Doc 1 : L’hésitation ultime : le fief ou la souveraineté
Ecrit contenant les deux partis, de prendre l’Alsace en souveraineté ou en fief (envoyé à la
cour le 9e juillet 1646)
Il y a diversité d’avis sur l’offre qui nous a été faite par les Impériaux.
Il y en a qui croient, (et plusieurs Allemands sont de cette opinion) qu’il serait plus avantageux
au Roi de tenir les pays qu’on laisse à Sa Majesté en fief et les relever de l’Empire à condition d’avoir
séance et voix dans les diètes, que de les posséder en toute souveraineté et ne point dépendre de
l’Empereur.
Il disent que cela nous donnerait plus de familiarité avec les Allemands qui nous
considèreraient à l’avenir comme leurs compatriotes ou comme membres de l’Empire.
Que cette qualité pourrait un jour servir de degré à nos Rois pour monter à l’Empire et pour
l’ôter à une maison dont la grandeur nous est suspecte.
Qu’elle donnerait moyen aux Princes d’Allemagne de traiter plus librement avec nos Rois
toute sorte de confédérations et d’unions sans que l’Empereur le pût trouver mauvais ni l’empêcher,
ce qui n’arrivera pas de même tandis qu’on ne pourra les considérer que comme Princes étrangers
qui ne possèdent rien dans l’Empire.
Que ne pouvant envoyer des députés dans toutes les diètes, nous aurons moyen de savoir
tout ce qui se passera, de traverser les desseins de la maison d’Autriche, et de remédier de bonne
heure à ceux qui pourraient être formés contre la France.
Que l’offre de laisser au Roi en toute souveraineté les pays qui lui seront cédés est bien
avantageuse à l’Empereur et aux Princes de sa maison, mais n’est pas si agréable au reste de
l’Empire, que si on ne faisait point de démembrement.
Que l’appréhension que nos ennemis ont témoigné de nous voir prendre aucun établissement
dans l’Empire doit être un puissant motif pour ne le négliger pas, parce qu’ils ont fort bien reconnus
que divers Princes et presque tout le parti catholique commençait de jeter les yeux sur le Roi pour se
servir à l’avenir d’un protecteur plus puissant et plus assuré que n’ont été ceux qu’ils ont eu jusqu’à
présent.
Ceux qui soutiennent l’opinion contraire disent qu’il n’y a point d’avantage qui puisse être égal
à celui de ne dépendre de personne et d’être souverain absolu.
Que le pouvoir de faire du bien aux Princes voisins fera autant rechercher l’amitié de nos Rois
que s’ils demeuraient princes de l’Empire.
Que si les affaires étaient un jour disposées à faire accorder l’Empire à nos Rois, il leur
servirait autant de posséder des provinces en Allemagne quoique souverainement, que si elles
relevaient encore de l’Empire, vu même que l’étendue des pays cédés, il restera des villes impériales
et des princes souverains qui en relèvent.
Que la liberté d’envoyer aux diètes n’est pas si avantageuse qu’elle paraît puisque le plus
souvent elles ne sont convoquées que pour résoudre des impositions sur l’Empire […]. Et, qu’en tout
cas, quand il y aura apparence qu’on y puisse traiter quelques affaires plus importantes où les princes
voisins soient intéressés, nos Rois pourront y envoyer des Ambassadeurs qui paraîtront et y agiront
avec plus d’autorité de la part d’un grand Roi que s’ils n’étaient que de simples députés d’un
Landgrave d’Alsace à qui on ne saurait donner un rang digne de la grandeur du Roi dans l’assemblée,
ce qui a empêché bien souvent le Roi du Danemark d’y envoyer les siens comme duc de Holstein.
Qu’encore que, peut-être, il fut plus agréable aux états de l’Empire de n’en démembrer point
ledit pays, on est obligé dans les grandes résolutions de considérer plutôt ce qui est commode,
avantageux et honorable que ce qui est agréable aux étrangers.
Que si les Impériaux ont mieux aimé ne voir point nos Rois dans l’Empire, cela a été de
crainte que nous n’ayons une prétention à laquelle on ne songe point et que ce n’est pas la première
fois que pour divers respects une même chose a contenté les deux partis.
Mais quand tout cela ne serait pas considérable, la plupart des Allemands disant qu’on ne
saurait posséder les pays cédés en fief relevant de l’Empire et les incorporer à la couronne, mais qu’il
faudrait en ce cas les limiter à la ligne des Bourbon ; cela fait cesser la raison de douter, n’y ayant
personne qui puisse croire qu’il soit plus avantageux pour quelque considération que ce soit de
posséder un pays qui relève de l’Empereur et lui peut retourner un jour par le défaut d’un certain
nombre de personnes que de le posséder en souveraineté sans qu’il puisse jamais être démembré de
la couronne, vu que, de cette sorte, la France reprendra les anciennes limites lorsque l’absolue et
indépendante souveraineté de nos Rois s’étendra jusqu’au Rhin…