La division par 4 des émissions de gaz carbonique en France

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Nous reproduisons ci-dessous un article paru en début 2004 dans la revue Responsabilité et environnement
On peut aussi consulter les planches qui ont illustré un exposé fait Pierre Radanne cours d’un colloque
organisé par le ministère de l’industrie en juin 2004
La division par 4 des émissions de gaz carbonique en
France
Introduction au débat
Pierre Radanne
La question de l’effet de serre vient brasser les cartes du jeu énergétique. La page est blanche.
Immédiatement cela provoque des attitudes contrastées comme toujours dans l’histoire quand
une question nouvelle émerge. D’abord de minimisation, pour défendre des stratégies et des
intérêts menacés, ensuite de promotion de telle ou telle filière peu ou pas émettrice de CO2
pour en profiter pour conquérir de nouvelles parts de marché et enfin de justification de
lancement de nouvelles filières présumées salvatrices. Comme le secteur de l’énergie est
traversé par des divergences quant à la vision de l’intérêt collectif, quant aux choix
économiques et quant aux conditions de la paix mondiale, ce qui importe c’est d’organiser le
débat démocratique. Il faut être attentif à ne pas faire de l’effet de serre un enjeu de conflit. Il
faut au contraire construire une volonté collective d’action. L’objet de ce texte n’est pas de
promouvoir une stratégie quelconque mais de décrire sans exclusive les stratégies possibles et à
partir d’un exercice de quantification des émissions à l’horizon 2050 d’identifier les voies
possibles, celles sans issue et de dégager des propositions techniques à la hauteur des enjeux.
1 La division par 4 des émissions françaises de gaz à effet de serre d’ici 2050.
Les pays aujourd’hui émergents auront en 2050 des émissions de gaz à effet de serre se
rapprochant de ceux d’industrialisation ancienne. Les pays seront en rivalité quant à leur
possibilité d’émettre des gaz perturbateurs du climat. Un jour ou l’autre, il faudra décider une
convergence des émissions par habitant entre pays. Une sorte de suffrage vraiment universel
prévaudra alors fixant à une demie tonne de carbone le niveau d’émission par habitant. La paix
l’exigera. Son objectif sera, espérons le, de ne pas dépasser les 450 ppm par m3 de gaz de CO2
dans l’atmosphère. En fait, une réelle stabilisation du climat au niveau actuel ne permettrait que
3 Milliards de tonnes de carbone par an
1
(par rapport aux 5 MdtC qui résulteraient d’une
émission de 0,5 tC/hab pour une population mondiale en 2050 de 10 Md d’habitants.
Le Président de la République comme le Premier Ministre ont donc fixé le cap pour la France, au
nom de cette vision de long terme, avec une division d’un facteur 4 de ses émissions de gaz à
effet de serre d’ici 2050
2
. Le niveau d’émissions de gaz carbonique lié aux consommations
énergétiques étant de 1,8 tC/hab en 2000, atteindre ce niveau de 0,5 tC/hab constitue d’ores
et déjà une division par 3,6. Bien évidemment, d’ici 2050, la croissance économique va générer
des émissions supplémentaires. Un niveau d’émission de 0,5 tC/hab transposée en 2050 à une
1
- Dans la suite du texte on notera MtC pour millions de tonnes de carbone MdtC pour milliards de tonnes
de carbone.
2
- Le concept de Facteur 4 a été introduit par Ernst Ulrich von Weizäcker et Amory Lovins en 1997 en
publiant le livre du même nom (éditions TerreVivante).
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population française de 64 milliards d’habitants (estimation INSEE) donne 32 MtC. Une projection
des émissions de gaz carbonique à partir d’une croissance économique de 1,7%/an
3
conduirait
à une émission de CO2 de 140 MtC en tendanciel en 2050 (ni effort nouveau de maîtrise de
l’énergie, ni mouvements de substitution). C’est donc précisément une division par 4,4 qu’il faut
réussir.
