
que la volonté de votre classe érigée en loi »
. Pour résumer en une formule synthétique bien qu’un 
peu simpliste, il est possible d’affirmer que si les auteurs des Lumières mettaient le droit au centre 
de l’étude des différentes civilisations, recherchaient la nature et les lignes de développement d’un 
peuple dans l’ « esprit des lois » et croyaient que pour changer la société il suffisait de changer le 
droit, en revanche, au 19ème, au fur et à mesure de la prise de conscience du grand changement 
historique produit par l’avènement de la société industrielle dans la « société civile » avant même 
que dans la société politique, le droit fut de plus en plus considéré comme un épiphénomène, un 
moment secondaire du développement historique, et regardé avec toujours plus de défiance comme 
instrument de changement social.  
Aujourd’hui, à bien y regarder, la crise de la primauté du droit est encore plus importante: il ne 
s’agit  pas  seulement  de  mettre  en  doute  sa  capacité  à  influencer  le  changement  social,  mais 
également de souligner les limites de sa fonction spécifique d’instrument de contrôle social (au sens 
le plus strict du terme).  
Dans les sociétés industrielles avancées il est possible d’entrevoir deux tendances qui vont dans le 
sens d’une réduction de la fonction spécifique du droit comme instrument de contrôle social:  
a) ce qui caractérise le  droit comme instrument  de contrôle  social est d’une  part l’utilisation des 
moyens coercitifs (c’est-à-dire la « coercition » comme élément distinctif de l’ordre juridique par 
rapport à d’autres ordres normatifs) et d’autre part l’utilisation des moyens coercitifs dans un but 
répressif  (par  « répression »  j’entends  le  contraire  de  « prévention »).  Ainsi  dans  la  société 
contemporaine, lorsqu’augmentent la dimension et l’utilisation des moyens de communication de 
masse  (dont  je  n’ai  d’ailleurs  pas  l’intention  d’exagérer  l’importance  de  manière  catastrophiste),  
c’est le recours à un mode de contrôle social, différent de la forme traditionnellement représentée 
par le droit, qui augmente. Ce mode de contrôle n’est pas de type coercitif mais persuasif, et son 
efficacité  n’est  pas  confiée  en  dernière  instance  à  la  force  physique,  comme  dans  tout  ordre 
juridique,  mais  au  conditionnement  psychologique.  Éventuellement,  il  est  possible  de  faire 
l’hypothèse d’un type de société où le conditionnement psychologique des individus serait si étendu 
et efficace que la forme généralement considérée comme la plus intense de contrôle, le contrôle par 
l’utilisation des moyens coercitifs, c’est-à-dire le droit, serait superflue. Une société sans droit n’est 
pas nécessairement  une  société  libre,  comme  l’imaginait  Marx,  mais  peut  aussi  être  conformiste 
comme l’imaginait Orwell:  le droit est nécessaire là où, comme dans les  sociétés historiques, les 
hommes ne sont ni totalement libres ni totalement conformistes, c’est-à-dire dans une société où les 
hommes ont  besoin  de  normes  (et  donc  ne sont  pas  libres) et  ne réussissent  pas  toujours  à  les 
 
   Traduction tirée de K. Marx, F. Engels, Le manifeste du parti communiste, éditions sociales, 1986, p. 80. N. Bobbio 
cite l’édition dirigée par E. C. Mezzomonti, Einaudi, Turin, 1948, p. 139. (NdT)