1 L’ALSACE ENTRE L’ALLEMAGNE ET LA FRANCE Introduction au thème En l’an 800, Charlemagne est couronné empereur : l’empire romain est reconstitué par les Francs carolingiens. Selon la coutume barbare, Louis le Pieux partage l’empire entre ses trois fils : - Lothaire, l’aîné, hérite de la Lotharingie et du titre d’empereur ; - Louis le Germanique reçoit la Francie orientale, - Charles le Chauve reçoit la Francie occidentale. En 842, les deux derniers prononcent le Serment de Strasbourg, qui est une alliance contre Lothaire suspecté de vouloir dépouiller les puînés. Finalement, l’Occident subit une division entre : - le Saint-Empire Romain germanique à l’Est (Francie orientale + Lotharingie) - le Royaume de France à l’ouest (Rhône, Saône, Rhin et Meuse forment grossièrement les limites entre royaume et empire). La féodalité est le système politique, économique et social dans lequel le souverain concède des terres et des pouvoirs en échange de services. Alors que l’autorité des rois de France se trouve remise en cause par des féodaux puissants (qui aliènent eux-mêmes une partie de leur fief à des vassaux), les empereurs réussissent à garder une autorité directe sur leur empire. Les seigneurs d’Alsace relèvent tous de l’Empire jusqu’en 1648, date du traité de Westphalie. La carte distribuée montre la division politique de l’Alsace à la veille du traité. Cependant, le point fort du pouvoir royal des Capétiens est l’hérédité de la couronne alors que l’empereur est élu par 4 électeurs laïcs (le comte palatin du Rhin, le duc de saxe, le margrave de Brandebourg et le roi de Bohème ; et 3 électeurs ecclésiastiques : les archevêques de Mayence, de Trèves et de Cologne). A la fin du Moyen Age1, le rapport de force s’inverse, les rois de France sont mieux obéis et plus puissants que les empereurs. Mais attention, l’empire est accaparé par les Habsbourg qui ont différents atouts à faire valoir. La France réussit néanmoins à s’emparer de l’Alsace. Cette « réunion » fait l’objet du 1er doc. du thème. Le Saint Empire romain germanique décadent est dissout par Napoléon 1er. A la fin du XIXe siècle, la Prusse (l’Etat allemand le plus puissant) profite du sentiment national allemand pour créer un 2e Empire germanique. Napoléon III y contribue maladroitement en déclarant la guerre à la Prusse, fournissant par la même occasion aux Allemands un ennemi commun. Le doc. 2 illustre la période de l’Annexion (1871-1918) et le ressentiment qu’il provoque en France. Le doc. 3 évoque une seconde annexion, plus dramatique mais plus courte, celle de 1940-1944/45. Bien que l’Alsace soit concernée aussi par un « entre les deux » culturel (pensez aux édredons ou à la cuisine, au bilinguisme, au biconfessionnalisme), ce Rappel : Le Moyen Age dure de 476 (chute de l’empire romain d’Occident) jusqu’en 1492 (découverte de l’Amérique par Ch. Colomb). Viennent ensuite les Temps Modernes (1492-1789). 1 1 2 premier thème traite avant tout du va et vient politique de l’Alsace entre la France et l’Allemagne. Introduction au doc. 1 Les Habsbourg catholiques sont à la fois rois d’Espagne (branche espagnole de la famille), ils dominent la Belgique, la Franche Comté et une partie de l’Italie. La branche autrichienne possède l’Autriche (par hérédité) et la Bohème ; elle monopolise la couronne impériale (par élection). Les Habsbourg d’Autriche sont aussi seigneurs du Sundgau et landgrave (représentants de l’empereur) en HauteAlsace (Haut-Rhin actuel). Voyez la carte. Cette puissance inquiète la France qui se sent encerclée. Alors qu’en France, les guerres de religion entre protestants et catholiques ont duré jusqu’à la victoire de Henri IV en 1599 (il se convertit au catholicisme tout en tolérant le protestantisme), l’Allemagne semblait avoir trouvé un compromis grâce au principe selon lequel chaque seigneur impose sa religion à ses sujets (Paix d’Augsbourg en 1555). Paix fragile en réalité, puisque la Guerre de 30 ans (16181648) rallume les passions. L’empereur (et roi de Bohème) avait accordé le libre exercice du culte protestant en Bohème (République tchèque actuelle) mais fait fermer en 1618 les temples construits sans autorisation. Ses conseillers sont défenestrés par les représentants des protestants majoritaires. La défenestration de Prague marque le début de la Guerre de 30 ans. Les protestants de Bohème élisent un nouveau roi protestant : l’électeur palatin du Rhin. Ce dernier est battu mais son général Mansfeld se réfugie en Alsace et ses troupes vivent sur le pays. L’Alsace est mêlée à un conflit qui devient international. La ligue évangélique (protestante) se trouve un nouveau champion : le roi de Suède Gustave-Adolphe. Il s’allie avec la ville de Strasbourg qui abandonne ainsi sa politique de neutralité. Mais Gustave-Adolphe est tué et l’Alsace devient un point de passage des troupes impériales et espagnoles. En 1635, Louis XIII (+1643) et Richelieu se décident à