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PROGRÈS TECHNIQUE ET CROISSANCE
1) Les sources du progrès technique :
a) - Le rôle de "l’entrepreneur innovateur" :
En cette fin de XIXe siècle, la vapeur est encore le symbole du progrès. Elle fait battre le
cœur de l'industrie lourde et propulse les chemins de fer. Pourtant scientifiques et
entrepreneurs sont en quête d'une autre mécanique. Les énormes chaudières, outre qu'elles
explosent régulièrement, ont un très faible rendement. Elles ne transforment en travail qu'à
peine 10% de l'énergie dégagée.
A la fin de l'année 1870, cette question ne quitte pas l'esprit d'un élève-ingénieur de
l’École supérieure technique de Munich. Rudolph Diesel, né à Paris en 1858 de parents
allemands émigrés, est un étudiant brillant. Il entre chez un constructeur de machines
frigorifiques, voyage beaucoup, mais continue de mener des recherches personnelles. Le 28
février 1892, il dépose devant l'Office impérial de Berlin le brevet d'un moteur dont la
pression de fonctionnement est très élevée et dont l'allumage s'effectue de façon spontanée,
sans qu'il soit nécessaire d'utiliser une bougie. Quatre années de difficiles et parfois
conflictuelles mises au point sont nécessaires pour parvenir à un prototype. Les dirigeants de
la Maschinenfabrik Augsburg-Nuremberg (MAN) se sont immédiatement intéressés au brevet
de Rudolph Diesel. L'empire industriel Krupp passe contrat et s'investit également dans les
recherches.
Au cours du second semestre 1897, la décision est prise de commercialiser le moteur. La
pression à l'intérieur du cylindre atteint 34 atmosphères et non pas 250 et le rendement
thermique ne dépasse pas 31,9%. Pourtant, ce moteur est largement plus efficace que les
autres. En 1897, les licences de construction de moteurs sont accordées à de nombreuses
sociétés allemandes et Diesel prend la cision de créer sa propre entreprise. Les
améliorations portées par MAN sur le compresseur et sur le filtre de carburant en améliorent
le fonctionnement. Le succès est immédiat. On vient du monde entier pour acheter les
licences de construction du "plus économique des moteurs à pétrole". Rarement invention et
inventeur auront été aussi rapidement consacrés. Rudolph Diesel devient millionnaire en
quelques mois. (Source : J.M.Normand, Le Monde, 14 décembre 1997)
Q1 - Quelles sont les caractéristiques d'un entrepreneur-innovateur au XIXe siècle ?
Q2 - Quelles sont les étapes de la diffusion de son innovation ?
Q3 - Que peut-il retirer de cette innovation ?
Q4 - Ce modèle d’entrepreneur-innovateur vous semble-t-il d’actualité ?
b) - Le rôle de la "concurrence monopoliste" :
1 - Innovation et taille de l’entreprise industrielle (en % des entreprises)
Taille ( nombre de salariés )
Entreprises
innovantes
Innovantes en
produit
Innovantes en
procédé
PMI ( 20 - 500 )
37,2
27,5
25,2
Grandes entreprises ( 500 et plus )
79,6
73,4
65,6
Total
38,8
29,1
26,6
(Source : SESSI, L’Industrie française, 1997-1998)
Q1 - Quelle corrélation pouvez-vous établir entre la taille de l’entreprise et l’innovation ?
2 - L'analyse de "Schumpeter âgé" (Capitalisme, Socialisme et Démocratie, 1942)
s'oppose à celle de "Schumpeter jeune" (Théorie du développement économique, 1912). Le
premier Schumpeter voyait dans la figure de l'entrepreneur individuel le héros de l'innovation,
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grâce à son dynamisme, à sa liberté de manœuvre et à sa vision de l'avenir. A l'opposé, le
second Schumpeter souligne l'importance des économies d'échelle dans les activités qui
déterminent la croissance. La recherche technologique, notamment, requiert des équipes
nombreuses, qui ne peuvent être rassemblées que dans des firmes de grandes tailles. De plus,
les banques, les marchés financiers et les gouvernements font plus confiance aux grandes
entreprises qu'aux petites leur donnant un accès plus aisés aux ressources financières.
