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L’ultra-orthodoxie, le Hazon-Ich et le peuple juif.
Le christianisme, Lustiger, Heine, Malher et Ouanounou
Yéchayahou Leibovitz et Michaël Shashar, entretien (1993) et commentaire (2002).
Editions Keter, Israël, 2002
Vous m’avez raconté que votre livre, qui traite de judaïsme, publié en anglais aux Presses
Universitaires de Harvard, a été signalé dans le supplément littéraire du New York Times
comme l’un des livres les plus importants ayant vu le jour en 1993. Pourriez-vous indiquer un
livre important qui vous soit parvenu cette année ?
Le livre du rav Yonathan Zacks, grand rabbin du judaïsme britannique. C’est un
livre d’un niveau intellectuel élevé. Je ne dirai pas qu’il compte parmi les livres
importants de cette génération, mais c’est un livre important. J’ai recommandé aux
Editions Magnet de le faire traduire en hébreu. Il n’aurait pas pu être écrit par
quelqu’un du monde de la Torah de chez nous parce qu’il n’y pas de personnes qui
pensent parmi eux.
S’il en est ainsi, ce n’est pas un hasard que ce livre ait été écrit à l’étranger ?
Non, c’est une affaire de personnes. Zacks est un homme qui réfléchit au sujet du
judaïsme et de l’histoire du peuple juif.
Mais peut-être ceci est-il lié au fait qu’il soit exposé à un conflit permanent avec le monde
environnant (y compris chrétien), alors que chez nous les rabbanim pataugent dans leur
propre boue.
Il y a quelque chose de cela. Par rapport à cela, on souligne souvent, pour en faire
l’éloge cette conversation qui eu lieu entre Ben-Gourion et le « Hazon-Ich », au sujet
de la charrette qui monte et qui descend
1
. Il semble que le « Hazon-Ich » n’ait eu
aucune compréhension de la réalité. Il n’a pas compris que la deuxième charrette est
elle aussi chare, ni que la charge qu’il porte lui-même ne fait déjà plus l’objet
d’aucune considération de la part de ceux qui n’en veulent pas, que ce sont-des
paroles vaines. Il n’a pas compris cela.
L’une des personnes disparue récemment et qui compte, me semble-t-il parmi les penseurs
que vous estimez, fût le rav Yossef Dov Solovétchik. L’avez-vous jamais rencontré ?
A deux reprises. Une fois lorsque je fus invité en tant que professeur à l’université
de Harvard à Boston, il y a environ vingt ans, et de nouveau il y a quinze ans quand
j’étais à la Yechiva University, à New York. Il y a dix ans, son fils H’aïm
2
m’a apporté
un manuscrit de son père qu’il avait écrit en anglais dans les années quarante et publié
il y a seulement deux ans par ceux qui s’occupent de ses manuscrits. C’est un livre
intéressant sur la théorie de la halakh’a.
1
Note de M. Shashar. Sanhédrin 32b : si deux chameaux (et pas des charrettes !) montent sur un sentier, l’un
portant une charge et l’autre pas, quand le sentier est étroit, c’est au chameau non chargé d’attendre, d’après les
« règles de la circulation », et de laisser la place au chameau chargé.
2
Professeur d’histoire juive à la yéchiva university
2
Et les livres de non-juifs sur des sujets juifs ?
Le livre de Hans Küng
3
sur le judaïsme. Il fait de nombreuses fois référence au rav
Solovétchik et à moi-même. Nous nous étions rencontré en Israël et il m’a envo son
livre. Küng est considéré aujourd’hui comme l’un des théologien allemand les plus
importants. Nous avons échangé une longue correspondance et je voudrais lui
recommander de la publier. Il attribue une signification religieuse au fait-même de la
création de l’Etat d’Israël, chose que je récuse.
Il en va de même au sujet de la shoah. Je prétends que la shoah n’a aucune
signification religieuse, c’est à ce sujet que nous nous sommes écrit. Dans son livre,
Küng essaie de comprendre la signification du judaïsme halakh’a, très difficile à
comprendre pour les non-juifs, d’un point de vue psychologique.
Est-ce un hasard si une théologie non-orthodoxe telle que celle-ci apparaisse précisément en
Allemagne ?
Nous ne connaissons pas bien la culture allemande actuelle et je ne peux pas juger en
la matière. La shoah, en tout cas, est un énorme problème pour les chrétiens.
Comment considérez-vous vos rencontres avec le père Marcel Dubois, comme une anecdote ?