intervenir pour empêcher une victoire des Habsbourg. Notez que la France est encore biconfessionnelle (Edit de Nantes 1599-révocation de l’Edit de Nantes : 1688). Les Alsaciens demandent l’intervention de la France dans la Guerre de 30 ans parce qu’elle apparaît comme une puissance capable d’assurer la protection, à la fois des protestants (seigneurie de Hanau-Lichtenberg par ex) comme des catholique (ville de Colmar par ex.). Vers 1640, la guerre est terminée en Alsace. Le conflit s’achève par l’affaiblissement des Habsbourg. Les Habsbourg sont prêts à céder l’Alsace. Les pourparlers de paix s’engagent en Westphalie. L’observateur (probablement aussi négociateur) français, auteur du document 1, écrit à la cour (au gouvernement dirigé par Anne d’Autriche et Mazarin pendant la minorité de Louis XIV) pour les conseiller. La question qui se pose est la suivante : 2 3 Le roi de France doit-il acquérir l’Alsace comme un fief dont le propriétaire éminent resterait l’empereur ; ou alors doit-il détacher l’Alsace de l’empire et l’incorporer au royaume comme une province française ? 3 4 Doc 1 : L’hésitation ultime : le fief ou la souveraineté Ecrit contenant les deux partis, de prendre l’Alsace en souveraineté ou en fief (envoyé à la cour le 9e juillet 1646) Il y a diversité d’avis sur l’offre qui nous a été faite par les Impériaux. Il y en a qui croient, (et plusieurs Allemands sont de cette opinion) qu’il serait plus avantageux au Roi de tenir les pays qu’on laisse à Sa Majesté en fief et les relever de l’Empire à condition d’avoir séance et voix dans les diètes, que de les posséder en toute souveraineté et ne point dépendre de l’Empereur. Il disent que cela nous donnerait plus de familiarité avec les Allemands qui nous considèreraient à l’avenir comme leurs compatriotes ou comme membres de l’Empire. Que cette qualité pourrait un jour servir de degré à nos Rois pour monter à l’Empire et pour l’ôter à une maison dont la grandeur nous est suspecte. Qu’elle donnerait moyen aux Princes d’Allemagne de traiter plus librement avec nos Rois toute sorte de confédérations et d’unions sans que l’Empereur le pût trouver mauvais ni l’empêcher, ce qui n’arrivera pas de même tandis qu’on ne pourra les considérer que comme Princes étrangers qui ne possèdent rien dans l’Empire. Que ne pouvant envoyer des députés dans toutes les diètes, nous aurons moyen de savoir tout ce qui se passera, de traverser les desseins de la maison d’Autriche, et de remédier de bonne heure à ceux qui pourraient être formés contre la France. Que l’offre de laisser au Roi en toute souveraineté les pays qui lui seront cédés est bien avantageuse à l’Empereur et aux Princes de sa maison, mais n’est pas si agréable au reste de l’Empire, que si on ne faisait point de démembrement. Que l’appréhension que nos ennemis ont témoigné de nous voir prendre aucun établissement dans l’Empire doit être un puissant motif pour ne le négliger pas, parce qu’ils ont fort bien reconnus que divers Princes et presque tout le parti catholique commençait de jeter les yeux sur le Roi pour se servir à l’avenir d’un protecteur plus puissant et plus assuré que n’ont été ceux qu’ils ont eu jusqu’à présent. Ceux qui soutiennent l’opinion contraire disent qu’il n’y a point d’avantage qui puisse être égal à celui de ne dépendre de personne et d’être souverain absolu. Que le pouvoir de faire du bien aux Princes voisins fera autant rechercher l’amitié de nos Rois que s’ils demeuraient princes de l’Empire. Que si les affaires étaient un jour disposées à faire accorder l’Empire à nos Rois, il leur servirait autant de posséder des provinces en Allemagne quoique souverainement, que si elles relevaient encore de l’Empire, vu même que l’étendue des pays cédés, il restera des villes impériales et des princes souverains qui en relèvent. Que la liberté d’envoyer aux diètes n’est pas si avantageuse qu’elle paraît puisque le plus souvent elles ne sont convoquées que pour résoudre des impositions sur l’Empire […]. Et, qu’en tout cas, quand il y aura apparence qu’on y puisse traiter quelques affaires plus importantes où les princes voisins soient intéressés, nos Rois pourront y envoyer des Ambassadeurs qui paraîtront et y agiront avec plus d’autorité de la part d’un grand Roi que s’ils n’étaient que de simples députés d’un Landgrave d’Alsace à qui on ne saurait donner un rang digne de la grandeur du Roi dans l’assemblée, ce qui a empêché bien souvent le Roi du Danemark d’y envoyer les siens comme duc de Holstein. Qu’encore que, peut-être, il fut plus agréable aux états de l’Empire de n’en démembrer point ledit pays, on est obligé dans les grandes résolutions de considérer plutôt ce qui est commode, avantageux et honorable que ce qui est agréable aux étrangers. Que si les Impériaux ont mieux aimé ne voir point nos Rois dans l’Empire, cela a été de crainte que nous n’ayons une prétention à laquelle on ne songe point et que