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Allocution de Louis Campana lors de la remise
du Prix International de la Fondation Bajaj,
le 4 novembre 2008.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je souhaiterais tout d’abord rendre hommage au Mahatma Gandhi, ainsi qu’à Lanza del
Vasto, pour l’inspiration et la force qu’ils m’ont toujours apportées dans mon travail de promotion
de la paix et de la non-violence.
Je voudrais maintenant remercier le vice-Président indien, Mr Hamid Ansari, qui me permet
de recevoir ce prix en main propre. Je souhaite également remercier la Fondation Bajaj pour ce prix,
qui est avant tout une reconnaissance du travail gandhien que mon association a effectué depuis
plusieurs années. Pour nous ce prix est très précieux car il est un moyen d’encourager beaucoup de
gens à s’impliquer dans la promotion de la paix et de la non-violence.
Je n’oublierai pas non plus de remercier Geeta et Subhash Metha, car c’est par leur
intermédiaire que notre travail a pu être connu de la Fondation Bajaj.
Je souhaiterais, bien sûr, également remercier ma famille et mon épouse pour avoir accepté
de si nombreuses années de luttes et de vie simple, et pour m’avoir soutenu, moi et mon association,
à chacune des étapes que nous avons traversées.
Enfin j’aimerais remercier Christophe Grigri, Chargé de Mission au sein de notre
mouvement, pour sa compétence et sa disponibilité.
Je suis à peu près sûr que chacun d’entre vous a un regard inquiet sur les réalités
économiques, sociales et spirituelles de notre époque.
Si je vous dis qu’un milliard d’humains souffrent de la faim, chacun pourra dire comment
cela est-il encore possible ?
Si je vous dis qu’ils sont encore plus nombreux à être analphabètes et donc incapables à
s’adapter à ce monde, chacun trouvera cela scandaleux !
Si je vous dis que trois milliards sont laissés sur la touche parce qu’ils ne produisent pas,
qu’ils ne consomment pas, qu’ils n’ont pas de comptes en banque, c’est-à-dire un sur deux habitants
de cette planète, chacun pourra se dire qu’il est nécessaire et urgent de changer tout cela.
Je suis aujourd’hui à Bombay, pour recevoir un Prix de la Fondation Bajaj, récompensant
quelqu’un qui a, depuis près de quarante ans, fait la promotion des valeurs gandhiennes.
Vous me permettrez donc de rester dans ce rôle, bien dérangeant vous allez vous en rendre
compte.
Je vais donc citer Gandhi :
« La terre est capable de subvenir aux besoins de chacun, cependant elle ne pourra jamais
répondre à l’avidité de tous »
Une autre :
« Si tu manges une pomme sans faim, tu l’enlèves de la bouche de celui qui a faim ! ».
D’après le livre de Subbhash Metha, Gandhi n’est pas un idéologue, ni un dogmatique, mais
un chercheur de vérité très pragmatique, interrogeant sans répit sa nature humaine. Ses citations
sont-elles vraiment exagérées ?
Une citation du Christ aussi, si vous le voulez bien :
« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. »
Toutes ces citations trouvent-elle un écho, aujourd’hui ?
Voyons donc dans quel monde nous vivons.
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Il apparaît que les multinationales mènent la danse. Leur objectif avoué est de faire de
l’argent, sur n’importe quoi, pourvu que cela génère de la monnaie. On dit qu’il y aura assez de
miettes pour tout le monde. Hélas, les miettes se font rares. De plus les cinq principaux généraux de
l’OTAN ont pour objectif précis de défendre à tout prix les intérêts des multinationales
occidentales, quitte à faire la guerre, y compris l’attaque préventive nucléaire si cela était
nécessaire. On en est tout proche. (Ces affirmations sont tirées d’un document préparatoire à une
rencontre au sommet de l'OTAN à Bucarest, janvier 2008).
Les systèmes financiers mis en place ont pour objectif de produire de la croissance, avec
pour outil majeur, la spéculation boursière, et nous venons de constater le spectacle affligeant de
l’éclatement de la bulle financière.
Les politiques, eux, n’ont d’autres perspectives que de se faire élire pour garder le pouvoir le
plus longtemps possible car tout le reste, de toute façon, leur échappe : ils ont les otages d’un
système économique guerrier et totalitaire (ce qui n’est pas très libéral) .
Mais qu’est-ce que l’économie ? Le terme grec signifie que « tout est bien en ordre », « all
right !».
Voici l’avis de Gandhi sur l’économie : c’est un texte tiré du « Pèlerinage aux Sources » de
Lanza del Vasto, datant de mai 1937 à Wardha. Gandhi s’adresse aux jeunes venus à l’ashram de
Sevagram suivre un stage sur l’action non-violente. Il leur dit ceci :
« Je vous envoie dans vos villages où nos compagnons de lutte contre l'occupant vous attendent. Que
chacun se suffise, que chacun pense d'abord à soi et aux siens et ne pèse sur personne : voilà charité bien
ordonnée. Là où l'homme ne peut suffire, que la famille se suffise, là où elle ne peut, que ce soit le village,
où le village ne peut, que ce soit la région.
Tendez toujours à produire sur place et évitez toute circulation inutile des produits, car c'est
gaspillage et ce sont les courtiers, les spéculateurs, les politiciens nationaux ou étrangers qui ont prise sur
les produits dont la vie du peuple dépend.
Vous soutiendrez ou rétablirez les anciennes industries villageoises, vous en créerez de nouvelles.
