Envoyé par Wai. LES VALEURS ASPECTUELLES DES FORMES VERBALES L’aspect peut être défini comme la propriété linguistique du verbe à représenter la perception de la durée du procès par le locuteur. Les difficultés commencent avec la distinction du temps et de l’aspect. En effet un certain enseignement de la grammaire(simpliste au nom du terrorisme de la « clarté pédagogique ») a appris à assimiler les catégories aspectuelles aux « temps » qu’elles prennent en charge. C’est une grave erreur, aujourd’hui notoirement accusée. C’est confondre une réalité sémantique chronologique(le temps, comme catégorie philosophique de l’existant) et un système paradigmatique de représentation du procès dans ce temps, ce qui n’est pas du tout la même chose. Désormais, les différentes combinatoires de ce paradigme de base sont désignées comme des « tiroirs verbaux »(imparfait, passé simple, etc.), permettant de classer et de positionner la représentation du procès quelque part sur l’axe chronologique du temps : présent, passé, futur. La richesse de ces combinatoires(huit pour l’indicatif, quatre pour le subjonctif) tient, précisément, au degré de précision par lequel la langue française peut évaluer la perception de la durée du procès, ses variations, son degré d’implication, ses répétitions, son tremblement… On comprend que la confusion grammaticale qui consiste à apprendre aux élèves qu’entre passé simple et imparfait, ou entre présent et passé composé, il y a une différence de temps est une énormité incohérente : dans les deux cas cités, il s’agit de temps du passé et du temps du présent, mais avec une différence aspectuelle évidente (non-sécant vs sécant), pour la première ; inaccompli vs accompli, pour la seconde. I) Formes simples vs formes composées : inaccompli vs accompli La distinction entre ces deux formes est à la fois morphologique et aspectuelle, L’une et l’autre des formes illustrent chacune une chronothèse, initiale ou finale, qui fixe dans l’esprit l’image-temps que l’énonciation vient de créer. 1. Les formes simples : aspect inaccompli Avec l’aspect simple, la durée est présentée sinon dans son extension et son inachèvement, du moins dans son manque : il y a un vide, une absence qui résonne et qui fait attendre une réalisation auxiliaire. Le phénomène peut aussi bien concerner la référence chronologique du présent que celle du passé. Dans les deux cas, le verbe insiste sur l’aspect inachevé du procès, qui semble suspendu. Nous pouvons rappeler la définition guillomienne : « un aspect simple, tensif ou immanent, tient la pensée en dedans du procès et éveille dans l’esprit l’image même du verbe et dans son déroulement ». 2.Les formes composées : aspect accompli C’est « l’aspect composé, extensif ou transcendant, qui porte la pensée audelà du procès et éveille dans l’esprit non plus le déroulement même de l’image, mais le déroulement d’une séquelle de cette image »(Guillaume).Cette séquelle se réduit à un simple point d’observation(ex : avoir dépassé). Là, au contraire, le procès est présenté dans son achèvement : la pensée dépasse le point de réalisation de l’acte pour l’envisager comme une totalité. Ce n’est pas pour autant une marque du passé( il y a un futur accompli : il aura mangé), mais une marque d’aboutissement d’une durée, quel que soit le repère chronologique de sa réalisation. C’est là qu’il ne faut pas confondre chronologie te chrono thèse. L’aspect accompli/inaccompli ne concerne pas que les formes conjuguées à des modes personnels : l’infinitif et le participe, présent et passé, fonctionnent absolument de la même façon. Là encore, le texte se caractérise par un usage massif de formes inaccomplies, qui concourent à une représentation étrangement suspendue propre à la description de fausses actions qui font attendre l’évènement à venir, et le passage de l’inaccompli à l’accompli(écriture de la catastrophe, éminemment romanesque). II) L’aspect sécant vs l’aspect non-secant C’est là une des combinatoires les plus sollicitées par la langue française, particulièrement pour les tiroirs verbaux de l’imparfait(imp.) et du passé simple(Ps.), mais aussi pour certains emplois, différents entre eux, du présent simple(Pr.) ainsi que du gerondif (G.). 1.L’aspect sécant Il décrit l’extension de la durée du procès, présenté dans son déroulement le plus vaste ; on dit qu’il a une valeur durative-mais on prendra garde de ne pas confondre la valeur de l’aspect et l’aspect lui-même, comme le font certains Precis de grammaire confus. C’est la forme même de la description, qui fige une actance vive dans un déroulement infini : C’est pourquoi on la trouve aussi bien à l’imp. Qu’au Pr., en particulier dans les textes qui cherchent à narrativiser la description. Par exemple dans les segments de phrases suivants : « un vase qui s’enroulait une ronde », « le socle où se levait quelque type admirable », « cette jeunesse antique qui dessinait celle d’apollon », il s’agit de l’aspect inaccompli, sécant parce que marquant la durée tensive d’un procès suspendu, dans un repère chronologique passé. « Qui le percent de leur blancheur, glisse en caresse, s’y tuyaute et s’y ride » a la même valeur mais au service d’une chronologie arrêtée, ce présent n’est pas un temps référentiel, mais une abstraction énonciative, utilisé pour les besoins d’une démonstration : personne ne peut le comprendre comme un présent gnomique, mais personne ne peut le prendre non plus comme un présent de narration anecdotique. L’aspect secant a cette capacité de « dévitaliser » le procès de sa référence active, au profit d’un usage énonciatif de pure représentation, désignation, démonstration : on est là hors-réference non verbale. Enfin le gérondif conserve un emploi semantiquement très proche de celui-ci, forme sur-etendue, pourrait-on dire du présent de base : « en se collant… » 2.L’aspect non secant Il caractérise le refus de toute extension durative, au profit d’une ponctualité de la perception et de la designation-valeur ponctuelle. Cet aspect non-secant est illustré par le PS., et par le présent de narration le plus strict(il marche, il entend un bruit…) III) Aspect perfectif vs aspect imperfectif « On dit parfois aussi, avec le même sens, conclusif/non conclusif. Le procès signifié par des verbes perfectifs comportent par eux-même, indépendamment de tout effet extérieur exercé sur eux, une limitation. Une fois commencé, le procès va nécessairement à un terme qui en constitue l’achèvement. Naître et mourir sont perfectifs : on ne peut pas continuer à naître ni à mourir dés le moment où l’on est né ou mort. Inversement, les verbes imperfectifs signifient des procès qui, s’ils ne sont pas interrompus par des circonstances extérieures, peuvent se prolonger sans limitation. Les procès évoqués par des verbes tels que exister et vivre peuvent bien être interrompus, mais cette interruption n’est pas inscrite dans le signifié même des verbes, qu’on dit de ce fait imperfectifs »(Arrivé, Gadet, Galmiche, pp. 77-78) CCL : La question des aspects ne saurait se limiter à une nomenclature, dans la mesure où elle oblige presque à une série de commentaires, forme par forme, pour juger de l’adéquation des emplois.