Pas du tout. Je m’entretiens avec lui de la question suivante :comment le judaïsme
considère-t-il le christianisme et comment le christianisme considère-t-il le judaïsme,
je ne me dispute ni au sujet du judaïsme, ni au sujet du christianisme. Du point de vue
du judaïsme, le christianisme est indifférent, alors que du point de vue du
christianisme, le judaïsme est une question de vie ou de mort.
Accepte-t-il cela ?
Il a beaucoup de mal a comprendre que le fait que le christianisme, tout au moins
depuis Marcion, depuis au moins mille huit cents ans, adopte le TaNaKH
4
comme
3
NdT- Une voix qui ne fait pas chorus : dans l’univers des éloges mesurés et de l’apologétique internationale sur Karol
Wojtyla [dit Jean-Paul II], le théologien suisse Hans Küng s’est nettement distingué, provoquant de fortes polémiques dans
les médias allemands. ng - une des grosses têtes du Concile Vatican II, exclu en 1979 par le « Saint » Office qui lui
révoqua la chaire et l’orthodoxie - s’est exprimé ces derniers jours dans l’hebdomadaire Der Spiegel, mais c’est son
apparition sur la télévision publique "ARD", dans le populaire talk show de "Sabine Christiansen" qui a réveillé un nid de
guêpes. « Wojtyla prêche les idéaux féminins, mais en interdisant aux femmes la pilule et en leur refusant l’ordination". (…)
Une objection liée à cette vision machiste de l’église, "Karol Wojtyla a propagé une figure sacerdotale masculine caractérisée
par le célibat et il a été le principal responsable de la carence catastrophique de prêtres et du scandale de la pédophilie dans le
clergé, désormais venu au grand jour". L’attaque à fond de Küng s’est poursuivi : "Le pape a pratiqué un nombre très éle
de canonisations, mais il a ignoré en même temps l’inquisition mise en œuvre vis-à-vis de théologiens, de prêtres et de
membres d’ordres mal vus par l’Eglise". Küng a cité des hommes et des femmes qui se sont distingués pour leur pensée
critique et leur volonté énergique de réformes, "traités, au contraire, avec des méthodes propres de l’Inquisition" :
Schillebeecks, Balasuriya, Boff, Bulànyi, Curran, Fox, Drewermann et aussi l’évêque d’Evreux, Gaillot et l’archevêque de
Seattle, Huntington. "Dans la vie publique - a-t-il affirmé - manquent aujourd’hui des intellectuels et des théologiens de
l’intelligence de la génération du Concile".Enfin, dit Küng, "Jean-Paul II a offert en 2000 une confession publique des pêchés
pour les fautes de l’Eglise dans le passé, mais sans en tirer aucune conséquence pratique", en glissant sur "les intrigues des
différents sièges de la Curie dans des affaires mafieuses et a contribué plutôt à occulter qu’à révéler des scandales et des
crimes (Banque Vaticane, le "suicide" de Roberto Calvi, le meurtre qui a eu lieu dans le milieu du corps des gardes suisses).
Le Vatican a été aussi extraordinairement vacillant avec le révélation des scandales de la pédophilie de membres du clergé, ".
Les remarques du théologien d’origine suisse ont provoqué un tollé en Allemagne, le gouvernement - le ministre des
Affaires Etrangères Joschka Fischer en tête - a fait officiellement ses condoléances à l’ambassade du Vatican à Berlin.
4
« Bible » hébraïque
3
l’un des écrits saints ne nous intéresse pas. Comment est-ce possible que nous ne
prenions pas en considération le fait que pour le christianisme le TaNaKH’ soit l’un
des écrits saints ?!
On peut expliquer cela par rapport à la chronologie, si ce n’est par rapport à l’essence, car
le judaïsme a précédé le christianisme, et ce qui vient après n’est pas pertinent de son point
de vue
. C’est ce que je dis.
J’ai lu que vous auriez voulu rencontrer Aharon Lustiger, l’archevêque juif de Paris.
C’est étrange. C’est un apostat. Il peut encore devenir pape ou l’un des cardinaux
5
. Il
faut dire qu’au moins, il n’y a pas de racisme dans l’Eglise catholique.
Si vous l’aviez rencontré, que lui auriez-vous dit ?
Rien d’autre sinon qu’il est un apostat
6
. Et c’est précisément parce que vous
connaissez la signification du mot « apostat » / méchoumad lui aurai-je dis-
que vous comprenez ce que je pense de vous.
