Quelques grandes tendances dans le secteur des

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Quelques grandes tendances dans
le secteur des services financiers
Allocution prononcée le 22 avril 2003 dans le cadre d’une Entrevue-HEC
Jean Roy, Ph.D, Professeur titulaire de finance, HEC-Montréal
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Introduction
D’abord, j’aimerais commencer en soulignant l’importance du secteur des services
financiers au Canada. Au plan quantitatif, ce secteur gère des actifs de l’ordre de deux
trilliard de dollars, emploie plus d’un demi-million de personnes et représente plus de 5%
du produit intérieur brut. Au delà de ces chiffres, le secteur des services financiers est
aussi important par son impact sur le reste de l’économie. Tous connaissent le rôle
déterminant que joue le secteur financier dans la mobilisation de l’épargne, le
financement des entreprises et maintenant de plus en plus dans la gestion collective des
risques. Cependant, les institutions financières évoluent dans un environnement qui se
transforme continuellement. Celles-ci doivent donc maintenir une veille constante et
relever le défi de s’adapter et d’exploiter les opportunités que ce changement peut créer.
Je vous propose donc de faire un tour d’horizon des principales tendances qui affectent
actuellement le secteur des services financiers.
Pour ce faire, je suggère de considérer quatre composantes majeures de l’environnement
des institutions financières soient, la clientèle, la concurrence, les investisseurs et le cadre
réglementaire.
La clientèle
Une caractéristique très importante de l’évolution de la clientèle est certainement le
vieillissement de la population. Ainsi, selon les estimés du Gouvernement du Canada au
cours des 50 prochaines années la population des plus de 65 ans devrait augmenter de
150% alors que la population des 80 ans et plus devrait augmenter de 275%. Ceci aura
de multiples conséquences économiques importantes. En particulier, ce phénomène
réduira la demande de crédit, modifiera la demande d’actifs financiers et réduira le niveau
de risque désiré. On peut donc anticiper une tendance lourde en faveur de la recherche de
sécurité financière, que ce soit au niveau des placements ou de l’assurance. Parallèlement
à la croissance de cette demande, les institutions financières ont maintenant accès à un
large spectre de moyens via les produits dérivés et l’ingénierie financière pour synthétiser
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de nouveaux produits financiers afin de répondre aux besoins de leurs clients. À cet effet,
il vaut la peine de mentionner que les universités montréalaises ont mis en priorité la
formation de diplômés capables de maîtriser les nouvelles technologies financières. Ainsi
avec la bourse canadienne de produits dérivés, plusieurs conditions favorables sont
réunies pour favoriser l’innovation financière à Montréal.
Pour servir la clientèle, il faut aussi choisir un modèle d’affaire. Traditionnellement, il
existe deux modèles de base dans le domaine des services financiers : le modèle
relationnel et le modèle transactionnel. Selon le modèle transactionnel, le client sait ce
qu’il veut comme service et il souhaite tout simplement de son fournisseur une exécution
rapide et économique. Typiquement, c’est le modèle du courtage à escompte. Selon le
modèle relationnel, le client a besoin d’être conseillé pour bien identifier ses multiples
besoins. Son fournisseur doit le mettre en contact avec un conseiller capable de
comprendre l’ensemble de sa situation. Dans ce contexte, le fournisseur doit investir dans
la connaissance de son client et visera à rentabiliser cet investissement par une relation à
long terme sur une gamme étendue de services. Avec la croissance de la demande de
services financiers, on peut prétendre que la demande pour les deux modes d’interaction a
été en croissance et qu’il revient donc à chaque institution financière de choisir sa
stratégie face à ces deux approches.
La concurrence
La concurrence dans le secteur des services financiers évolue de plusieurs façons. Au
Canada, on remarque la présence de plus en plus marquée des concurrents étrangers en
particulier dans les secteurs de l’assurance de dommages et de la gestion de fonds. Puis
on note également un fort mouvement de consolidation à l’échelle mondiale, en
particulier aux États-Unis et en Europe. Au Canada, ce mouvement s’est manifesté par
d’importantes fusions dans le secteur des assureurs de personnes suite à leur
démutualisation. On connaît aussi les désirs ardents des banques à en faire autant. Puis, il
n’est pas impossible que l’interdiction imposée aux transactions entre banques et
assurances soit éventuellement levée. J’anticipe que le Comité des finances de la
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Chambre des communes se penchera sur la question, comme quelques uns de ses
membres l’ont demandé. Desjardins risque donc de perdre éventuellement son avantage
concurrentiel vis-à-vis de la bancassurance.
Cette tendance vers des concurrents de plus grande taille et intégrant éventuellement la
bancassurance constitue-elle des menaces significatives pour les plus petites institutions?
À vrai dire, je ne le crois pas. Premièrement, plusieurs études économiques (eg Amel et
al. 2002) concluent que la taille par elle-même n’est pas le déterminant principal de
l’efficience. Au contraire, le principal facteur d’efficience réside plutôt selon une étude
du Centre de recherche sur les institutions financières de la Wharton School (Frei et al.
1997) dans l’habileté des gestionnaires à aligner correctement le modèle d’affaire, les
ressources humaines et la technologie. Du côté de la bancassurance, les indications que
Citygroup pourrait être intéressé à se départir de ses activités d’assurances générales en
disent long sur le fait que l’intégration banque assurance ne constitue pas un avantage
concurrentiel si important. De plus, des fusions éventuelles de banques canadiennes
pourraient offrir de belles opportunités aux autres joueurs pour acheter des composantes
dont celles-ci pourraient devoir se départir. Tous les coopératives canadiennes de services
financiers ont bien réalisé cela.
