L'ILLUSION MONETAIRE L 'inflation est exactement comme l'alcoolisme. Lorsqu' un homme se livre à une beuverie, le soir même cela lui fait du bien. Ce n'est que le lendemain qu'il se sent mal. C'est exactement la même chose pour l'inflation. Lorsqu'un pays s'engage dans un processus inflationniste, au début les gens sont euphoriques — pour un temps — parce qu'ils ne se rendent pas compte de ce qui se passe. Il se produit un « boom » et l'économie repart. Cela se paie plus tard, nous le savons, par une augmentation des prix et, à mesure que les prix augmentent, on va vers la « stagflation » que tout le monde déplore. Les choses sont tout à fait différentes lorsqu'un alcoolique essaie de s'arrêter de boire et subit une cure de désintoxication. D'abord il se sent mal et ce n'est qu'ensuite qu'il ressent les bienfaits de sa cure, il traverse un très mauvais moment avant d'aller mieux et de ne plus avoir envie de boire. De la même manière, lorsqu'un pays entreprend de lutter contre l'inflation, au début il en souffre : les effets se nomment baisse de croissance, chômage et même récession. Ce n'est que par ta suite qu'il tire profit de sa conduite. Si nous entreprenons de guérir le mal, cela entraînera inévitablement une période de ralentissement de la croissance, accompagnée d'une augmentation du chômage. La raison en est très simple. Le moyen de traiter l'inflation consiste à freiner l' ensemble des dépenses. Au début, ni l'employeur ni le producteur — pas plus que le salarié -ne savent si le ralentissement des dépenses est imputable à un événement qui le concerne directement ou qui concerne un secteur de son activité, ou encore qui touche l'ensemble de l'économie. De plus, les contrats de salaires et les contrats de vente ont été établis d'après le taux d'inflation escompté : ce taux est fixé dans les contrats. Pendant un certain temps, le freinage des dépenses a donc comme effet de réduire le volume de la production et d'entraîner un ralentissement de la croissance, jusqu'à ce que les agents économiques se persuadent qu'il y a eu baisse de la demande globale et qu'ils puissent réajuster leurs contrats. Ce réajustement met fin au processus de ralentissement et la croissance économique peut reprendre à un taux d'inflation plus faible. C'est également ce qui se produit dans l'autre sens. L'inflation ne diminue pas le chômage. Seule l'inflation qui n'a pas été anticipée — on anticipe généralement un accroissement du taux d'inflation — peut entraîner une réduction de chômage, Là encore, l'effet es! le même que celui d'un produit pharmaceutique. Au début, le malade se sent mieux grâce à de faibles doses. Mais lorsqu'il s'accoutume au médicament, les doses doivent être de plus en plus fortes. C'est la même chose pour l'inflation. Entre I960 et 1965, une inflation de 2% a constitué un stimulant pour les Etats-Unis. Aujourd'hui, une inflation de 10 ou de 12% ne suffît pas à produire le même effet. Pour qu'il y ait stimulation, il faudrait que l'inflation atteigne 15 %, C'est également vrai dans le sens inverse. Lorsque l'on freine l'inflation, au début cela entraîne un ralentissement de la croissance et de l'activité économique, mais après une période d'adaptation cela peut permettre à la croissance de reprendre; il faudrait une nouvelle réduction de la dose pour qu'il y ait à nouveau ralentissement. MILTON FRIEDMANN INFLATION ET SYSTEME MONETAIRE 1969