UNIVERSITÉ LINGUISTIQUE D'ÉTAT V. BRIOUSSOV D'EREVAN CHAIRE DE LANGUE FRANÇAISE ARAM BARLÉZIZIAN Précis de lexicologie du français moderne EREVAN – 2009 ºðºì²ÜÆ ì. ´ðÚàôêàìÆ ²Üì.²Ü Ⱥ¼ì²´²Ü²Î²Ü вزÈê²ð²Ü üð²ÜêºðºÜÆ ²Ø´ÆàÜ ²ð²Ø ´²ðȺ¼Æ¼Ú²Ü ²ñ¹Ç ýñ³Ýë»ñ»ÝÇ µ³é³·ÇïáõÃÛ³Ý Ó»éݳñÏ ºðºì²Ü 2009 1 Ce Précis de lexicologie est destiné aux étudiants qui se spécialisent dans la langue française. Il est conforme au programme en vigueur à l'Université linguistique d'État V. Brioussov d'Erévan. L'auteur tient à exprimer sa reconnaissance aux docteurs ès lettres M. Ghazarian et K. Grigorian de leur appréciation favorable. ´³é³·ÇïáõÃÛ³Ý ëáõÛÝ Ó»éݳñÏÁ ݳ˳ï»ëí³Í ¿ ýñ³Ýë»ñ»ÝÇ Ù³ëݳ·Çï³Ï³Ý µ³ÅÇÝÝ»ñÇ áõë³ÝáÕÝ»ñÇ Ñ³Ù³ñ: ²ÛÝ Ñ³Ù³ÑáõÝã ¿ ºñ¨³ÝÇ ì. ´ñÛáõëáíÇ ³Ýí³Ý å»ï³Ï³Ý É»½í³µ³Ý³Ï³Ý ѳٳÉë³ñ³ÝáõÙ ·áñÍáÕ áõëáõÙÝ³Ï³Ý Íñ³·ñÇÝ: лÕÇݳÏÝ Çñ ßÝáñѳϳÉáõÃÛáõÝÝ ¿ ѳÛïÝáõÙ µ³Ý³ëÇñ³-Ï³Ý ·ÇïáõÃÛáõÝÝ»ñÇ Ã»ÏݳÍáõÝ»ñ Ø. Ô³½³ñÛ³ÝÇÝ ¨ Î. ¶ñÇ·áñÛ³ÝÇÝ ¹ñ³Ï³Ý ·Ý³Ñ³ï³Ï³ÝÇ Ñ³Ù³ñ : 2 Table des matières 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. Objet d'étude de la lexicologie ……………………………... Le lien de la lexicologie avec les autres branches de la linguistique …………………………………………………. Le mot et ses sens …………………………………………... La motivation des mots …………………………………….. La polysémie et la monosémie des mots …………………… La restriction et l'extension du sens des mots ………………. L'amélioration et la péjoration du sens des mots …………… Tabou et euphémismes ……………………………………... La métaphore ……………………………………………….. La métonymie ………………………………………………. Formation des mots ………………………………………… Formation synthétique ……………………………………… a) affixation (préfixation, suffixation, dérivation parasynthétique) b) dérivation régressive c) abréviation d) composition Formation sémantique …………………………………. …... a) conversion b) grammaticalisation c) homonymes sémantiques Formation analytique ……………………………………….. Onomatopées ……………………………………………….. La synonymie. Les synonymes …………………………….. Les sources de la synonymie ……………………………….. Les antonymes ……………………………………………… Les homonymes …………………………………………….. La classification des homonymes …………………………... Les sources de l'homonymie ………………………………... Les paronymes ……………………………………………… Archaïsmes et néologismes. Les archaïsmes ……………….. La néologie. Les néologismes ……………………………… Les sources de néologismes ………………………………... Les emprunts ……………………………………………….. 3 5 6 8 10 15 17 19 20 22 24 26 27 38 41 42 43 46 48 50 50 53 55 56 58 60 66 24. 25. Les doublets étymologiques ………………………………... Vocabulaire français – arménien – russe de termes linguistiques ………………………………………………… 4 71 74 Objet d’étude de la lexicologie La lexicologie est l’étude du lexique (du vocabulaire) d’une langue, dans ses relations avec la phonologie, la morphologie et surtout la syntaxe, ainsi qu’avec les facteurs sociaux, culturels et psychologiques. Le terme « lexicologie » apparaît pour la première fois dans l’Encyclopédie en 17651. Il remonte à deux radicaux grecs : à lexicon signifiant « lexique, vocabulaire » et logos qui veut dire « mot, discours, étude ». L’importance des études lexicologiques est indiscutable, car le lexique est le premier à réagir aux progrès de la vie sociale, économique et culturelle. Par conséquent, il est naturel aussi qu’on juge de la richesse d’une langue d’après la richesse de son vocabulaire. Sur le plan linguistique il faut différencier les termes lexique et vocabulaire. Au sens général ils sont synonymes. Mais la linguistique oppose lexique au vocabulaire ; le terme de lexique est alors réservé à la langue, le terme de vocabulaire au discours. Les unités du lexique sont les lexèmes, pendant que les unités du discours sont les vocables et les mots. En face du mot, unité de texte, le vocable sera l’unité de lexique. Le vocabulaire désigne conventionnellement un domaine du lexique qui se prête à un inventaire et à une description. Le vocabulaire d’un texte, d’un énoncé quelconque n’est dès lors qu’un échantillon du lexique du locuteur (de son idiolecte) ou du lexique de la communauté linguistique. Traditionnellement on distingue deux types essentiels de lexicologie : diachronique (ou historique) et synchronique (ou descriptive). La première étudie le développement du vocabulaire, son évolution, alors que la dernière, au contraire, l’examine dans une période déterminée de la langue. Cependant les deux types de lexicologies se rattachent étroitement. Tout en étudiant le lexique du français de nos jours, la lexicologie synchronique s’adresse souvent aux données de la 1 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, 1751-1772. 5 lexicologie diachronique ce qui permet de mieux comprendre et expliquer l’état actuel de la langue. Le lien de la lexicologie avec les autres branches de la linguistique La lexicologie est étroitement liée aux autres branches de la linguistique. Elle se rattache à la phonétique, à la grammaire, à l’histoire de la langue et à la stylistique. Pour expliquer l’apparition des homonymes, la lexicologie s’adresse aux données de la phonétique historique, à l’évolution phonétique de la langue. lat. fides > fr. foi f lat. vices > fr. fois f lat. ficatum > fr. foie m lat. marem > fr. mer f lat. matrem > fr. mère f lat. major > fr. maire m lat. punctum > fr. point m lat. pugnus > fr. poing m etc. C’est la phonétique historique qui nous fait connaître l’origine des doublets étymologiques (mots à significations et à l’aspect phonique actuel différents, provenant étymologiquement d’un même vocable, mais introduits dans la langue française par deux voies distinctes ; populaire et savante) : mot latin auscultare pensare fragilem mot fr. d’origine populaire écouter peser frêle mot fr. d’origine savante ausculter penser fragile 6 leberare legalis livrer loyal libérer légal etc. La lexicologie se rattache aussi à la grammaire. La formation des mots est examinée à la fois par la lexicologie et la grammaire. Si la lexicologie étudie le sens lexical des mots et le rôle de ces derniers dans l’enrichissement de la langue, la grammaire a pour objet d’étude les valeurs grammaticales des éléments composants des mots et leur structure formative. Il arrive que le changement d’une catégorie grammaticale aboutisse à l’apparition d’un sens nouveau. Ainsi les verbes intransitifs devenus transitifs prennent un complément d’objet direct et changent de sens. Comparez : sortir de l’école – sortir le mouchoir de sa poche monter au deuxième – monter les bagages le printemps approche – approcher la chaise l’enfant pleure – il pleure son ami perdu les roues tournent – elle tourne la tête travailler à l’usine – travailler le bois remonter au cinquième – remonter sa montre etc. De même, nombre de mots ont un sens différent au masculin et au féminin, au singulier et au pluriel : le garde – la garde, le voile – la voile, le manche – la manche, le critique – la critique, le mémoire – la mémoire, le mode – la mode, un aide – une aide ; le ciseau – les ciseaux, la lunette – les lunettes, la vacance – les vacances, la lettre – les lettres etc. Il est impossible d’expliquer l’évolution du lexique et ses particularités sémantiques actuelles sans s’appuyer sur les données historiques, sur le passé de la langue. On trouve l’explication des mots et expressions vieillis dans l’histoire de la langue. L’apparition de nombreuses unités analytiques du vocabulaire français, conditionnée par ses tendances internes au cours des siècles, se révèle aussi dans son histoire. C’est en examinant son histoire qu’on constate que la langue, cet 7 instrument de communication entre les gens, se caractérise à la fois par la stabilité et l’évolution, l’immobilité et le mouvement. Enfin la lexicologie est en contact avec la stylistique. Nombre de faits linguistiques traités par la lexicologie sont étudiés parallèlement sous l’aspect de leur valeur stylistique : les synonymes, les archaïsmes et les néologismes, les emprunts aux langues étrangères, les argotismes et les dialectismes, les métaphores, les métonymies etc. La lexicologie tient compte de l’emploi des mots dans les divers styles langagiers. Rappelonsnous que n’importe quelle unité lexicale neutre peut prendre une valeur stylistique dans la parole, dans le contexte : la page – être à la page, tourner la page, le tonnerre – du tonnerre, etc. Le mot et ses sens En linguistique traditionnelle, le mot est un élément significatif composé d’un ou de plusieurs phonèmes1. Il est avant tout une unité sémantique. C’est par excellence à l’aide des mots qu’on exprime des notions (des concepts). Le mot est le point focal unitaire où s’opère la fusion du signifiant et du signifié2. Les mots sont le soutien et l’expression de la pensée ; ils sont également les principaux outils de la communication. Il faut distinguer avant tout les mots autonomes (mots lexicaux, mots pleins) et les mots accessoires (mots grammaticaux, mots-outils). Le mot autonome est une unité linguistique constituée d’un ou de plusieurs phonèmes ayant une signification lexicale, ainsi qu’une existence et un emploi indépendants en tant qu’unité de la syntaxe. Le mot isolé français a son accent tonique sur la dernière syllabe (conduire, lecture, profond, national, construction, etc.). 1 Jean Dubois et autres. Dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris, 1994. 2 Michel Aquien. Dictionnaire de poétique, Paris, 1993, pp. 185-186. 8 Quant aux mots accessoires, ils déterminent les rapports grammaticaux à l’intérieur de l’énoncé (il, de, et, à, pour, puisque, etc.). Bien que l’autonomie sémantique leur manque, ces éléments sont eux aussi des mots. Si l’on considère l’histoire d’un mot, on peut reconnaître son sens primitif (ou étymologique) et les sens dérivés. Dans « aller se promener au bois » le mot bois est employé dans son sens primitif. Mais dans les groupements « du bois mort, les bois d’un cerf » on trouve les sens dérivés du substantif bois. D’autre part, si le mot exprime une chose, une qualité ou une action réelle, on dit qu’il est pris au sens propre. Le sens propre d’un mot est aussi appelé sens premier. C’est à partir de ce sens que l’emploi s’étend à d’autres domaines et que le mot prend un ou des sens figuré(s). Dans la proposition « Il a mangé un fruit » le verbe manger est pris au sens propre. Mais dans « La rouille mange le fer » ou « Il a mangé son bien » il est pris au sens figuré. Le sens figuré (ou l’emploi figuré) est celui qu’un mot prend en plus de son sens propre si cet emploi résulte d’une métaphore. Comparons les expressions suivantes : « avoir une maladie de cœur » et « avoir bon cœur ». Dans la première expression le mot cœur désigne le moteur de la circulation du sang. Il est utilisé au sens propre. Dans la deuxième le cœur est employé au sens figuré. L’expression signifie « être généreux ». On distingue aussi les sens phraséologiquement liés et syntaxiquement déterminés. Le sens phraséologiquement lié s’actualise dans les groupements tout faits, dans les clichés traditionnels. Les verbes accepter, adopter, admettre sont synonymes, mais dans les groupements tels que : accepter un cadeau, un présent, une offre, une proposition ; adopter une résolution, une loi ; admettre qn dans une organisation, dans une école, dans sa famille, ils ne sont pas réciproquement remplaçables. On désire ardemment, mais on aime éperdument. Ces exemples prouvent que le sens et l’emploi des mots soulignés sont phraséologiquement liés. Quant aux sens syntaxiquement déterminés, ils s’actualisent dans les constructions syntaxiques particulières. Souvent le sens du mot dépend de l’ordre syntaxique. Nombre 9 d’adjectifs changent de sens suivant la place qu’ils occupent par rapport aux mots qu’ils déterminent : un chat noir – une noire calomnie (une calomnie odieuse) un homme brave – un brave homme (un homme honnête et bon avec simplicité) un couple heureux – un heureux hasard (un hasard favorable, avantageux) une famille pauvre – un pauvre type (un type pitoyable, lamentable) une tradition ancienne – un ancien ministre une femme triste – une triste nouvelle (une nouvelle douloureuse, affligeante, pénible). Dans les exemples cités on voit clairement que les adjectifs postposés ont généralement des sens dérivés et figurés. Beaucoup de verbes changent de sens d’après leurs rections distinctes et l’emploi de prépositions différentes : changer en (transformer, p.ex. changer en bien, en mieux) changer contre (échanger, p.ex. changer des dollars contre des euros) jouer à (jouer à la marelle) jouer de (jouer de la guitare) se mêler à (se joindre, s'unir pour former un tout, p.ex. se mêler à la foule) se mêler de (intervenir, p.ex. se mêler des affaires d'autrui) penser à (réfléchir) penser de (avoir pour opinion) veiller à qch (prendre soin, y faire grande attention) veiller sur qn (prêter grande attention à ce qu'il fait, à ce qui lui arrive, pour intervenir au besoin) La motivation des mots Il existe deux types de signes, deux types d’ensembles formés du signifiant et du signifié : les uns sont naturels, fondés 10 sur un lien intrinsèque entre signifiant et signifié, les autres sont purement conventionnels. Par conséquent on peut constater que le mot est motivé si sa forme interne est apparente, si elle se laisse facilement expliquer. Dans le cas contraire le mot n’est pas motivé, il est immotivé, non motivé, arbitraire. Il est à noter que le français moderne « a une préférence très marquée pour le mot arbitraire, isolé et indécomposable »1. On distingue quatre types essentiels de motivation des mots : a) phonique, b) morphologique, c) sémantique et d) phraséologique. Motivation phonique. Il y a deux types de motivation phonique. Le premier est une imitation directe des sons ou des bruits par des sons : brouhaha (bruit confus qui s’élève d’une foule ; le brouhaha d’une gare, d’une conversation, d’une séance parlementaire), coasser (en parlant de la grenouille ou du crapaud), croasser (en parlant du corbeau, de la corneille), croquer (broyer entre ses dents en faisant un bruit sec ; croquer un bonbon, un fruit vert), froufrou (bruit léger que produit le froissement des étoffes, des feuilles etc.; le froufrou d’une robe), glouglou fam. (bruit d’un liquide s’échappant d’une bouteille, d’un conduit), tic-tac (d’une montre), etc. Tous ces mots s’appellent des onomatopées. Et comme c’est une simple imitation des sons, on trouve souvent des formes parallèles entre les créations onomatopéiques des langues les plus différentes : coucou en français, cuckoo en anglais, cuculo en italien, Kuckuck en allemand, кукушка en russe, ÏÏáõ en arménien, etc. Le verbe français miauler a ses correspondants miaow en anglais, miagolare en italien, mauen en allemand, мяукать en russe, Ùɳí»É en arménien, etc. Le deuxième type de motivation phonique représente les cas où il n’y a pas d’imitation directe des sons par des sons, où les sons représentent des impressions sensorielles autres qu’acoustiques. Ce type de motivation est une expressivité phonique que l’on trouve le plus souvent dans la poésie, et surtout dans les œuvres des poètes symbolistes (Verlaine, Rimbaud, Mallarmé dans la littérature française, Térian et Siamanto dans la 1 S. Ullmann. Précis de sémantique française. Berne, 1952, pp. 126-127. 11 littérature arménienne). Donc, le phénomène n’est pas purement linguistique, mais plutôt littéraire et psychique au sens le plus large de ces mots. Il suffit de comparer la composition phonique des deux poèmes présentés ci-dessous pour mettre en évidence les impressions qu’ils nous font : tristes et mélancoliques, d’une part, gaies, joviales et amusantes, de l’autre. Paul Verlaine Chanson d’automne Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon cœur D’une langueur Monotone. Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure ; Et je m’en vais Au vent mauvais Qui m’emporte Deçà, delà, Pareil à la Feuille morte. Pierre Gamarra 12 Le ski Un garçon glissant sur ses skis disait : « Ah ! le ski, c’est exquis. Je me demande bien ce qui est plus commode que le ski ». Comme il filait à toute allure, un rocher se dressa soudain. Ce fut la fin de l’aventure, Il s’écria, plein de dédain. « Vraiment, je ne suis pas conquis, Je n’ai bu ni vin, ni whisky et cependant, je perds mes skis. Non, le ski, ce n’est pas exquis ». Lorsqu’une chose nous dérange, Notre vie change. Il est vrai que la perception de cette expressivité phonique dépend du niveau des compétences linguistiques de l’individu et de son appartenance à telle ou telle communauté linguistique (les sons ayant des valeurs acoustiques différentes dans les langues). Motivation morphologique. Les mots à structure morphologique apparente sont motivés morphologiquement. Ce sont les mots dérivés et composés dont la forme interne est transparente et facilement perceptible. Le mot voyageur est motivé, car il se compose du mot-racine voyage et du suffixe –eur à l’aide duquel se forment des noms d’agent. De même élevage est composé de élever et le suffixe –age. Ajoutons encore adoration, ameublement, coudoyer, égaliser, exclusion, impunément, précisément, rougeâtre, soluble etc. Voilà quelques exemples de dérivés préfixaux dans lesquels la motivation morphologique est clairement visible : antinational, coprésident, hypertension, inégale, mécontent, souligner, surcharge etc. La structure des mots composés est aussi transparente que celle des dérivés, et la motivation morphologique est évidente : brise-glace, chasse-neige, chou-fleur, clairsemé, électrochimie, nouveau-né, porte-avions, portefeuille, sourd-muet etc. 13 Il faut remarquer que la motivation morphologique n’est pas toujours absolue. Parfois elle est relative ou entièrement effacée sur le plan synchronique. Le sens étymologique des composants ayant subi avec le temps des changements, il en résulte la démotivation du mot dont le sens actuel ne s’explique plus à partir de ces parties composantes. On est en présence d’un décalage entre l’étymologie et la signification courante du mot. Le composé beaucoup n’est plus perçu par les locuteurs comme l’union de beau et coup. De même embonpoint (état d’un corps bien en chair, un peu gras) vient de en bon point dont le sens étymologique est « en bonne santé, en bon état, de bonne apparence physique ». Ajoutons que ce ne sont pas tous les mots dérivés ou composés qui sont morphologiquement motivés. Souvent le sens actuel du mot ne se déduit pas de ses éléments composants, c'està-dire il n’est pas transparent. Bien que le morphème racine soit le même dans les séries des dérivés suivants, on ne trouve pas d’affinités sémantiques entre eux : prendre, apprendre, comprendre, entreprendre, surprendre ; mettre, commettre, démettre, permettre, promettre etc. De même, le sens de chacun des composés tels que basse-cour (cour, bâtiment d’une ferme où l’on élève la volaille et les lapins), chienlit (désordre, pagaille, confusion), coq-à-l’âne (passage sans transition et sans motif d’un sujet à un autre), surhomme (être humain pourvu de dons intellectuels ou physique exceptionnels) etc. ne reflète pas l’ensemble des acceptions des mots-racines à partir desquels le mot est formé. Donc, on est en présence du processus de démotivation, de décalage entre le sens étymologique des éléments composants et le sens réel du mot dans l’époque actuelle dû à l’oubli de la signification primitive du morphème ou à son emploi métaphorique. Il ne faut pas oublier que le sentiment étymologique des sujets parlants n’est pas le même. Il varie selon les connaissances linguistiques et la réaction des usagers de la langue. Motivation sémantique. La motivation sémantique est le résultat d’un emploi figuré du sens propre du mot. En ce cas-là nous dirons que le mot est sémantiquement motivé dans son sens 14 dérivé. C’est une transposition instantanée. On perçoit une similitude, un trait de ressemblance, ou on évoque un rapport quelconque, et la transposition s’effectue spontanément : une feuille d’arbre et une feuille de papier, la racine d’un arbre et la racine du mal, un homme sourd et une sourde irritation, etc. Les noms de certains animaux en sont aussi la preuve, quand on les emploie par une sorte d’analogie qui existe entre l’animal et l’homme. Un individu à l’esprit borné, incapable de rien comprendre est appelé âne, un homme rusé est un renard, une personne cruelle, impitoyable est un tigre etc. Dans ces exemples c’est l’emploi métaphorique qui fournit le lien sémantique. Quand on dit « Au musée nous avons admiré un magnifique Renoir » ou « Il joue du Chopin », c’est déjà l’emploi métonymique qui crée le rapport. Grâce à ces emplois métaphoriques et métonymiques les mots cités ci-dessus deviennent sémantiquement motivés. Motivation phraséologique. Une locution phraséologique est motivée si son sens global découle de ses parties composantes. Dans le cas contraire elle est immotivée. Comparez les locutions à pas de velours (à pas muets), au beau milieu, ne pas voir plus loin que le bout de son nez, c’est à prendre ou à laisser, courir à toutes jambes, être dans une misère noire qui sont motivées, et agir de concert (agir en accord), être né coiffé (avoir de la chance), avoir du front (être impertinent, être insolent), battre froid à qn (recevoir qn avec froideur, sans empressement), prendre (mettre) des gants, fam. (agir avec ménagement, avec précaution), prendre en grippe (avoir une antipathie soudaine contre qn ou qch) qui ne sont pas phraséologiquement motivées. Il y a aussi des cas intermédiaires, comme laver son linge sale en famille (régler ses différends entre soi, sans témoin), faire d’une mouche un éléphant (exagérer démesurément), être un sot en trois lettres (être trop bête), etc. Il est à ajouter que la perception d’une locution dépend en grande partie du savoir linguistique et de l’intuition de l’individu. 15 La polysémie et la monosémie des mots Polysémie est un terme tiré par le linguiste français Michel Bréal du grec et employé pour la première fois dans son livre « Essai de sémantique » (Paris, 1897) qui constitue le projet d’une nouvelle partie de la linguistique, la sémantique. M. Bréal est considéré, à juste titre, comme le fondateur de la sémantique lexicale. Voilà la description du phénomène qu’on trouve dans son livre : « A mesure qu’une signification nouvelle est donnée au mot, il a l’air de se multiplier et de produire des exemplaires nouveaux, semblables de forme, mais différents de valeur. Nous appellerons ce phénomène de multiplication, la polysémie »1. La polysémie est la propriété du mot d’avoir simultanément des sens différents à une époque déterminée. Le mot est alors dit polysémique. Le concept de polysémie s’inscrit avant tout dans l’opposition entre polysémie et monosémie (terme aussi créé par M. Bréal). La polysémie est en rapport avec la fréquence des unités : les mots les plus fréquemment utilisés sont le plus souvent polysémiques. En revanche, la monosémie caractérise surtout les vocabulaires scientifiques et techniques, ainsi que les mots désignant « des objets ou phénomènes faisant partie de quelque classe plus ou moins restreinte formant variété par rapport à l’espèce ou espèce par rapport au genre »2 : par exemple, bière, canari, concombre, euro, judo, jument, perceneige, remerciement, saule, tornade etc. On peut dire avec S. Ullmann que « notion purement synchronique, la polysémie implique d’importantes conséquences d’ordre diachronique : les mots peuvent acquérir des acceptions nouvelles sans perdre leur sens primitif. Sur le plan synchronique l’importance du phénomène est aussi très considérable : elle affecte toute l’économie du langage. Si nous avions des termes séparés pour chaque notion, le fardeau mémoriel deviendrait insupportable. La polysémie nous permet d’exploiter 1 2 M. Bréal. Essai de sémantique. Paris, 1897, pp. 143-144. N. Lopatnikova, N. Movchovitch. Lexicologie du français moderne. Moscou, 1971, p. 149. 16 rationnellement le potentiel des mots, en leur rattachant plusieurs sens distincts »1. Les acceptions d’un mot polysémique se groupent autour d’un noyau sémantique qu’on peut considérer comme l’invariant sémantique du mot, et les différentes acceptions qui se trouvent en corrélation – ses variantes lexico-sémantiques. Ainsi, on trouve dans la structure sémantique d’un mot polysémique son sens fondamental (de base, essentiel, primitif) et ses sens secondaires (sens dérivés). Mais quoique les mots soient généralement polysémiques, ils prennent un sens concret et bien déterminé dans le contexte (dans la parole) où ils sont toujours monosémiques. C’est le contexte, à l’intérieur duquel se situe un élément linguistique, qui crée sa monosémie, qui sélectionne son sens, sa valeur. Donc, le mot est polysémique et monosémique à la fois. Il est polysémique en tant qu’unité de la langue et monosémique en tant qu’unité de la parole où s’actualisent ses sens latents. Et c’est grâce à cela que la polysémie du mot ne pose pas de problème, et que les gens n’éprouvent aucune difficulté à se comprendre. Privé de contexte le mot acte, en dehors de son sens général, est ambigu : s’agit-il d’un acte de naissance, d’un acte juridique, d’un acte de vente (de donation, de partage etc.) ou d’autres encore ? Un adjectif simple comme vert prête à équivoque : cf. un feuillage vert, un vieillard encore vert, du vin vert, la langue verte (l’argot), le tourisme vert (rural), une verte réprimande, etc. La polysémie est particulièrement propre aux substantifs et aux verbes français, puis viennent se placer par ordre décroissant les adjectifs, les adverbes et les mots-outils. Quant à la monosémie, il a été déjà mentionné que la plupart des termes appartenant aux terminologies scientifiques et techniques n’ont qu’un sens : asperseur, auditeur (personne chargée de l’audit), autodirecteur, distributionnel, Internet, laryngologie, multiconduc-teur, etc. La monosémie d’un terme scientifique est une des conditions nécessaires de son meilleur fonctionnement dans le cadre d’une terminologie déterminée. 1 S. Ullmann. Précis de sémantique française. Berne, 1952, p. 199. 17 La restriction et l’extension du sens des mots La restriction et l’extension du sens des mots sont deux moyens essentiels de l’évolution du sens. Il arrive parfois qu’un mot commence à exprimer une notion plus restreinte. C’est la restriction du sens ou le passage d’une notion de genre à une notion d’espèce. On l’appelle aussi spécialisation. En voilà quelques exemples. Viande signifiait autrefois « tout aliment dont se nourrit l’homme » ; aujourd’hui il signifie « chair des animaux de boucherie et des oiseaux dont se nourrit l’homme ». Pondre (issu du latin ponere) avait primitivement le sens de « poser, déposer ». Il signifie aujourd’hui « déposer, faire ses œufs, en parlant d’une femelle d’ovipare ». On voit non seulement que le sens a rétréci, mais encore que cette restriction s’est effectuée dans le monde agricole (spécialisation). Labourer (du latin laborare) avait le sens de travailler n’importe quoi, le bois, un métal, une matière première, la terre. De nos jours labourer ne s’emploie qu’en parlant de la terre. Voiture qui désignait étymologiquement tout moyen de transport, s’emploie aujourd’hui en parlant d’une automobile. La restriction du sens est surtout propre aux différentes terminologies spéciales. On accentue alors la spécialisation de tel ou tel mot. Lieutenant avait le sens de « remplaçant tenant le lieu de qn », mais aujourd’hui c’est un officier subalterne des armées de terre et de l’air. Le mot officier, à son tour, avait à l’origine un sens beaucoup plus large et signifiait « titulaire d’un office ». De nos jours il s’emploie couramment dans la terminologie militaire. L’extension du sens d’un mot est le mouvement contraire de la restriction. C’est l’action d’étendre la signification du mot. On l’appelle aussi élargissement et généralisation, car le mot commence à désigner une notion plus large, plus générale, moins spécialisée, moins particulière. 18 Arriver (du lat. vulg. arripare, de ad et ripa, toucher la rive, le bord, atteindre la rive) a élargi son sens et signifie « atteindre un point quelconque ». Panier (du lat. panarium) était une corbeille destinée à porter le pain, aujourd’hui c’est un ustensile servant à contenir ou à transporter toute sorte de provisions et marchandises ; il est devenu, ainsi, le synonyme du mot corbeille. Généralement ces deux procès sémantiques n’amènent pas à la polysémie. Donc il ne faut pas les confondre avec la polysémie lexicale, car il ne s’agit pas de l’apparition d’une nouvelle acception du mot. C’est plutôt la restriction ou l’extension du domaine, de la sphère de l’emploi du mot. Le passage d’un assez grand nombre de termes spéciaux dans le vocabulaire politique et économique en est la preuve : camp, climat, contexte, crise, débloquer, lutte, orientation, transparence, etc. 19 L’amélioration et la péjoration du sens des mots L’amélioration et la péjoration du sens sont deux tendances contradictoires qui coexistent dans l’évolution du langage. Il arrive qu’au cours de cette évolution des mots ayant primitivement un sens neutre ou péjoratif « s’ennoblissent » et commencent à désigner une qualité positive, prennent une nuance favorable. C’est l’amélioration du sens des mots. Le verbe réussir employé avec les noms de choses signifie « avoir une issue, aboutir à un résultat bon ou mauvais » : p. ex. entreprise, projet qui réussit bien ou qui réussit mal, qui échoue. Mais le sens le plus courant du mot est devenu « avoir une heureuse issue, un bon résultat, atteindre ce qu’on cherchait » (son affaire réussit, ce film a réussi, un homme entreprenant réussit mieux). Regretter signifiait au moyen âge « se lamenter sur un mort ». Aujourd’hui ce verbe a le sens de « ressentir comme un manque douloureux l’absence de » (regretter sa jeunesse, le temps passé, son bonheur perdu). Le substantif ministre signifiait autrefois « serviteur, personne chargée d’une fonction, d’un office, personne qu’on utilisait pour l’accomplissement de qch ». De nos jours un ministre est un agent supérieur du pouvoir exécutif. En ancien français le mot succès était un substantif ayant le sens neutre de « résultat, issue », et qu’on employait dans des combinaisons telles que un bon succès, un mauvais succès. Plus tard le mot a pris le sens de réussite, de caractère favorable de ce qui arrive, d’heureux résultat (d’une entreprise, d’une décision, d’une suite d’événements). La péjoration du sens est le phénomène contraire de l’amélioration. C’est un ajout d’une valeur péjorative à un mot, un changement sémantique par lequel un terme prend un sens péjoratif. Le mot rustre qui signifiait autrefois paysan, villageois, a subi une péjoration de sens et s’emploie pour désigner un homme grossier et brutal. Jusqu’au XVIe siècle garce avait le sens de « jeune fille ». Aujourd’hui c’est une fille de mauvaise vie. On trouve une évolution analogue dans la sémantique du mot fille (dans certains contextes c’est une jeune femme qui mène une vie de débauche, une prostituée). Le mot sou est issu du bas latin 20 sol(i)dus « pièce d’or ». C’était une monnaie à valeur stable, solide, plus tard « monnaie de petite valeur ». 