14
HEURS ET MALEURS DES MIGRANTS EN COTE D’IVOIRE : CAS DES
PECHEURS BOZO SUR LE LAC D’AYAME
Cette communication s’inscrit dans le cadre du 5_ème Forum mondial des droits de l’Homme
de Nantes est un sous-thème du thème 2 dont la thématique est: “ Quelle égalité des êtres
humains en temps de crise ?”
Dr. YEO Adama, Président de l’ONG Mouvement des Peuples pour l’Education aux Droits
Humains
Qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière, les migrants ont tous droit à un minimum de
protection. La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille reprend largement cette idée en postulant que tous les
migrants doivent avoir le droit à un minimum de protection
1
.
Mais l’acceptation de cette égalité par certains gouvernants, semble connaître des difficultés.
En témoigne la non ratification par nombreux Etats de la Convention internationale sur la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille entrée en
vigueur le premier juillet 2003. La Côte d’Ivoire est l’un des Etats qui rechignent à la
ratifier.
Selon le lexique de sociologie, le migrant international à long terme est un individu qui se
rend dans un pays autre que celui de sa résidence habituelle pour une période d’au moins un
an : le pays de destination devient son nouveau pays de résidence habituelle, et lui-même
devient alors un immigré dans le pays d’accueil
2
. Il ressort de cette définition que le migrant
est un étranger
3
; ce qui implique la nécessité de garantir l’égalité de traitement entre lui et
les nationaux et les mêmes conditions de travail.
Dans le milieu des pêcheurs sur les lacs artificiels ivoiriens, la question de l’égalité de
traitement est loin d’être réglée. L’une des manifestations les plus éclatantes de cette triste
réalité réside dans les litiges sur les lacs de Kossou
4
et d’Ayamé
5
dont les derniers en date
1
Dossier d’information sur la convention des Nations unies sur les droits des migrants, Unesco, 2005.
2
Yves Alpe, Alain Beitone et al. Lexique de sociologie, DALLOZ, Paris, 2005, p. 161.
3
Raymond Guillien et Jean Vincent, Lexique des termes juridiques, 17 ème édition, 2010, P.313.
4
Le barrage de Kossou, crée en 1970, est situé à une quarantaine de kilomètres de la ville de
Yamousssoukro, au centre de la Côte d'Ivoire. Long de 150 kilomètres, il est le troisième de Côte d'Ivoire et
recouvre 1700 kilomètres carrés de terre avec une capacité de 30 milliards de d'eau. Lire COCHE (AG),
Développement de la pêche dans le lac de Kossou (Côte d'Ivoire). Résultats et recommandations, 1975.
5
DELAUNEY (K), Les pêcheurs ghanéens (fante et éwé) sur le littoral ivoirien : histoire de la pêche
piroguière maritime en Côte d’Ivoire au 20 ème siècle, Paris, thèse de doctorat, Universide Paris 1 Panthéon-
Sorbonne, 1995, 539 p.
14
sont celui d’Ayamé
6
survenu le 7 janvier et d’Ebikro-Ndakro, déclenché le 25 janvier 2012.
Ces conflits opposent principalement les Bozos
7
, (pêcheurs allogènes indépendamment de
leur origine, burkinabè, maliens, nigériens, libériens, ghanéens, togolais pour ne citer que
ceux-là).
Ayant abouti à de graves violations des droits des migrants, les ONG Mouvement des Peuples
pour l’Education aux Droits Humains (PDHRE-CI) et Help African Children (HAC), dans le
mois de février 2011, a effectué une mission d’évaluation à Ayamé, afin non seulement de
saisir les causes et les conséquences du conflit mais aussi et surtout de faire des
recommandations pour la reconstruction de la cohésion sociale. L’étude se veut donc la
participation à une certaine pédagogie de lecture et de relecture des faits pour les faire parler
et éviter de parler à leur place afin d’aboutir à la compréhension des causes de la récurrence
des litiges entre les acteurs de la pêche à Ayamé.
L’objectif de la présente communication vise à partager le contenu du rapport sur la situation
des pêcheurs migrants sur le lac d’Ayamé.
De l’enquête de terrain, il ressort que la protection des droits des migrants en Côte d’Ivoire
souffre d’une négligence de la part des autorités politiques. Cette attitude repose sur des
fondements (I) dont les manifestations (II) s’apercoivent aisément.
