LA DECOLONISATION DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Introduction :
En 1945, un nouvel ordre mondial s’instaure qui va pousser les
anciennes puissances impérialistes à se séparer dans une période
30 ans de leurs colonies. Après la décennie asiatique et
l’arrivée des pays non-alignés sur la scène internationale,
l’Afrique noire se réveille et croit en la possibilité de se
libérer. Alors que ce continent est totalement sous domination
coloniale, à part l’Ethiopie et l’Afrique du Sud, il faut noter
que les ressortissants européens forment la minorité de la
population.
Les pays colonisateurs sont affaiblis suite à la seconde
guerre mondiale et ne répondent pas immédiatement aux
aspirations des peuples africains. Le contexte international
favorise la montée de ses revendications, grâce aux critiques
américaine, soviétique et onusienne envers le colonialisme. Bien
que ces soutiens aux peuples opprimés aient des causes
différentes, le résultat est le même : le mouvement en marche
est trop puissant pour être entravé.
Il est intéressant de se pencher sur les conditions et les
formes qui vont permettre le passage du statut de colonie à
celui d’Etat indépendant en Afrique subsaharienne, dans le
contexte de la guerre froide ?
I. Des émancipations en général pacifiques…
A. La décolonisation organisée par le Royaume-Uni
La Grande-Bretagne est consciente du fait qu’elle doit
s’adapter aux nouveaux rapports internationaux, favorables à la
reconnaissance des nationalismes grâce aux opinions
anticolonialistes des vainqueurs de la guerre, ainsi que des
pays ayant acquis récemment leur indépendance et qui prennent un
poids grandissant dans les relations internationales (au sein de
l’ONU par exemple).
De plus, elle comprend qu’il est préférable de ne pas
s’opposer aux revendications indépendantistes des pays
africains, puisqu’elle veut surtout conserver des liens
économiques privilégiés avec eux, et qu’elle souhaite y trouver
des ressources l’aidant à se relever de la Seconde Guerre
Mondiale.
Finalement, le Commonwealth semble être une organisation
efficace pour rester proche des pays qui composaient dans le
passé l’Empire le soleil ne se couchait jamais et surtout
pour les éloigner du communisme environnant.
La GB programme donc précisément les étapes entre le statut de
colonie et celui de pays indépendant, des conférences servant à
fixer les différents paliers. Elle augmente ainsi petit à petit
le pouvoir des conseils législatifs et exécutifs en place, tout
en en réduisant la part de membres nommés. La dernière phase est
le remplacement du gouverneur par le leader du mouvement
nationaliste majoritaire, qui devient alors président du nouvel
Etat indépendant. Chaque pays va à son propre rythme, selon
l’avancée des négociations avec la métropole. C’est
principalement en Afrique de l’Ouest que ce processus est aussi
efficace.
Le premier pays à suivre ce chemin est la Gold Coast, qui
devient lors de son indépendance le 6 mars 1957, le Ghana. C’est
grâce à la volonté affichée du chef national et très populaire,
N’Krumah, de préserver une coopération active entre le Ghana et
la GB, que l’émancipation va avoir lieu. Il fixe en accord avec
les Anglais les modifications à la Constitution qui mèneront peu
à peu le pays du statut de partnership en 1951, à celui de self-
government puis à l’indépendance totale. Il devient Premier
Ministre du gouvernement autonome puis premier président du
Ghana, pour avoir su rassurer Londres en se présentant comme
anticommuniste et favorable à une entente au sein du
Commonwealth.
Cette indépendance va réveiller les revendications de
sécession de la part des autres colonies. Le Nigéria profitera
aussi du pragmatisme britannique pour accéder à une indépendance
relativement pacifique : bien que ce pays immense ait des
spécificités ethniques, religieuses, linguistiques mal
délimitées territorialement, les trois principaux partis locaux
(Northern People’s Congress, Action Group à l’ouest, National
Council of Nigeria and Cameroons à l’est) parviennent à se
faire entendre, et à obtenir le self-government puis
l’indépendance le 1er octobre 1960. Le pays aura eu à subir
auparavant une tentative de séparation du Biafra (1967), mais ce
sera un échec, et le pays naîtra tout de même sous la forme d’un
Etat fédéré, comme le souhaitait la GB, qui voyait dans le
Nigéria un futur arbitre de la région, surtout face aux
déclarations panafricaines de N’Krumah qui inquiétaient Londres.
D’autres pays auront également la chance d’accéder sans heurts
à l’indépendance comme la Sierra Leone en avril 1961, puis la
Gambie en février 1965, dans les deux cas le pouvoir est cédé
à des modérés.
