La politique de diversité dans les secteurs audiovisuels et

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La politique de diversité dans les secteurs audiovisuels et cinématographiques.
Quels publics pour quelle action publique ?
Maxime Cervulle
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Centre de recherche Images, cultures et cognitions
Résumé
L’apparition de la thématique de la diversité depuis les années 2000 a contribué à
renouveler le débat public relatif aux discriminations ethnoraciales et a notamment
fait émerger la thématique de la représentation socioculturelle dans les médias.
L’exigence de représentativi désormais adressée au cinéma et à l’audiovisuel
français pose la question du rôle social et symbolique qui leur est attribué. Au-delà, la
production d’un discours implicite sur les publics, dans les documents de
communication de la commission « Images de la diversité » co-pilotée par le CNC et
l’Acsé, nous porte à interroger la conception des publics ainsi véhiculée. Il s’agit de
mettre au jour les préconceptions de l’action publique : quels publics les
établissements administratifs qui promeuvent la diversité construisent-ils pour fonder
leur action ? L’enjeu est d’exposer la rationalité qui préside à l’organisation des
dispositifs en faveur de la diversité, soit un ordre de compréhension des médiums
audiovisuels et cinématographiques et de leur rôle social qui synthétise diverses
appréhensions de la communication.
Mots-clés
Diversité Audiovisuel Cinéma Publics Représentation Performativité
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Title
The politics of diversity in broadcast and film.
How do public institutions view audiences?
Abstract
The emergence of the issue of diversity since the 2000’s has deeply renewed the
public debates surrounding racial discriminations and sociocultural representations in
the media. The new claims for French broadcast and film’s inclusiveness raise the
question of the social and symbolic function ascribed to these fields by public
institutions. Furthermore, the implicit discourses on audiences that can be found in the
communication of the « Images de la diversité » commission, run by the CNC and
Acsé, makes one wonder about the preconceived views on audiences conveyed by
such institutions. This essay aims at delineating the rationality that organizes public
diversity plans, that is the conceptions of broadcasting and film and of their social
function that synthetize different views on communication.
Keywords
Diversity Broadcasting Film Audiences Representation Performativity
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« Diversité », « lutte contre les discriminations », « minorités visibles », « statistiques
ethniques » : autant de termes et expressions qui depuis les années 2000 n’ont cessé
d’alimenter débats et controverses au sein de la sphère publique (Doytcheva, 2010).
Parallèlement aux revendications sur ces questions qui ont émanées de la société
civile durant la dernière décennie, le gouvernement Raffarin a mis en œuvre durant le
second mandat de Jacques Chirac un programme de politiques publiques centré sur la
diversité ; programme qui conduira entres autres à l’établissement d’un Ministère de
l’égalité des chances ou à la création de la Haute autorité de lutte contre les
discriminations et pour l’égalité des chances (Halde). Dans ce même mouvement, la
mobilisation politique, associative et médiatique est devenue telle que le mot-clé
« diversité » a semblé apparaître comme un véritable porte-drapeau propre à fédérer
un consensus national. À tel point qu’en 2007, peu de temps après son élection à la
Présidence de la République, Nicolas Sarkozy déclare même envisager l’inscription
de cette notion dans le préambule de la Constitution (Wieviorka, 2008). Dans ce
contexte particulier, un déplacement semble s’esquisser dans les politiques publiques
françaises : la transition d’un modèle d’intégration vers un modèle de diversité. D’un
côté, une philosophie universaliste opposée à la prise en compte des particularités des
citoyens et prônant une assimilation des différences dans le corps national. De l’autre,
une valorisation de la différence accompagnée d’une réflexion sur les modalités d’une
lutte efficace contre les discriminations. Toutefois, plus qu’à un véritable changement
de logiciel politique, nous assistons plutôt à une reconfiguration qui voit se superposer
deux conceptions de l’égalité et de l’action publique en sa faveur : un moment de
trouble le cœur de la France balance entre deux modes de rationalisation de la
sphère publique (Renaut, 2009).
