Sur les traces de la foi |
fils de la promesse, et non Ismaël, qui n’est pas pour autant rejeté (cf. «La Parole en questions»). Mais la
querelle entre les deux femmes, qui avait déjà poussé Agar à s’enfuir (16,6) et avait semblé s’apaiser par sa
soumission à sa maîtresse (16,9), va cette fois-ci à la rupture. Quoi qu’il en coûte à Abraham, attaché à son
fils aîné, il doit, selon la parole que Dieu lui adresse, admettre que chacun soit béni selon sa vocation propre,
mais que sur le fils de Sarah seul repose le poids de l’alliance (21,12-13). En renvoyant Agar au désert, il
confirme la séparation instaurée par Sarah et son statut de femme libre (cf. Galates 4,22-31).
Mais si le cœur paternel d’Abraham en est écorché, à plus forte raison le cœur du Dieu Père de tous est
bouleversé. «Dieu entendit les cris du petit…» (21,17). Ce ne sont pas les lamentations bruyantes d’Agar qui
crie et pleure, qui le touchent (21,16), mais le faible gémissement de l’enfant sous le buisson. «Un pauvre a
crié, le Seigneur écoute, et de toutes ses angoisses il le sauve», dit le psaume (34,6). Et l’enfant, sauvé par
l’eau d’un puits miraculeux, grandira et deviendra un homme du désert. Sauvé, béni aussi à sa façon.
Le cœur paternel d’Abraham n’a pas fini d’être déchiré puisque son second fils aussi, croit-il comprendre, va
lui être enlevé. Non plus chassé au désert, mais offert en holocauste par lui-même, son père. Telle est
«l’épreuve» (cf. «La loupe du scribe») qu’Abraham traverse avec le silence confiant, l’obéissance
immédiate et appliquée qu’il a toujours manifestés. Avec cette espérance «contre toute espérance»
(Romains 4,18) qui lui fait croire que Dieu n’a pu le tromper, qu’il ne lui a pas donné un fils pour le
reprendre, qu’il ne lui a pas dévoilé son visage de miséricorde pour se montrer soudain tyrannique et violent.
Ce n’est pas ce Dieu-là qu’a appris à connaître Abraham, dans sa marche au désert, et, malgré le naufrage de
son intelligence, malgré l’ébranlement de son esprit, qui le taraudent tout autant que la blessure de son cœur,
il persiste à affirmer en deux paroles brèves sa foi intacte : «Moi et l’enfant, nous reviendrons vers vous…
C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste» (22,5.8). Et Dieu pourvoit, Dieu sauve l’enfant déjà
lié comme la victime innocente et, à travers lui, tous les innocents rattrapés par la mort violente. Dieu sauve
Abraham de lui-même en purifiant sa foi, détachée des dons et des lois pour n’adorer que le Donateur. Dieu,
à travers la figure du bélier, offert en holocauste, sauve tous les hommes, en allant, lui, jusqu’au sacrifice de
son Fils, son unique (cf. 22,2 ; Jean 3,16), en laissant le Fils, «agneau de Dieu qui enlève le péché du
monde» (Jean 1,29), être lié sur le bois, offert pour le salut de tous.
Mais, pour l’heure, l’obéissance d’Abraham est source de bénédictions renouvelées pour sa descendance et
toutes les nations de la terre (22,18). Ce que confirme immédiatement l’annonce d’une postérité nombreuse
accordée à son frère Nahor (22,20-24), d’où sortira Rébecca, la future épouse d’Isaac.
Mais que devient Sarah ? Elle qui avait si activement contribué à l’installation sur la terre donnée par
Abimélek, et à la séparation de l’héritage du fils de la promesse, où est-elle alors que son fils a manqué de
mourir ? La tradition juive tente de combler ce manque, en affirmant qu’apprenant qu’Isaac allait être
immolé, elle mourut car, disait-elle, «mon âme est liée à son âme» (Yachar). Et, de fait, au récit du sacrifice
succède sans transition l’annonce de la mort de Sarah, à Hébron (23,1-2). Mais, jusque dans la mort, elle
travaille à la réalisation des promesses, car Abraham entre en transaction avec les fils de Hèt pour acquérir la
grotte de Makpéla où il désire l’enterrer. Lui, «étranger et résident» dans le pays (23,3), insiste pour acheter
le champ, et non le recevoir en don, comme les Hittites y sont disposés, car ce sont là les premiers arpents
qui passent en sa propriété (23,17) de cette terre qu’il sait, de source divine, être sienne. La seule terre
qu’Abraham le nomade ait jamais possédée prend amèrement la forme d’une tombe. Mais c’est bien par la
médiation de Sarah, mère d’Isaac, couchée en ce tombeau, que la réalisation de la double promesse
commence à advenir. «C’est dans la foi qu’ils moururent tous sans avoir reçu l’objet des promesses, mais
ils l’ont vu et salué de loin, et ils ont confessé qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. Ceux qui
parlent ainsi font voir clairement qu’ils sont à la recherche d’une patrie. (…) Or, en fait, ils aspirent à une
patrie meilleure, c’est-à-dire céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte de s'appeler leur Dieu ; il leur a
préparé, en effet, une ville...» (Hébreux 11,13-16).
La loupe du scribe
Genèse 22,1-14 : le sacrifice