Développez partout la filature du coton qui réduira notre chômage, l'outillage coûte peu et le coton est
abondant : nous ne devrions plus acheter nos étoffes aux Anglais qui emportent au loin, chez eux, dans leurs
filatures, le coton de nos campagnes.
Préparez l'indépendance nationale par l'indépendance économique : et je vous rappelle à tous que
l'unique intérêt de l'économie, ce n'est pas le développement économique, mais le développement de la
personne humaine, sa paix intérieure, l'élévation de son âme, son affranchissement.
Mes enfants, que l'homme reste toujours plus grand que ce qu'il fait, plus précieux que ce qu'il a.
Allez ! Supprimez la misère, cultivez la sobriété ! »
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L’occupant de 1937 est parti, mais depuis, l’agent commercial universel, avec sa petite mallette et
son beau costume, a pris sa place.
Mesdames, Messieurs, trois milliards de personnes sur notre terre ne peuvent développer leur
richesse intérieure, ne peuvent élever leur âme, ne peuvent être affranchies.
Pourquoi ?
Parce qu’on les prive de leur Mère-terre, de leur eau, de leur forêt, de toutes ressources. Sur toute la
terre, des habitants de bidons-villes et de favelas, des réfugiés politiques, des expulsés, des sans papiers, des
errants, des chômeurs des friches industrielles, de petits paysans sans terre et bien d’autres sont privés de
leurs droits essentiels, la plupart du temps par les énormes multinationales qui spéculent sur la terre, sur
l’eau, sur les ressources minières, à leur propre profit, et avec la bénédiction des pouvoirs publics et des
systèmes bancaires. Les monocultures sont imposées par l’Occident pour satisfaire l’avidité des nantis, au
détriment des besoins des populations locales qui souffrent de la faim. On transforme même depuis peu les
céréales en agro-carburant. Parfois même, des systèmes sociaux d’un autre temps maintiennent des hommes
et des femmes en esclavage par l’endettement permanent.
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D’après LANZA DEL VASTO, Le Pèlerinage aux Sources, Denoël, Wardha ou trois mois chez Gandhi.
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J’ai quelques questions à poser :
- Existe-il une économie non-violente ?
- Que faire pour redonner du pouvoir à ceux qui n’en ont aucun ? Par quels
moyens légaux ou illégaux mais légitimes ?
- Contre tout ce qui est immoral, peut-on recourir à des armes morales et
spirituelles ? Et comment ?
- La philosophie et l’économie gandhiennes ont-elles un avenir dans une société
aux abois?
Je ne prétends pas avoir une réponse miracle, pas même celle de Gandhi, car le monde
est complexe, et le cœur de l’homme insondable, naviguant ou errant entre intérêt personnel et
compassion. C’est pourquoi Gandhi 2008 propose la création d’Instituts Gandhiens de Formation à
la Non-violence un peu partout dans le monde, et pour commencer en particulier en Espagne et au
Sénégal. Cependant je voudrais aussi inviter toutes les bonnes volontés ici présentes à y réfléchir et
je propose qu’ici, en Inde, en 2009, en juin ou juillet, ou plus tard, des Nobel de la Paix, des leaders
non-violents de tous les continents se rassemblent et donnent leur avis sur ces questions d’avenir. Je
vous soumets donc cette proposition, l’Inde bénéficie en direct de l’héritage du Mahatma, et bien
des industriels indiens en sont des amis.
J’ai participé avec mon ami Rajagopal à la marche des sans terre en octobre 2007, ce fut un
succès, car les sans terre ont pris un pouvoir par l’action non-violente libératrice. Mais ce fut un
succès aussi pour le gouvernement indien qui a été capable au mois de janvier 2008 de modifier les
lois sur le foncier. Il est vrai que le Père de la Nation Indienne est Gandhi et qu’en employant les
méthodes gandhiennes, les sans terre ne pouvaient être désavoués. Cependant cette réforme foncière
est une formidable avancée et ce qui s’est passé en Inde est maintenant possible partout. Reste à
l’appliquer.
Forts de cette métamorphose possible de nos sociétés, faisons le pari, Mesdames et
Messieurs, que l’Inde soit, à l’imitation et sous l’impulsion des Gandhiens, une démocratie les
plus humbles, sans haine et sans mépris, puissent obtenir gain de cause pour développer leur
potentialité intérieure et l’élévation de leur âme, ce dont Gandhi appelait de ses vœux.
Mesdames, Messieurs, nous sommes au cœur d’une guerre économique effrayante. Les
perspectives à court terme sont celles du choix de l’extension militaire tout azimut. La fatalité
guerrière de notre temps, quelle soit économique, qu’elle émane de mouvements terroristes ou des
menaces nucléaires des Nations semblent échapper aux politiques. Ils s’agitent comme des poupées
à la foire et les badauds rigolent. René Girard, anthropologue, membre de l’Académie Française,
professeur à Standfort, promoteur d’une non-violence christique, dit que « loin de contenir la
violence, la politique court derrière la guerre : les moyens guerriers sont devenus des fins ».
Nous pouvons être inquiets ou nous endormir ou alors résister, désobéir, inventer un autre
monde possible, et re-enchanter nos vies.
Chacun de nous peut dire : « Seul et pauvre, je ne peux rien faire ! ».
Mais avec trois milliards de pauvres et d’exclus, déterminés et sans haine,
Animés par la force libératrice de la Non-violence,
Nous pouvons, nous devons changer le monde, et avec vous, Mesdames et Messieurs.
Merci à vous tous.
Louis Campana
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