,
matérielles au moyen d'autres marchandises matérielles, perd son
caractère central et cède la place à la production de connaissance au
moyen de connaissance.
15
- Dans la croissance, l'innovation continuelle revêt un rôle fondamental
et endogène.
16
Cette innovation prend sa source privilégiée dans les
10
Sur le travail immatériel, voir M. Lazzarato (1992, 1997)
11
D. Sichel (1997), R.E. Litan & w.A. Niskanen (1998).
12
Voir P. Drucker (2000).
13
Voir Greewood J. (1997), J. Lojkine (1997)
14
Voir C. Freeman et C. Perez (1983).
15
Voir la contribution d'A. Corsani dans ce volume.
16
Voir les contributions de C.Vercellone et de R. Herrera dans le présent volume.
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