B. Les nouvelles méthodes françaises
La France a également dû déjà subir des décolonisations
manquées, terminées dans la défaite, ou bien encore en cours en
1960 et loin d’être résolues. Cependant, les aspirations
indépendantistes de l’Afrique noire sont mieux reçues en
métropole, car on ne voit pas en ces peuples des ennemis
dangereux l’inverse des peuples arabes par exemple) et parce
que ces territoires ne sont pas des colonies de peuplement. La
France va donc accorder peu à peu de plus en plus de libertés à
ces pays et le changement de République ne remettra pas en cause
cette évolution attendue depuis si longtemps par les Africains.
Dès 1944, l’Afrique noire française est prise en compte par le
général lors de la conférence de Brazzaville, mais il ne fait
que promettre des vagues d’autonomie. En 1946, l’Afrique a un
statut plus évolué avec la création de l’Union Française entre
la République Française et ses territoires et Etats associés
d’outre-mer. Celle-ci est inscrite dans la Constitution de la
IVe République. Elle implique des droits d’autonomie en
politique interne et le droit d’élire des députés au Parlement
français (ex : le Sénégalais Léopold Sédar Sanghor, l’Ivoirien
Houphouët Boigny). La même année, cette élite africaine met sur
pied le Rassemblement démocratique africain sous la présidence
d’Houphouët Boigny. Ce mouvement s’éloigne au fil du temps du PC
français, afin de ne pas se mettre à dos les autres partis, de
donner une suite à l’autonomie et de garder des liens cordiaux
avec la France.
En 1956, la loi-cadre Defferre améliore cette autonomie en
accordant plus d’égalité entre les citoyens de métropole et ceux
des TOM. Les Africains élisent leurs représentants au suffrage
universel, ils peuvent pourvoir à des postes à responsabilité
dans le service public, et les assemblées locales ont un pouvoir
exécutif accru.
Avec l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, la France est
désormais entre les mains d’un homme considéré par tous comme le
sauveur de la nation. Il a donc plus de marges de manœuvre que
ses prédécesseurs à propos d’éventuelles concessions envers les
peuples colonisés. De plus, il comprend la nécessité de se
séparer de ces territoires lointains, dont les aspirations
indépendantistes sont de plus en plus embarrassantes vis-à-vis
des autres pays sur la scène internationale. Il faut aussi
remarquer que la question coloniale est régulièrement débattue
au sein de l’opinion publique française et surtout par les
intellectuels de gauche qui lancent le débat en métropole.
Avec la Constitution de la Vème République, le général De
Gaulle lance la Communauté Française et propose alors aux pays
d’Afrique noire de choisir entre une indépendance immédiate
supposant une rupture totale des relations avec la France, ou
bien l’entrée de ces colonies dans une structure fédérale. Tous
les pays, sauf la Guinée, acceptent de cette semi souveraineté
limitée à leur politique intérieure, le reste étant sous
domination française (la monnaie, la défense et la diplomatie).
En 1960, ces douze pays et Madagascar (qui a déjà eu une
tentative avortée de décolonisation en 1947, et qui a souffert
une répression d’environ 80 000 morts) souhaiteront se
séparer totalement de la France, et celle-ci ne s’y opposera
pas. La Communauté Française se dissout, emportant avec elle les
anciennes organisations de l’AOF et de l’AEF ainsi que
l’éphémère fédération du Mali (Soudan et Sénégal).
II. Mais parfois laborieuses et brutales…
A. Certains Etats colonisateurs refusent tout
compromis
Dans quelques pays, la transition entre le statut de colonie
et celui de pays indépendant se fait dans des conditions plus
difficiles : soit le pays répond par la violence à des
rebellions indigènes jusqu’à dominer à nouveau la situation pour
accepter de négocier, soit le pays colonisateur écarte toute
éventualité de se séparer de ses territoires d’outre-mer et
provoque la révolte des autochtones contre le pouvoir central.
Pour les deux hypothèses, les leaders nationaux ont eu la
possibilité de suivre des études en métropoles et d’être donc en
contact avec le mode de vie européen radicalement différent de
celui de la colonie, et d’analyser les causes des inégalités
entre les métropoles et leurs colonies en général selon la
théorie communiste.