(Source : D.Guellec, P.Ralle, Les nouvelles théories de la croissance, Repères, La Découverte, 1995)
3 - Les grandes entreprises reconnaissent que l’enjeu de la prochaine décennie réside dans
leur capacité à innover. Dans les pays émergents, des entreprises produisent souvent des
produits comparables à meilleurs coûts. Pour acquérir des idées, des technologies ou des
compétences nouvelles, Cisco, Alcatel, Microsoft, entre autres, achètent des start-up, des
petites sociétés innovantes qui ont réussi à développer un produit ou une technologie qui peut
servir le grand groupe.
Ces acquisitions ne sont pas sans risque. La grande entreprise doit trouver la bonne
distance : utiliser la technologie et le savoir-faire de la start-up, lui apporter une assise
financière et un réseau de distribution mondial pour ses produits...sans trop l’utiliser, ni
l’étouffer. Certaines entreprises tentent d’insuffler l’esprit start-up en interne et créent des
équipes indépendantes autour d’un projet. (Source : Laure Belot, Le Monde, 8 septembre 1999)
Q1 - Comment peut-on expliquer la corrélation entre la taille et l’innovation ?
Q2 - Quels peuvent être les inconvénients d’une trop forte concentration pour l’innovation ?
Q3 - Comment les grandes entreprises s’y prennent-elles pour contrer ces inconvénients ?
c) - Le rôle de l’État :
1 - Qu’est-ce qui détermine la quantité d’inventions et d’innovations ? Certaines idées
neuves sont simplement le produit d’une curiosité intellectuelle ou d’une frustration (“il doit y
avoir une meilleure façon de faire !”). Mais comme dans la plupart des activités, la découverte
d’idées neuves dépend dans une large mesure des ressources qui sont consacrées à leur
recherche, et celles-ci dépendent à leur tour du coût d’immobilisation des ressources dans
cette activité et des perspectives de succès. Certaines activités de recherche prennent place
dans des départements universitaires, généralement financés, du moins en partie, par l’État.
Mais de nombreuses recherches sont financées par le secteur privé, grâce à l’argent que les
entreprises consacrent à leurs départements de recherche et développement (R&D).
Le résultat de la recherche est risqué. Les chercheurs ne savent jamais s’ils trouveront ou
non quelque chose d’intéressant. La recherche ressemble à un projet d’investissement risqué
puisque des fonds doivent être engagés avant que les avantages (s’il y en a) commencent à
apparaître. Mais il existe une différence importante. Supposons que vous consacriez beaucoup
d’agent à la mise au point d’une souricière. Quand vous aurez réussi, tout le monde la copiera.
Son prix baissera, et vous ne récupérerez jamais votre mise initiale. Si nous vivons dans un tel
monde, il n’y aurait aucune incitation à se lancer dans la R&D.
Si l’invention est accessible à tous dès sa découverte, la société en tire des avantages,
mais pas le découvreur : il y a un effet externe. Les avantages privés et sociaux ne coïncident
pas et le mécanisme des prix ne fournit pas les incitations adéquates. La société essaye de
contourner cette carence du marché de deux façons. En premier lieu, elle accorde des brevets
aux inventeurs et innovateurs privés, qui sont des monopoles légaux pendant une période
déterminée. Ils permettent que des projets de recherche fructueux couvrent les investissements
en R&D grâce à la fixation de prix temporairement supérieurs au seul coût de production. En
deuxième lieu, l’État subventionne de nombreuses recherches fondamentales dans les
universités, dans ses propres laboratoires et dans le secteur privé.
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(Source : D.Begg, R.Dornbusch et S.Fisher, Macroéconomie, Ediscience international, 1992)
2 - L’effort de "recherche-développement" (R/D) des principaux pays de l’OCDE :
Dépenses en R&D
milliards $ 99 ppa
1965 1999
% des dépenses
de R&D dans le PIB
1965 1999
% de l'État dans les
dépenses de R&D
1981 1999
% des dépenses
militaires dans le
total de la R&D
États-Unis
86 238
3,0. 2,6
49 36
55
Japon
20 105
1,5 2,9
25 36
4
Allemagne
15 44
1,5 2,4
41 39
9
France
19 31
2,0. 2,1
54 50
37
Royaume-Uni
22 25
2,3 1,9
48 50
46
(Source : OST - 2000)
Q1 - Cherchez les définitions de recherche fondamentale, recherche appliquée, recherche-
développement.
Q2 - Pourquoi le marché n’est-il pas capable de prendre en charge la totalité de la recherche ?
Q3 - Quels sont les moyens dont dispose l’État pour favoriser la recherche ?
Q4 - Connaissez-vous des exemples concrets d’innovations soutenues par l’État ?
