gènes impliqués dans les grandes maladies contrôleront dans une certaine mesure l’avenir de
l’industrie pharmaceutique», prophétise Genset. L’envers de la course aux gènes est donc la
ruée sur le brevet. Frénétique.
Un droit émergent.
«La demande de brevets sur les biotechnologies progresse de plus de 15% par an. Nous sommes
100 examinateurs, il y a engorgement, et peu d’experts compétents sur le marché», constate
Christian Gugerell, de l’Office européen des brevets, à Munich. Logique, le brevetage de la
matière vivante est un droit «émergent». Bruxelles a adopté seulement l’an dernier une directive
encadrant les brevets en biotechnologie – réglementation qui doit être débattue cette année en
France. Les Etats-Unis, eux, ont joué les pionniers il y a à peine 20 ans. En 1980, la Cour
suprême américaine a déclaré brevetable une bactérie transgénique, «mangeuse»
d’hydrocarbures, manipulée par un chercheur nommé Chakrabarty. Pour des raisons de sécurité,
le microbe n’est jamais sorti de son labo combattre une marée noire. Mais il est entré dans
l’Histoire comme le premier organisme vivant breveté. Parce que son génome avait été modifié
de main d’homme, il était passé du rayon des produits naturels (non brevetables) à celui des
inventions (brevetables). Chakrabarty s’est donc vu reconnaître un droit exclusif d’exploitation
commerciale de sa bactérie et tous ses descendants. Dans les sept années suivantes, des plantes
transgéniques et des animaux de la même facture ont été brevetés. Deux décennies plus tard,
c’est toute l’information génétique du vivant qui est en voie de privatisation.
Les forces dominantes de la recherche y travaillent. Avec une règle en filigrane: le savoir
génétique, bien verrouillé, c’est le pouvoir économique. Les start-up, nombreuses en génétique,
multiplient les demandes de brevet dont les annonces font monter leur cours en Bourse. Les
grosses entreprises de biotech, elles, considèrent les brevets comme «un fonds de commerce»,
explique Pascal Brandys, le PDG de Genset. «Ca se vend et c’est une monnaie d’échange» Les
instituts de recherche publique poussent à la «valorisation» (brevetage) des découvertes en
génétique pour attirer les contrats avec des firmes pharmaceutiques et agrochimiques. Ces
dernières sont d’ailleurs le moteur principal de cet élan breveteur. Elles ont bâti leur fortune en
protégeant par brevet les molécules chimiques qu’elles inventaient et leurs dérivés. De leur
point de vue, un gène est une molécule comme une autre dont les dérivés sont les plantes ou les
animaux transgéniques auxquels il a été greffé. Nul hasard, alors, si c’est la section «chimie»
qui est chargée de la génétique à l’Office européen des brevets. Nulle surprise également si
Konrad Becker, directeur de la protection intellectuelle de Novartis, martèle : «Nous ne
brevetons pas la vie. Nous protégeons des inventions technologiques.»
Empires extravagants.
Mais où s’achève la vie, où commence l’invention? La frontière est devenue élastique tant les
enjeux économiques sont grands. Résultat, des découvertes insignifiantes deviennent l’objet de
brevets concédant des monopoles immenses. Ainsi, en octobre dernier, l’Office américain des
brevets a accordé à Incyte un brevet sur 44 gènes humains. Tout ce qu’a fait la firme, c’est de
découvrir un fragment de chacun de ces 44 gènes. Sans identifier leur fonction précise – travail
délicat. Mais ils sont désormais leur «chasse gardée»: nul ne pourra exploiter ces gènes sans
l’accord d’Incyte. Côté agriculture aussi, des empires extravagants se taillent à coup de brevets.
Ainsi, en 1992, l’Américain Agracetus est devenu, grâce à un brevet, le maître de toute la
fabrication de coton transgénique. Ou du moins, un partenaire incontournable. Car chaque
plante transgénique est l’objet de plusieurs brevets, détenus par différentes sociétés, comme un
vulgaire téléviseur. Ainsi, le maïs transgénique résistant à l’herbicide Round-up est protégé par
au moins trois brevets. Sur la technique d’insertion du gène dans la plante, sur le gène lui-
même, sur la construction génétique qui lui permet d’être actif ... CORINNE BENSIMON