fossiles et spécialement de l’homme de Néandertal découvert en Allemagne dans la grotte
de Feldhofer au mois d’août 1856.
Je propose, pour lever en partie ces perplexités, de faire dans un premier temps
retour à un élément du texte de l’Origine qui n’a pas assez retenu l’attention des
historiens, les exergues que Darwin a choisies ; je propose d’opérer ensuite une brève
plongée dans le Journal, les Cahiers et la correspondance où nous voyons la question de
l’homme très présente bien avant la rédaction de la Filiation, bien avant la publication de
l’Origine, dès le voyage sur le Beagle, mais sous un angle très particulier.
La première exergue est empruntée à William Whewell (1794-1866). Le jeune
Darwin a fait sa connaissance à Cambridge présenté à lui en 1826 par le botaniste John
Stevens Henslow (1795-1881). Whewell, qui enseignera par la suite la philosophie morale
au Trinity College, aura figuré avec Adam Sedgwick (1785-1873) parmi ceux qui ont
initié Darwin aux sciences alors que ce dernier était étudiant en théologie. En 1837, au
moment où Darwin rentre de son périple sur le Beagle, William Whewell publie Histoire
des sciences inductives, des origines à nos jours avant de publier La philosophie des
sciences inductives fondées sur leur histoire et, quelques années plus tard, le Novum
organum renovatum où il renouvelle dans un sens non-empiriste le concept d’induction. Il
semble qu’il ait inventé en anglais le mot « scientist » en 1833.
J’ai déjà eu l’occasion de souligner l’influence de ces ouvrages sur la conception
que Darwin a pu se faire du lien constitutif entre observation et théorie. Ce n’est pourtant
pas à eux qu’il emprunte son exergue mais à la contribution antérieure de Whewell aux
Bridgewater Treatises, ces huit traités théologico-scientifiques parus à l’initiative de Lord
Bridgewater’s
, Francis Henry Egerton (1756-1829), afin de démontrer la puissance, la
sagesse et la bienveillance divines.
Darwin a délibérément placé en exergue de l’Origine un texte qui s’inscrit dans la
tradition de la théologie naturelle anglaise.
Le passage retenu est au demeurant sans équivoque. Ce n’est pas un passage
« épistémologique » exprimant le néo-baconisme paradoxal de l’auteur, c’est une sentence
à visée théologique, selon laquelle les événements dans le monde matériel ne doivent pas
être imputés à la puissance divine qui s’exercerait cas par cas, mais à des lois générales
établies par la même puissance
mais ce n’est pas pour autant une régression vers la
doctrine de William Paley (1743-1805), l’auteur du célèbre Natural theology ; or,
evidences of the existence and attributes of the Deity, collected from the appearances of
nature (1802)
, qu’il avait également lu et apprécié. La perfection des adaptations des
êtres vivants à leur milieu dont Paley faisait le cœur de sa doctrine avait été
définitivement réfutée aux yeux de Darwin par ses observations au cours de son périple et
notamment aux Iles Galápagos.
Dans la première édition du 24 novembre 1859, Darwin ajoute à cette citation de
William Whewell un passage « classique » extrait du traité de Francis Bacon (1561-1626)
T. Chalmers,
The Adaptation of External Nature to the Moral and Intellectual Constitution of
Man
(1833); W. Prout, M.D.,
Chemistry, Meteorology, and Digestion
(1834); W. Kirby,
History, Habits, and Instincts of Animals
(1835); Sir C. Bell,
The Hand, as Evincing Design
(1837); D. Buckland,
Geology and Mineralogy
(1837); J. Kidd, M.D.,
The Adaptation of
External Nature to the Physical Condition of Man
(1837); Dr. W. Whewell,
Astronomy and
General Physics
(1839); P. M. Roget, M. D.,
Animal and Vegetable Physiology
(1840).
“But with regard to the material world, we can at least go so far as this — we can perceive
that events are brought about not by insulated interpositions of Divine power, exerted in
each particular case, but by the establishment of general laws.”
Cet ouvrage a été réédité par Oxford University Press en mai 2008.