Q5 - Comment ont évolué les dépenses de R&D dans les pays de l’OCDE ?
d) - Le rôle des "transferts technologiques" :
L’emprunt technologique au Japon avait commencé bien avant la Rénovation de Meiji
(empereur du Japon, 1868). Il s’est poursuivi après les années 1880 et même intensifié, pour
diminuer ensuite.
En 1900, 500 métiers américains Northrop automatiques sont achetés par la société des
filatures d’Osaka, et la Compagnie des textiles japonais se procurait des machines suisses.
Pour les rails, la Grande-Bretagne était le grand fournisseur jusqu’à l’extrême fin du siècle
puis les États-Unis prenaient la première place et, juste avant la première guerre mondiale,
l’Allemagne occupait une place à peine inférieure à celle des États-Unis. Pour les fournitures
de locomotive, même chose.
Mais la dépendance du savoir-faire étranger commençait à décroître. Le nombre de
locomotives en circulation de fabrication japonaise était de 11 en 1897 et de 162 en 1912. En
1887, 9/10 du commerce extérieur japonais était aux mains d’étrangers ; dans les années
1890, et dans les années 1900 les firmes japonaises avaient la majorité. L’évolution avait été
beaucoup plus rapide encore pour les ingénieurs et les experts de toute sorte qui, après avoir
formé des techniciens sur place, repartirent après 1880, ou même avant. En tout cas,
l’emprunt technologique avait des avantages considérables. Il a été pratiqué par toutes les
nations européennes involontairement - rôle des protestants émigrés après la révocation de
l’édit de Nantes - ou volontairement, mais de façon réduite - manufactures de Colbert, ou
métallurgie et chemins de fer en France au début du XIXe siècle - tandis que le Japon y
procéda de façon méthodique. Ainsi, il se procurait les machines les plus modernes, dont la
productivité était la plus élevée. Ce faisant, il économisait la main-d'œuvre, car celle-ci,
paradoxalement, peut être très chère dans un pays à l’industrie naissante. Il s’agit bien
entendu d’une main-d'œuvre spécialisée et de qualité. On a un nouvel exemple du progrès
par retard. Mais ce progrès était possible parce qu’il y a toujours eu quand même une certaine
quantité de main-d'œuvre spécialisée ou capable de l’être pour accueillir ces nouveautés
techniques. Le retard peut être obstacle ou tremplin selon les caractéristiques de
l’environnement humain. Au Japon, jusqu’à nos jours, il a été un tremplin.
(Source : J.Mutel, Le Japon 1853-1912, Hatier 1978)
Q1 - Qu’est-ce qu’un transfert de technologie ? Quelles formes peut-il prendre ?
Q2 - Comment le progrès technique est-il assimilé ?
Q3 - A quelle condition de transfert technologique est-il possible ?
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2) Progrès technique et "destruction créatrice" :
a) "Cycles longs" et "grappes d’innovation" :
1 - Nicolaï Dimitrievitch Kondratiev, économiste russe, dirigea de 1920 à 1928 l’institut
de conjoncture de Moscou. Il disparut au goulag en 1930. Ses travaux ont mis en évidence
l’existence de cycles longs (40- 60 ans) dans l’histoire du capitalisme. Au cours de ces cycles,
alternent une phase d’expansion (phase A) et une phase de récession (phase B). Depuis 1789,
on aurait repéré quatre cycles complets. Les signes de reprise de la croissance observés
actuellement dans certains pays pourraient inaugurer la phase A d’un nouveau cycle.
L’existence de tels cycles est cependant aujourd’hui très discutée.
(Source : Sciences Humaines n° 71, Avril 1997)
2 - C’est à Joseph Schumpeter que l’on doit la première tentative d’interprétation
systématique des cycles de Kondratieff. Dans un ouvrage devenu classique intitulé Business
Cycles, qu’il publie en 1939, Schumpeter attribue l’existence de ces cycles à la dynamique
spécifique de l’innovation (...).
Selon Schumpeter, le propre de l’innovation est que son développement n’est pas linéaire
(...). Il se développe par vagues, par sauts, certaines périodes voyant l’apparition de grappes
d’innovations majeures qui vont conditionner le développement de l’économie pendant de
longues années. Aux phases d’accélération du progrès technique succèdent donc des lignes
droites d’innovations mineures, au cours desquelles les nouvelles conditions de production et
de consommation se diffusent à l’ensemble de l’économie. Durant ces périodes, les
entreprises recourent massivement au crédit pour investir dans les nouveaux procédés ou les
nouvelles branches d’activité. Le crédit est ainsi, pour Schumpeter, le complément monétaire
de l’innovation. Il entretient par conséquent une relation intime avec le cycle, sans en être
pour autant la cause.
