coraniques : « fusses-tu ravi par leur beauté » et « serrer sur elles leurs voiles ». Dans la
mesure où les femmes ravissent les hommes jusqu’à les mener à risquer la transgression de
l’inceste, l’interdit du voile trouve sa raison dans la menace que fait courir l’extrémité du
désir humain sur l’ordre social. »
Dans cette vision, le voile n’est pas un « signe religieux ostentatoire », c’est au contraire la
dissimulation du corps de la femme en tant que celui-ci est en lui-même une source de
fascination, un signe (anti)religieux ostentatoire. Lorsque les musulmans revendiquent le fait
de respecter la femme parce qu’ils la voilent, il faut comprendre qu’ils voient dans la
dissimulation de son corps la reconnaissance même d’un pouvoir quasi divin de la femme en
tant que corps. Cela est corroboré par une autre histoire fondamentale de l’islam, le moment
où Mahomet reçoit pour la première fois « le message divin ». Ne sachant pas si l’être
surnaturel qu’il voit est un ange ou un démon, il se confie à sa première femme, Khadija.
Celle-ci soumet alors l’être surnaturel à un test : elle se dévoile, et demande à Mahomet « Est-
ce que tu le vois toujours ? » Mahomet répond par la négative. Alors Khadija lui dit
« Réjouis-toi, ce n’est pas un démon, mais un ange. » (4) D’après ce récit, on voit que la
femme est considérée dans l’islam comme douée d’un pouvoir sacré : à la vue de sa tête
dénudée, les anges s’enfuient. C’est à travers cette démonstration par l’absurde que Khadija
rassure Mahomet du caractère divin de l’apparition qui lui révèle le Coran.
Ces deux scènes sont absolument capitales pour comprendre le statut de la femme en islam.
Elle n’est pas l’égale de l’homme, elle lui est métaphysiquement supérieure, puisqu’elle peut
agir sur un être surnaturel, et c’est pour cette raison même qu’il faut domestiquer son pouvoir,
et la dissimuler sous un voile. C’est cette structure mythique fondamentale qui se heurte de
front à notre modernité. La dénoncer comme archaïque ne fera pas avancer le débat.
Les significations de ces scènes mythiques sont multiples. Ce que l’on peut noter, c’est que
l’on a à faire à un thème anthropologique fondamental, que l’on retrouve aussi dans la
civilisation occidentale : le rôle du regard dans la genèse du désir. Dans les Evangiles par
exemple, se pose le même problème de la fascination, et de l’origine du désir à travers le
regard. « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras point d’adultère. Mais moi, je
vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec
elle dans son coeur. Si ton oeil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le
loin de toi ; car il est avantageux pour toi qu’un seul de tes membres périsse, et que ton corps
entier ne soit pas jeté dans la géhenne. » (5)
Alors que les Evangiles mettent en avant la responsabilité de celui qui regarde, pour lui
enjoindre d’arracher son œil si celui-ci le pousse à la convoitise, l’islam opte pour la
responsabilité de celle qui se montre à l’œil concupiscent. Cela peut sembler tout aussi
rationnel. L’essentiel, dans ces deux textes religieux, c’est d’éviter la déflagration désirante
issue de la rencontre entre l’œil et le corps. Tout deux résolvent le problème d’une manière
extrême, parce que le danger est extrême. Pour toutes les civilisations, la maîtrise du désir est
capital, comme l’a montré Freud dans Le malaise dans la culture. L’exacerbation des désirs
engendre toujours la rivalité, la guerre, la mort et la destruction. C’est un lieu commun de
toutes les cultures. L’islam, par la dissimulation du corps de la femme, veut résoudre
radicalement ce problème du désir, en empêchant son apparition.
La solution musulmane au problème anthropologique du désir, engendre cependant un
problème différent : par le voilement du corps ostentatoire de la femme, on élimine
complètement la responsabilité individuelle, à la fois du côté de la femme et du celui de