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Module 7 :
Monsieur Pontier Mars 2002
Le droit de la culture
Chapitre 1 : le cadre juridique de l'intervention des personnes publiques dans le domaine
culturel :
Introduction : au départ, les relations en matière culturelle sont de droit privé. Assez tôt, les auteurs
d'œuvres d'art ont cherché à faire reconnaître des droits sur leurs œuvres : droit matériel et moral.
La propriété littéraire et artistique est une branche de la propriété intellectuelle.
De plus, des relations de droit public se sont instituées : pendant des siècles, les pouvoirs publics,
représentés par la monarchie et la noblesse étaient les principaux commanditaires des œuvres
artistiques. Auparavant, c'était l'église. Tout était orienté vers la gloire de dieu. A la Renaissance, les
livres d'heures (livres pieux) étaient commandés par les princes. Le plus célèbre en France est "les
très riches heures du duc de Berry". Avec la monarchie absolue, les commandes royales sont la
source de l'activité de la majorité des auteurs. Louis XIV, par exemple, a fait vivre de nombreux
artistes. Il a permis à la création de s'épanouir. A la révolution, la culture se trouve dans une situation
difficile car la noblesse et la royauté disparaissent.
Toute l'expression artistique va avoir des difficultés à s'exprimer pendant un certain temps : il n'y a
plus de clientèle. Les pouvoirs publics vont prendre la relève des commandes faites par la noblesse et
la monarchie.
Un véritable droit de la culture va se développer. Mais il faudra beaucoup de temps pour que les
dirigeants prennent conscience que l'expression artistique est une nécessité. Sous la IIIème
République, ils se désintéressent souvent de l'art et de la culture.
Jusqu'à l'affaire Caillebotte, il n'y avait pas de politique culturelle.
Affaire Caillebotte : Caillebotte , peintre pré-impressionniste s'était constitué une collection grâce à
ses amis peintres, qui lui donnaient des tableaux en échange de son aide financière. A sa mort,
Caillebotte a légué à l'Etat ses œuvres et les œuvres de ses amis. La condition de son legs était que
les œuvres soient exposées au musée du Louvre ou au musée du Luxembourg. L'Etat a refusé une
grande partie du legs suite aux remarques horrifiées des peintres académiques. La bourde était
immense : dans la collection, il y avait des Monet, Renoir…
L'affaire Caillebotte explique le souci des dirigeants d'aujourd'hui : on achète tout ce qui sort : on a
peur de passer à côté d'un grand créateur. On adopte une position de modestie.
Section 1 : le droit à la culture :
§ 1 - L'approche historique du droit à la culture :
Depuis la Révolution, l'idée d'un droit à la culture s'est imposé très progressivement et très
tardivement. La base juridique des droits des individus est constituée par la claration des Droits
du 26 août 1789 : La Déclaration des Droits n'est pas seulement un texte adopté à un moment donné
de l'histoire. c'est un texte de droit positif : il est applicable aujourd'hui. Cette Déclaration des Droits a
une valeur constitutionnelle.
Hiérarchie des normes : les lois et traités internationaux signés par la France doivent être conformes à
la Déclaration des Droits. Sous la Vème République, le Conseil d'Etat et le Conseil Constitutionnel ont
déclaré que la Déclaration des Droits avait une valeur constitutionnelle.
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La Déclaration des Droits ne comporte pas directement de dispositions relative à la culture. Mais
l'article 11 dispose : "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus
précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".
On peut dire par extension, que la communication par la voie culturelle est concernée.
La Constitution du 21 juin 1793 (An I) ne comporte guère de dispositions sur la culture. C'est la même
chose pour la Constitution de 1795 (An III) : déclaration des droits et devoirs du citoyen.
Jusqu'en 1946, les constitutions n'évoquent jamais un droit à la culture. On parle beaucoup de la
liberté de la presse et du problème de l'instruction.
Le droit à la culture apparaît en 1946 : deux assemblées constituantes se sont succédé. En 1945, un
premier projet de constitution comporte une Déclaration des Droits. Pour la première fois, "la culture la
plus large doit être offerte à tous sans autre limitation que les aptitudes de chacun. Tout enfant a droit
à l'instruction et à l'éducation dans le respect de la liberté".