Le développement de la phase A du cycle de Kondratieff serait donc conditionné par le
temps nécessaire à l’assimilation, la diffusion et l’amortissement de ces nouvelles conditions
d’activité. L’épuisement des opportunités ainsi créées et l’exacerbation de la concurrence, qui
en résulterait, expliqueraient le retournement du cycle.
La phase B correspondrait à une longue période de purge des capacités de production en
excès et des dettes correspondantes, ainsi que de gestation d’une nouvelle vague
d’innovations.
Ce n’est que lorsque la purge économique et financière touche a sa fin que la nouvelle
vague d’innovations peut voir le jour. Tant que la crise domine, l’incertitude concernant
l’avenir inhibe en effet toute prise de risque par les entrepreneurs. Une fois les prix et les taux
d’intérêts stabilisés, les conditions d’un calcul économique raisonnable sont restaurées et le
potentiel d’innovations en gestation en cours de la phase B peut enfin être exploité.
(Source : Jacques Adda, Kondratieff : la cinquième vague, Alternatives économiques n° 173, septembre 1999)
Q1 - Que décrivent les cycles longs de Kondratieff ?
Q2 - Comment Schumpeter explique-t-il le cycle Kondratieff ?
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Q3 - Remplissez ce tableau à l’aide des données des documents :
Innovations de
procédé
Q4 - Quelles sont les caractéristiques de la phase A ? Celles de la phase B ?
Q5 - Pourquoi J. Schumpeter parle-t-il d'une destruction créatrice ?
Q6 - Cette analyse vous semble-t-elle d’actualité ?
b) - Croissance et progrès technique “endogène” :
1 - D’où vient donc ce progrès technique qui, chez Solow, "descend du ciel" (le fameux
"deus ex-machina") ? Paul M. Romer, un jeune économiste américain, proposa, en 1986, une
explication : ce n’est pas autre chose que le résultat de l’apprentissage par l’expérience, du
learning by doing”. Parce que c’est en faisant les choses que l’on devient capable
d’améliorer, de changer, bref de progresser (...). En d’autres termes, le progrès technique a
d’autant plus de chance d’être important que l’économie est plus développée, puisque les
occasions de perfectionnement et de changement se multiplient.(...). Romer, contrairement à
Solow, avance l’idée que c’est la croissance qui engendre elle-même le progrès technique (et
non le progrès technique qui engendre la croissance), c’est à dire que l’origine de la
croissance est "endogène", qu’elle dépend de la vitesse déjà acquise. Ce qui revient à dire que
les écarts entre nations, loin de se résorber, peuvent avoir tendance à s’accentuer (on serait
donc loin à la fois du "rattrapage" et de la "convergence" !).
Ce n’est pas la seule conséquence du modèle de Romer. La croissance dépend à la fois de
l’investissement et des connaissances acquises par l’expérience.
(Source : Denis Clerc, La fin des guerres de théories, Alternatives économiques n° 162, septembre 1998)
2 - Dans les années 80, les "théories de la croissance endogène" (= "nouvelles théories de
la croissance") sont venues bouleverser l'analyse "néo-classique" traditionnelle. Dans ces
nouvelles théories, les rendements du capital ne sont pas décroissants, mais constants : cela
signifie que plus on investit, plus la croissance tend à augmenter, puisque l'efficacité de ce
capital supplémentaire ne fléchit pas. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu'un investissement
supplémentaire engendre toute une série d'effets positifs ("externalités positives") au bénéfice
de la collectivité. Il faut se garder d'une vision trop matérielle de l'investissement. Il peut
s'agir d'investissement dans le domaine de la formation, de la recherche ou de l'infrastructure.
Les effets positifs tiennent au fait que, dans la plupart des cas, grâce à ces investissements, le
niveau des connaissances progresse, un savoir-faire nouveau ou existant est développé.
L'approche néo-classique l'admettait pour la formation puisqu'elle assimilait
l'amélioration de qualification de la main-d'oeuvre qui en résultait à une augmentation du
nombre de travailleurs. Mais, l'approche de la croissance endogène généralise ce constat : en
investissant, une entreprise, un individu ou une collectivité améliorent la productivité de
l'ensemble. Le progrès technique ne tombe plus du ciel : il est issu de ces investissements qui
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