I-LES FONDEMENTS D’UNE PROTECTION NEGLIGEE
Le constat est que la Côte d’Ivoire a toujours manifesté une réticence retentissante à l’égard
des conventions portant sur les droits de l’homme. Elle a justifié cette attitude par le souci de
sauvegarder l’unité nationale.
I.1. Des réticences à l’égard des conventions
Jalouse de sa souveraineté fraîche et fragile, la Côte d’Ivoire s’est protégée contre les
individus et les Etats.
6
Ayamé est située au sud-est de la Côte d’Ivoire, dans la région du sud-comoé, à 20 km de la frontière du
Ghana et à 130km de la ville d’Abidjan. Elle s’étend le long d’une vallée traversée par la rivière Ano-assué sur
9 km environ et sur des pentes de sept (7) collines de 130m de hauteur. La commune d’Ayamé est le chef-lieu de
la sous-préfecture et elle fait partie du département d’Aboisso. Le lac artificiel d’Ayamé, grand de 197 km2 a été
réalisé en 1959 sur la rivière Bia, et a permis de créer deux barrages hydroélectriques (Ayamé I et II). Il se situe
entre 5°30' de latitude Nord et 3° de longitude Ouest. La côte maximum est 91 m
7
Les Bozo sont une ethnie d’Afrique de l'Ouest, vivant principalement au Mali, le long du fleuve Niger et de
son affluent le Bani. Avant tout, pêcheurs, ils sont considérés par les autres ethnies comme « les maîtres du
fleuve
14
Contre les Etats
La souveraineté implique “la négation de toute entrave et de toute subordination”
8
. La Côte
d’Ivoire, par conséquent, a longtemps refusé d’être jugée et condamnée par un organe étatique
ou interétatique quelconque. En particulier, elle estime que les droits de l’homme font partie
des affaires intérieures”
9
et qu’ils relevent de la compétence nationale de chaque Etat. C’est
dans ce sens que les pouvoirs publics ont mené, en l’an 2000 et l’an 2001, des campagnes à
l’intérieur et à l’extérieur de la Côte d’Ivoire pour dire que les tribunaux belges, qui étaient
saisis de l’affaire du charnier de Yopougon, n’étaient pas compétents
10
. C’est le même souci
de protection de la souveraineté nationale qui a justifié la longue période d’atermoimements à
l’égard du Traité de Rome.
Contre les individus
Il paraît utile de souligner que, même si l’individu n’est pas un véritable sujet de droit
international, l’admission de ses requêtes individuelles devant les organes internationaux
constitue un progrès indéniable en matière de protection et de promotion des droits de
l’homme. En effet, un individu injustement condamné dans son propre pays peut briser le
cadre étatique, en s’adressant directement à un organe international protecteur des droits de
l’homme en l’occurrence la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, la Cour
européeenne des droits de l’homme et la CPI.
I.2. La sauvegarde de l’unité nationale
La Côte d’Ivoire a accedé à l’indépendance en 1960 avec une population multiethnique, voire
multiculturelle. A côté des populations autocthones, estimée à 74 %, se trouve une forte
population étrangère qui représente 26 % de la population totale
11
. Eu égard à cette
hétérogéneité, les hommes se sentaient moins citoyens d’un Etat que membres d’une tribu.
Il fallait alors deployer tous les efforts nécessaires pour surmonter tous les clivages tribaux et
régionaux. C’est pourquoi, au départ, la Côte d’Ivoire s’est montrée réticente vis-à-vis des
conventions internationales relatives aux droits de l’homme. L’on comprend dès lors, que les
droits de l’homme soient relegués au second plan. Le Président feu Félix HOUPHOUET-
8
Jean GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, p. 56
9
Voir l’article 2, paragraphe 7 de la Charte des nations Unies qui dispose : « aucune disposition de la
présente Charte n’autorise les nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la
compétence nationale d’un Etat »
10
Konan Elisée KOFFI, Les droits de l’homme dans l’Etat de Côte d’Ivoire, T. 1. Thèse unique de Droit
public, Université de Cocody-Abidjan, 2008, p. 306.
11
Konan Elisée KOFFI, Les droits de l’homme dans l’Etat de Côte d’Ivoire, op. cit. p. 320.
14
BOIGNY déclarait à cet égard: je préfère l’injustice au désordre: on peut mourir de
désordre, on ne peut pas mourir d’injustice. Une injustice peut être réparée”.
Comment cette réticence, voire ce refus se manifeste-t-il ?