En fait, malgré le terme "culture", c'est surtout à l'école que ce texte s'intéressait. Dans la proposition
de constitution faite par André Philip, il est question de droit à la santé, de droit à l'instruction, mais
pas de droit à la culture. Le peuple français va, pour la première fois de son histoire, rejeter ce projet
(la proposition était très marxsisante et de Gaulle a demandé de voter contre).
La deuxième assemblée constituante rédigea un nouveau projet de constitution dans lequel figure un
préambule qui comporte une disposition relative à la culture. Ce projet va être adopté par le peuple
français.
Le préambule de la Constitution de 1946 dispose que "la nation garantit l'égal accès de l'enfant et
de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture".
§ 2 - Signification, contenu et portée du droit à la culture :
Le droit à la culture, parce qu'il est inscrit dans le préambule de 1946, a une valeur juridique. Cette
valeur est constitutionnelle. Le Conseil d'Etat en 1960, le Conseil Constitutionnel en 1971, ont reconnu
une valeur juridique, donc constitutionnelle, au préambule de la Constitution de 1958. En consacrant
la valeur constitutionnelle du préambule de 1958, les juridictions suprêmes ont conféré une similaire
valeur constitutionnelle à la fois à la Déclaration des Droits de 1789 et au préambule de 1946.
Le droit à la culture est donc un droit constitutionnel.
Signification de ce droit : depuis la Révolution, les droits qui ont été reconnus et consacrés sont assez
différents les uns des autres. En 1789, les droits reconnus sont des droits de…ex : droit de se réunir,
de la liberté de la presse. Ce sont des droits énoncés contre l'Etat. Ils impliquent, pour pouvoir se
réaliser, l'abstention de l'Etat : il est demandé à l'Etat de ne pas agir. On demande seulement l'Etat
gendarme.
Au XXème siècle, la société va beaucoup évoluer. Trois facteurs vont intervenir et apporter des
changements considérables :
Les deux guerres mondiales : l’Etat est obligé d’intervenir.
Les crises : la crise de 1929 conduit à l’intervention des Etats.
Les idéologies : le socialisme non marxiste, le socialisme marxiste, l’individualisme.
l’Etat seul est apparu en mesure de corriger les mécanismes économiques ou sociaux.
Des droits « à » sont apparus. L’Etat est seul apparu apte à rendre effectif ce qui était proclamé. Les
droits « à » sont des droits-créance : ils impliquent, pour leur réalisation, non plus l’abstention, mais
l’intervention active de l’Etat.
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S’il est consacré, le droit à la culture soulève des interrogations :
Il ne peut pas signifier que la culture des individus serait donnée par l’Etat. Ce droit à la
culture n’a de sens que si les individus se reconnaissent à eux-mêmes un devoir de se cultiver. La
culture ne peut pas seulement être considérée comme une marchandise. Ce qui est le plus important,
c’est l’aptitude de chacun à s’ouvrir aux grandes questions culturelles. La culture est l’effort personnel
de chacun.
Définition : la culture, c’est ce qui manque lorsqu’on a tout appris.
S’il y a un droit à la culture, on peut se demander quelles sont les personnes responsables de
la mise en œuvre de ce droit. La Constitution parle de la nation. L’Etat ne peut pas être la seule
personne compétente pour mettre en œuvre ce droit. Il ne dispose pas de l’exclusivité. L’Etat est le
représentant de la nation.
Il n’y a pas exclusivité de l’Etat les collectivités locales sont légitimées à intervenir dans le domaine
culturel.
Selon le préambule de 1946, « l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïc à tous les degrés
est un devoir de l’Etat » : il n’y a pas le mot « nation ». Cela pose des problèmes juridiques : les
collectivités locales ne peuvent avoir de compétence constitutionnelle en matière d’enseignement.
L’enseignement n’est pas décentralisé.
Contenu du droit à la culture :
Que veut dire l’égal accès à la culture ?
Il ne peut pas y avoir de culture imposée. Le rôle de l’Etat n’est pas de dicter une certaine conception
de la culture, mais de favoriser l’entrée dans la culture. Cf : Rigaud (PDG de RTL) : la télé n’a pas
crée de culture par elle même : elle a diffusé. La culture télévisuelle vient d’autre chose. En revanche,
le libre-accès à la culture soulève de très difficiles questions relatives à la tarification des activités
culturelles et des établissements culturels.
