Cela dit, si c'est vraiment une préférence pour le loisir qui explique l'écart de quantité de travail entre USA et
Europe, il n'y a pas de raison d'imaginer que cet écart persiste de façon durable. Si l'on regarde l'évolution du
temps de travail sur plus longue période, ce qui paraît en effet une anomalie, c'est la hausse récente du temps de
travail aux USA; auparavant, comme les pays européens, ils étaient sur une tendance de diminution séculaire du
temps de travail. Et cette augmentation, bien que s'accompagnant d'une hausse de consommation considérable
(un américain consomme aujourd'hui 70% de plus qu'un européen) ne semble pas avoir rendu les américains
significativement plus heureux qu'auparavant. Au contraire, elle est à l'origine de nombreuses difficultés
sociales. Les américains se plaignent de n'avoir plus de vie de famille satisfaisante, de ne plus voir leurs enfants;
si l'on ajoute à cela l'état calamiteux du système d'enseignement primaire et secondaire américain, on peut
s'attendre à une hausse du "homeschooling", l'éducation des enfants à la maison; or cela exigera des parents qui
travaillent moins. Pour ces raisons, il est possible de faire preuve d'optimisme pour l'Europe.
Mais si les américains trouvent vraiment qu'ils travaillent trop, pourquoi alors ne réduisent-ils pas leur temps de
travail volontairement dès maintenant, comme les européens l'ont fait ? La réponse à cette question se trouve
peut-être dans les analyses de Richard Layard. Et si travailler trop résultait d'une externalité négative ? L'auteur
montre qu'un déterminant important des objectifs de consommation des individus est la consommation de leurs
voisins. Chacun cherche à égaler et dépasser son voisin, ses proches, en niveau de vie. Mais dans ces conditions,
il est tout à fait possible que les gens soient amenés à travailler trop : si je travaille plus, je vais dépasser mon
voisin; lui aussi travaille plus pour éviter d'être rattrapé, résultat, nous nous retrouvons tous deux au même
niveau comparatif, mais nous travaillons tous deux plus qu'auparavant sans en avoir retiré d'avantage. Dans ces
conditions, taxer le travail aura effectivement pour résultat de le réduire, mais cela ne sera pas une mauvaise
chose : cela empêchera les gens de se lancer dans une course sans fin vers plus de travail réduisant sans arrêt la
satisfaction qu'ils en retirent.
Est-ce certain ? Après tout, l'argument de Richard Layard en faveur de l'imposition du travail ne spécifie pas
quel est le niveau de taxe sur le travail optimal : il reste tout à fait plausible que le niveau européen des taxes soit
largement supérieur au taux qui permet d'éviter cet effet externe, et qu'il atteigne le niveau ou la désincitation au
travail, et le chômage qui en résulte, ont beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages.
La vraie question, au bout du compte, est de savoir si les européens sont actuellement satisfaits de leur situation,
si celle-ci résulte de choix volontaires, de choix contraints mais dont les conséquences sont acceptées
volontairement, ou de choix contraints dont les conséquences sont jugées déplaisantes. Peu de données
permettent pour l'instant de savoir laquelle de ces possibilités est la bonne.
Qu'est-ce qu'un chômeur ?
Pour le BIT, c’est un individu qui est dépourvu d'emploi, à même de travailler, chercher un travail rémunéré, être
en quête effective de ce travail. Pour l’ANPE, il s’agit de celui ou celle qui déclare être à la recherche d’un
emploi à temps plein et à durée indéterminée, ayant éventuellement exercé une activité occasionnelle ou réduite
d’au plus 78 heures dans le mois. C’est ce qu’on appelle les demandeurs d’emplois de la catégorie 1.
Discutable pour représenter la réalité du chômage ? En fait c'est plus compliqué que cela : il n'y a pas de
définition parfaite du chômage. Ainsi, si chaque soir après la sortie du bureau à 18h00 je suis prêt à travailler un
peu pour arrondir mes fins de mois, suis-je un demandeur d'emploi ? Oui au sens littéral : je demande bien un
emploi. Non au sens des statistiques officielles : on comprend bien pourquoi ce type de cas ne représente pas du
'vrai chômage'. Certes le nombre de personnes mécontentes de leur situation vis-à-vis de l'emploi ne se limite pas
aux chômeurs : il y a ceux qui aimeraient travailler plus (passage d'un temps partiel à un temps plein), ceux qui
travaillent mais qui aimeraient faire autre chose, ceux qui bénéficient d'aides - de leur entreprise notamment -
pour ne pas chercher d'emploi (preretraités), et tout ceux qui ne supportent plus leur voisin de bureau - mais pas
assez pour donner leur démission et s'incrire à l'ANPE. On peut trouver une infinité d'exemples : plus on élargit
la définition du ''mécontentement vis-à-vis de l'emploi'' plus on arrive a un nombre important de personnes. Qui,
d'une façon ou d'une autre, n'a pas de reproche à faire à son travail ou aux conditions dans lesquelles il s'exerce
?? Il existe aussi des personnes qui voudraient travailler, mais, pour une raison ou une autre (ils sont isolés,
gardent leurs enfants, ont des difficultés importantes d'accès à l'emploi) ont renoncé à chercher un travail. Par
définition, ils ne demandent pas d'emploi : ce ne sont donc pas des chômeurs. Mais il est clair que leur situation
vis-à-vis de l'emploi n'est pas parfaite. Dans ce bas monde, rien ne l'est, d'ailleurs (pas même les marchés, ma
bonne dame!). Mesurer le chômage n’est donc pas simple. Si on pousse plus loin la réflexion, c’est sur des
analyses bien plus larges que l’on débouche : statut du travail comme fondement du lien social, pauvreté et
travail, nature du concept d’exclusion, sens du terme " activité sociale" etc. Ce petit texte n'a pas vocation à aller
aussi loin : mais ceux qui s'occupent sérieusement de ces sujets ne peuvent pas s'arrrêter au seul chiffre du
chômage. Le marché de l'emploi est divers et varié, le 'marché du non emploi' l'est encore davantage...