*
De là, on peut comprendre la relation négative et sans équivoque de Leibovitz à Heinrich
Heine « l’apostat ». D’après sa conception juive du monde d’une part et sa relation au
christianisme d’autre part, Leibovitz compte parmi ceux qui ne pardonnent pas à Heine son
baptême chrétien. Heine ne l’a pas fait par conviction, mais pour des raisons professionnelles
et de bien-être. Il y a eu, et il y a encore, des hommes d’esprit importants, parmi lesquels le
poète Haïm Nah’man Bialik et CH. Chalom (issu d’une célèbre famille h’assidique respectée)
qui le lui pardonnèrent ou qui ne prirent pas au sérieux sa conversion, du fait qu’il était lui-
même loin de considérer sérieusement l’acte formel du baptême. Et sans doute pas dans une
moindre mesure parce que le judaïsme en tant que religion ne remplissait déjà plus chez ces
personnes-là un rôle central et à caractère obligatoire. Il n’en va pas de même pour
Leibovitz. Dans la lettre adressée à CH. Chalom il s’étonne que celui-ci ait vu en Heine un «
grand poète juif de langue étrangère (allemand) ». Il lui lance :
« Vous avez oublié et vous vous efforcez de faire oublier au lecteur- que Heinrich
Heine est compté comme l’une des figures les plus basses et abjectes de l’histoire du
peuple juif- la figure de l’apostat par plaisir qui délaisse son peuple humilié et abattu
pour s’attacher à la société non-juive afin d’en manger les fruits et se rassasier de ses
bienfaits. Le fait que son désir n’ait pas pleinement réussi… ne change rien la bassesse
de son acte et ne le rachète pas. »
5
Depuis cet entretien, il a été nommé cardinal et participe actuellement à l’élection du futur pape
6
Larousse : Apostasie (du grec apostasis, abandon) : abandon public d’une religion, d’une doctrine, d’un parti.
4
Il ajoute :
Je ne peux m’empêcher d’exprimer mon étonnement devant un poète et un écrivain
hébraïque possédant une conscience juive enracinée qui, perdant critère et échelle de
valeur juifs, ne ressent pas la honte et le déshonneur personnel qu’il y a dans le fait
d’estimer un poète apostat comme un grand juif. »
7
8
Leibovitz aurait pu écrire la même chose à Bialik qui voyait en Heine « un symbole
de l’âme juive dans tous ses égarements » et émit l’idée de traduire tous ses écrits pour
les inclure dans le canon de la littérature hébraïque.
9
C’est pour cela que Leibovitz refusait tout débat avec des apostats et qu’il répondit même à
une femme qui lui demandait par écrit si le TaNaKH’ avait prophétisé Jésus :
« Vos paroles éveillent en moi le soupçon que vous soyez une apostat et je ne suis pas
disposé à ouvrir un débat avec des apostats. »
Leibovitz nagea également à contre-courant vis-à-vis des honneurs que l’on attribua –jusqu’à
aujourd’hui- au compositeur Gustave Malher qui apostasia lui aussi. Il écrivit :
« Qol-Israël pose que l’honneur d’un déserteur du judaïsme est l’honneur du peuple
juif. Par contre Qol-Israël repousse avec dégoût, pour je ne sais quoi, Wagner, qui fut
un Non-juif convenable/cachèr et qui ne se distingua pas, par son antisémitisme, de la
plupart des grands hommes d’esprit du monde occidental chrétien. »
Leibovitz ne prit aucune distance vis-à-vis des œuvres littéraires et musicales de « Non-juifs
convenables », mais dès qu’il s’agissait d’apostats, il n’était prêt à aucun débat sur leurs
œuvres qui ferait abstraction de leur trahison du peuple d’Israël et plus encore, de la religion
d’Israël.
Ironie du sort, Leibovitz qui s’est battu toute sa vie pour le judaïsme et le peuple juif, n’a pas
eu le mérite qu’une rue de Jérusalem porte son nom (pas même à H’aïfa « la rouge ») à cause
de l’opposition des ultra-orthodoxes, alors que Heinrich Heine reçu ce privilège, avec tous
les égards des représentants de l’Etat, précisément pendant la fête de Hannouka
10
(!), fête qui
symbolise plus que tout la position du judaïsme vis-à-vis de l’apostasie et de l’assimilation…
*
7
Ratsiti lich-ol otkh’a p 389
8
« ha méchorer hayéhoudi hagadol »
9
Ygal Lossin, Heine, la double vie p 24
10
5762 / 2001-02
5
A ce sujet, on vous a critiqué parce que vous vous êtes rapporté à Mordekh’aï Ouanounou
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en tant qu’ apostat.
