Samuel Elikan - 2OS pp2 GAP Novembre 2005
Philosophie : foi et raison. Travail écrit
Philo : foi et raison Page 1 17/04/2017
« La foi reconnaît à chacun une souveraine liberté de
philosopher »
(B. Spinoza, Traité Théologico-Politique, Chapitre XIV, p. 246, coll.Garnier Flammarion)
La question qui se pose à l'époque de Spinoza est celle de l'établissement d'une frontière entre
la théologie et la philosophie, même question que nous nous posons maintenant.
1
Mais avant de commencer à parler de la distinction entre foi et philosophie, commençons par
définir la foi, puis la philosophie.
La foi a un sens objectif d’assurance valable, constituant une garantie, ou encore, de fidélité
à un engagement, de sincérité.
Mais la foi peut aussi avoir un sens plus subjectif de confiance absolue (soit en une personne,
soit en une affirmation), ou encore, celle-ci peut être définie comme « adhésion ferme de
l’esprit, subjectivement aussi forte que celle qui constitue la certitude, mais incommunicable
par la démonstration
2
.». C’est donc un assentiment parfait qui exclut tout doute, sans
exprimer pour autant le caractère du savoir. Cet assentiment peut alors être dit « suffisant
qu’au point de vue subjectif, et […] insuffisant au point de vue objectif
3
».
D’après cette dernière définition, la foi est donc opposée au savoir et à la raison.
Néanmoins, il faut noter qu’on ne peut pas réellement dire que la foi « s’oppose » au savoir
ou à la raison, en effet, celle-ci ne renie pas le savoir, ni ne le méconnaît, elle se fonde sur des
raisons qui sont telles, que la raison, une fois consultée, s’achève en une attestation de
confiance, ridicule à prouver, et donc la foi peut aboutir à un savoir.
Toutefois, ici l’opposition est entre philosophie et foi.
Mais que peut bien être la philosophie ?
Je me rappelle que lorsque la question de savoir ce qu’est la philosophie a été posée, on nous
a répondu que c’était déjà de la philosophie !
C’est d’une part un savoir rationnel, une science : la philosophie a même été une recherche de
la cause de toute choses avec les présocratiques, mais d’autre part, c’est aussi un ensemble
d’études :
- tendant à ramener un ordre de connaissance,
- concernant l’esprit,
- de doctrines ou systèmes constitués.
En bref, la philosophie est une recherche, basée sur la raison qui tend vers le savoir.
Pour certains, la philosophie est une science, de par son universalité ; pour d’autres, il n’en est
rien, le philosophie ne fait que tendre vers le savoir et n’en est pas un, du moins, pas un savoir
certain.
1
Pour Spinoza, la philosophie est le moyen d’arriver au Salut par la connaissance tandis que la foi est
productrice de Salut non pas parce qu’elle est connaissance vraie, mais seulement par rapport à l'obéissance.
Celui qui est obéissant possède la vraie foi, dit-il. Le but de l’Ecriture est l’obéissance, et le but de l’obéissance
est le Salut. Le but du Salut est donc commun à la philosophie et à la théologie, d’où cette affirmation.
Cet énoncé n’est là qu’en guise d’introduction et n’est pas à prendre en compte autrement.
2
Foi, au sens D, in Vocabulaire technique et critique de la Philosophie, André Lalande, p.360, PUF, 1980.
3
E. Kant, Critique de la raison pure, Méthod. transc., chap. II, sect. III.
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Maintenant que nous avons une ébauche largement non exhaustive de ce qu’est la foi et la
philosophie, nous pouvons évoquer les différentes distinctions entre celles-ci.
Premièrement, la foi n’est pas universelle, comme le dit Thomas d’Aquin, lorsqu’il cite
l’apôtre Paul, « la foi n’est pas le partage de tous
4
». Cela se justifie par le fait que la « science
procède de principes évidents par eux-mêmes » (ibid.), tandis que les articles de foi ne sont
pas évidents, pour dire pas universels, non reconnus par la raison et c’est pour cela qu’ils sont
« rejetés par beaucoup » (ibid.). Contrairement, la philosophie est « sensée » être universelle,
du moins c’est son but, sa visée.