II -LES MANIFESTATIONS DE LA NEGLIGENCE
Elles apparaissent tantôt à travers l’inaction de l’Etat, tantôt à travers l’action insuffisante de
celui-ci.
II.1. L’inaction de l’Etat
La non adhésion aux conventions internationales
Depuis plusieurs décennies, la Côte d’Ivoire n’a pas adhéré à certaines conventions. Il en va
ainsi, à titre illustratif, des conventions suivantes auxquelles elle n’est pas partie :
-La convention relative au statut des apatrides : adoptée le 28 septembre 1954, soit
depuis 49 ans, mais non conclue par la Côte d’Ivoire ;
-La convention sur la réduction des cas d’apatrides : adoptée le 30 août 1961, soit 49
ans, mais non conclue par la Côte d’Ivoire.
La politisation des conflits ou la déficience politique
Les jeunes ont une influence remarquable sur leur communauté en ce qui concerne les
problèmes de terre. Or, ils sont nombreux à être oisifs et sans terre ; les parents ont vendu ou
cédés les terres de la famille dont ils sont issus et la politique de la relève paysanne adoptée
lors du VIIème congrès du PDCI-RDA qui a suscité de vastes mouvements de retour en
campagne de nombreux citadins, jeunes en particulier, n’a pas été suivie de mesures
adéquates de gestion du foncier rural
12
.
La ferme volonté de ces jeunes de retourner à la terre se heurte donc à la rareté des terres
cultivables, à la « faim de la terre »
13
. Dans ces conditions, toute situation conflictuelle à
relent politique les amène à revendiquer l’exploitation exclusive du lac.
L’on comprend dès lors pourquoi la situation Ayamé s’est envenimée à partir des
années 90 avec l’accroissement de la population et le retour massif des jeunes déscolarisés à
12
SCHWARTZ (A), Le Conflit foncier entre Krou et Burkinabé à la lumière de l'institution krouman, Afrique
contemporaine, n°193, 2000.- p. 56-66.
13
GALY (M), Valorisation et conflits, La guerre ivoirienne et la question foncière, Marchés tropicaux, 6
aout 2004, pp. 1754-1755.
14
la terre. En effet, l’encadrement de ceux-ci désireux de retourner à la terre et l’encadrement
juridique de la pêche sont restés approximatifs.
L’on va donc assister à une pression foncière doublée du manque de moyens pour les
jeunes autochtones d’envisager la pratique des cultures pérennes. L’échec de la politique du
retour à la terre explique l’attention accrue des jeunes pour la pêche qui était une activité
négligée.
La mise à mal du principe de la libre circulation des personnes et des biens
Les Etats de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se penchent de
plus en plus sur la question du renforcement de la dynamique de l’intégration entre les Etats
membres. C’est dans ce sens que la problématique de l’effectivité du Protocole sur la Libre
Circulation des Personnes, le droit de Résidence et d’Etablissement adopté le 29 mai 1979 est
devenue essentielle
14
.
Or, depuis le 7 janvier 2012, la position d’un grand nombre de pêcheurs autochtones, est
d’interdire définitivement l’accès du lac aux Bozo. Ils considèrent le lac comme un bien
exclusif à leur seul usage.
La mise à mal de la liberté d’association
L’article 18 de la constitution de 2000 consacre la liberté d’association en ces termes : « le
droit syndical et le droit de grève sont reconnus aux travailleurs des secteurs publics et privés
qui les exercent dans les limites déterminées par la loi ». Or, lors de nos investigations, nous
avons pu relever la ferme volonté des jeunes d’aboutir à l’aide de la reforme de la COJPA, à
une seule coopérative de pêcheurs à Ayamé, la COPA. Les autochtones semblent imposer à
tous les pêcheurs l’adhésion à leur coopérative.
II.2 L’action limitée de l’Etat
La réglementation défectueuse de la pêche
14
Celle-ci a pour objectifs principaux, d’ici à 2020, de faire passer la Communauté d’une « Cedeao des
Etats » à une « Cedeao des Peuples », de créer un espace communautaire ouest-africain dans lequel les
populations vivent dans la dignité et la paix, dans un État de droit et de bonne gouvernance, de parvenir à une
région africaine sans frontières, bien intégrée dans le village planétaire et tirant le meilleur profit de la
globalisation. C’est à cet effet qu’il est mis sur pied la Commission de la Cedeao d’élaborer une stratégie
régionale de développement intégré appelé Programme communautaire de développement (Pcd).
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !