Géologie de la Désirade
I / Historique des travaux géologiques
Les premiers observateurs, Hill (1899), J.W. Spencer (1900), Woodring (1928) et
Schuchert (1935), considèrent que l’île est entièrement formée de calcaires récifaux
néogènes ou quaternaires.
En 1934, dans son rapport sur les résultats d’une mission pour la recherche du pétrole à
la Guadeloupe, L. Barrabé montre que « cette île est constituée en réalité par un
complexe éruptif et volcanique surmonté seulement par une couverture peu épaisse de
calcaires vraisemblablement miocènes ».
En 1953, cet auteur conclut ainsi un article, publié dans le Bulletin de la Société
Géologique de France : « le problème essentiel qui reste à résoudre concernant la
Désirade est celui de l’âge de son socle éruptif et volcanique », et un peu plus loin, « en
l’absence de formation sédimentaire susceptible d’être datée dans le substratum de
cette île, il est logique d’adopter un âge post-éocène pour les intrusions granodioritiques
de la Désirade » (par comparaison avec les séries volcaniques anciennes des Petites
Antilles du nord).
Les mêmes conclusions se retrouvent dans la notice explicative de la carte géologique au
1/50 000 ème, feuille de Marie-Galante, la Désirade, Iles de la Petite Terre, publiée en
1966 d’après les levés effectués par A. de Reynal de Saint-Michel.
Les années 1970 voient les missions se multiplier : L.K. Fink, B.M. Gunn et M.-J. Roobol,
J.-M. Mattinson et A.C. Hopson identifient les formations volcaniques et plutoniques du
socle désiradien comme représentatives d’un complexe ophiolitique et surtout publient
les premières datations obtenues par radiochronologie, soit 145 à 150 millions d’années.
En 1976 et 1978, D. Westercamp effectue des levés détaillés lui permettant de tracer
les contours de formations géologiques de la carte au 1/25 000ème de la Désirade,
publiée en 1980. Cette dernière marque un tournant fondamental dans l’histoire des
travaux et servira, à l’auteur, de base pour la description d’un itinéraire remarqué dans
le Guide géologique régional Martinique Guadeloupe Saint-Martin la Désirade, de 1980.
Plus récemment, l’article de Montgomery et al. (1992) apporte des compléments
d’information particulièrement estimables puisqu’ils confirment, sur des indices
biostratigraphiques (grâce aux microfossiles de radiolaires), l’âge jurassique terminal
des formations de base de l’île.
En 2004, K. Gauchat publie une « geochimistry of Desirade island rocks ». Cette étude
apporte des arguments nouveaux sur l’origine des matériaux constitutifs du socle,
regroupés ici en 5 unités : il ne s’agirait pas d’un cortège ophiolitique (portion de croûte
océanique et de manteau supérieur) mais de roches présentant de fortes affinités
géochimiques d’arc tholéiitique.
II/ Description des terrains
1) Les grands ensembles géologiques (d’après les publications de D. Westercamp et
de K. Gauchat évoquées ci-dessus)
A la Désirade, affleurent des terrains pouvant être regroupés en quatre unités dont
trois appartiennent au complexe magmatique de base : le « cortège ophiolitique » du
nord-est,
le massif acide du centre, associé au précédent dans une série méta-andésitique
mésozoïque,
la série andésitique surieure qui marque le point final de l’activité magmatique
dans ce secteur des Petites Antilles (arc ancien, paléogène),
les couvertures calcaires de la table et du panneau surbaissé occidental et les
récents « récifs soulevés » ou terrasses marines.
Les couvertures calcaires : d’une épaisseur cumulée dépassant rarement 130 m, les
bancs calcaires constitutifs du Plateau de la Montagne et du Morne à Marthe
présentent des faciès monotones zoogènes beiges à blancs (ils peuvent prendre un
aspect crayeux le long des grandes falaises de la côte nord) souvent caverneux (ce sont
les « roches à ravets » locales). Les microfaciès biomicritiques et biomicrosparitiques,
les nombreux restes de polypiers et d’algues encroûtantes, confèrent souvent aux
sédiments une texture packstone à boundstone. Ces calcaires proviennent très
probablement de sédiments accumulés en contexte récifal et ont été datés, grâce aux
foraminifères qu’ils contiennent, du Pliocène inférieur à moyen (4 à 5 Ma) par P.
Andreieff (notice de la carte géologique de la Désirade, 1980).
Les premiers bancs reposent en nette discordance sur le substratum éruptif de l’île
comme cela s’observe sur les magnifiques coupes naturelles des falaises de la côte nord.
Ils contiennent souvent des galets, blocs, graviers, sables provenant de l’érosion des
roches sous-jacentes : ce sont alors de véritables conglomérats et poudingues, témoins
de la transgression pliocène
Des calcaires beaucoup plus meubles, organo-détritiques, cernent le Morne à Marthe et
le Morne Blanc. Ils ont livré une belle microfaune (foraminifères) du Pliocène inférieur
et ont été interprétés comme des dépôts de mer plus ouverte, au pied du « récif » de la
table. Les terrasses marines, dont certaines s’inscrivent dans le périmètre proposé pour
la future réserve naturelle, seront décrites dans les pages suivantes.
Le massif acide du centre : il s’étend, pour l’essentiel, entre les deux grands
systèmes de faille qui tronçonnent l’île en trois blocs. Le premier s’aligne sur les deux
ravines la Rivière et Cybèle, le deuxième correspond à la Coulée du Grand Nord, grande
marche d’escalier entre Grand Montagne et Morne à Marthe. Il est constitué de roches
magmatiques plutoniques (les seules de l’île) : diorites et diorites quartziques ou
trondhjémites.
Ces dernières, leucocrates et de texture grenue, montrent des assemblages de quartz
et de feldspaths plagioclases (andésine et surtout oligoclase) de taille millimétrique,
avec quelques minéraux opaques accessoires. Elles présentent fréquemment un faciès
d’altération (suite aux actions hydrothermales entre autres) avec albitisation des
plagioclases, grains d’épidote, lattes de chlorite, et prennent ainsi une teinte vert d’eau
très pâle.
Les diorites, roches de couleur très claire également, ne comportent que de rares
quartz à côté des cristaux de feldspaths plagioclases (andésine), d’amphibole
(hornblende verte), de pyroxène (augite) et de minéraux d’altération (chlorite et
épidote).
Les affleurements les plus spectaculaires de ces roches acides se déploient le long de la
côte nord de l’île, spécialement entre la Pointe du Grand Nord et la Pointe à Claire,
les falaises, régulièrement lessivées par les averses violentes de l’hivernage,
apparaissent zébrées d’innombrables dykes (parfois plurimétriques) d’andésite très
sombre (fig. 3.18). Pour diverses raisons, K. Gauchat pense qu’andésites et diorites se
sont mises en place à la même époque. Les affleurements situés le long des falaises
bordant la table calcaire, au sud-est, se font beaucoup plus rares puisqu’ils sont bien
souvent masqués par une couverture d’éboulis plus ou moins stabilisés. Quelques
échantillons de trondhjémite peuvent cependant être récoltés le long de la route D 207
à hauteur de Trou Madame
Dans la zone de contact entre massif acide et « cortège ophiolitique » du nord-est, nous
avons pu observer de curieuses structures en forme de « cônes de glace », de « giclées
de magma » à zonations concentriques, résultats d’intrusions dioritiques dans le
matériau basaltique ou inversement. Ces investigations, rendues possibles depuis une
barque saintoise, demandent confirmation par des levés à terre.
Enfin, il convient de souligner l’importance des trondhjémites pour leur contribution à la
connaissance de l’histoire géologique de l’île puisqu’elles ont permis les premières
datations par radiochronologie de son complexe de base : 142,2 9,7 Ma par la méthode
K/Ar (Fink et al., 1971), 145-150 Ma par la méthode 206Pb/238U sur les seuls zircons et
par la méthode 207Pb/206Pb (Mattinson et al., 1973 et 1980).
Le « cortège ophiolitique » du nord-est : baptisé ainsi par L.K. Fink en 1968, ce
complexe commence à l’est de la Ravine Cybèle et se compose de roches de types
variés : laves acides à faciès de rhyolites et de dacites, brèches volcaniques, scories en
bouses de vache, laves basaltiques débitées en coussins (ou pillows), radiolarites, dykes
rhyolitiques et andésitiques, hyaloclastites.
A l’extrémité est de l’île, figure une faille orientée SW-NE, de Baie Mahault à la Baie du
Grand Abaque, que l’on pourrait nommer grande faille de l’est désiradien.
Particulièrement facile à repérer dans le paysage, cette cassure sépare des terrains de
teintes générales bien différentes : orangée au nord, brune avec une nuance verte au
sud. Les matériaux sous-jacents livrent un début d’explication à ces coloris variés : au
nord se trouve une épaisse coulée de rhyolite, au sud des coulées de basalte.
La région du Grand Abaque correspond à un ancien appareil volcanique dont le cône
pyroclastique se situait vers la Pointe à Mombin, se sont empilés les scories, les
coulées de brèches et les blocs parfois plurimétriques. Ce site d’émission, probablement
aérien, est masqué vers le sud-ouest par l’épaisse coulée évoquée ci-dessus. La roche
constitutive de cette dernière présente toutes les caractéristiques d’une rhyolite :
texture porphyrique avec phénocristaux de feldspaths plagioclases blancs et de quartz
gris gros sel, pâte aphanitique de teinte rougeâtre. A l’instar des roches du massif acide
du centre, les matériaux constitutifs du Grand Abaque présentent de nombreux
minéraux secondaires, résultant d’altérations hydrothermales. Plusieurs dykes
andésitiques recoupent les formations précédemment décrites, avec une orientation
préférentielle est-ouest.
Au sud de la grande faille de l’est désiradien, débutent des affleurements de coulées de
basalte sous-marines, fréquemment débitées en coussins (pillow lavas pour nos collègues
anglophones). Ce type de structure atteste de laves mises en place sous l’eau en formant
des boules visqueuses qui s’empilent et se moulent les unes sur les autres. Ces coussins
prennent parfois l’allure de tubes et montrent une croûte à structure hyaline (figure de
trempe due au refroidissement très rapide du magma au contact de l’eau de mer),
présentant fréquemment des petites bulles blanchâtres (quartz, calcite). Leur cœur
peut receler une prismation radiale bien développée.
La texture de ces roches basaltiques oscille entre microlitique et porphyrique. Leur
paragenèse offre un assemblage de phénocristaux de feldspath plagioclase (lattes
claires), de clinopyroxène composition d’augite), d’olivine (rare), noyés dans une pâte
vitreuse plus ou moins recristallisée. L’assemblage originel est cependant rarement
conservé car ces roches ont subi, comme toutes celles constitutives du complexe
magmatique de base de l’île, un métamorphisme basse température/basse pression ainsi
qu’une altération hydrothermale secondaire avec développement de zéolites.
Le caractère sous-marin de cette série se voit confirmé par la présence de fines
stratifications de radiolarites et de rares dépôts de hyaloclastites que nous décrirons
plus en détail dans les pages qui suivent.
Des coussins de lave basaltique s’observent également tant le long des falaises sud de
l’île, jusqu’en limite de la Ravine Cybèle qu’au pied des falaises nord jusqu’à l’embouchure
de la Ravine Portorique .
Pour K. Gauchat (2004), et suite à des investigations géochimiques, ces coulées
participent de venues magmatiques distinctes (formation dite de Baie Mahault) de celles
situées au sud de la grande faille de l’est désiradien (formation dite du phare).
Toutes ces formations magmatiques de l’est désiradien, comme celles du massif acide du
centre, sont recoupées par un réseau de dykes andésitiques et parfois rhyolitiques,
d’orientation préférentielle est-ouest mais aussi SE-NW. Il s’agit de la rie
andésitique supérieure de D. Westercamp (1980), datée à 37,6 Ma, qui marque la fin
de l’activité de l’arc ancien.
Il nous reste à parler des roches magmatiques affleurant dans la partie nord-ouest de
l’île, entre la Pointe Frégule et la Porte d’Enfer. Elles consistent essentiellement en
brèches volcaniques, dacites (à débit parfois en prismes) et rhyolites, recoupées par des
dykes d’andésite. Autour de la Pointe Frégule, nous avons reconnu des faciès basaltiques
très proches de ceux de l’est de l’île. Cette observation semble corroborer celle d’une
mince couche de radiolarite dans le même secteur par Montgomery et al. (1992).
Quoiqu’il en soit, force est de constater la grande homogénéité et la probable
contemporanéité des faciès constitutifs du complexe éruptif de base.