21 Tabou et euphémismes Le mot tabou est d’origine polynésienne signifiant « sacré » et « interdit ». Il s’applique aux personnes, aux animaux et aux choses frappés d’interdiction due à des contraintes religieuses ou sociales et les rend, ainsi, inviolables. Par superstition ou par crainte d’appeler un malheur les peuples primitifs évitaient de prononcer nombre de mots considérés comme « sacrés ». Le nom d’un chef de tribu, p.ex., devenant « tabou » après sa mort. De même, il était interdit de prononcer les noms de certains animaux ou objets. Le célèbre linguiste français J.Vendryes écrit à ce propos : « Il y a en irlandais une douzaine de noms pour l’ours et autant pour le saumon : ce sont deux animaux que l’imagination populaire avait fait tabous. En général, les animaux que l’on chasse sont investis de pouvoirs magiques : nombreux sont les tabous des chasseurs. Aussi les animaux sauvages sont-ils souvent désignés par des synonymes »1. Les tabous ont disparu dans la société civilisée, mais ils ont laissé des traces sous forme d’euphémismes. Le terme euphémisme est d’origine grecque, eu – bien et phêmê – parole. Dans toute communauté il y a des notions qu’on évite de nommer directement. On a donc recours à toutes sortes de circonlocutions, de substitutions et d’allusions pour atténuer ou voiler l’expression de certaines idées ou de certains faits dont la crudité aurait quelque chose de brutal, de désagréable ou de malséant. L’euphémisme est dicté tantôt par la décence, la politesse, la prudence, tantôt par quelque crainte superstitieuse. Par conséquent, l’interdiction frappe deux grandes catégories de notions : a) euphémismes de superstition, b) euphémismes de décence, de politesse. J. Vendryes. Le langage. Introduction linguistique à l’histoire. Paris, 1921, p. 259. 1 22 Les euphémismes de superstition sont moins nombreux en comparaison avec ceux de décence ou de politesse. Par exemple, on remplace volontiers par des périphrases euphémiques tout ce qui se rapporte à la mort. Si on ne peut rien changer à la réalité brutale, on veut au moins essayer de la représenter sous un jour moins cruel. Alors on évite le mot mort et on le remplace par des périphrases, tels que : l’éternel repos, l’éternel sommeil, le grand voyage, l’adieu suprême, le départ sans retour, etc. Les euphémismes de décence ou de politesse sont sans doute moins anciens. Et si les euphémismes de superstition perdent constamment du terrain, le nombre des euphémismes de décence va toujours en augmentant. On voile les vices et les défauts, les crimes et leur punition. Les périphrases humoristiques pour désigner l’ivresse sont innombrables : être un peu gris (gai, attendri, ému), avoir du vent dans les voiles, se donner un coup de soleil, être parti pour la gloire, être dans les vignes du Seigneur, se salir le nez, ne pas trouver son niveau, etc. Le manque d’argent s’exprime de manières suivantes : avoir un flux de bourse, loger le diable dans son porte-monnaie, tirer le diable par la queue. Au lieu de dire voler on emploie commettre une indélicatesse, travailler, opérer, ne pas avoir les mains dans les poches ; il est plus poli de dire simple, innocent, naïf que bête ; au lieu d’employer le verbe mentir on dit inventer ou déformer la vérité qui sont moins choquants. On préfère dire « une dame d’un certain âge » qu’ « une dame âgée ». La grande époque de la pruderie linguistique était celle des Précieuses au 17e siècle qui faisaient la chasse aux termes « déshonnêtes ». L’interdiction s’étendait aux termes les plus divers. En voilà quelques exemples : le balai – l’instrument de la propreté la chemise – la campagne perpétuelle des morts et des vivants les dents – l’ameublement de la bouche l’eau – l’élément liquide être enrhumé – avoir un écoulement du nez l’ongle – le plaisir innocent de la chair les oreilles – les portes de l’entendement le mariage – l’amour fini, l’abîme de la liberté 23 la nuit – la mère du silence la guerre – la mère du désordre, etc. Il est naturel que ces euphémismes sophistiqués furent de courte durée, car ils n’enrichissaient point le lexique du français. La métaphore La métaphore est un trope qui joue un grand rôle dans la création lexicale. Le mot « métaphore » est d’origine grecque métaphora qui signifie « transfert », « transport ». Le terme est utilisé par Aristote dans la Poétique. Actuellement il est employé en sémantique lexicale pour dénommer le résultat de la substitution d’un lexème par un autre, basée sur une association de ressemblance, de similitude. Autrement dit, c’est une substitution par analogie. Donc pour rapprocher deux objets ou phénomènes il faut qu’existe un trait commun entre eux. C’est pourquoi on définit souvent la métaphore comme une espèce de comparaison en raccourci, condensée dans un seul mot où l’un des deux termes de la comparaison, et surtout tout terme comparatif (comme, ainsi, de même, tel, etc.) est absent : « cette fillette est bavarde comme une pie », « cette fillette est une vraie pie ». Les métaphores sont soumises au temps. L’image ne tarde pas à perdre la fraîcheur, la nouveauté. On parle alors de « métaphores lexicalisées » ou de « métaphores linguistiques » dont le caractère métaphorique a complètement disparu. Ainsi nombre de métaphores qu’on suppose originellement figurées deviennent par l’usure perçues comme littérales : « froid » s’accorde normalement avec la température et le tempérament. Il s’ensuit que beaucoup de sens figurés ne sont que des métaphores usées. La métaphore procède toujours par extension de sens et dans la plupart des cas du concret vers l’abstrait : une source d’eau – une source de chagrin. La lexicologie s’intéresse aux types suivants de la métaphore : 24 a) métaphores anthropomorphiques, quand le nom d’un organe humain est employé pour désigner un objet inanimé : le bras d’un siège, le bras d’un fleuve, la bouche d’un fleuve, les dents du peigne, l’œil d’une aiguille, le pied d’un verre, le pied d’une montagne, la tête de l’épingle, la tête d’un arbre, la tête d’un cortège ; b) quand les noms d’objets inanimés ou de plantes sont appliqués à des organes humains : bassin, colonne vertébrale, épine dorsale, pomme d’Adam, prunelle ; c) quand les noms d’animaux passent à des objets inanimés : bélier (hydraulique), chenille, chevalet, chien (d’un fusil), chiendent, dent-de-lion, grue, œil-de-bœuf, serpentine ; il arrive que le nom d’un animal s’emploie pour désigner l’homme, le plus souvent avec une nuance péjorative : un cochon (quel cochon ! c’est un vieux cochon), faucon (employé dans la politique), lion (c’est un lion = c’est une personne courageuse), une oie (personne très sotte, niaise), une pie (une personne très bavarde), un renard (un vieux renard, un fin renard = une personne rusée) ; d) quand l’apparition de la métaphore est due à des transpositions sensorielles. S.Ullmann écrit à ce propos : « Un type très fréquent de métaphore conjugue deux domaines sensoriels différents. On dit couramment : une couleur chaude, une voix chaude, bien que la chaleur soit un phénomène de température inapplicable à des impressions visuelles ou acoustiques. De même on parle de voix claire et sombre, de couleurs et de sons nourris, de couleurs criardes, de bruits aigus, d’odeurs grasses et lourdes, etc. Certains adjectifs se prêtent à des transpositions en tous sens : doux, appliqué proprement au goût, se dit aussi d’un bruit, d’un regard, du vent. … Certains gens associent les sons à des couleurs ; Franz Liszt p. ex. 25 surprenait son orchestre à Weimar en demandant qu’on fît une certaine note plus bleue »1. Propre à la rhétorique et à la stylistique discursive, les particularités de la métaphore sont étudiées d’une manière plus détaillée par la stylistique et la sémiotique, car « le lexème métaphorique se présente comme une virtualité de lectures multiples »2. La métonymie La métonymie est un important facteur de création lexicale. Le terme métonymie est d’origine grecque : meta – changement et onoma – nom, « changement de nom ». La métonymie, comme la métaphore, repose sur une association entre deux idées. Mais ici les deux sens ne se ressemblent point. Un mot est remplacé par un autre qui est lié au premier par un rapport de contiguïté externe, donné dans la réalité. Donc, en comparaison avec les rapports métaphoriques les rapports métonymiques sont plus réels, plus concrets, plus objectifs. Le lien entre les deux termes réunis par métonymie est extrêmement varié. La métonymie peut prendre : 1) La partie pour le tout ou, inversement (et plus rarement), le tout pour la partie. Ce genre de métonymie est appelé synecdoque : une bonne tête, une mauvaise langue, une barbe grise, un gros bonnet, une voile à l’horizon, etc. Les cas où le tout donne son nom à la partie sont plus rares : un sac en vache (en cuir de vache), un manteau à col d’hermine (en fourrure d’hermine), chaussures, gants de chevreau (en peau de chevreau), etc. 1 S. Ullmann. Précis de sémantique française, Berne, 1952., p. 283. A. Greimas, J. Courtés. Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, 1993, p. 226. 2 26 2) L’instrument pour l’instrumentaliste : le premier violon de l’orchestre, le trompette joue bien, les tambours du régiment, etc. 3) Le contenant pour le contenu ou le contenu pour le contenant : la salle applaudit (pour les spectateurs), alerter la ville (les habitants), boire un verre (le contenu d’un verre), aimer la bouteille (aimer son contenu, aimer les boissons alcoolisées). Les cas où le contenu sert à dénommer le contenant sont moins nombreux : deux cafés (deux tasses de café), s’il vous plaît, un martini rouge ! (un verre de martini rouge), etc. 4) Le nom du lieu pour le produit qui y est fabriqué. En ce cas-là la métonymie établit un lien entre l’objet et son origine : un bordeaux blanc, du cognac, du camembert (sorte de fromage), du champagne, un armagnac (eau-devie de raisin que l’on produit à l’Armagnac), du bourgogne (vin des vignobles de Bourgogne), etc. 5) La matière pour l’objet : un fer (une épée, un fer à cheval, un fer à repasser), un marbre (statue de marbre), un verre (verre de thé, de montre, de lampe, verres optiques, verres de contacts), un bronze (objet d’art, surtout sculpté, en bronze), etc. 6) Le nom de l’inventeur, de l’auteur pour son œuvre, le nom du producteur pour le produit : une mansarde (du nom de l’architecte Mansart), une guillotine (du nom du médecin Guillotin), un magnifique Manet, j’ai lu Hugo, il joue du Chopin, etc. 7) Le nom propre pour le nom commun : un gavroche (du nom d’un personnage des Misérables de V. Hugo, gamin de Paris, malicieux et frondeur), harpagon (du nom de l’Avare de Molière, homme d’une grande avarice), tartuffe (d’une comédie de Molière, personne hypocrite), etc. 8) L’action pour le résultat, lorsque les noms d’action deviennent des objets matériels. Les mots abstraits tendent à se concrétiser et à se particulariser : une addition (le nom de l’action d’ajouter, d’additionner, et de la première des quatre opérations fondamentales de l’arithmétique commence à désigner la note de dépenses au café, au 27 restaurant). De même la récolte signifie le produit, le résultat de la cueillette et non pas seulement l’action de cueillir elle-même. Ajoutons encore consommation (action de consommer et ce qu’un client commande au café), fonte (action de fondre et alliage de fer et de carbone), ouverture (action d’ouvrir et fente, trou, espace vide dans un corps). Parfois le nom de l’action désigne l’agent (une aide – un aide, la garde – le garde), ou le lieu de l’action (une entrée, une sortie, un passage). 9) Le nom d’une qualité abstraite pour la personne ou la chose qui la possèdent : une beauté, une célébrité, un talent, une curiosité, une nouveauté, etc. Si les transpositions métaphoriques se dirigent le plus souvent du concret vers l’abstrait, dans la métonymie l’évolution en sens inverse est plus fréquente. Formation de mots On appelle formation de mots l’ensemble de processus morphosyntaxiques permettant la création d’unités nouvelles à partir de morphèmes lexicaux. Le morphème est la plus petite unité lexicale significative. La création des unités lexicales françaises se réalise à l’aide des procédés suivants : I. Formation synthétique : a) affixation (préfixation, suffixation, dérivation parasynthétique), b) dérivation régressive, c) abréviation, d) composition. II. Formation sémantique : a) conversion ou dérivation impropre, b) grammaticalisation, c) homonymes sémantiques. 28 III. IV. Formation analytique. Onomatopées. 29 I. Formation synthétique a) L’affixation consiste à créer des mots nouveaux par l’adjonction d’affixes à un radical. C’est un procédé de formation de mots nouveaux bien vivant et d’une productivité considérable dans le français contemporain. La préfixation. On appelle préfixe un morphème qui précède l’élément radical (faire - refaire). À la différence du suffixe, le préfixe ne permet pas à l’unité lexicale nouvelle le changement de classe grammaticale. Le préfixe sert à créer des mots nouveaux dans le cadre de la même partie du discours : intervenir est verbe comme venir, désespoir est substantif comme espoir, impatient est adjectif comme patient, etc. Il y a de rares exceptions formées surtout avec le préfixe anti- qui s’ajoutant aux substantifs forme des adjectifs : char m – antichar adj (qui s’oppose à l’action des blindés, p.ex. missiles antichars), ride f – antirides adj (qui prévient ou combat les rides, p. ex. crème antirides), roulis m – antiroulis adj (qui tend à diminuer l’amplitude ou à s’opposer à l’apparition du roulis, p. ex. paquebot, avion équipé d’un dispositif antiroulis), satellite m – antisatellite adj (qui s’oppose à l’utilisation militaire des satellites artificiels par l’adversaire), etc. Les préfixes sont sémantiquement moins spécialisés que les suffixes, c’est pourquoi le même préfixe peut se joindre à des radicaux appartenant aux différentes parties du discours. Par ex. le préfixe pré- s’ajoute aux verbes, aux substantifs et aux adjectifs simultanément : prédire, prédisposer, prédéterminer, prépayer ; préavis, préfinancement, préromantisme ; préconçu, précuit, préélectoral, préscolaire, etc. En français la préfixation est surtout productive dans la formation des verbes, des substantifs et des adjectifs. Il faut ajouter encore qu’un assez grand nombre de préfixes sont d’origine savante (latine ou grecque) ; anti-, pro-, rétro-, syn-, trans-, super-, etc. Inventaire non exhaustif des préfixes d’un emploi courant 30 anti- : antibiotique, anticonstitutionnel, antidrogue, antihygiénique, antipoison, antiseptique, antisida, antivirus ; auto- : autoaccusation, autobiographie, autobronzant, autocassable, autodéfense, autoforma-tion, autoportrait ; co-, com-, coaccusé, coassocié, cohabiter, coprésident ; combattre, comporter, composer, compresser ; concentrer, concitoyen, confédéra-tion ; con- : contre- : contre-attaque, contravis, contrebalancer, contredire, contre-indication, contremesure, contrepoids ; dé-, dés-, dis- : déboucher, débrancher, décapiter, décharger, décourager, dégeler, dégoûter ; désaccord, désagréable, déshonorer, désinfecter, désin-téresser, désunir ; discréditer, disharmonie, disparaître, dissemblable ; en-, em-, in-, im : encourager, enfermer, enlever, enregistrer, entasser ; embarquer, embaumer, embellir, emmener, emporter ; inacceptable, inachevé, incapable, incomplet, incroyable ; imbu-vable, immangeable, immuable, impardonnable, importer ; entre-, inter- : entrecouper, entremêler, entreposer, entre-prendre, entretenir ; interactif, interbancaire, interchangeable, international, interposer ; 31 extra- : extraconjugal, extrafort, extraordinaire, extraparlementaire, extraterrestre ; hyper- : hyperactivité, hypersécrétion, hypertension ; intra- : intracommunautaire, intra-musculaire, intraveineux ; mé-, més- : mécompte, mécontent, médire, se méfier, se méprendre ; mésallier, mésaventure, mésen-tente, mésestimer, mésintelligence ; mono- : monocellulaire, monoculture, monographie, monolingue, monoparental, monosperme, monothéisme, monovalent ; pluri- : pluriculturel, pluridisciplinaire, pluriethnique, plurilatéral, plurilingue, plurivalent ; poly- : polyarthrite, polyclinique, polyculture, poly-pétale, polytechnique ; post- : postcure, postdater, postdoctoral, postopé-ratoire, postposer, postscolaire ; pré- : préhistorique, préolympique, prépaiement, présélection, présupposer ; re-, ré-, r- : rebâtir, recaler, recommander, recommencer, reprendre, reproduire, reprogrammer ; ré-affirmer, réagir, réarmer, réévaluation, réim-primer, hypernerveux, hypersensible, intramoléculaire, intra-utérin, 32 réunir ; raffoler, rajouter, rapprocher, remplir, rouvrir ; sou-, sous-, sub- : soucoupe, soulever, souligner, soutenir ; sous-alimentation, sous-classe, sous-commission, sous-développé ; subconscience, subdiviser, subnarcose, subtropical ; sur-, super- : surconsommation, surdose, surévaluation, surnatalité, surpeuplé ; superchampion, su-perfin, supermarché, superposer, superstar ; trans- : transatlantique, transplanter, transporter ; ultra- : ultrachic, ultramoderne, ultraplat, ultrapression, ultrasensible, ultraviolet, etc. La synonymie et l’antonymie sont fréquentes dans la classe des préfixes : hyper- et sur- sont synonymes et marquent l’excès dans hypersensible et surpeuplé ; bi- et di- expriment la dualité dans bipède (qui a deux pieds, qui marche sur deux pieds) et diptère (qui a deux ailes) ; multi- et pluri- sont synonymes dans multiculturel et pluriculturel, etc. D’autres préfixes sont antonymes : embarquement hypertension plurilingue monovalent débarquement hypotension monolingue polyvalent Dans certains emplois quelques préfixes sont dépourvus de toute signification. C’est le cas de re-, pro-, per-, com-, de-, in, ex- dans regarder, recueillir, repasser, reconnaître, ressembler, promettre, permettre, commettre, commander, demander, incident, expérience, etc. Dans les exemples cités le sens du préfixe s’est complètement effacé. La suffixation. La suffixation c’est la formation des mots à l’aide d’un suffixe. Le suffixe est un affixe qui s’ajoute à la fin d’un radical ou d’un mot pour former un autre mot. 33 Comme les préfixes, les suffixes peuvent s’ajouter aux substantifs, aux adjectifs et aux verbes. En français le tableau des suffixes de substantifs est plus riche en comparaison avec ceux d’adjectifs et de verbes. La dérivation suffixale reste un moyen efficace de l’enrichissement du vocabulaire français où les suffixes sont très nombreux et d’une diversité sémantique notable. La suffixation est surtout productif dans les terminologies scientifiques et le langage de la presse où les néologismes sont souvent formés à l’aide des suffixes, tels que –able (captable, compactable), -age (ciblage, cryptage), -ation (détaxation, restructuration), -isme (élitisme, né-gationnisme), -iste (comportementaliste, deltiste, négationniste), -isation (autonomisation, précarisation, sponsorisation), -iser (crédi-biliser, précariser, sponsoriser), -ique (confortique, mercatique), -logie (futurologie, rudologie), -thèque (artothèque, logithèque) et autres. Quant à leur étymologie, les suffixes français sont d’origine latine (la majeure partie : -able, -age, -aire, -ant, -ateur, ation, -et, (-ette), -ité, -ure, etc.), de formation française (-ailler, elet, -eron, -illon, -ocher, etc.) ou d’origine étrangère (-ard, -aud, -esque, -iser, -isme, -iste, etc.). À la différence des préfixes, les suffixes, dans la plupart des cas, donnent naissance à des mots appartenant à une autre classe (à une autre partie du discours) que le mot-radical : adorer – adoration, élever – élevage, nature – naturel. Mais il existe des suffixes qui ne changent pas la classe des thèmes de formation : musique – musicien, cerise – cerisier, bras – brassard, crier – criailler, rêver – rêvasser. De même que les préfixes, certains suffixes sont synonymes : -euse dans cireuse, -ateur dans aspirateur, -oir dans arrosoir marquent l’«instrument». -able : Inventaire non exhaustif des suffixes français buvable, charitable, fiable, gérable, jetable, mangeable, pardonnable, potable, rechargeable, réutilisable, sub-stituable, urbanisable ; 34 -age : alliage, barrage, chômage, clonage, élevage, entourage, feuillage, pâturage, pilotage, servage, vernissage, vision-nage ; -aire : aéroportuaire, alimentaire, décisionnaire, élitaire, facul-taire, séculaire ; -ais, -ois : anglais, écossais, français, japonais ; berlinois, chinois, hongrois, suédois ; -ance, alliance, créance, croissance, croyance, maltraitance, -ence : obéissance, souffrance, surveillance ; concurrence, ingé-rence, préférence, référence ; - ant : aromatisant, bronzant, coopérant, démotivant, déstabilisant, dévalorisant, handicapant, innovant, irritant, perturbant, polluant ; - ateur : aspirateur, calomniateur, cultivateur, épilateur, sécateur, ventilateur ; -ation : accusation, adoration, amélioration, constatation, dépré-ciation, programmation ; -el : communicationnel, fictionnel, fréquentiel, mortel, natu-rel, situationnel, unidimensionnel ; -erie : biscuiterie, boulangerie, causerie, effronterie, fromagerie, jardinerie, maisonnerie, niaiserie, poltronnerie, sandwicherie ; -esse : faiblesse, gentillesse, hardiesse, sagesse, souplesse, tris-tesse, vieillesse ; -et, -ette : archet, filet, pauvret ; calculette, fourchette, sanisette, sucrette ; -eur, -euse : asperseur, blancheur, chercheur, décodeur, dépollueur, longueur, lourdeur, maigreur, menteur ; brodeuse, coiffeuse, friteuse, tondeuse ; -ien : éthicien, informaticien, mercaticien, musicien, roboticien, sémioticien, stylisticien ; -if : actif, connotatif, dénotatif, passif, répétitif, résistif, tar-dif ; -ifier : désertifier, électrifier, fructifier, glorifier, notifier, pla-nifier, typifier ; -isation : autonomisation, bipolarisation, déstabilisation, idéolo-gisation, informatisation, marginalisation, 35 médicalisa-tion, modernisation, numérisation, privatisation, renta-bilisation, responsabilisation ; -iser : convivialiser, déculpabiliser, digitaliser, égaliser, filia-liser, idéologiser, infantiliser, informatiser, marginaliser, médicaliser, moderniser, numériser, privatiser, rentabi-liser, responsabiliser ; -isme : alpinisme, américanisme, conformisme, égoïsme, impressionnisme, journalisme, protectionnisme, romantisme ; -iste : cariste, dentiste, écologiste, fleuriste, motoriste, trauma-tologiste, virologiste, voyagiste ; -ité : liberté, égalité, fraternité, compétitivité, dangerosité, fia-bilité, lucidité, objectivité, pluridisciplinarité, répétiti-vité, scientificité, subjectivité ; -itude : amplitude, exactitude, inquiétude, platitude, promptitude, solitude ; -logie : arménologie, manuscriptologie, méthodologie, oncolo-gie, sélénologie ; -logue : allergologue, arménologue, cosmétologue, diabétologue, endocrinologue, futurologue, océanologue, sociologue ; -ment, aboiement, agrandissement, blanchiment, enlèvement, -ement : gazouillement, groupement, hurlement, ornement, remerciement, sifflement ; -oir, -oire, arrosoir, fumoir ; baignoire, balançoire, écumoire, -atoire : mâchoire, nageoire, patinoire, rôtissoire ; déclamatoire, préparatoire ; -tique : créatique, bureaucratique, informatique, médiatique, mo-nétique, productique, robotique ; -ure : brûlure, chevelure, dorure, fourniture, garniture, gravure, pourriture, etc. Les suffixes français, comme le prouve l’inventaire présenté ci-dessus, sont extrêmement riches en nuances de sens variées et délicates qui peuvent servir de sujet pour un examen détaillé. 36 La dérivation parasynthétique. La dérivation parasynthétique c’est la formation de mots nouveaux par l’addition combinée d’un préfixe et d’un suffixe. « Préfixes et suffixes peuvent s’associer pour former des dérivés : utile, utiliser, utilisable, inutilisable, réutiliser, réutilisable. On peut même trouver deux ou trois étages successifs de préfixes ou de suffixes : désengagement, réimplantation, dénucléarisation. … On appelle ce type de dérivation la dérivation parasynthétique », écrit Henri Mittérand1. Citons encore quelques exemples de formation parasynthétique : alittéraire, enneiger, décloisonnement, déculpabilisation, défroissable, incollable, réaménagement, souterrain, etc. b) La dérivation régressive consiste à tirer d’un verbe un radical pur. Le résultat est un nom masculin ou un nom féminin terminé par e : appeler – un appel, choisir – un choix, crier – un cri, élancer – un élan, galoper – le galop, oublier – un oubli, se soucier – un souci, souffler – un souffle, soupirer – un soupir, troubler – un trouble ; adresser – une adresse, gagner – la gagne, marcher – la marche, transir – une transe, etc. Ces substantifs sont appelés « postverbaux » ou « déverbaux ». D’après certains linguistes « ce procédé de formation est fort peu productif en français moderne »2. Mais les linguistes français ne partagent pas cette opinion. En examinant la formation des dérivés régressifs Henri Bonnard écrit : « Ces mots expriment l’action (marche, appel), le résultat (accroc, paie), l’instrument (sonde, limite). C’est un procédé vivant qui donne des mots techniques (taille, chasse, plonge, embauche, déblai, report) et même des mots populaires (faire sa gratte, un casse, de la casse, c’est de la triche, faire de l’épate, de 1 2 H. Mittérand. Les mots français, Paris, 1972, pp. 43, 44. Н. Н. Лопатникова, Н. А. Мовшович, Лексикология современного французского языка, Москва, 1971, стр. 93. 37 la déprime, être en cavale). Les dérivés régressifs sont courts et de terminaisons variées »1. c) L’abréviation : L’emploi des abréviations est conditionné par le principe de l’économie de la parole, le principe du moindre effort, « par l’antinomie permanente entre les besoins communicatifs de l’homme et sa tendance à réduire au minimum son activité mentale et physique »2. On économise le temps, l’espace et l’énergie. L’abréviation est productive dans le français contemporain, surtout dans la terminologie politique, technique et les jargons professionnels. Une place à part revient au français parlé qui évite l’emploi des mots trop longs. On distingue quelques types d’abréviation lexicale. L’abréviation littérale consiste à remplacer les dénominations officielles exprimées par des groupements de mots par les initiales des mots composants. Cette espèce d’abréviation est appelée sigle (m). La langue des média et surtout celle de la presse abonde en sigles qui posent souvent des problèmes à comprendre complètement l’information. Citons quelques exemples de sigles d’emploi courant dans le français de nos jours : B.D.F. – Banque de France, B.M. – Banque mondiale, C.A. – Conseil d’administration, C.A.P.E.S. – Certificat d’aptitude pédagogique à l’enseignement secondaire, C.C.I. – Chambre de commerce et d’industrie, C.E.I. – Communauté des États indépendants, C.G.T. – Confédération générale du travail, C.I.O. – Comité international olympique, C.N.R.S. – Centre national de la recherche scientifique, C.U. – Cité universitaire, D.E.A. – Diplôme d’études approfondies, D.E.U.G. – Diplôme d’études universitaires générales, D.G. – Directeur général, E.N.A. – École nationale d’administration, F.M.I. – Fonds monétaire international, O.N.U. – Organisations des Nations unies, P.N.B. – Produit national brut, P.S. – Parti socialiste, S.A.R.L. – Société à responsabilité limitée, S.M.I.C. – Salaire minimum interprofessionnel de croissance, T.F. – 1 2 H. Bonnard, Code du français courant, Paris, 1993, p. 117. A. Martinet. Éléments de Linguistique générale, Paris, 1967, p. 176. 38 Télévision française, T.G.V. – Train à grande vitesse, T.V.A. – Taxe à la valeur ajoutée, etc. Les sigles sont toujours des substantifs. Ceux qui sont d’usage courant et qui forment un tout phonétique peuvent acquérir une autonomie telle que leur prononciation peut devenir syllabique et servir de base à la formation de mots nouveaux. C.A.P.E.S. qui se prononce comme [kap s] donne capésien (étudiant du C.A.P.E.S.), C.G.T. – cégétiste (membre de la C.G.T.), O.N.U. – onusien (fonctionnaire de l’O.N.U.), S.M.I.C. – smicard (personne payée au S.M.I.C., qui ne touche que le salaire minimum ; salarié de la catégorie la plus défavorisée), etc. Un tout autre type d’abréviations consiste à supprimer une partie du mot qui est un procédé très fréquent. Le plus souvent on conserve la première partie du mot qui est plus significative : auto (mobile), kilo (gramme), métro (politain), micro (phone), photo (graphie), télé (vision), etc. Ce procédé est appelé abréviation par apocope. Beaucoup plus rares sont les cas d’abréviations par aphérèse, c'est-à-dire par suppression de la partie initiale du mot : (auto)bus, (auto)car, (Ni)Colas, etc. L’abréviation par apocope est très répandue dans la langue familière et le langage des élèves, lycéens et étudiants : apéritif – apéro, éditorial – édito, football – foot, frigidaire – frigo, gaspillage – gaspi, manifestation – manif, mécanicien – mécano, métallurgiste – métallo, amphithéâtre – amphi, baccalauréat – bac, certificat – certif, faculté – fac, géographie – géo, laboratoire –labo, mathématiques – maths, philosophie – philo, professeur – prof, récréation – récré, etc. Il existe d’autres procédés d’abréviation moins fréquents parmi lesquels nous citerons : Vel d’hiv (le Vélodrome d’hiver), Boul’Mich’ (le Boulevard Saint-Michel à Paris), la bombe H (la bombe à hydrogène), etc. Parfois on pousse assez loin ce genre de nomination jusqu’à désigner un personnage connu : B.B. (Brigitte Bardot), N. (Napoléon), Saint-Ex (Saint-Exupéry). Certains sigles étant polysémiques leurs sens dépendent du contexte où ils sont employés. Par ex. A.V. 1. Assurance – vie B.M. 1. Banque mondiale 39 2. Avis de virement 3. Avance municipal C.B. 2. Bilan mensuel 3. Budget 1. Chèque bancaire 2. Compte bancaire 3. Cours de bourse Nombre de linguistes sont contre l’emploi abusif des abréviations qui encombrent souvent la langue de signes indéchiffrables. d) La composition consiste à réunir deux radicaux qui sont susceptibles d’avoir par eux-mêmes une autonomie dans la langue. En comparaison avec la dérivation affixale, la composition est un procédé de formation de mots moins productif en français. Toutefois elle tient une place assez considérable dans l’enrichissement de son vocabulaire. On trouve des composés parmi les substantifs, les adjectifs, les verbes, les adverbes et les mots-outils. Le groupe des substantifs composés est le plus nombreux. Les modèles essentiels sont les suivants : 1) Composés formés par apposition de deux substantifs liés par un trait d’union. Ce modèle (substantif + substantif) est très productif de nos jours : avion-cargo, avion-citerne, balaibrosse, bateau-mouche, bateau-feu (ou bateau-phare), bateaupilote, café-bar, café-concert, café-crème, café-restaurant, camion-citerne, camion-grue, chien-loup, chou-fleur, députémaire, ingénieur-électricien, plateau-repas, poids-plume, portefenêtre, roman-fleuve, tissu-éponge, wagon-lit, wagon-restaurant, etc. 2) Substantif + préposition + substantif : arc-en-ciel, boule-de-neige (arbuste à fleurs blanches en pompons), croc-enjambe, eau-de-vie, gueule-de-loup, etc. 3) Adjectif + substantif ou bien substantif + adjectif : basrelief, basse-cour, belle-fille, belle-mère, blanc-bec, bonhomme, court-circuit, court-métrage, gentilhomme, grand-duc, grand-père, 40 long-métrage, plafond, plateforme (ou plate-forme), petit-fils, rouge-gorge ; amour-propre, cerf-volant, coffre-fort, etc. 4) Adverbe + substantif ou bien préposition + substantif : arrière-cour, arrière-garde, arrière-pensée, arrière-plan, arrièresaison, avant-garde, avant-propos, avant-scène, plus-value, presqu’île ; contrepoison, sans-emploi, sans-façon, sans-parti, sous-équipement, sous-marin, sous-officier, sous-peuplement, etc. 5) Verbe + substantif : C’est le modèle le plus répandu : aide-mémoire, abat-jour, brise-glace, cache-col, casse-noisette, chasse-neige, chauffe-bain, compte-gouttes, couvre-feu, couvrelit, cure-dent, essuie-mains, garde-boue, garde-malade, gratte-ciel, lance-missile, lave-vaisselle, ouvre-boîte, pare-brise (ou parebrise), pare-chocs (ou parechoc), passe-temps, perce-neige, porte-avions, porte-bagages, porte-cigares, porte-drapeau, porteparole, pousse-café, presse-purée, tire-bouchon (ou tirebouchon), vide-ordures, etc. Il existe un grand nombre de substantifs composés formés à partir des radicaux d’origine savante, grecque ou latine : agronomie, dictaphone, magnétophone, lexicologie, télescope, radiographie, etc. La composition savante est si bien assimilée en français qu’on emploie souvent à titre d’éléments composants des mots français qui s’ajoutent aux radicaux d’origine grecque ou latine : aérogare, autoroute, bureaucratie, électrochoc, hydravion, radioactivité, radiodiffuseur, téléachat, téléspectateur, téléviseur, etc. Les adjectifs composés se forment d’après les modèles suivants : Adjectif + adjectif : Le linguiste français Henri Mittérand trouve qu’il existe « deux types, identiques par la nature des composants (adjectif + adjectif), mais distincts par leur rapport grammatical interne »1. Tantôt les deux adjectifs sont coordonnés (aigre-doux, douce-amère, sourd-muet), tantôt l’un joue par rapport à l’autre le rôle d’un adverbe (clairsemé, court-vêtu, miamusé, mi-clos, mi-sérieux, etc.). Nombre d’adjectifs formés d’après ce modèle sont de formation savante et se rapportent à la terminologie technique et 1 H. Mittérand. Les mots français, Paris, 1972, pp. 54. 41 politique : anglo-américain, électrochimique, électromagnétique, franco-italien, radioactif, radiographique, radiologique, politicomilitaire, politico-social, socio-culturel, thermocollant, thermodynamique, thermonucléaire, etc. 2) Adverbe + adjectif : bienheureux, malheureux, malpropre, malveillant, bienveillant, bien-aimé, bien-séant, etc. 3) Adjectif + participe : clairvoyant, dernier-né, mort-né, nouveau-né, etc. La composition n’est pas propre aux verbes, aux adverbes et aux mots-outils. Citons quelques exemples : Verbes composés : colporter, culbuter, maintenir, maltraiter, saupoudrer, qui sont des survivances de l’ancien français et ne sont composés que sur le plan diachronique. Adverbes composés : au-dessous, au-dessus, auparavant, aussitôt, autrefois, beaucoup, bientôt, cependant, longtemps, maintenant, par-devant, toujours, toutefois, vis-à-vis, etc. Mots-outils composés (conjonctions et préposition) : puisque, quoique, depuis, hormis, parmi, etc. II. Formation sémantique a) La conversion ou la dérivation impropre La conversion qu’on appelle aussi « dérivation impropre » (ou hypostase, dérivation implicite, dérivation à morphème zéro) désigne le processus par lequel une forme peut passer d’une classe lexico-grammaticale à une autre sans modification formelle qui amène au changement de son paradigme dérivationnel, de sa fonction syntaxique et de sa place dans la phrase, ainsi que de sa combinabilité. Dans la plupart des cas la conversion c’est le passage de l’unité lexicale d’une partie du discours à l’autre, mais parfois c’est simplement le changement de l’une des valeurs grammaticales du mot : une aide – un aide, la critique – le critique, la garde – le garde, la mémoire – le mémoire, la mode – le mode ; le ciseau – les ciseaux, la lunette – les lunettes, la menotte – les menottes, la vacance – les vacances. 42 La conversion est d’une productivité considérable dans le français de nos jours. On distingue trois types essentiels de conversion : la substantivation, l’adjectivation et l’adverbialisation. La substantivation est le type le plus fréquent. C’est grâce à l’article que n’importe quel mot appartenant à n’importe quelle partie du discours, et même des groupements de mots et des propositions entières, peuvent se substantiver : adjectifs : le beau, le bleu, le calme, le comique, un documentaire, un malade, un muet, une nouvelle, le rouge, un sourd, le sublime, le vrai ; infinitifs : le déjeuner, le devoir, le dîner, l’être, le goûter, le pouvoir, le rire, le savoir, le souper, le sourire, les vivres, le vouloir ; participes présents : un assistant, un courant, un dirigeant, une dominante, un enseignant, un étudiant, un gagnant, le gérant, un habitant, un manifestant, un mendiant, un militant, le montant, un participant, un passant, un penchant, un représentant, un sympathisant ; participes passés : une allée, un blessé, un blindé, le contenu, un déporté, un détenu, un démenti, une entrée, une étendue, un fait, une fiancée, un insurgé, un licencié, un parvenu, le passé, un permis, un reçu, la rentrée, un résumé, une tranchée, un vaincu ; adverbes : le bien, le mal, le mieux, le moins, un non, un oui, le peu, le plus, le trop ; mots-outils : le pour et le contre, les pourquoi (des enfants), trop de si et de mais ; groupements de mots et propositions entières lexicalisés : un décrochez-moi ça, un je ne sais quoi (ou je-ne-sais-quoi), un crève-la-faim, les on-dit, un pas grand’chose, le qu’en dira-t-on, un sauve-qui-peut, un va-et-vient, etc. L’adjectivation consiste à faire passer des substantifs et des participes dans la catégorie des adjectifs : substantifs adjectivés : cerise, citron, lilas, marron, orange, paille, rose, etc. qui désignent la couleur ; nœud papillon, talons aiguilles, temps record ; 43 participes présents adjectivés : amusant, assourdissant, charmant, éblouissant, ennuyant, extravagant, fatigant, obéissant, plaisant, suppliant ; participes passés adjectivés : blessé, enchanté, dissipé, gâté, perdu, précipité, résolu, salé, etc. L’adverbialisation c’est le passage des adjectifs dans la catégorie des adverbes. C’est un procédé qui gagne du terrain dans la langue française d’aujourd’hui. Ce sont essentiellement les adjectifs monosyllabes ou à deux syllabes qui remplissent la fonction des adverbes : s’arrêter net, boire frais, chanter fort, couper court, coûter cher, habiller jeune, jardiner moderne, manger gras, peser lourd, refuser net, sonner faux, tenir bon, tomber raide, travailler ferme, vendre cher, voir clair, voir trouble, voter utile, etc. b) La grammaticalisation En linguistique diachronique on parle de la grammaticalisation qui représente le passage des mots lexicaux (autonomes, significatifs, pleins) dans la catégorie des mots grammaticaux (mots-outils, mots accessoires). La grammaticalisation est un processus lent et graduel qui se poursuit au cours de l’évolution de la langue. Ainsi, le mot latin mens, mentis (à l’ablatif mente) est devenu en français un suffixe d’adverbe de manière dans absolument, doucement, impunément, précisément, etc. C’est au moyen de ce procédé que le français s’est créé un système de particules grammaticales qui a remplacé l’ancien système morphologique flexionnel. Les formes de l’article défini le, la proviennent des formes du pronom démonstratif latin illum, illam ; l’article indéfini un, une remonte aux formes du numéral unum, unam ; les particules de négation pas, point, goutte proviennent des substantifs respectifs. La préposition chez a conservé en partie son ancienne valeur de « maison, cabane » (lat. casa, subst.) : p.ex., chez moi, chez toi, avoir son chez-soi. Les prépositions pendant, suivant, durant sont des participes présents transformés en mots-outils. La préposition sauf est un ancien adjectif qui était variable en genre. Au 16e siècle on disait encore « sauve ma femme ». 44 Nombre de locutions prépositionnelles et conjonctionnelles sont basées sur l’emploi d’un substantif qui est le composant principal de la locution : en face de, à côté de, à propos de, à force de, en vue de, histoire de, de peur que, grâce à, de crainte que, au lieu de, au moyen de, de façon à, au moment où, etc. La grammaticalisation des mots lexicaux engendre parfois des homonymes : pas subst. et pas particule de négation, avoir verbe autonome et avoir verbe auxiliaire, etc. c) Les homonymes sémantiques (voir le paragraphe « Les homonymes ») III. Formation analytique La formation analytique des unités lexicales occupe une place importante dans l’enrichissement du français qui est une langue à tendances analytiques accentuées ou simplement « analytique par excellence ». F. Brunot remarque que nombre de mots synthétiques de l’ancien français sont remplacés aujourd’hui par des formations analytiques1 qui témoigne de l’orientation du français moderne vers les constructions analytiques non seulement dans son système grammatical, mais aussi dans son vocabulaire : aconter – tenir compte, acoster – mettre à côté, enuiter – faire nuit, arouter – se mettre en route, etc. On trouve des unités lexicales analytiques appartenant aux différentes parties du discours. Elles sont plus nombreuses dans la catégorie des verbes. Sont surtout nombreuses celles qui sont formées à l’aide des verbes auxiliaires avoir, faire, mettre, prendre, donner : avoir affaire, avoir besoin, avoir confiance, avoir envie, avoir peur, avoir raison, avoir de la peine ; faire alliance, faire allusion, faire appel, faire cadeau, faire effort, faire face, faire fortune, faire mal, faire signe, faire partie, faire plaisir ; mettre en cause, mettre en circulation, mettre en colère, mettre en F. Brunot. Histoire de la langue française. Tome 1 (De l’époque latine à la Renaissance), Paris, 1905, p. 144. 1 45 doute, mettre à jour, mettre en liberté, mettre au monde, mettre en œuvre, mettre en ordre, mettre sur pied, mettre en relief, mettre en vente ; prendre l’âge, prendre l’air, prendre congé, prendre conscience, prendre en considération, prendre fin, prendre froid, prendre l’habitude, prendre en mariage, prendre la mer, prendre naissance, prendre plaisir, prendre au sérieux, prendre la tête ; donner libre accès, donner libre cours, donner envie, donner l’humeur, donner la mort, donner raison, donner signe de vie, donner soif, donner sa voix. On trouve aussi des unités analytiques formées à l’aide de quelques autres verbes auxiliaires moins fréquents : porter secours, prêter l’oreille, tenir compte, tenir lieu, venir en aide, etc. On trouve aussi des formations analytiques parmi les unités appartenant aux autres parties du discours (substantifs, adjectifs, adverbes, mots-outils) : homme d’affaires, homme d’Etat, coup d’œil, coup de main, mise en œuvre, mise en scène, mise au point, banque de donnée ; de bonne qualité, de longue haleine, à dormir debout, de talent, d’or, de marbre ; sans cesse, à fond, avec soin, à voix basse ; à cause de, en face de, à côté de, en vue de, à l’égard de, alors que, après que, à condition que, grâce à, etc. C’est l’asymétrie du signe linguistique qu’on découvre dans les unités lexicales analytiques qui sont des groupements de mot d’après leur structure, et des mots d’après leur fonction. IV. Les onomatopées (voir le paragraphe « La motivation des mots »). Il reste à ajouter que ce procédé de formation de mots est d’une productivité très restreinte en français. 46 La synonymie. Les synonymes La synonymie se définit comme une identité de signifiés entre deux signes linguistiques. Il s’agit donc du type un sens – plusieurs noms (p.ex. lieu – endroit). Le locuteur cherche souvent un mot à la place d’un autre pour moins de monotonie, pour plus de précision, pour une plus grande élégance. Les synonymes sont des mots ou des expressions qui ont une même signification ou des significations très proches. D’après la relation qu’entretiennent entre eux divers termes ou expressions ayant le même sens ou un sens voisin, on distingue : a) la synonymie absolue (complète, totale) quand les unités synonymes sont interchangeables dans tous les contextes, et alors il n’y a pratiquement plus de véritables synonymes, car leurs significations sont parfaitement identiques et b) la synonymie relative (incomplète) quand les unités synonymes ont un même sens cognitif et des valeurs affectives différentes. J. Marouzeau dans son « Précis de stylistique française » fait remarquer que « Ce qui est vrai, c’est qu’il y a entre les mots des différences autres que le sens : ton, valeur, expressivité, affectivité, âge, origine, possibilité d’emploi, de constructions etc. De deux mots dits synonymes, l’un a des qualités que l’autre n’a pas, en sorte que les conditions d’emploi ne sont pas les mêmes pour l’un et pour l’autre : ne … pas est commun, ne … point littéraire (ou dialectal) ; firmament par rapport à ciel est poétique ; ouïr par rapport à entendre est archaïque ; ardu ne s’emploie pour difficile que dans certaines locutions (une tâche ardue) ; sembler s’emploie à l’exclusion de paraître dans un tour tel que : il me semble ; briser est susceptible d’un emploi métaphorique (un cœur brisé) que casser n’admet pas… »1. Ajoutons d’autres exemples : interdire est synonyme de défendre dans je te défends de sortir, mais non dans je défends mon frère ; on enveloppe ou on emballe un paquet dans un papier : on enveloppe, mais on n’emballe pas un malade dans une couverture ! 1 J. Marouzeau. Précis de stylistique française, Paris, 1959, p. 108. 47 Donc la synonymie est généralement relative, incomplète. Quant à la synonymie absolue, elle est beaucoup moins fréquente et ne se maintient pas longtemps, car le principe général de l’économie des langues veut que le pareil soit rejeté. Alors l’un des synonymes disparaît ou il prend un sens nouveau, une nuance sémantique, stylistique ou affective nouvelle. « Nous sommes tellement accoutumés à percevoir des différences de nuances, pour légères qu’elles soient, entre synonymes que l’existence de deux termes pour désigner exactement la même chose sur le même plan de style risque de dérouter la pensée »1. Généralement on trouve des synonymes « absolus » dans des contextes appartenant à différents styles langagiers (tête – mot littéraire commun et caboche, cafetière, carafe, carafon, citron, citrouille, etc. – mots argotiques) ou bien dans le cadre d’une même terminologie scientifique ou technique (consonne fricative = consonne spirante en phonétique, lexique = vocabulaire en linguistique etc.). Mais il est évident que même les synonymes dits « absolus » ou « parfaits » ne sont pas toujours identiques sur le plan du sens cognitif et de la valeur affective à la fois (p.ex. tête et ses synonymes argotiques cités ci-dessus). Les synonymes partiels se subdivisent en synonymes idéographiques et synonymes stylistiques. Les synonymes idéographiques expriment les nuances sémantiques d’une seule notion ou de plusieurs notions proches. La partie principale de leur composition sémique coïncide, ce qui les rend substituables dans une classe de contextes : p.ex. craindre et redouter qui ont le même sème de « avoir peur ». Mais dans cette composition sémique il existe aussi des sèmes qui ne sont pas identiques pour les deux lexèmes : craindre – éprouver de l’inquiétude, de la peur devant qn, qch., envisager (qn, qch.) comme dangereux, nuisible, en avoir peur (je crains qu’il ne vienne) ; redouter – craindre vivement, craindre comme très menaçant, appréhender, s’en inquiéter par avance (redouter l’avenir) 1 S. Ullmann. Précis de sémantique française, Berne, 1952, pp. 180-181. 48 Cette différence dans le contenu sémique des lexèmes les rend substituables dans certains contextes seulement, à l’exclusion des autres. C’est grâce à la coïncidence de la partie principale de la constitution sémique des mots que dans chaque série des synonymes il existe un mot exprimant de la manière la plus générale la notion représentée par toute la série. C’est la dominante (l’hyperonyme) de la série qui est la plus neutre. Par conséquent, elle a des liens sémantiques beaucoup plus larges que les autres termes de la série et jouit d’une combinabilité syntaxique extrêmement étendue. Dans les dictionnaires on trouve les traits distinctifs des mots synonymes. Soit la série de substantifs fatigue = lassitude = épuisement = affaiblissement : fatigue – sensation de lassitude causée par l’effort, l’excès de dépense physique ou intellectuelle ; lassitude – sensation de fatigue générale et vague, inaptitude à l’action et au mouvement ; épuisement – état de fatigue extrême, absence de forces, grande faiblesse physique ou morale ; affaiblissement – perte de force, abattement. La dominante de la série est le mot fatigue qui fait partie des locutions telles que être écrasé (broyé) de fatigue et prendre de la fatigue où il ne peut pas être remplacé par un de ses synonymes. Dans les séries : célèbre = connu = illustre = fameux = glorieux = légendaire ; luire = resplendir = briller = reluire ; véritablement = réellement = effectivement = vraiment = en fait les dominantes sont connu, briller, vraiment. Une des particularités de la synonymie française est la présence des unités analytiques (séparables) à côté des unités synthétiques (inséparable) conditionnée par les tendances du français moderne qui est une langue analytique par excellence. Par ex. s’abriter = se mettre à l’abri, craindre = avoir peur, finir = mettre fin, prendre fin, fuir = prendre la fuite, participer = prendre part, assurément = sans aucun doute, attentivement = avec attention, incessamment = sans cesse, lentement = avec lenteur, vite = à toute vitesse, envers = à l’égard de, pendant = au cours 49 de, pour = en vue de etc. Entre les synonymes synthétiques et analytiques il existe toujours des distinctions d’ordre sémantique et surtout grammatical, le plus souvent aspectuels. Quant aux synonymes stylistiques, ils appartiennent à différents styles du langage et traduisent les diverses nuances affectives et expressives d’une même notion. Leur étude est du domaine de la stylistique. Les sources de la synonymie Pour nuancer la pensée et pour rehausser l’expressivité de la parole on recourt à une riche variété de synonymes dont les sources sont les suivantes : 1) L’emploi métaphorique du mot. Le verbe allumer (allumer le gaz, allumer le feu) employé métaphoriquement fait partie de la série exciter = provoquer = fomenter (allumer la colère, allumer le désir, allumer la guerre). Le substantif bouton (petite excroissance d’où naissent les branches, feuilles, fruits ou fleurs d’un végétal) a pris par analogie le sens de « petite tumeur faisant saillie à la surface de la peau » et il est devenu le synonyme de papule = vésicule. L’adjectif glacial (un hiver glacial) employé au sens figuré s’ajoute à la série synonymique sans chaleur = distant = détaché = sec (un accueil glacial, un silence glacial, etc.). 2) Les euphémismes. L’adjectif bête (sot, stupide) est souvent remplacé par simple pour atténuer l’expression choquante du premier. Le mot handicapé est euphémique par rapport à infirme. Le substantif mort a son synonyme disparition qui serait moins déplaisant. La notion de vol est rendue dans certains cas par détournement (détournement de fonds, de titres, de valeurs). 3) Le langage familier et l’argot fournissent nombre de synonymes stylistiquement marqués : argent = fric, pèse, pognon, oseille, ronds avare = grigou, grippe-sou, près de ses sous, radin, rapiat beau = chouette, super, chic, du tonnerre 50 cheval = bique, bourrin, rosse, carne, bidet (qui se disent d’un mauvais cheval) charmant = épatant manger = casser la croûte, becqueter, boulotter, bouffer riche = argenté, rupin, richard, friqué, galetteux voler = chiper, faucher, piquer 4) Les emprunts aux langues étrangères qui font des paires de synonymes avec les unités lexicales françaises : angl. attaché-case = porte-documents angl. best of = compilation angl. broker = courtier angl. come-back = rentrée, retour en vogue (d’une personnalité, d’une vedette) angl. e-mail = courriel esp. fiesta = partie de plaisir, fête persan bazar = droguerie angl. leader = chef, porte-parole (d’un parti, d’un mouvement politique) ital. tifosi = supporters, fans italiens 5) Les dialectes, les parlers locaux ; espéré signifie attendu, marâtre s’emploie dans le sens de belle-mère, fieu veut dire fils, femelle est employée à la place de femme, gronder remplace parler etc. 6) Le langage poétique où l’on trouve souvent des archaïsmes appartenant au style soutenu. Par ex. destrier = cheval, courroux = colère, infortuné = malheureux etc. 7) Les doublets étymologiques qui gardent parfois une certaine communauté de sens et désignent des notions apparentées : chanteuse = cantatrice, frêle = fragile, froid = frigide, raide = rigide, sûreté = sécurité etc. 8) La formation même des mots : an = année, effrayant = effroyable, froid = froidure, fosse = fossé, jour = journée, matin = matinée, mur = muraille, soir = soirée, ennuyant = ennuyeux etc. 51 Les antonymes Les antonymes sont des mots à sens opposés, contraires. Mais pour être contraires ils doivent avoir quelque chose de commun entre eux : tomate et stylo, beau et inquiet ne peuvent pas être antonymes, car il n’ont rien de commun. Par contre, si deux lexèmes appartiennent à la même classe grammaticale (à la même partie du discours), possèdent un certain nombre de sèmes communs et se distinguent par d’autres, ils s’opposent entre eux et deviennent antonymes. Monter et descendre sont antonymes, car ils possèdent en commun le trait de « déplacement vertical » et s’opposent par les traits « vers le haut » et vers le bas ». On trouve les antonymes parmi les différentes parties du discours : beauté – laideur, vérité – mensonge, aimer – haïr, acheter – vendre, accepter – refuser, s’approcher – s’éloigner, fort – faible, chaud – froid, long – court, bien – mal, tôt – tard, etc. Dans la plupart des cas les antonymes expriment des notions qualitatives, c’est pourquoi ils sont plus fréquents dans la classe des adjectifs qualificatifs et les adverbes formés à partir de ces adjectifs : rapide – lent > rapidement – lentement, paresseux – laborieux > paresseusement – laborieusement, vif – nonchalant > vivement – nonchalamment, gai – triste > gaiement – tristement, etc. Dans les classes des substantifs et des verbes l’apparition des mots antonymes est souvent conditionnée par leur corrélation avec les adjectifs qualificatifs correspondants : riche – pauvre > richesse – pauvreté > s’enrichir – s’appauvrir léger – lourd > légèreté – lourdeur > alléger – alourdir grand – petit > grandeur – petitesse > agrandir – rapetisser, etc. Il faut distinguer les antonymes à radicaux différents et les antonymes à même radical. Certains linguistes les appellent antonymes logiques et morphologiques1. Les premiers n’ont pas 1 И. Н. Тимескова, В. А. Тархова. Лексикология современного французского языка, Леннинград, 1967, стр. 151. 52 d’indices formels d’antonymie : plein – vide, beau – laid, entrer – sortir, s’approcher – s’éloigner, vie – mort, donner – recevoir, etc. Les antonymes à même radical sont formés à l’aide des préfixes ou d’un élément du mot composé : possible – impossible, juste – injuste, agréable – désagréable, normal – anormal, national – antinational, réel – irréel, limité – illimité, apparaître – disparaître, sain – malsain, bienveillant – malveillant, etc. On trouve nombre d’antonymes parmi les unités analytiques du vocabulaire français : avoir froid – avoir chaud, avoir raison – avoir tort, être présent – être absent, faire du (le) bien – faire du (le) mal, faire de la peine – causer de la joie, etc. Il arrive parfois que le même signifiant désigne des acceptions opposées : hôte – personne qui donne l’hospitalité (maître de maison) et personne qui reçoit l’hospitalité (invité) ; louer – donner à loyer, en location et prendre à loyer, en location ; consultant – personne qui donne des consultations (médecin consultant) et personne qui prend une consultation (qui consulte un médecin). Ce phénomène linguistique est appelé énantiosémie. En parlant de l’antonymie il faut mentionner l’existence des antonymes contextuels. Dans ce cas-là il serait plus correct de signaler un emploi antonymique du mot. Dans certains contextes l’adjectif sourd (qui n’a pas d’antonyme au sens propre) pris au sens figuré devient le contraire de éclatant, sonore, aigu (un rire sourd – un rire éclatant, une voix sourde – une voix sonore, une douleur sourde – une douleur aiguë). Tout comme les synonymes, les antonymes sont souvent partiels, car les mots polysémiques peuvent avoir des antonymes dans chacune de leurs acceptions, surtout au sens figuré. L’antonyme du substantif chaleur au sens propre est froid, mais au figuré le mot chaleur signifie animation, ardeur, vivacité (accueillir avec chaleur, chaleur humaine) dont les contraires seront respectivement froideur, indifférence et nonchalance. L’emploi des antonymes est un moyen stylistique très efficace pour rendre des contrastes et créer des antithèses dans les discours oratoires et dans la langue poétique. 53 Les homonymes Le terme « homonyme » provient du grec « homos » – semblable et « onoma » – nom. Les homonymes sont des mots à prononciation identiques ayant des sens différents. On peut constater, donc, que l’homonymie est la relation d’identité située au niveau du signifiant et reconnue entre deux ou plusieurs mots dont les signifiés sont considérés comme distincts. C’est l’identité phonique (homophonie) ou l’identité graphique (homographie) des mots qui n’ont pas le même sens. L’homonymie est un phénomène très répandu en français dont la cause principale est l’évolution phonique des mots. Par ex. : mots latins mots français vermis > ver versus > vers viridis > vert vitrum > verre centum sanguem sine > > > cent sang sans Ajoutons encore quelques exemples d’homonymes : sain – saint – sein, chêne – chaîne, point – poing, poids – pois, etc. Les mots courts, surtout les monosyllabes, ont plus de chance de coïncider avec d’autres : à – (il) a, eau – au(x) – (les) os, ou – où – août, on – (ils) ont, et – (il) est – (qu’il) ait – (il) hait – haie, père – paire – pair, mettre – mètre – maître, etc. 54 La classification des homonymes On distingue tout d’abord les homonymes lexicaux et les homonymes grammaticaux. Le groupe des homonymes lexicaux comprend les mots qui appartiennent à la même partie du discours et qui ont les mêmes catégories grammaticales. La graphie des homonymes lexicaux peut être différente. Par ex., le coup – le cou – le coût le port – le porc – le pore la voix – la voie Le groupe des homonymes grammaticaux comprend les mots appartenant à la même partie du discours ayant des distinctions grammaticales. Par ex., la cour – le cours la balle – le bal la boue – le bout Mais le plus souvent les homonymes grammaticaux appartiennent à différentes parties du discours : vivre – les vivres une chaire – cher (chère) un mur – mûr(e) une faux – faux (fausse) Un des traits distinctifs de ce groupe est que les mots ne sont homonymes que dans une de leurs formes grammaticales. Par. ex., une cour – je cours – court un bond – bon le pouvoir – pouvoir un plat – plat Les homonymes se répartissent aussi en homophones, homographes et homonymes sémantiques. Les homophones sont des mots ayant la même prononciation, mais une graphie et étymologie différentes : mots latins mots français signum > sceau sitella > seau 55 saltus > saut vanus vinum viginti > > > vain vin vingt Les homographes sont des mots ayant la même graphie et la même prononciation, mais une étymologie différente : mots latins mots français laudare > louer locare > louer pensilem patellam > > poêle poêle summa somnus > > somme somme Les homonymes sémantiques ont la même prononciation et une étymologie identique. Il arrive qu’une des acceptions du mot polysémique commence à être employée métaphoriquement ou par comparaison, et l’écart entre les différentes acceptions du mot polysémique s’accroît sans cesse. Il arrive un moment où les liens sémantiques se rompent et le mot se disloque. La polysémie cède alors sa place à l’homonymie, et on se trouve en présence de deux mots indépendants. Par ex., 1. assiette emplacement, situation (l’assiette de la ville) 2. assiette pièce de vaisselle individuelle servant à contenir des aliments 1. glace 2. glace - eau congelée plaque de verre ou de cristal employée à divers usages (glace de vitrine, d’une voiture, armoire à glace, etc.) 1. goutte - très petite quantité de liquide qui prend une forme arrondie 56 2. goutte - diathèse caractérisée par des poussées inflammatoires articulatoires 1. grève - terrain plat et uni, couvert de gravier et de sable, le long de la mer ou d’un cours d’eau cessation collective et concertée de travail, décidée par les salariés 2. grève - 1. punaise 2. punaise - petit insecte à corps aplati petit clou à tête plate et ronde, à pointe courte, servant à fixer à la main des feuilles de papier sur une surface 1. rivière - cours d’eau naturel de faible ou moyenne importance qui se jette dans un autre cours d’eau collier composé de diamants 2. rivière - L’homonymie est un phénomène synchronique qui varie au cours de l’histoire. Les sources de l’homonymie 1. La source principale de l’apparition des homonymes est l’évolution phonique convergente de deux ou plusieurs formes distinctes qui aboutit à leur coïncidence : lat. punctum – fr. point lat. pugnus – fr. poing lat. panis – fr. pain lat. pinus – fr. pin 2. Le développement sémantique est une seconde source de l’homonymie. C’est l’évolution divergente des sens d’un seul mot qui donne naissance à l’apparition des homonymes 57 sémantiques (voir les exemples cités dans « La classification des homonymes »). 