Dans le premier cas, on peut citer différentes colonies
britanniques d’Afrique de l’Est, comme le Kenya les colons
anglais ont réussi à s’emparer des terres les plus fertiles du
pays, spoliant principalement l’ethnie des Kikuyu des Hautes-
Terres. Celle-ci s’est révoltée derrière le chef Jomo Kenyatta,
et a mené de 1952 à 1960 une guérilla anti-anglaise appelée la
« révolte des Mau-Mau ». Ils réclament la reprise des terres aux
colons, la restauration des traditions locales et l’abolition du
christianisme. Non seulement, la GB retarde l’accès à
l’indépendance à ce pays pour donner le temps aux nombreuses
minorités en présence (européennes et indiennes) de s’y
préparer, mais surtout parce que le Kenya constitue un point
d’ancrage important pour les bases aériennes anglaises qui
peuvent ainsi contrôler cette région orientale de l’Afrique
proche du rival égyptien et l’Océan Indien. La décolonisation du
Kenya ne sera prononcée qu’en décembre 1963.
Le cas du Portugal de la dictature salazariste est différent
des autres puissances coloniales : le régime est radicalement
hostile à l’idée d’octroyer à ses colonies le droit d’être
indépendantes, afin sauver ce qui lui reste de prestige. En
effet, l’autorité qui dirige le pays dans le conservatisme vit
dans la nostalgie de l’immense empire maritime déjà amputé de
très nombreux territoires lors du partage de l’Afrique par les
nouveaux pays colonisateurs dans la seconde moitié du XIXe
siècle. Selon ses dirigeants, accepter les indépendances serait
une preuve de faiblesse, et une perte de la fierté nationale. La
première réaction est de développer les colonies de peuplement
et de maintenir les indigènes dans la soumission et la
répression. De plus, bien que le comportement du Portugal soit
condamné officiellement, la dictature bénéficie de la non-
intervention des puissances occidentales dans le conflit,
immobilisme qui en dit long sur leur refus de voir s’implanter
en Afrique des mouvements dont l’idéologie est validée par
Moscou.
Le Portugal s’engage donc, dès 1961 en Angola, dans la lutte
contre les mouvements nationalistes marxistes très actifs, armés
par l’URSS et dont les principaux sont la FRELIMO au Mozambique
et le MPLA en Angola. Cette guerre coloniale très meurtrière et
très coûteuse va affecter très fortement l’opinion publique en
métropole et faire du Portugal un des principaux ennemis des
nouveaux pays indépendants. Ce sera une des causes de la chute
de la dictature le 25 avril 1974. Le nouveau pouvoir en place va
accorder dès cette année la souveraineté à la Guinée-Bissau, et
l’année suivante à toutes les autres colonies. Si l’on peut
louer le fond de cette décision, la forme a cependant été
désastreuse dans les deux camps. Le Portugal n’était pas prêt à
accueillir toute une vague d’anciens colons, habitués à la vie
confortable de maîtres dans les colonies, et les nouveaux Etats
indépendants ont été pratiquement abandonnés à eux-mêmes après
l’échec de la mise en place d’une « Communauté lusophone », les
plongeant ainsi dans des luttes intestines de pouvoir, qui
dureront pour l’Angola de 1975 à 1991.
B. Le Congo belge : divisions intérieures
aiguisées par les rivalités internationales
Depuis 1908, le Congo était sous domination de la couronne
belge, c’est-à-dire pris entre les zones d’influence anglaise et
française. Bien que le pays soit profondément divisé entre les
ethnies qui le peuplent, le pays était très convoité par les
puissances voisines qui enviaient les mines du Katanga
exploitées intensément par les Belges.
Les Africains subissaient des discriminations raciales dans
leur vie quotidienne de la part des colons, et l’élite indigène
apparue après 1945 commence à se révolter contre le pouvoir
excessif des missionnaires chrétiens. La situation resta bloquée
par le conservatisme et le paternalisme des colons, et surtout
par l’aveuglement du pouvoir central belge.
Quelques révoltes auraient déjà alarmer la monarchie, mais
le formidable développement économique du pays estompe
temporairement les tensions. À partir de 1958, une véritable
conscience politique apparaît au grand jour suite à
l’indépendance du Ghana et aux évolutions accordées à l’Afrique
francophone. Les conflits s’accentuent jusqu’en juin 1960, date
à laquelle la Belgique concède dans la précipitation
l’indépendance. La décolonisation a donc été relativement
rapide, mais elle a laissé les dirigeants dans l’incapacité de
contrôler le pays, celui-ci étant divisé entre les tenants d’un
Etat fort centralisé (Lumumba, soutenu par l’URSS) et ceux qui
préfèrent une confédération (les modérés comme le président
Kasavubu et le général Mobutu, soutenus par les Etats-Unis). De
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