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Dans ce contexte de renouveau du débat public autour des discriminations, les
domaines audiovisuels et cinématographiques ont été au cœur des préoccupations.
Depuis les années 1980, les efforts conjoints d’institutions, de chercheurs, d’acteurs
politiques ou associatifs ont contribué à faire émerger en France la thématique de la
représentation socioculturelle dans les médias (Frachon & Sassoon, 2008 : 30-52). La
question de la part de représentation des désormais dites « minorités visibles » a en
particulier déchaîné les passions. Cependant l’exigence de repsentativité désormais
adressée au cinéma et à l’audiovisuel français pose la question du rôle social et
symbolique qui leur est attribué. Au-delà, la production d’un discours implicite sur les
publics, à l’occasion de rapports ou documents de communication dans le cadre des
dispositifs de promotion de la diversité, nous porte à interroger la conception des
publics ainsi véhiculée. Il s’agit en particulier de mettre au jour les préconceptions de
l’action publique : quels publics les établissements administratifs qui promeuvent la
diversité construisent-ils pour fonder leur action ? L’enjeu est d’exposer la rationalité
qui préside à l’organisation des dispositifs en faveur de la diversité, soit un ordre de
compréhension des médiums audiovisuels et cinématographiques et de leur rôle social
qui synthétise diverses appréhensions de la communication.
Images et publics de la diversité
Le 14 novembre 2005, alors que des émeutes urbaines agitent le pays, le Président de
la République Jacques Chirac affirme dans une allocution télévisée la nécessité d’une
meilleure représentation de la société française dans l’audiovisuel. Dans la foulée un
fonds de dix millions d’euros est alloué au Centre national de la cinématographie et
de l’image animée (CNC) afin de soutenir le financement d’œuvres
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cinématographiques, audiovisuelles et multimédias qui promeuvent « l’égalité des
chances » et la « cohésion nationale » : ce fonds sera contrôlé par la commission
« Images de la diversité ». Elle doit superviser le versement d’aides complémentaires
au développement, à l’écriture, à la production et à la distribution des œuvres
subventionnées. Pilotée conjointement par le CNC et l’Agence pour la cohésion
sociale et l’égalité des chances (Acsé), la commission soutient, entre 2007 et 2010,
427 projets représentant « la diversité de notre société » (CNC et Acsé, 2008) : 296
œuvres audiovisuelles et 116 œuvres cinématographiques, parmi lesquels courts,
moyens et longs métrages, documentaires ou de fiction.
Ce dispositif s’inscrit dans le prolongement d’une initiative du Fonds d’action
sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille (FAS)
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qui en 1991 met en place
une commission audiovisuelle visant à soutenir la production d’œuvres représentant
l’histoire de l’immigration, la vie dans les « banlieues » françaises et les liens
entretenus par les personnes issues de l’immigration avec leur pays d’origine. D’une
certaine façon, le FAS reprenait déjà alors l’une des mesures préconisées par le
rapport Gaspard de 1982 sur les émissions de télévision à destination des audiences
immigrées. Ce rapport fera date en amorçant le débat public sur la question des
modalités de représentation de la société française dans l’audiovisuel. Il enjoint alors
au développement d’« échanges interculturels » via l’aide à la création audiovisuelle
promouvant intégration et cohésion sociale. Du rapport Gaspard jusqu’aux années
1990, les recherches et études françaises se concentrent essentiellement sur les
contenus audiovisuels à destination des populations immigrées : le lexique de travail
est centré sur les notions d’« immigration » et d’« intégration », là où à partir de la fin
des années 1990 les mots-clés « diversité » et « minorité visible » prendront
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Aprés divers changements de noms et d’objectifs, entre 1958 et 2006, cet établissement public
devient l’Acsé. Pour un historique, voir le site officiel : http://www.lacse.fr.
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