3. La conversion ou la dérivation impropre est une troisième source. Les cas sont différents : a) adjectivation des substantifs, une orange – une robe orange la nature – grandeur nature un enfant – être assez enfant un choc – des prix chocs une aiguille – un talon aiguille le chocolat – un teint chocolat b) substantivation des adjectifs, industriel – un industriel comprimé – un comprimé malade – un malade blessé – un blessé professionnel – un professionnel scientifique – un scientifique quotidien – un quotidien c) adverbialisation des adjectifs, clair – parler clair court – couper court faux – sonner faux fort – sentir fort jeune – s’habiller jeune sec – freiner sec d) changement du genre ou du nombre des substantifs, une aide – un aide une critique – un critique une garde – un garde une mémoire – un mémoire une vacance – des vacances la couleur – les couleurs 58 4. Souvent c’est la dérivation qui engendre des homonymes : boucher – une bouchée, communiquer – un communiqué, une poignée – le poignet. 5. Parfois les mots empruntés aux langues étrangères s’adaptent à la prononciation de la langue emprunteuse, prennent la même forme phonique que les mots français et deviennent leurs homonymes. Par ex., le mot anglais bar (débit de boissons où l’on consomme debout ou assis sur de hauts tabourets, devant un long comptoir) et son homonyme français barre (longue et étroite pièce de bois, de métal, etc., rigide et droite). De même : blues (mot angl. amér., musique de jazz lente) et blouse sont homonymes, tonic (anglic. soda à base d’écorces d’oranges amères et de quinquina) est l’homonyme du mot français tonique, etc. Les paronymes Les paronymes (du grec « para » - à côté et « onoma » nom) sont des mots de sens différents, mais de formes relativement voisines. À cause de cette ressemblance de forme et de prononciation les gens mal instruits les confondent souvent : avénement – accession au trône, élévation au pouvoir souverain événement – ce qui arrive et qui a quelque importance pour l’homme collision – choc de deux corps qui se rencontrent collusion – entente secrète au préjudice d’un tiers éminent – qui est au-dessus du niveau commun, d’ordre supérieur imminent – qui va se produire dans très peu de temps En français on distingue les types suivants de paronymes : a) paronymes qui remontent au même radical ayant des préfixes différents ; amener – 59 emmener, apporter – emporter, permettre – promettre, prévenir – provenir, préposition – proposition, etc. b) paronymes qui remontent au même radical ayant des suffixes différents ; argenté – argentin, ennuyant – ennuyeux, populaire – populeux, etc. c) paronymes qui remontent aux radicaux différents ; allocation – allocution, allusion – illusion, complément – compliment, conjecture – conjoncture, décéder – décider, percepteur – précepteur, etc. Les élèves débutants confondent souvent les paronymes, tels que ; attendre – entendre, jaune – jeune, monter – montrer, raconter – rencontrer, rassembler – ressembler, etc. Pour éviter toutes sortes d’erreurs dans la parole il faut concentrer l’attention des élèves et étudiants sur la composition des mots paronymes, leur sens et leur prononciation correcte. Archaïsmes et néologismes Dans la Préface de son célèbre Dictionnaire de la langue française Emile Littré écrit : « Ainsi toute langue vivante et surtout toute langue appartenant à un grand peuple et à un grand développement de civilisation, présente trois termes : un usage contemporain qui est le propre de chaque période successive ; un archaïsme qui a été lui-même autrefois usage contemporain, et qui contient l’explication et la clef des choses subséquentes ; et, finalement, un néologisme qui, mal conduit, altère, bien conduit, développe la langue, et qui, lui aussi, sera un jour de l’archaïsme et que l’on consultera comme histoire et phase du langage »1. 1 E. Littré. Dictionnaire de la langue française, Chicago, 1993. Préface, p. 3. 60 Les archaïsmes L’archaïsme lexical est un mot ou un groupe de mots qui n’est plus en usage, disparu ou en voie de disparition, car dans une communauté linguistique il existe des mots ou locutions qui n’appartiennent qu’aux locuteurs plus âgés. Pour les jeunes locuteurs ces unités lexicales sont considérées comme des archaïsmes par rapport à la norme commune1. Il est naturel que les archaïsmes (ou mots désuets, mots vieillis) sont beaucoup moins nombreux en comparaison avec les néologismes qui naissent à tout moment et enrichissent continuellement le vocabulaire qui est dans une perpétuelle évolution. Selon les causes de leur disparition on distingue deux groupes essentiels de mots archaïques : a) les historismes ou les mots historiques, b) les archaïsmes proprement dits. Les historismes sont des unités lexicales qui disparaissent, parce que les choses et les notions qu’ils expriment, n’existent plus : arbalète f (arme de trait, arc d’acier monté sur un fût); arquebuse f (arme d’épaule dont la mise à feu se faisait au moyen d’une mèche ou d’un rouet) ; connétable m (chef suprême de l’armée royale) ; dîme f (impôt, fraction variable de la récolte prélevée par l’Eglise) ; fief m (terre, droit ou revenu qu’un vassal tenait de son seigneur et en échange duquel il devait accomplir le service dû à celui-ci) ; maille f (ancienne monnaie de cuivre de très petite valeur) ; ménestrel m (musicien et chanteur ambulant au Moyen Âge) ; pourpoint m (vêtement ajusté d’homme qui couvrait le corps du cou à la ceinture) ; seigneur m (propriétaire féodal) ; toise f (ancienne mesure française de longueur, valant 1,949 m) ; vassal,e n (personne liée à un suzerain par l’obligation de foi et hommage, et qui lui devait des services personnels) ; cour f de parlement (section judiciaire de la cour du roi) ; les états généraux (ils comprenaient des représentants de toutes les 1 Jean Dubois et autres. Dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris, 1994. 61 provinces appartenant aux trois ordres : clergé, noblesse, tiers état), etc. Les historismes n’ont pas de synonymes qui pourraient les remplacer dans la langue moderne. On les trouve dans les ouvrages traitant de l’histoire du pays ou bien dans les romans historiques où ils s’emploient exceptionnellement pour rendre la couleur de l’époque, pour obtenir un effet de style. Les archaïsmes proprement dits se subdivisent en archaïsmes lexicaux et en archaïsmes sémantiques. Les archaïsmes lexicaux désignent des notions et des choses qui existent jusqu’à présent. Ces archaïsmes ont des synonymes absolus dans la langue moderne : bailler = donner, choir = tomber, cuider = penser, fol visage = masque, goupil = renard, partir = partager, prou = beaucoup, sans coup férir = sans difficulté, val = vallée, vis = visage, etc. Remplacés par leurs synonymes, les archaïsmes lexicaux ne s’emploient plus. Cependant nombre de mots archaïques se maintiennent dans des locutions toutes faites : avoir maille à partir avec qqn = avoir un démêlé, une dispute avec lui ; d’antan = du temps passé ; se tenir coi = se tenir calme, tranquille ; à huis clos = toutes portes fermées ; d’ores et déjà = dès maintenant ; peu ou prou = peu ou beaucoup ; vis-à-vis de = en face de ; chercher noise à qqn = lui chercher querelle, etc. Les archaïsmes sémantiques (ou archaïsmes de sens) sont rares. C’est le cas où le mot subsiste, mais il a perdu son sens primitif ou l’une de ses acceptions d’autrefois : maîtrise ne signifie plus autorité de maître, boursier ne désigne plus celui qui fait et vend des bourses, demeure n’a plus le sens d’attente, gêne n’a plus l’acception de torture, conseil ne signifie plus résolution. Ajoutons que certains archaïsmes ne sont pas définitivement rayés de la langue vivante, car on les rencontre encore dans le style soutenu et dans la poésie. La néologie 62 La néologie est le processus de formation de nouvelles unités lexicales. Elle comporte en lui-même la contradiction entre le nouveau et le figé. On distingue néologie de forme et néologie de sens, selon que le signe « nouveau » se manifeste sous la forme d’un signifiant non encore enregistré dans la langue, ou d’un « sens nouveau » associé à un signifiant ancien. De sorte, la néologie lexicale se repère soit à travers la création d’un signifiant, soit à travers l’association nouvelle d’un signifié à un signifiant qui existe déjà dans la langue. Ainsi, la classification se fait d’après les principes suivants : a) création de signifiant, b) modification de signifié. Les néologismes Le lexique traditionnel d’une langue s’enrichit incessamment de néologismes, c'est-à-dire de mots et de sens nouveaux, ainsi que de locutions nouvellement créées. La création des néologismes est une nécessité évidente, vu que le matériel des notions à exprimer se renouvelle constamment. Les néologismes apparaissent à la suite du développement de la vie sociale, culturelle, économique et politique du peuple et des progrès scientifiques et techniques qui conduisent à la nécessité d’une terminologie en continuel accroissement. On distingue les types suivants de néologismes : a) néologismes de mots (néologismes lexicaux) ; audionumérique, autonomisation, biotechnologie, crudivore, fiabiliser, immunodéficience, sociobiologie, télépaiement, etc. b) néologismes de sens ou nouvelles acceptions qui s’ajoutent, en règle générale, aux sens précédents des mots existants (néologismes sémantiques) ; depuis le XIIIe siècle le mot cohabitation signifie « situation de personnes qui vivent, habitent ensemble». De nos 63 jours, dans le cadre constitutionnel de la Ve République, il s’emploie dans la terminologie politique au sens de « coexistence d’un président de la République et d’un gouvernement de tendance opposée ». Le verbe inférioriser a été créé en 1878 et il est d’un emploi courant avec l’acception de « donner un sentiment d’infériorité à qn ». Mais à partir de 1970 il a acquis une nouvelle signification, celle de « sous-estimer la valeur de qn ou de qch, déprécier, rabaisser ». De même, le mot visionner, apparu en 1921 pour rendre la notion de « examiner (un film) d’un point de vue technique», a pris en 1980 un sens nouveau, celui de « faire apparaître (une image, un texte etc.) sur un écran de visualisation ». c) néologismes phraséologiques (néologismes de locutions, de groupes de mots figés) ; bon chic bon genre (B.C.B.G.), bras d’honneur, chômage technique, clés en main, distributeur automatique de billets (de banque, de train etc., DAB), fécondation in vitro (F.I.V.), formation continue (syn. de formation permanente), grande bouffe (fam.), initiative de défense stratégique (I.D.S.), maladie sexuellement transmissible (M.S.T.), million d’ins-tructions par seconde (mips), piège à cons, nouveaux pays industrialisés (N.P.I.), planche à voile, procréation médicalement assistée (P.M.A.), relevé d’identité ban-caire (R.I.B.), syndrome d’immunodéficience acquise (sida), vélo tout-terrain (V.T.T.), zone d’éducation prio-ritaire (zep) et d’autres. Les sources de néologismes 1. Affixation (préfixation et suffixation) Parmi les préfixes, il en est plusieurs dont la productivité est devenue considérable pendant les dernières décennies : 64 anti- auto- dé- mini- multi- pré- re- super- antiadhésif, anti-âge, antiallergique, anticorrosion, antidouleur, antipollution, anti-roulis, antisatellite, antisida, antistatique, an-titache(s), antitussif autoadhésif, autobloquant, autobronzant, autocassable, autocollant, autoconcurrence, autodérision, autodictée, autogestionnaire, autoimmun, autonettoyant, autopalpation, s’autoproclamer, autosuffisant décrédibiliser, dégripper, délégitimer, démé-dicaliser, démultiplexage, dénébuler, dépa-rasiter, dépolluer, déréglementer, dérégle-mentation, dérégulation, déridage, dérurali-sation, désendettement, désindustrialiser, désintermédiation, désyndicalisation minibar, minibus, minicassette, minichaîne, minigolf, minijupe, miniordinateur, minipi-lule, miniski multibrin, multicâble, multiconducteur, mul-ticoque, multiculturalisme, multiculturel, multiethnique, multifonctionnel, multimé-dia, multiplex, multirécidiviste, multirisque prédécoupé, préemballé, préfinancement, préimplantataire, prérentrée, préretraite, pré-sélectionner, présonorisation, préstratégique, prétraité recyclable, rééchelonnement, refondateur, refondation, refonder, réinscriptible, renégo-cier, repositionner, reprogrammer, resociali-sation, retraiter superalliage, superamas, supercalculateur, supercritique, supergrand, superléger, super-marché, superpuissance 65 sur- surcapacité, surcoût, surdimensionné, sur-dose, surdoué, sureffectif, surencombré, sur-endetté, surendettement, surinformer, surli-gner, surligneur, surprotéger, surréservation, surstock, surveste, survitrage transtranscodage, transcodeur, transdisciplinaire, transfrontalier, transgène, transgenèse, trans-génique, transphrastique, transsexuel télétéléconférence, télécopie, télécopieur, télé-informatique, télémaintenance, télépéage, té-léport, télésignalisation, télésurveillance, té-létravail La suffixation reste un moyen efficace de la dérivation française. Parmi les suffixes les plus productifs dans la formation de mots nouveaux on peut citer les suivants : -able académisable, captable, compactable, gérable, modulable -age assurage, ciblage, cryptage, déchoquage, îlo-tage, piratage -erie billetterie, croissanterie, déchetterie, maison-nerie, solderie -eur bipeur, bombeur, dégrafeur, dépollueur, do-peur, tableur, tagueur -isation bancarisation, colorisation, contextualisation, dépénalisation, déresponsabilisation, dualisation, informatisation, labellisation, médiatisation, précarisation, sanctuarisation, sponsorisation -iser annualiser, convivialiser, ethniciser, fiabi-liser, financiariser, flexibiliser, folkloriser, instrumentaliser, labelliser, médiatiser, pré-cariser, respectabiliser, sanctuariser, sponso-riser, vandaliser -isme âgisme, clanisme, confessionnalisme, écolo-gisme, fondamentalisme, 66 -iste -ité -logie -logue -thèque gradualisme, illet-trisme, jeunisme, négationnisme antenniste, chambriste, comportementaliste, convivialiste, cuisiniste, deltiste, emballa-giste, négationniste, planchiste, urgentiste confidentialité, conflictualité, furtivité, sai-sonnalité, sinistralité accidentologie, alcoologie, contactologie, futurologie, manuscriptologie, planétologie, rudologie, sidologie, spatiologie, urbano-logie écologue, futurologue, nivologue, oncologue, planétologue, sidologue artothèque, cassettothèque, diathèque, filmo-thèque, génothèque, iconothèque, logi-thèque, ludothèque, magnétothèque, média-thèque, programmathèque, vidéothèque 2. Formation parasynthétique On appelle parasynthétiques les mots formés par l’addition à une base (un radical) d’un préfixe et d’un suffixe. Les néologismes parasynthétiques sont assez nombreux en français : ablastine, axénisation, déchoquage, dégrafeur, incontournable, indatable, indémodable, etc. 3. La composition Les mots composés tendent à devenir de plus en plus nombreux en français, en particulier dans les domaines scientifique et technique. Ce sont des unités lexicales formées à partir d’éléments qui sont des mots ou des radicaux d’origine française, latine ou grecque : biodiversité, cybernaute, échocardiogramme, écoindustrie, écotoxique, eurodéputé, hémovigilance, internaute, ludoéducatif, microfibre, micropilule, narcotrafic, piano-bar, postdoctoral, radio-réveil, télécarte, véliplanchiste, vidéosurveillance, etc. 67 Parmi les néologismes composés on rencontre des unités appelées mots-valises. Un mot-valise est constitué par l’amalgame des morceaux non signifiants de deux mots. On prend la partie initiale d’un mot et la partie finale d’un autre : alicament [ali (ment) et (médi)cament] caméscope [camé(ra) et (magnéto)scope] franglais [fran(çais) et (an)glais] ludiciel [ludi(que) et (logi)ciel] monétique [moné(taire) et (informa)tique], etc. Parfois le mot valise est composé des parties initiales des mots : modem [mo(dulateur) et dém(odulateur)]. 