Deuxièmement, la foi, bien que pouvant aboutir potentiellement à un savoir (cf. ci-dessus),
n’en est pas un en soi et ne tend pas vers celui-ci, tandis que la philosophie, quant à elle, tend
vers un savoir certain. Cela ne contredit en rien le « credo, ut intelligam », puisque cette
phrase énonçant : « je crois pour savoir », veut dire qu’il faut croire afin de comprendre, et
non pas que la foi est une compréhension en soi, une science.
Troisièmement, la foi est, comme nous l’avons vu, un assentiment puissant, une croyance, sur
laquelle on se base comme savoir. Preuve en est la pensée théologique, qui « possède au
départ un savoir préalable, […] un Texte sacré, une Livre, une Révélation, une Institution, une
Eglise, donc des autorités ou une autorité […] d’emblée reconnues comme valables
5
». Tandis
que la philosophie n’a pas de bases (à titre d’exemple, je citerai R. Descartes qui fera le « vide
intégral » de tout ce qu’il sait, ou croit savoir, pour trouver une base certaine, à laquelle il ne
croit pas, mais qu’il sait, qu’il connaît).
Quatrièmement, la philosophie est régie par la raison qui « a ses exigences propres, dont la
validité ne reconnaît pas de limites. Elle ne tolère pas qu’on la contraigne à interrompre ses
interrogations devant des limites prescrites, elle ne se laisse jamais intimider. Elle ne saurait
reconnaître aucune autorité extérieure à elle, ce serait pour elle se renier » (ibid.)
La foi, quant à elle, se réfère à une Révélation, qui serait pour le croyant « plus proche de la
vérité que ce que la raison peut lui faire connaître, car à la source de la Révélation se trouve
Dieu lui-même » (ibid.)
Hors il y a là, un problème apparent, car Dieu a fait cette Révélation, a parlé, et il est évident
que c’est ce même Dieu qui est à l’origine de la raison, donc « la foi précède la raison
6
», pour
le croyant. Mais ceci vaudra uniquement pour le croyant, qu’en est-il du non-croyant ?
Alors, un autre problème se pose, pour le non-croyant, la raison suffit-elle seule pour parvenir
à l’essentiel ? Car le non-croyant ne pourra-t-il jamais accéder par la raison seule à ce à quoi
le croyant parvient par une « base » qu’est la Révélation et la raison ?
Nous pouvons donc ainsi dire que la philosophie a un concept dominant et directeur qu’est la
raison, celle-ci étant non seulement un mode de penser propre à l’homme (défini comme
«animal raisonnable »), mais aussi la faculté de distinguer le vrai du faux. C’est donc la
«lumière naturelle» naturellement présente en tout homme, par opposition à la foi.
La foi, quant à elle est un acte de croyance logiquement opposé à la démarche universelle de
la raison. C’est aussi une adhésion de l'esprit à des « vérités » qui ne sont pas connues par la
raison.
De là, découlent les questions suivantes ; deux principaux aspects de la problématique :
4
Somme théologique, I, q.I, art.2
5
J. Hersch, L’étonnement philosophique, p. 123-124
6
J. Hersch, L’étonnement philosophique, p. 91-92
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La croyance religieuse implique-t-elle une démission de la raison ?
La raison suffit-elle à l’homme ?
La problématique étant définie, il est intéressant de voir quelle position a pris Thomas
d’Aquin (1225-1274), dans Somme Théologique, I, q.1, art. 1, lui qui était théologien et
philosophe dominicain, considéré comme l'un des principaux maîtres de la scolastique et de la
religion catholique pour laquelle il est un Docteur de l’Eglise.