Tous les musées doivent-ils être gratuits ? Le juge a renvoyé au législateur le soin de préciser à un
moment donné le libre-accès à la culture.
Section 2 : la culture service-public :
§ 1 La notion de service public culturel :
Rappel : affirmer le caractère de service public d’une activité, c’est d’abord reconnaître que cette
activité présente un caractère d’intérêt général. C’est ensuite reconnaître que la puissance publique
ne peut pas se désintéresser de cette activité. Elle intervient soit en l’aidant financièrement, soit en la
contrôlant, soit de toute autre manière.
la qualification de service public entraîne nécessairement une certaine dépendance à l’égard de la
personne publique. Il n’est donc pas indifférent qu’une activité soit ou non considérée comme un
service public.
Les circonstances dans lesquelles le juge administratif a, pour la première fois, consacré l’existence
d’un service public montrent que ce qui est en cause va au delà de la simple qualification.
Deux étapes : CE 7 avril 1916, Astruc : M Astruc saisit le Conseil d’Etat pour lui demander de
condamner la ville de Paris à lui payer une indemnité à raison de l’inexécution d’une promesse de
concession d’un emplacement situé sur les champs Elysées et destinés à la construction d’un théâtre.
Le Conseil d’Etat rejette sa compétence en se fondant sur le fait que le théâtre projeté n’était pas
destiné à assurer un service public ni à pourvoir un objet d’utilité publique. (selon un juriste : « le
théâtre est susceptible d’exalter l’imagination…. » : il constitue un danger, comme le jeu et
l’intempérance. Cette position peut s’expliquer par la guerre !).
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CE 27 juillet 1923, sieur Gheusi : le Conseil d’Etat change de position : en l’espèce,
il s’agit d’un théâtre comique : le CE considère que le théâtre est un service public. Cette décision
marque un revirement de position.
Mais dans l’arrêt Gheusi, le juge reste très prudent : il énumère soigneusement tout ce qui va dans le
sens de la reconnaissance du service public : sont notamment concernées : la concession gratuite
des locaux, la promesse d’une subvention annuelle, les dispositions détaillées à l’égard des
engagements et programmes des spectacles, la fixation d’un tarif maximum des places, le contrôle de
l’activité par un représentant de l’Etat.
D’autre part, le Conseil d’Etat parle de service public, mais ne consacre pas le terme de « service
public culturel ».
De plus, un obstacle supplémentaire limite l’intervention des communes et départements en matière
culturelle : il s’agit du principe de la liberté du commerce et de l’industrie : en vertu de ce principe,
le Conseil d’Etat a régulièrement considéré comme illégales les interventions des communes qui
empiétaient sur un domaine dans lequel intervenaient déjà des personnes privées.
Textes fondamentaux : Decret d’Allarde du 17 mars 1791 et loi le Chapelier des 14 et 17 juin
1791.
CE, 7 février 1940, sieur Capelle : au sujet de la mise à disposition gratuite par une commune d’une
salle de cinéma à une association en vue de la projection de films par des amateurs, le juge déclare
que la commune a entendu affecter la salle à un intérêt public local, auquel il n’était pas satisfait par
l’initiative privée. En l’espèce, l’intérêt public est reconnu car il s’agit de films éducatifs.
L’activité théâtrale va ensuite se voir reconnaître plus facilement la qualité de service public.
Ex : lors d’un litige opposant la société exploitant le théâtre de la gaîté lyrique à la ville de Paris, le
Conseil d’Etat déclare que : « eu égard aux clauses qu’elle contient et qui sont notamment destinées
à assurer, dans l’intérêt néral, la qualité artistique de l’exploitation, la convention précitée doit être
regardée comme un contrat de concession de service public municipal » (CE, 19 mars 1948, société
« les Amis de l’opérette »).
le Conseil d’Etat va regarder les clauses du contrat. La qualité artistique de l’exploitation est un
faux critère. Quels peuvent être les critères dans le domaine de l’art ? le Conseil d’Etat est très
prudent.
§ 2 Consécration et utilisation de la notion de service public culturel :
CE, 11 mai 1959, Dauphin : allées des Alyscamps en Arles : les pouvoirs publics avaient tendu une
chaîne. Le juge a justifié la pose de la chaîne en disant que c’était un service public de plus, l’allée
des Alyscamps est affectée à un service public culturel et touristique.