2 Analyse de la répartition actuelle et future des émissions
Présentation globale des émissions de 2000
Les consommations d’énergie se sont traduites en 2000 par l’émission de 105,2 MtC qui se
ventilent comme suit : 6 MtC pour la sidérurgie, 19 MtC pour l’industrie, 23 MtC pour le
résidentiel, 12 MtC pour le tertiaire, 3 MtC pour l’agriculture et 43 MtC pour les transports. Sa
décomposition est aussi intéressante par énergie finale, charbon : 9 MtC, pétrole 65 MtC, gaz :
20 MtC et 11 MtC pour la production d’électricité.
On peut en tirer trois constats. Le poids du pétrole reste lourd puisqu’il induit près des 2/3 des
émissions. Les émissions imputables à l’électricité sont par contre très faibles puisque seulement
un dixième de celle-ci est produite à partir de combustibles fossiles. Les énergies renouvelables
n’émettent pas de CO2, celui produit lors de la combustion de la biomasse est réabsorbé dans
les cultures.
Structure des émissions de CO2par énergie et par secteur en 2000
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
Habitat Tertiaire Industrie Agriculture Transports
Electricité
Gaz
trole
Charbon
En MtC
L’enjeu d’une division par 4 des émissions
On peut comparer cette situation 2000 à une évolution tendancielle (sans effort de maîtrise de
l’énergie ni substitution) et à l’objectif de 32 MtC pour 2050 :
Les usages thermiques des secteurs résidentiel et tertiaire émettent à eux seuls déjà
autant que ce qui sera possible en 2050 pour tous les secteurs économiques ;
Le secteur transports émet aujourd’hui 1,3 fois plus que ce qui sera possible pour le pays
en 2050 or ses émissions continuent de croître au rythme de 2% par an absorbant les
progrès réalisés dans les autres secteurs ;
Le secteur électrique ne peut plus progresser par rapport à son niveau actuel.
Le graphique qui suit permet de visualiser l’enjeu.
3
- La croissance économique des 30 dernières années a été de 2% par ab avec une croissance
démographique de 0,3%. Une croissance de 1,7% prolonge cette tendance compte tenu du fait que la
croissance démographique est devenue très faible.
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Le dimensionnement du problème
-10
10
30
50
70
90
110
130
150
Réel 2000 Prolongement
2050 Facteur 4 2050
Transport.Agr.
Res.Tert.
Industrie
En MtC
3 La présentation de l’exercice de simulation à 2050
Ce texte vise à présenter les conditions d’une telle division par 4. Il s’appuie sur un premier
exercice de projection à l’horizon de 2050 des consommations d’énergie et des émissions de
gaz carbonique. Cet exercice entend constituer une introduction au débat et permettre de
défricher le terrain en attendant des travaux plus complets et plus précis.
Malheureusement, dans le format de cet article, il n’est pas possible d’en détailler les simulations
et d’en présenter la méthodologie. Les seuls éléments quantitatifs introduits dans l’article
constituent des ordres de grandeur dont la robustesse a été vérifiée.
La sensibilité à la croissance économique et sa répartition
Cet exercice a été construit en continuité par rapport au rythme de croissance constaté depuis
30 ans et qui conduit avec un rythme de 1,7% de croissance sur 50 ans à une multiplication par
2,3 du PIB (compte tenu du ralentissement démographique).
Il devrait en découler une croissance des besoins sociaux de 72%
4
. Cela s’explique par la
saturation d’un certain nombre d’usages notamment thermiques tandis que l’émergence de
nouveaux besoins se traduira par de nouvelles consommations énergétiques surtout électriques.
Au-delà, deux enjeux majeurs vont déterminer la relation entre la croissance économique et les
consommations d’énergie. D’abord, l’ampleur de la dématérialisation de l’économie et du
développement des nouvelles technologies tirant l’activité économique vers les échanges.
Ensuite, le développement de la mobilité dans les décennies à venir que vont déclencher
toutes les formes d’ouverture au monde, qu’il s’agisse de la construction européenne, de la
mondialisation de l’économie et de l’aspiration individuelle au voyage.