Les investisseurs
Au niveau des investisseurs, on note l’apparition d’un mouvement de militantisme. Au
Québec, l’Association pour la protection des épargnants et investisseurs et plus
récemment l’initiative de M. Jarislowski via La Coalition pour la bonne régie d’entreprise
mettent une pression accrue sur les entreprises pour qu’elles fassent preuve de
transparence et qu’elles mettent en place des règles de gouvernance satisfaisant aux
nouvelles normes. À cet égard, le mouvement coopératif jouit de valeurs qui favorisent
ces comportements.
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Le cadre réglementaire
Le cadre réglementaire est un déterminant majeur des contraintes et des opportunités des
entreprises du secteur financier. Pour une entreprise oeuvrant au Québec tel Desjardins, le
contexte réglementaire comporte trois niveaux pertinents : le niveau international, le
niveau fédéral et le niveau provincial. Jetons un coup d’œil rapide à ces différents
niveaux.
Au niveau international, il va sans dire que les travaux du Comité de Bâle de la Banque
des règlements internationaux ont un impact majeur sur les méthodes de mesures et de
gestion des risques des institutions financières et éventuellement la gestion de leur
capitalisation. Ainsi, Desjardins qui à priori n’est pas «une grande banque active
internationalement» et qui pourrait donc se soustraire aux dispositions de l’accord de
Bâle se voit entraîné ou du moins juge bon de suivre le mouvement général d’adhésion à
l’accord. Pour Desjardins, comme pour toutes les institutions financières qui s’engagent
dans ce processus il s’agit d’une opération majeure, qui amènera à revoir les méthodes de
gestion des risque, à redéfinir les niveaux de risque visés dans différentes activités et à
éventuellement fixer le niveau et les différentes formes de capitalisation.
Au niveau fédéral, la dernière révision faite au cadre réglementaire, la loi C-8, a amené
plusieurs changements importants. On peut facilement prétendre qu’en favorisant la
démutualisation des assureurs-vie, en permettant des fusions, en donnant éventuellement
à ces compagnies l’accès au système de paiement tout en maintenant la prohibition aux
banques de vendre des assurances dans leurs succursales, l’intervention réglementaire
visait à favoriser le développement des assureurs-vie en groupes financiers intégrés
capables de concurrencer les banques sur plusieurs terrains. L’autre dimension très
importante de la loi C-8 a été l’augmentation très significative des mesures de protection
des consommateurs. Mentionnons l’accès aux services financiers pour tous, la création de
l’Agence de consommation en matière financière du Canada, la protection contre les
ventes liées, la protection de la vie privée et l’obligation de produire un rapport annuel de
contribution à la vie économique et sociale pour les entreprises ayant plus d’un milliard
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de capital. Bien que Desjardins échappe à cette loi, il en subit les conséquences de
différentes façons.
Au niveau provincial, le dernier développement réglementaire majeur est à mon avis la
décision du gouvernement de fusionner ses différents intervenants dans l’Agence
nationale d’encadrement du secteur financier. Il faut noter que Desjardins avait fait de
très fortes représentations pour obtenir ce changement et que l’organisme en voie de mise
en place est très similaire à celui que proposait Desjardins.
En terme d’analyse économique, il y a deux concepts en jeu ici. Le premier est celui de la
concurrence réglementaire : c’est-à-dire la concurrence que se livrent jusqu’à un certain
point Québec et Ottawa pour que leur réglementation favorise la croissance des
institutions sous leur tutelle respective. À ce jeu, il est clair que le Québec a joué
relativement agressivement dans le passé et Desjardins a été en mesure d’en bénéficier,
que ce soit via la construction de son groupe intégré de services financiers ou la vente
d’assurances dans ses caisses populaires. L’autre concept est celui de la capture
réglementaire, il y a capture réglementaire lorsque le sujet est si influant auprès de son
régulateur qu’il acquière un certain contrôle sur la réglementation auquel il est assujetti.
Je ne voudrais pas prétendre que ce phénomène a lieu au Québec, mais il est clair que
Desjardins jouit d’une très bonne relation avec son régulateur.
Conclusion
En somme, le secteur des services financiers se transforme de plusieurs façons, que ce
soit via l’évolution de la demande, la consolidation de la concurrence, le militantisme des
investisseurs ou les changements réglementaires. Les institutions financières doivent
donc bien comprendre ces changements pour s’y adapter et y trouver des opportunités. À
notre avis, le Mouvement Desjardins jouit de plusieurs avantages pour tirer profit du
nouveau contexte. Ses plus récents résultats semblent confirmer cette hypothèse. J’ai
maintenant hâte d’entendre Mme Leroux nous exposer plus spécifiquement la position et
les atouts de son entreprise dans le contexte que j’ai tenté de décrire.
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Références
«Le secteur canadien des services financiers», Ministère des finances du Canada, Juin
2002, 13p.
Amel D., Barnes C., Panetta F. et Salleo C., «Consolidation and Efficiency in the
Financial Sector : A Review of the International Evidence», Ministère des finances du
Canada, Working paper, Septembre 2002
Freedman C. et Goodlet C., «The Financial Services Sector: An Update on Recent
Developments», Banque du Canada, Document technique no 91, Août 2002, 15p.
Frei F.X., Harker P.T. et Hunter L.W., «Inside the Black Box : What Makes a Bank
Efficient?», Wharton Financial Institutions Center, Working paper 97-20-C, 59p.
Ménard J.C., «Impact du vieillissement global sur les marchés financiers», Présentation à
la Société des analystes financiers de Montréal, Bureau de l’actuaire en chef, BSIF, 2
avril 2003, 8p plus 24 tableaux de présentation
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