Depuis 1959, le juge utilise régulièrement l’expression de « service public culturel » : elle est rentrée
dans le droit.
CE, 18 mai 1979, association « urbanisme judaïque saint Seurin » : le juge déclare que la ville de
Bordeaux a acquis le théâtre (Alhambra) dans l’intérêt du maintien et développement des activités
culturelles sur le territoire de la ville, et qu’elle a eu ainsi pour but d’assurer un service public.
La qualification de service public culturel ne peut pas être étendue à toutes les actions culturelles des
collectivités publiques.
au cas par cas, le juge dit s’il y a ou non service public. Une activité sera ou non qualifiée de
service public selon la manière dont elle sera gérée.
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Du point de vue juridique, si le service public peut être un service public culturel, il faut se demander si
ce service public culturel a juridiquement une qualification précise, c’est à dire s’il est obligatoirement
un service public administratif : tout service public est en France nécessairement, du point de vue des
règles applicables, ou bien un service public administratif (SPA), ou bien un service public à caractère
industriel ou commercial (SPIC).
A l’origine, il n’existe que des SPA (début du XIXème siècle) : SPA assurés, pris en charge et
contrôlés par une personne publique. Trois éléments coïncident : SPA, droit administratif, juge
administratif.
Puis, le juge va reconnaître l’existence d’une nouvelle catégorie de services publics, à partir de 1921 :
les SPIC.
Le SPIC est en principe soumis au droit privé, et les litiges qui résultent de son fonctionnement
relèvent du juge judiciaire. Trois éléments : SPIC, droit privé, juge judiciaire.
Tout service public quel qu’il soit entre nécessairement dans l’une ou l’autre de ces deux catégories,
quelle que soit son appellation.
Pour le service public culturel, on s’interroge sur le point de savoir s’il est obligatoirement
administratif. En effet, dans bien des cas, il est clair que le service public culturel sera administratif,
parce qu’il sera assuré et financé par une personne publique.
Toutefois, les choses sont parfois plus délicates. Ex : TC, 15 janvier 1979, Dame le Cachey
Guigère : Le théâtre du Capitole de Toulouse décide de se séparer de danseuses de son corps de
ballet. Celles ci vont devant le tribunal des prud’hommes pour demander condamnation de la ville. Le
tribunal des conflits estime que la ville de Toulouse assure une mission de service public et la remplit
dans des conditions exclusives de tout caractère industriel et commercial. Néanmoins, rien n’exclut
que le service public culturel puisse être un service public à caractère industriel et commercial. En
effet, l’activité culturelle peut être gérée comme le serait une activité privée similaire. Par ailleurs, une
activité culturelle n’est pas obligatoirement déficitaire.
Le contrat par lequel un maire loue les services d’un orchestre pour une durée de trois heures à
l’occasion d’une fête locale est un contrat de droit privé, dès lors qu’il ne comporte aucune clause
exorbitante du droit commun et que les musiciens ne participaient pas au service public dont la
commune s’était réservée l’organisation.
Chapitre 2 : les compétences culturelles des collectivités locales :
A partir du moment l’on a considéré comme légitimes les interventions culturelles des personnes
publiques, on a surtout pensé aux interventions de l’Etat. Cependant, en pratique, ce sont bien les
collectivités territoriales qui réalisent la plus grande partie des dépenses culturelles en France.
Plusieurs lois ont été votées pour définir l’étendue des compétences des collectivités locales en ce
domaine.
Section 1 : éléments de définition :
§ 1 Compétences :
1 Le terme de compétence, lorsqu’il est appliqué à un agent, à une autorité administrative, à un
juge, et lorsqu’il est utilisé au singulier, désigne l’aptitude juridique de cette autorité à intervenir, à dire
le droit, en édictant un acte administratif ou juridictionnel.
2 Le terme de compétence, appliqué à une collectivité publique (Etat, collectivités locales et leurs
groupements, établissements publics) et utilisé de préférence au pluriel, désigne en même temps les
domaines dans lesquels, soit en vertu de la constitution, soit en vertu de lois, une collectivité publique
est habilitée à intervenir par des actes ayant des effets juridiques, et l’habilitation elle-même. En ce
sens, on peut parler de « sphère « d’action d’une collectivité.
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