Si la croissance économique va influer fortement sur le niveau de consommation d’énergie et
donc celui des émissions de gaz carbonique, l’inverse est aussi vrai. La contrainte climatique
pourrait à l’avenir fortement infléchir le contenu de la croissance.
Il existe donc une interaction complexe entre la problématique de l’effet de serre et l’avenir de
la croissance économique. Voir dans l’effet de serre une menace pour la croissance
économique (c’est ce qui a fondé la décision de retrait du protocole de Kyoto par le Président
Bush) résulte d’une approche simplificatrice. En effet, ce siècle connaîtra inévitablement des
tensions quant à son approvisionnement en hydrocarbures. La question du changement
climatique à la fois anticipe cette contrainte en même temps qu’elle l’adoucit en imposant des
progrès d’efficacité énergétique avant que les prix du pétrole ne s’embrasent. On verra dans
l’exercice qui suit que l’enjeu central est celui d’améliorer le rendement global de notre système
énergétique.
4
- Ce calcul des besoins sociaux a été effectué en énergie utile avant introduction des rendements des
équipements consommateurs pour obtenir une consommation d’énergie exprimée en énergie finale.
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4 - Les évolutions par secteur
Les variantes étudiées
Dans le cadre de cette première analyse de sensibilité, 17 variantes ont été testées. Certaines se
concentrent sur différents degrés de maîtrise de l’énergie, d’autres étudient des répartitions
différentes de parts de marché entre énergies tandis qu’une dernière catégorie de variantes se
situe dans le cadre d’une division par 4 des émissions de carbone.
Dans cette note de synthèse on mentionnera seulement 6 variantes :
Une variante sans progrès d’économie d’énergie au-delà des performances moyennes
des équipements d’ores et déjà en vente et sans inflexion des tendances de substitution
(remplacement du charbon et du pétrole sous chaudière par le gaz, pénétration forte
de l’électricité dans les procédés et les usages thermiques dans l’habitat, position
hégémonique du pétrole dans les transports),
Une variante avec effort accentué d’économie d’énergie mais sans aucun mouvement
nouveau de substitution,
Une variante de réponse à la contrainte climatique par l’offre, c’est à dire par des
substitutions en faveur de l’électricité d’origine nucléaire mais sans effort de maîtrise de
l’énergie.
Les 3 variantes suivantes se situent toutes dans l’objectif d’une division d’un facteur 4 des
émissions et combinent des progrès généralisés de maîtrise de l’énergie et des mouvements de
substitution dans les usages thermiques, les transports et la production électrique.
Une variante avec développement accentué du nucléaire et de la pénétration de
l’électricité dans tous les usages y compris les transports ;
Une variante de sortie du nucléaire notamment par un développement accru des
renouvelables et de la cogénération ;
Une variante intégrant une séquestration du CO2, ce qui allège les contraintes de
substitution notamment dans les transports.
Toutes ces 6 variantes assurent strictement le même volume d’énergie utile dans chaque
catégorie d’usage.
Par ailleurs, ces simulations sont basées sur l’hypothèse prudente d’un progrès incrémental des
performances énergétiques (qui n’excède jamais de 20% les meilleures performances actuelles).
Parfois ces simulations relèvent une impossibilité d’atteindre un objectif d’émission compatible
avec le facteur 4, il est alors mentionné quel type de mutation technologique pourrait faire
sauter ce verrou.
Dans l’analyse qui suit de l’évolution des différents secteurs, on dégagera les « interdits », c'est-à-
dire les évolutions incompatibles avec une division par 4 des émissions, les « incontournables »,
c'est-à-dire à l’inverse les évolutions obligatoires, les « espaces de choix » quand différentes
stratégies conduisent à des résultats équivalents et les « ruptures » qui regroupent les sauts
technologiques majeurs qui pourraient venir élargir les marges de manœuvre.