ce n’est pas la première fois que pour divers respects une même chose a contenté les deux partis. Mais quand tout cela ne serait pas considérable, la plupart des Allemands disant qu’on ne saurait posséder les pays cédés en fief relevant de l’Empire et les incorporer à la couronne, mais qu’il faudrait en ce cas les limiter à la ligne des Bourbon ; cela fait cesser la raison de douter, n’y ayant personne qui puisse croire qu’il soit plus avantageux pour quelque considération que ce soit de posséder un pays qui relève de l’Empereur et lui peut retourner un jour par le défaut d’un certain nombre de personnes que de le posséder en souveraineté sans qu’il puisse jamais être démembré de la couronne, vu que, de cette sorte, la France reprendra les anciennes limites lorsque l’absolue et indépendante souveraineté de nos Rois s’étendra jusqu’au Rhin… 4 5 Il faut avouer que c’est une question très difficile à résoudre et que le choix, quel qu’il puisse être, laissera matière de répréhension. Mais puisqu’il faut prendre parti, il semble que le plus sûr et le plus utile est la plus certaine règle dans les affaires d’état. Négociations secrètes des Traités de Westphalie, Archives des Affaires étrangères, Fonds Alsace t. 10, fo 66. Le plan du texte est logique : I) Arguments en faveur du fief 1) Avantages du fief 2) Inconvénients de la souveraineté II) 1) 2) 3) 4) Arguments en faveur de la souveraineté Avantages de la souveraineté Inconvénients des diètes L’intérêt du compromis avec les Habsbourg L’inconvénient rédhibitoire du fief. La lecture expliquée du texte pourrait être trop longue. Je préconise de l’exposer sous forme résumée au jury: I) Arguments en faveur du fief 1) Avantages du fief a) Les Allemands protestants (qui veulent secouer la tutelle de l’empereur avec l’aide de la France) sont favorables au fief car la France siègerait aux diètes (réunion des seigneurs allemands). b) Cela rapprocherait la France des seigneurs allemands hostiles à l’empereur. c) Cela permettrait au roi de France de se faire élire empereur. d) Cela faciliterait les alliances contre l’empereur. e) Cela permettrait de déjouer les complots des Habsbourg contre la France. 2) Inconvénients de la souveraineté a) La solution conviendrait aux Habsbourg (que la France veut affaiblir) b) La souveraineté empêcherait la France de devenir aussi le protecteur des Allemands catholiques II) Arguments en faveur de la souveraineté 1) Avantages de la souveraineté a) Quand on est souverain on ne dépend de personne. b) La souveraineté n’empêcherait pas de protéger les princes amis c) La souveraineté n’empêcherait pas le roi de France de devenir empereur 2) Inconvénients des diètes a) On n’y parle que de choses secondaires. b) La souveraineté n’empêcherait pas d’y envoyer un ambassadeur. 3) L’intérêt du compromis a) Préserver l’intégrité de l’Empire (pour faire plaisir aux alliés allemands) n’est pas l’objectif prioritaire de la France. 5 6 b) La solution de la souveraineté est un compromis qui satisfait à la fois les Habsbourg et la France 4) L’inconvénient rédhibitoire du fief. En cas d’extinction de la famille royale française, le fief retournerait à l’empereur. Il faut donc opter pour la souveraineté. Conclusion : L’observateur auteur du doc. 1 opte pour la souveraineté, ce que fera aussi le gouvernement français. Le traité de Westphalie (1648) cède à la France tous les droits qui, en Alsace, ont pu appartenir : - à l’empereur, - à l’Autriche, - aux landgraves de haute et basse Alsace (représentants de l’empereur) La France rétablit en Alsace la carte religieuse de la paix d’Augsbourg (1555). Les terres autrichiennes du Sundgau passent sans problème au roi de France. Mais le traité de Westphalie reste ambigu pour le reste. Le landgraviat de basse Alsace que l’empereur confiait à l’évêque de Strasbourg était honorifique, alors que le landgraviat de haute Alsace correspondait à des droits réels que la puissance habsbourgeoise avait réussi à imposer aux seigneurs de la contrée. Or Mazarin entend reprendre à son compte l’autorité des landgraves sans faire de distinction. Qu’en sera-t-il de Strasbourg et les villes libres qui dépendaient très théoriquement de l’empereur ? Ce sont les guerres qui vont forcer les décisions. Les villes libres et les seigneuries d’empire sont successivement annexées sous Louis XIV, Strasbourg en 1681. Il faut attendre le traité de Ryswick de 1697 pour que l’interprétation favorable à la France du traité de Westphalie triomphe définitivement. Il a fallu 50 ans pour imposer la frontière sur le Rhin. A noter que l’Alsace (germanophone) devient française à la même époque que la Franche-Comté, le Roussillon et le Nord-Pas-de-Calais. Une grande partie de la Lorraine (francophone) reste dans l’empire. Les Alsaciens se sentiront pleinement français lorsqu’ils pourront participer à la vie politique et citoyenne proposée à partir de la Révolution française. 6