La thèse de Thomas d’Aquin sur le sujet est que la raison ne suffit pas à l’homme, car il y a
des choses qui dépassent la connaissance humaine.
Sa justification de la foi peut se résumer par le fait qu’étant donné que l’homme est destiné à
une fin que sa raison ne peut percevoir seule, alors une Révélation lui a été faite, celui-ci doit
donc adopter, en réponse, la foi à la doctrine sainte issue de cette même Révélation.
De plus, la Révélation est une instruction pour l’homme, il apprend ainsi à atteindre Dieu,
chose dont peu sont capables, par le biais unique de la raison.
La foi a donc une place importante car elle permet de comprendre, avec la raison, des choses
que la raison seule ne saurait atteindre.
(On peut mettre ça en parallèle avec cet énoncé : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui
permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité
7
»)
La foi, pour Thomas, précède donc la philosophie.
Pour résumer son point de vue, on dira que tout en unissant foi et raison, il pare les deux
domaines, celui des vérités de la raison et celui des vérités de la foi.
La foi est une adhésion ferme et totale à la parole de Dieu. Elle n'est ni élan aveugle de la
sensibilité, ni sacrifice de l'intellect.
La Raison est une lumière naturelle procédant de Dieu : elle illumine l'esprit humain et
soutient l'autorité de la foi.
Foi et Raison sont en accord l'une avec l'autre. La foi apporte des vérités inaccessibles à la
raison, que celle-ci conforte mais ne peut pas démontrer, en expliquant leur contenu par son
enseignement.
La raison permet d'acquérir les vérités qui ne relèvent pas directement de la foi et lui sont
inaccessibles, car la foi est un assentiment à la doctrine sacrée, issue de la Révélation.
A partir de la position de Thomas, qui est en quelque sorte une synthèse de la foi chrétienne,
source de connaissances, telle que la voit l’Eglise et la raison aristotélicienne, nous pouvons
alors nous poser les questions suivantes, engendrées par l’opposition entre raison et foi.
- Quelles sont les limites de la raison ? Peut-on les franchir en sautant dans la foi?
La raison paraît être limitée et ceux qui prétendent qu’en outrepassant les limites de la raison on peut
« sauter » dans la foi, affirment par que le fait de croire n’est autre qu’un refuge pour cacher son
ignorance devant les choses inconnues. Ces mêmes gens diront donc que la raison suffit à l’homme.
On peut aussi soutenir, au contraire que l’homme doit croire, car la croyance est bénéfique et
“obligée”.En effet, la croyance en un avenir motive, est bonne, et peut aussi modérer la gravité d'un
événement, ou encore, une vie sans croyance est difficile, voire impossible, et la croyance donne un
sens à la vie, mais la confiance aussi est un crédit, une croyance qui s’adresse aux sentiments d’autrui
7
Jean-Paul II, Fides et ratio (la foi et la raison), I, prologue ; lettre encyclique du 14 septembre 1998.
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et parfois aussi à soi-même. Ceux qui adhèrent à cette perspective affirmeront peut-être que la raison
est limitée, mais ils ne diront pas que la foi est un refuge à l’ignorance, car on croit tout le temps.
- Est-il possible de fonder rationnellement l’existence d’un Etre suprême ?
Nombreux sont les philosophes qui ont tenté de prouver l’existence de Dieu par la raison. Mais si c’était
possible, ce serait une certitude objective non réfutable qui deviendrait alors scientifique.
Hegel, tente de concilier philosophie et théologie. Pour ce faire, il dit que reconnaître Dieu, c’est connaître Dieu
en vérité et que dès lors, le contenu absolu de la religion est identiquement le même que le contenu absolu de la
philosophie, et la tâche de la philosophie de la religion est de montrer que « le contenu de la religion et celui de
la philosophie ne peuvent différer, car il n’existe pas deux consciences de soi de l’Esprit absolu pouvant avoir un
contenu divers et opposé
8
». Alors, pour lui la différence entre foi et raison, n’est pas de contenu, mais de niveau
conceptuel : « la philosophie a pour tâche de mettre sous la forme du concept ce qui est dans la religion sous la
forme de la représentation et que le contenu est le même et doit l’être, c’est la vérité » (ibid.).