L’industrie, un secteur caractérisé par une amélioration continue de son
efficacité énergétique et une réduction de ses émissions
L’activité industrielle devrait progresser à un rythme de l’ordre de 1,2% par an
5
. L’augmentation
de 80% de l’activité industrielle ainsi obtenue en 2050 devrait conduire à une augmentation de
la consommation d’énergie de 40% sans progrès nouveaux d’efficacité énergétique.
Le secteur industriel se trouve placé devant un interdit clair : un usage généralisé du charbon et
du pétrole pour les usages thermiques, même à haut rendement. D’ailleurs, on constate déjà un
rapide déclin rapide des consommations de charbon et du pétrole hors procédés en faveur
5
- Dans le présent exercice, on n’a pas pris en compte les tendances de délocalisation des industries de
base ; celles-ci se traduiraient par une réduction des émissions mais aussi par un quota d’émission plus
faible pour la France si l’on reste dans une optique d’équité dans la répartition d’émissions par habitant.
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d’une production de chaleur décentralisée par le gaz. Il en résulte une contraction régulière des
émissions de CO2. L’objectif de division par 4 rend également nécessaire de trouver une solution
autre pour produire l’acier à partir du minerai de fer que d’utiliser du charbon comme
réducteur. La voie alternative serait une réduction à l’hydrogène.
Une rupture peut toutefois intervenir : la capacité à stocker massivement le gaz carbonique
dans d’anciens gisements pétroliers et gaziers ou des nappes aquifères en grande profondeur.
Mais cela ne concernera que les très grosses installations industrielles et de production
d’énergie.
Pour le reste, le niveau de consommation d’énergie de l’industrie dépendra des progrès
d’efficacité énergétique. C’est là une nécessité incontournable. Elle peut prendre 3 formes :
Une amélioration continue des procédés afin d’économiser l’énergie y compris dans les
PMI ;
Un développement des procédés électriques en remplacement de procédés
thermiques (évaporation, séchage, séparation) ainsi que dans des procédés chimiques ;
Un développement du recyclage (acier, métaux, papier, plastiques, matériaux) pour
réduire les consommations d’énergie thermique dans la phase de transformation des
matières premières, de loin les plus gourmandes en combustibles fossiles.
Il s’agit d’évolutions déjà engagées qu’il convient de conforter. Les variantes intégrant une
forte amélioration de l’efficacité énergétique conduisent à une économie d’un quart de la
consommation d’ici 2050, ce qui est du même ordre que ce qui a été réalisé dans les 30
dernières années. Au final, la consommation d’énergie dans l’industrie ne croîtrait que de 10%.
Comparaison des consommations d’énergie finale de l’industrie
Charbon
trole
Gaz
Electricité
Renouvelables
En Mtep
Les variantes de facteur 4 varient essentiellement par le niveau de pénétration de l’électricité
en substitution des combustibles fossiles.
La stabilité et la prévisibilité des émissions liées au confort des bâtiments
La « décohabitation » des ménages et l’accroissement des surfaces des logements neufs par
rapport à ceux remplacés se traduisent par un accroissement du parc de logements de près de
1% par an, ce qui tire les consommations d’énergie à la hausse. Le tertiaire présente un taux de
croissance des surfaces plus vif que celui de l’habitat, il devrait à l’avenir rester proche de 2%.
En outre, la qualité de construction y est moins bonne. Comme les besoins de chauffage et de
production d’eau chaude du résidentiel et du tertiaire ont généré en 2000 l’émission de 30 MtC
soit 28,5% des émissions nationales, l’objectif facteur 4 ne peut être tenu sans un effort massif
d’isolation et d’amélioration des équipements thermiques.
Depuis 30 ans, des progrès considérables ont été effectués dans la construction neuve
(consommation d’énergie moyenne d’un logement neuf réduite de 60% à confort équivalent).
Des progrès technologiques récents peuvent trouver leur traduction dans de nouvelles
réglementations thermiques dans l’habitat et surtout le tertiaire (vitrages peu émissifs, procédés
de construction réduisant les ponts thermiques, isolants performants de faible épaisseur,
chaudières gaz à condensation, pompes à chaleur géothermales…). En fait, les scénarios qui
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