Bangladesh / Justice
Bangladesh : Jamaat-e-Islami rattrapé par la justice
(MFI / 23.04.2013) Des millions de Bangladais manifestent régulièrement depuis le
5 février dernier pour l'interdiction du Jamaat-e-Islami, le principal parti
islamiste du pays. Mais le gouvernement, qui se dit favorable à cette interdiction,
peut-il affronter cette puissante organisation religieuse ?
« Pendez les criminels du Jamaat, Vive le Bangladesh ! » La nuit vient de tomber ce
vendredi soir à Dacca. Située au cœur du quartier universitaire, la place Shahbag
commence à s'enflammer. Des centaines de bougies éclairent les visages de milliers de
manifestants qui entonnent des chants patriotiques appelant à la condamnation à mort
de tous les criminels de la guerre d'indépendance.
Ce soulèvement, initié par des blogueurs, fait suite à la condamnation de plusieurs
responsables du parti Jamaat-e-Islami pour le massacre de centaines de civils lors de la
guerre d'indépendance contre le Pakistan.
Les milices islamistes ont prêté main-forte
Les étudiants, qui sont sortis par centaines de milliers dans la rue depuis le 5 février,
n'ont pas connu ce conflit mais ils reprennent le combat inachevé de leurs parents dont
la lutte remonte à 1971. Quand la région du Pakistan oriental - le futur Bangladesh a
déclaré son indépendance, l'armée pakistanaise a réprimé dans le sang cette
insurrection et les milices islamistes du Jamaat-e-Islami lui ont prêté main-forte,
massacrant des milliers d'intellectuels et d'étudiants et violant sans compter. Selon les
sources, entre 300 000 et 3 millions de civils ont été abattus - un des « génocides » les
plus sanglants de l'histoire contemporaine.
Au lendemain de l'indépendance, une cour a entamé le jugement des criminels de
guerre du Jamaat, mais un coup d'Etat a coupé court à ce désir de justice. Quarante-
deux ans après les faits, en janvier-février derniers, l'histoire les a enfin rattrapés : un
« tribunal spécial » inauguré en 2009 a condamné trois hauts responsables du Jamaat
pour « génocide et crimes contre l'humanité » - et neuf autres doivent encore être
jugés. Mais les intellectuels et les étudiants veulent aller plus loin. Ils réclament
l'interdiction définitive du Jamaat-e-Islami. Une manière de purger l'histoire criminelle
du principal parti islamiste du pays, et du même coup de freiner la montée inquiétante
de son fondamentalisme.
« Pendre tous ceux qui ont insulté le prophète »
« Le Jamaat s'est battu contre la création de notre pays et s'oppose encore aux valeurs
de l'indépendance, basées sur la tolérance ; il n'a donc aucune légitimité politique »,
explique Imran Sarker, un médecin de 29 ans qui a initié et qui dirige le mouvement de
la place Shahbag avec le Réseau des blogueurs et militants en ligne (BOAN). « Depuis
dix ans, poursuit-il, le Bangladesh s'enfonce dans un trou noir. Des madrasas font leur
apparition dans chaque quartier de Dacca et grâce à ces jeunes, les islamistes
seraient en mesure de prendre le pouvoir dans la capitale. Aucun parti politique ne les
a combattus car ils représentent un important vivier de voix. Mais nous, les jeunes,
nous n'avons aucune ambition politique. Alors, nous avons décidé de nous battre
contre ce monstre. »
Face à cette menace qui pèse sur leur existence légale, les islamistes semblent prêts à
mener une guerre sans merci. Le 6 avril dernier, les différentes organisations
religieuses, dont le Jamaat et le radical Hezafat-e-Islam, se sont unies. Et leur riposte a
pris la forme d'une marée humaine. Plus de 500 000 militants, vêtus de la robe blanche
et de la toque traditionnelle musulmane, ont défilé avec rage dans le quartier de
Motijheel, à quelques kilomètres de la place Shahbag. Leur cri de guerre vise certains
blogueurs qui auraient injurié le nom du prophète. Des bataillons convergent à pas
rapide vers l'estrade centrale, en répétant les appels de leur meneur : « Il faut pendre
les blogueurs de la place Shahbag, il faut pendre les athées. Il faut pendre Imran ! »
Un camion fend doucement la foule excitée et un religieux monté sur sa remorque, un
micro à la main, entonne une chanson guerrière reprise par les manifestants : « vous
devez pendre tous ceux qui ont insulté le prophète. Rejoignez-nous, attrapez ces athées
un par un et coupez-leur la tête. C’est le début de la révolution islamique ».
Des élites riches et éduquées
Derrière cette façade brutale, le mouvement islamiste du Bangladesh compte toutefois
de nombreuses élites riches et éduquées, notamment au sein du Jamaat-e-Islami. Les
cadres de ce parti dirigent des universités, des médias, des hôpitaux hauts de gamme,
et surtout la première banque privée du pays, la Islami Bank. En tout, l'économie du
fondamentalisme génère chaque année un bénéfice de près de 200 millions d'euros, et
connaît une croissance d'environ 8 % par an, ce qui est supérieur à l'expansion
moyenne de l'économie nationale, explique dans une étude Abul Barkat, professeur
d'économie à l'université de Dacca.
Cette puissance économique et militante pourrait rendre l'interdiction du Jamaat-e-
Islami difficile et périlleuse. Le gouvernement, qui affirme y être favorable, ne le fera
jamais, estime Asif Nazrul, professeur de droit à l'université de Dacca et chroniqueur
politique : « Si le Jamaat est interdit, tous ses militants se jetteront dans les bras de
l'opposition du parti nationaliste BNP, qui disposera alors d'une armée prête à mourir
pour lui dans la rue. Surtout, certains d'entre eux risquent alors de se radicaliser et de
rejoindre les groupes islamistes armés. »
Luc Santi
Pour en savoir plus
Sur RFI :
Au Bangladesh, arrestations de trois blogueurs athées accusés d'avoir «diffamé l'islam» (03.04.2013)
Grand reportage : Bangladesh : la jeunesse se lève contre les islamistes (17.04.2013)
Sur la toile :
Réseau des blogueurs et militants en ligne
Islami Bank
L'étude d'Abul Barkat
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