La conciliation d’Hegel de la philosophie et de la théologie résoudrait bien des problèmes entre foi et
philosophie, cependant, on peut lui reprocher, à lui aussi, de partir d’un à priori : l’existence de Dieu. En plus,
dans ce passage, il ne donne aucune preuve que Dieu existe.
Cette question de la possibilité de prouver l’existence de Dieu prend un intérêt d’autant plus certain à nos yeux.
Mais comme le dit Augustin : « Je crois parce que c'est absurde. ». Cela, pour définir la foi : nous n'avons nulle
preuve de l'existence de Dieu et donc, croire en Dieu (ou n'y pas croire) relève d'un choix d'existence, qui reste
néanmoins non fondable en raison. Donc, d’après Augustin, (et Pascal, qui dit : « le ur a ses raisons, que la
raison ne comprend pas ») ça serait impossible, mais la question reste ouverte …
- La croyance est-elle hétérogène à la rationalité? Ya-t-il une compatibilité entre elles ?
Comme nous l’avons vu auparavant, la croyance, la foi est par définition différente et opposée à la
raison, moteur de la philosophie.
Néanmoins, la foi et la raison sont compatibles, comme nous l’avons vu précédemment chez Thomas
d’Aquin et on peut aussi retrouver cette idée dans le proverbe : « fides quaerens intellectum », la foi
cherche la compréhension. Ou comme le dit J. Hersch (L’étonnement philosophique, p.91-92) : « Cela
signifie qu’on ne saurait atteindre l’essentiel à l’aide de la seule raison. Pour que la raison atteigne ce
qu’elle vise, il faut que soit donné d’abord la nourriture de la foi ».
Pour conclure, je dirais que de toute façon, si on regarde du point de vue de la foi, la raison est
secondaire à celle-ci, pour des raisons citées.
Et si on regarde la chose de point de vue de la raison, on peut observer que la foi, les croyances sont
souvent présentes en nous, presque malgré nous, car avant d’être en âge de philosopher, nous avons
déjà été éduqués et une civilisation, une culture nous ont été inculquées. Il est dur de s’en débarrasser,
et donc notre vision du monde, ainsi que notre raison, sont influencés qu’on le veuille ou non de ces
croyances.
Vient s’ajouter à cela, le fait que tout savoir a une base (ex. axiomes en mathématiques, etc.)
Ou comme le dit Nietzsche […] la science ira-t-elle chercher cette conviction absolue, cette foi
qui lui sert de base et qui dit que la vérité importe plus que toute autre chose, y compris toute autre
conviction ? Cette conviction de base ne peut pas se former si le vrai et le non-vrai se sont toujours - et
c’est le cas ! - affirmés utiles l’un et l’autre. Donc la foi dans la science, cette foi qui existe en fait
d’une façon incontestable, ne peut avoir son origine dans un calcul utilitaire ; elle a se former au
contraire malgré le danger et l’inutilité de la « vérité à tout prix », danger et inutilité que la vie
démontre sans cesse
9
».
Bref, tout cela pour dire que l’on est déterminé à croire et donc que la raison seule ne suffit pas. En
effet, presque toute chose qu’on peut fonder en raison a une base, bien souvent c’est une croyance, qui
est la base, telle la théologie, basée sur la doctrine sainte, ce qui prouve que la foi, n’implique pas une
démission de la raison.
8
Hegel, Leçons sur la philosophie de la religion, I, 245-246
9
F. Nietzsche, Le Gai savoir, §344
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Donc, pour atteindre l’essentiel, la foi détermine le chemin et le but et la raison n’a plus qu’à
s’y plier. Mais foi et raison doivent concorder et voler ensemble, comme on dit : « je crois
pour comprendre ».
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