C’est un apostat, mais ce n’est pas à cause de cela qu’il est retenu en prison par l’Etat
d’Israël.
Et dans le cas de Ouanounou, l’Etat a raison ?
L’Etat d’Israël le juge en tant que traître. Du fait que je ne considère pas le patriotisme
comme une valeur, je ne pense pas que celui qui trompe la patrie soit un criminel.
L’Amérique retient Pollard
12
en prison parce qu’il a trahi l’Etat.
*
Il est connu que le rapport de Leibovitz au christianisme n’était pas seulement négatif mais
qu’il tenait même en abomination cette religion païenne dont l’origine, selon lui, ne se situe
pas dans le judaïsme, mais dans le monde grec et l’hellénisme païen, symbole de l’idolâtrie.
On comprend donc pourquoi il abhorrait les juifs se faisant chrétiens. Jusqu’ici, il n’y a peut-
hêtre rien d’original, car c’est ainsi que les juifs religieux considéraient le christianisme
génération après génération, exception faite des juifs libéraux ou en cours d’assimilation.
(…)
Traduction amateur : Avraham Yechayahou
Net’s. 5765
avril 2005
11
Ndt- Ouanounou, une bombe atomique ! (Koutrass, mars 2005) :
Ainsi donc Mordekhaï Ouanounou est sorti de prison. Dès l’instant il a mis un pied dehors, il a de suite été reçu par des milliers
de supporters et des centaines de journalistes du monde entier, ce qui lui a permis de faire passer son message partout sur le globe.
Et, bien entendu, Ouanounou en a profité pour faire savoir toute sa haine envers son peuple et son mépris pour ses frères. L’étape
suivante a été, de se rendre dans une église anglicane quelconque à laquelle il s’affilie, puisque Ouanounou s’est converti au
christianisme. Pauvres parents, et pauvre famille : son père a fondé l'une des familles les plus religieuses de Beèr Chéva'. Lorsque le
scandale a éclaté voici dix-huit ans, et qu'il s'est avéré que Mordekhaï avait trahi son peuple, ses parents ont fuit la ville de honte et
ont rejoint leurs filles, à Bené Braq. Un grand débat a éclaté sur les dangers que peut représenter cette personne sur le plan de la
sécurité : a-t-il oui ou non dévoilé tout ce qu’il savait lors de sa fameuse interview en Angleterre ? Mais, en vérité, le véritable
danger que représente cette personne ne nous semble pas résider dans les secrets atomiques qu’il connaît - c’est de toutes manières
un secret de polichinelle, que le monde entier connaissait. Le problème est que Ouanounou vient s’ajouter à l’orchestre des ennemis
d’Israël de par le monde, et ne va cesser d’être agité en se faisant passer pour un élément de plus sur la liste des reproches faits à
Israël. Lui-même, d’ailleurs, affirme déjà qu’on ne l’a poursuivi en Israël que du fait qu’il s’est converti : s’il était resté juif, jamais
on ne l’aurait poursuivi d’une telle manière... Comme le dit le verset : « Tes détracteurs et tes destructeurs émanent de ton propre
peuple »
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Ndt- En 1985, Jonathan Pollard, ancien employé des renseignements navals américains fut accusé, ainsi que son épouse,
d’avoir vendu des documents classés top-secret à Israël en échange d’un salaire mensuel de 2500$ sur une période de 18 mois. En
1987, Pollard fut condamné à la prison à vie et sa femme à deux peines cumulées de 5 ans. Quatre Israéliens, dont un colonel de
l’aviation israélienne, furent également condamnés. Le gouvernement israelien nia immédiatement avoir eu la moindre
connaissance de ce réseau d’espionnage dirigé par Raphael Eitan - ancien officier des renseignements israélien- et désavoua les
organisateurs de cette opération. Malgré le scandale, Israël décida de faire monter en grade Raphael Eitan et le colonel impliqué,
Aviem Sellam. Toutefois, devant la réaction outrée des Etats-Unis, Israël revint sur sa décision concernant le colonel. Jonathan
Pollard se vit accorder la citoyenneté israélienne en 1996, ce qui permit à sa femme, libérée en 1990, d’immigrer en Israël. Tel Aviv
continue de se plaindre de la sévérité de la peine infligée à Pollard, et ne manque jamais une occasion de demander sa libération,
comme en 1998 lors des accords de Wye Plantation.
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