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progressif de ce concept. En 1982 seront votées les lois dites « Auroux » sur les nouveaux
droits des travailleurs.
Contrairement aux attentes de salariés et d’une partie du monde syndical impatient de voir
surgir de véritables contrepouvoirs vis-à-vis de l’autorité patronale, le pouvoir réglementaire
de l’employeur est réaffirmé et tout droit de veto est exclu. Les avancées sont bien réelles
mais restent par définition partielles : renforcement des moyens d’information et de
formation, en particulier du comité d’entreprise, amélioration de la protection des
représentants du personnel. Le rôle central et moteur du syndicat est souligné. C’est à lui de
fédérer le jeu social en s’appuyant maintenant sur la négociation collective. Nous sommes
bien loin de l’idée d’autogestion et même de démocratie salariale ou de cogestion.
Pour comprendre sur un mode plus concret la réalisation de l’idée autogestionnaire, il faut
sans doute revenir à l’une des seules expériences en vraie grandeur qui a été précisément
mise en œuvre, c’est-à-dire la Yougoslavie d’après guerre.
L’autogestion yougoslave a été l’objet d’un engouement certain, en particulier en France et
plus largement dans les pays occidentaux. Les courants progressistes et notamment les
marxistes antistaliniens ont mis l’accent sur ce qui pouvait apparaître dans les années 1960
comme une tentative d’auto-organisation des travailleurs appuyée par un pouvoir politique qui
prenait ses distances vis-à-vis de l’URSS.
Face à une planification soviétique hyper centralisée, l’introduction des droits d’autogestion
dans les entreprises yougoslaves a offert un certain nombre de marges de manœuvre en
matière de démocratie. C’est lors de la première phase (1953-1965) que les plus forts taux de
croissance ont été atteints soit 10 % par an (Samary, 2001). La productivité des travailleurs est
stimulée. Ceux-ci sont responsabilisés en matière d’organisation du travail et de hiérarchie des
salaires. Ce sont cependant les autorités centrales qui traitent les décisions stratégiques (crédit,
investissement, emploi, prix). De fait, les travailleurs ne disposent que d’un contrôle limité sur
leur entreprise. Les difficultés apparaissent dans les années 1960 lorsque les collectivités
autogestionnaires demandent plus de pouvoirs réels. Mais les régions riches (Croatie,
Slovénie) n’acceptent pas facilement les transferts vers les régions pauvres.
Au lieu de démocratiser le Plan comme le demandent certains intellectuels et une partie des
travailleurs, la Ligue des communistes yougoslaves le démantèle et introduit une réforme
libérale en 1966. Dès lors, l’inflation flambe et les écarts de revenus entre entreprises et
régions se creusent. Le pouvoir des experts s’accroît ainsi que les processus de délégation qui
l’accompagnent. La dernière phase (1974-1980) voit s’opérer un tournant constitutionnel
brutal. Le marché est limité par des formes de planification contractuelle et par la remise en
cause du pouvoir des experts et des banques qui avaient retrouvé l’initiative lors de la phase
libérale. Les droits de gestion des travailleurs sont plus significatifs mais ils restent
décentralisés au niveau des « unités de base » (les ateliers).
« La répression ayant favorisé tous les mécanismes de repli sur soi et de corruption, on avait
donc tous les ingrédients d’un système éminemment conflictuel, sans cohérence,
compartimenté à l’extrême dont les ouvertures sur le marché mondial allaient accentuer la
fragilité » (Samary, op.cit., p.58).
Dans les années 1980, la Yougoslavie connaît une dette extérieure de 20 milliards de dollars,
une inflation à trois chiffres et une envolée du chômage en particulier dans les régions à forte
démographie. Le FMI impose alors l’austérité et met fin au système autogestionnaire. La mise
en place des privatisations achève de démanteler le système.
En réalité, le pouvoir politique du parti et le pouvoir économique des producteurs ne se sont
jamais vraiment rencontrés. Les dirigeants du pays ont préféré libéraliser l’économie ce qui a
conduit aux inégalités sociales et régionales puis à l’explosion et à la guerre civile.
Les critères d’efficacité économique et sociale et les objectifs qui auraient été les plus
souhaitables et les plus adéquats à la société autogestionnaire yougoslave n’ont jamais fait