De nombreuses études géochimiques ont conduit, dans un premier temps, les géologues à
penser que le complexe de base représentait une écaille de croûte océanique
« standard ». Mais les analyses toujours plus fines, en particulier celles des pyroxènes
contenus dans les laves et celles concernant les éléments en trace ou les terres rares,
les isotopes (cf. la publication de K. Gauchat déjà mentionnée), ont permis d’infirmer
cette hypothèse (il ne s’agit donc pas d’un complexe ophiolitique) et de proposer une
affinité d’arc tholéiitique pour la plupart des matériaux de ce complexe à l’exception des
basaltes situés autour de la Pointe Doublé qui ont une affinité d’arc calco-alcalin.
Les spécialistes des sciences de la terre penchent maintenant pour la mise en place de
laves et d’intrusions issues d’un magma de type MORB (Mid-Ocean Ridge Basalts)
contaminé par 1 à 5% de sédiments de la zone Pacifique, dans un contexte d’un arc
insulaire très ancien (jurassique).
Cet arc ancien fut ensuite fragmenté lors de la formation de la plaque Caraïbe et des
formidables bouleversements liés à la tectonique des plaques dans la zone qui retient ici
notre attention : voir à ce sujet les reconstitutions paléogéographiques successives
depuis le Lias jusqu’à nos jours publiées dans l’article de Stephan J.-F. et al. en 1990 et
reproduites en annexe . Seuls quelques fragments, rares témoins de cet arc mésozoïque,
ont été conservés : à Cuba, à Hispaniola, à Porto Rico et bien sûr à la Désirade pour le
plus ancien.
2) La géologie de l’extrémité est de la Désirade, cœur de la future réserve
naturelle géologique : un levé de détail (essentiellement le long des falaises basses
bordant la côte) a été réalisé dans le cadre de cette étude. Pour des raisons de clarté
et de précision, les observations et représentations graphiques des objets géologiques
ont été regroupées par secteurs numérotés de 1 à 7 (globalement du sud vers le nord),
avec autant de cartes correspondantes (les directions en ° et l’épaisseur en m des dykes
y ont été reportées).
Secteur 1 : la Baie Mahault.
Inventorié comme site géologique remarquable de la Guadeloupe (dans la publication
conjointe du BRGM et de la Diren, déc. 2003) par A. Randrianasolo et J.-L. Leticée de
l’UAG, le secteur de la Baie Mahault « présente des affleurements exceptionnellement
bien conservés de plages quaternaires ayant fossilisé les mouvements eustatiques dans
un environnement tropical. Ces plages « soulevées » ou terrasses marines sont
particulièrement bien exposées le long des petites falaises bordant la Baie tant à l’est
qu’à l’ouest. La transgression, marquée par une surface de discordance, des dépôts
quaternaires (calcaires à polypiers, épais de 5 m) sur le substratum basaltique
s’observent facilement sur le côté ouest. Les auteurs cités plus haut y ont reconnu des
tempestites, avec de nombreux coraux couchés indiquant le sens de déplacement d’une
très forte houle attribuable à un ouragan ou à un tsunami. Au fond de la Baie, à l’est, les
falaises offrent des coupes naturelles schématisées sur les logs n°1 et 2 : audessus des
coussins de basalte, niveau 0, repose, en transgression, une première assise ayant toutes
les caractéristiques d’un conglomérat composé de galets plus ou moins arrondis de socle
et d’un ciment calcaire souvent fossilifère (de grandes coquilles de lambi, Strombus
gigas, de burgo, Cittarium pica, voisinent avec des lumachelles à coquilles d’huître des
palétuviers, Crassostrea rhizophorae, et de plus rares échantillons de bulle striée, Bulla
striata, de praire cancellée, Chione cancellata). Les assises supérieures voient la charge
en éléments détritiques baisser rapidement en volume global et en taille au profit de
bioclastes qui confèrent à la roche un aspect de grès (sable calcaire plus ou moins
cimenté), avec de très nombreuses bioturbations. En sommet de coupe, nous avons
observé de curieux « tubes » de sédiment tous alignés dans le même sens, témoins de
figures de courant ( ?).opical ». Enfin, la pointe limitant la Baie à l’est porte un minuscule
témoin de ces plages anciennes, présentant une succession de couches assez semblable
aux précédentes (cf. log n°3). Les polypiers en position de vie, fixés sur le substrat
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