4. Les emprunts aux langues étrangères Les plus nombreux sont les emprunts à l’anglais, de Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, appelés emprunts angloaméricains. On les trouve surtout dans la langue de la presse écrite ou parlée, ainsi que dans certains vocabulaires scientifiques ou techniques (celui de l’informatique, par exemple) : aérobie, airbag, autoreverse, barefoot, best of, chromodynamique, clip, déboguer, e-mail, horse-ball, hypermédia, light, manager, mastère, narcodollars, novélisation, raft, rafting, road movie, snowboard, talk-show, vidéoclub, zapper, zappeur, zapping etc. Certains néologismes sont empruntés à des langues étrangères autres que l’anglais : à l’afghan – taliban à l’allemand – blitzkrieg à l’arabe – ayatollah, djihad, halal, intifada au chinois – taï chi, kung-fu au coréen – taekwondo à l’espagnol – canyoning, tapas à l’hindi – bandana à l’italien – antipasti, panini, pizzaïolo, tifosi au japonais – karaoké, nunchaku, sumo au russe – glasnost, nomenklatura, perestroïka, etc. Nombre d’emprunts récents ont leurs équivalents français recommandés officiellement et qui sont d’un emploi courant : 68 broker – courtier, fast-food – prêt à manger, jingle – sonal, motor-home – autocaravane, packaging – conditionnement, software – logiciel, tie-break – jeu décisif, etc. Parfois un néologisme apparaît sous forme de calque qui présente la transposition de la structure morpho-syntaxique d’une langue étrangère par traduction. En voilà quelques exemples de calques créés en français à partir des modèles anglais : to finalize > finaliser prepaid > prépayé teleshopping > téléachat venture capital > capital-risque white collar > col blanc zero growth > croissance zéro, etc. 5. La conversion Une des sources de néologismes est la conversion ou la dérivation impropre, c'est-à-dire le passage du mot d’une catégorie lexico-grammaticale dans une autre : d’adjectif en substantif (le cas le plus fréquent) ; branche f (ellipse de poudre blanche) fam. héroïne (produit stupéfiant), dans le langage des drogués. dateur m, dispositif qui indique la date sur le cadran d’une montre. décalé,e n, personne qui ne suit pas les schémas de vie habituels. encadré m, texte mis en valeur par un filet qui l’isole du texte environnant (p. ex. lire l’encadré ci-contre). périphérique m, boulevard périphérique (d’une grande ville) vert (les Verts) personne ou collectivité qui défend l’environnement, s’intéresse à l’écologie, etc. d’adjectif en adverbe ; sec dans le sens de « très vite, sans hésitation, brièvement », parfois « brutalement » (conduire sec, démarrer sec, freiner sec, répondre sec etc.) 69 branché, parler branché français, acheter français, etc. de substantif en adjectif ; piéton, ne, quartier piéton, rue piétonne clé, moment clé, etc. 6. Procédés sémantiques C’est le cas de l’apparition des néologismes sémantiques due à des procédés tels que la métaphore, la métonymie, l’extension, la restriction ou la spécialisation du sens etc. Les néologismes sémantiques sont nombreux en français, le plus souvent signalés par l’abréviation fig. (sens figuré, au figuré). En voilà quelques exemples : bateau – dépression de trottoir devant une porte cochère, une porte de garage canard boiteux – entreprise en difficulté, en perte de vitesse château – sorte de conteneur métallique spécialement conçu pour le transport de combustibles nucléaires irradiés (radioctifs) cœur – partie d’un réacteur nucléaire contenant le combustible et où s’opèrent les réactions de fission déblocage – suppression des obstacles (déblocage d’une situation politique, sociale) densification – augmentation de densité de la population ou des constructions (de l’habitat) exhausteur – additif alimentaire destiné à renforcer une saveur, un goût patiner – ne pas progresser, manquer d’efficacité (les négociations patinent) pilule – ellipse de : pilule anticonceptionnelle (contraceptive) tennis – ellipse de : chaussure de tennis (chaussure de toile à semelle de caoutchouc souple = basket), etc. 70 Les emprunts L’emprunt est une des sources de l’enrichissement lexical. C’est un acte par lequel une langue accueille un élément d’une autre langue. Le terme emprunt désigne en même temps l’élément emprunté. Les langues peuvent emprunter l’une à l’autre non seulement des mots, mais aussi des phonèmes, des affixes, des tours syntaxiques, des significations et des locutions. La lexicologie s’intéresse surtout aux emprunts de mots et de sens. Il ne faut pas confondre les emprunts avec les éléments hérités de la langue. Au cours de sa formation en tant que langue indépendante le français s’est approprié beaucoup de mots latins qu’on ne peut pas considérer d’emprunts, car comme le remarque Louis Deroy « On ne peut logiquement qualifier d’emprunts dans une langue donnée que les éléments qui y ont pénétré après la date plus ou moins précise marquant conventionnellement le début de cette langue »1. Il en résulte que la langue prêteuse et la langue emprunteuse doivent être des idiomes totalement différents et autonomes. On distingue parfois des emprunts internes et externes. Les premiers sont des unités prises à l’argot, aux dialectes, aux parlers locaux, ainsi que des mots qui passent d’un domaine à l’autre (l’informatique a emprunté menu à la restauration, complexe a passé de la psychanalyse à la langue générale). Les emprunts externes sont des éléments pris à une langue étrangère que nous appellerons des « emprunts proprement dits » et qui constituent l’objet de notre étude. Au cours de son histoire le français a emprunté de nombreux mots à diverses langues étrangères car les Français, comme toute autre communauté linguistique, ont toujours été en contact direct ou indirect avec les langues et civilisations étrangères. 1 L. Deroy. L’emprunt linguistique, Paris, 1956, p. 6. 71 « Les chiffres, écrit Pierre Guiraud, permettent de distinguer trois grandes périodes : le Moyen Âge, la Renaissance classique, les Temps Modernes »1. Les mots passent d’une langue à l’autre avec les choses et les notions. Les facteurs qui contribuent à l’emprunt étranger sont divers : relations culturelles, politiques, commerciales, scientifiques entre les peuples. L’emprunt s’est pratiqué à toute époque, et le français a puisé aux sources les plus diverses. Les emprunts aux langues classiques (au grec et au latin) ont toujours servi au français de source intarissable d’enrichissement, surtout le latin, langue-mère des langues romanes. Mots grecs : académie, agronome, amphibie, anarchie, aristocratie, athée, cosmographie, économie, enthousiasme, hygiène, hypothèse, larynx, oligarchie, philanthrope, politique, etc. À côté de ces emprunts directs on trouve des mots d’origine grecque qui ont pénétré dans le français par l’intermédiaire du latin. Ce sont des emprunts indirects, tels que : épithète, idée, mélodie, paradis, périphrase, sympathie, symptôme, trapèze, trône, etc. En comparaison avec les mots grecs les emprunts au latin sont beaucoup plus nombreux. Jusqu’au 14e siècle le français avait déjà emprunté au latin nombre de substantifs, d’adjectifs et de verbes : abondance, agriculture, asperger, automnal, corruption, génération, glorifier, manifester, méditation, miséricorde, mortifier, nature, occident, opinion, préface, rationnel, superbe, etc. À partir du 14e siècle, surtout à l’époque de la Renaissance (15e et 16e siècles), le nombre d’emprunts au latin a augmenté. Ils se rapportent aux choses les plus diverses : administration, politique, science, art, etc. : apostolat, assimiler, concilier, concours, délation, dextérité, diriger, docile, éducation, énumération, évolution, exister, explication, facilité, fébrile, 1 Pierre Guiraud. Les mots étrangers, Paris, 1971, p. 5. 72 gratuit, hésiter, imiter, quotient, semestre, social, structure, véhicule, vigilance, etc. Dans la majorité des cas les emprunts aux langues classiques comblaient les lacunes de termes abstraits en français. Parmi les emprunts aux langues romanes le nombre le plus considérable appartient aux italianismes. Des centaines de mots bien vivants en sont témoins. L’influence de l’italien se fait sentir vers le milieu du 15 e siècle. Au 16e siècle, à l’époque de la Renaissance, l’Italie, comme le dit Ferdinand Brunot, « domine intellectuellement le monde ; elle le charme, l’attire, l’instruit, elle est l’éducatrice »1. Les emprunts à l’italien continuent pendant les siècles suivants. « Ils appartiennent à tous les domaines : sciences, arts, lettres, métiers, mœurs, à toutes les formes de la vie matérielle et morale »2. Art militaire – attaquer, bastion, bataillon, brigade, calibre, canon, caporal, cartouche, cavalerie, colonel, escadron, estafette, fantassin, infanterie, sentinelle, etc. ; Architecture – antichambre, appartement, arcade, balcon, balustre, cariatide, corniche, coupole, façade, fronton, mosaïque, piédestal, rotonde, socle, etc. Musique – adagio, allegro, aria, ariette, arpège, cantate, coda, concerto, contralto, duo, finale, fugue, intermède, libretto, maestro, mandoline, opéra, oratorio, presto, sérénade, solfège, solo, sonate, soprano, sourdine, tempo, trio, violoncelle, etc. Peinture – aquarelle, caricature, coloris, filigrane, fresque, gouache, madone, miniature, pastel, pittoresque, etc. Commerce et finances – banque, banqueroute, bilan, brocart, escompte, faïence, faillite, taffetas, tarif, etc. Ajoutons encore quelques italianismes appartenant aux différentes sphères de la vie et des activités humaines : bouffon, caisson, caresse, disgrâce, intrigue, macaroni, manège, masque, parasol, pizza, pizzeria, pommade, sonnet, vermicelle, veste, etc. Le contact avec l’Espagne s’établit au 16e siècle et se fait sentir surtout au 17e et 18e siècles. L’Espagne joue un rôle 1 2 F. Brunot. Le pensée et la langue, Paris, 1965, p. 48. F. Brunot, ibid., p. 48. 73 important dans la transmission de choses et mots exotiques. C’est pourquoi on trouve parmi ces emprunts des mots d’origine espagnole et des exotismes passés au français par l’intermédiaire de l’espagnol : adjudant, boléro, cacao, canot, casque, castagnettes, chocolat, cigare, embarcadère, embarcation, embargo, flottille, guérilla, romance, sieste, tango, tomate, vanille, etc. La liste des emprunts au portugais n’est pas longue et comprend un bon nombre de mots de caractère exotique : bambou, banane, bayadère, caravelle, caste, cobra, coco, fétiche, mandarin, marmelade, vigie, zèbre, etc. Les emprunts à l’allemand n’apparaissent guère avant le 15e siècle. Ce sont surtout des termes militaires. « Cela tient évidemment aux goûts des Germains pour l’armée et leurs sciences en ce domaine ; à une longue suite de guerres et d’occupations qui ont mis les deux armées en contact ; mais surtout au fait que les rois de France ont, tout au cours de leur histoire, demandé des régiments mercenaires aux principautés allemandes et aux cantons suisses », écrit Pierre Guiraud1. Mots de terminologie militaire : arquebuse, blockhaus, cible, halte, hussard, lansquenet, obus, reître, sabre, uhlan, etc. Parmi les emprunts à l’allemand on trouve des termes appartenant à la minéralogie : bismuth, cobalt, feldspath, nickel, quartz, zinc, des termes de musiques : accordéon, harmonica, leitmotiv, valse, ainsi que des mots se rapportant à des domaines différents de la vie quotidienne : bock, chenapan, chope, choucroute, ersatz, loustic, nouilles, rosse, trinquer, vasistas, vermouth, etc. La seconde guerre mondiale a amené des mots tels que : diktat, Gestapo, nazi, Reichstag, Wehrmacht. On trouve aussi des emprunts plus récents faits pendant la deuxième moitié du 20e siècle : alzheimer (1988), blitzkrieg (1980), doberman (1960), lasure (1983), etc. L’influence anglaise est insignifiante jusque vers la fin du 17e siècle : comité (1650), contredanse (1626), corporation (1530), paquebot (1634), session (1657), speaker (1649), etc. 1 P. Guiraud. Les mots étrangers, Paris, 1971, p. 35. 74 C’est au 18e siècle que l’influence britannique s’intensifie, et qu’un nombre assez considérable de mots anglais passent dans le vocabulaire du français. Ces anglicismes sont des termes ayant trait à la politique, aux institutions parlementaires et judiciaires, le parlementarisme anglais étant le modèle pour les Français : budget, club, congrès, meeting, parlement, quorum, verdict, vote, etc. Au 19e siècle d’autres mots viennent s’ajouter à la liste des mots cités : boycott, interview, leader, lock-out, reporter, trade-union, etc. On trouve surtout des emprunts dans les domaines des sciences et de l’industrie : express, linoléum, rail, shampoing, tender, terminus, tramway, truck, tunnel, viaduc, wagon, etc. Durant les siècles derniers l’anglais a fourni au français toute une série de termes de sport : basket-ball, boxe, cricket, football, golf, jockey, knock-out, match, record, sport, tennis, volley-ball, water-polo, etc. Citons encore quelques emprunts anglais se rapportant à des domaines différents : bar, cameraman, cocktail, cottage, hall, jazz, jeep, label, parking, pull-over, sandwich, short, stand, star, sketch, week-end, etc. À la deuxième moitié du 20e et au début du 21e siècles nombre d’emprunts d’origine anglo-américaine pénètrent dans le vocabulaire français, dont plusieurs sont des néologismes récents (voir le chapitre « Les sources de néologismes ; 4. Les emprunts aux langues étrangères »). Pour ne pas encombrer le vocabulaire de mots étrangers, le français crée souvent des équivalents qui sont recommandés officiellement dans les dictionnaires et les ouvrages traitant ce problème (voir le chapitre mentionné ci-dessus). Le français a emprunté à d’autres langues aussi : à l’arabe : alcool, amiral, arak, azimut, calife, cheik, couscous, émir, fakir, fellah, gazelle, harem, haschisch, kif-kif, nadir, sirop, zénith ; plus récents sont : ayatollah (1977), halal (1987), intifada (1988) ; au russe : boyard, cosaque, knout, koulak, mammouth, moujik, oukase (ukase), samovar, taïga, touloupe, toundra, vodka, etc., dont la plupart sont des exotismes et souvent archaïques ; 75 plus récents sont ; apparatchik (1965), glasnost (1986), nomenklatura (1980), perestroïka (1986). L’adaptation des mots étrangers s’effectue d’après les lois phonétiques, morphologiques et sémantiques de la langue emprunteuse. Il arrive qu’une langue emprunte à l’autre des acceptions nouvelles qui s’ajoutent aux sens des mots déjà existants. C’est l’emprunt sémantique. Un cas particulièrement typique est le sens du verbe réaliser (se rendre compte) emprunté à l’anglais. De même l’adjectif français conventionnel s’emploie dans le sens de non nucléaire, pris à l’anglais (armes nucléaires et armes conventionnelles). Le verbe couvrir a emprunté un des sens du verbe anglais to cover « assurer l’information concernant un événement, un fait d’actualité ; par ex. Le journal couvre le voyage du président (Voir aussi le chapitre « Les néologismes ; 6. Procédés sémantiques). Souvent les langues empruntent les unes aux autres la forme interne des mots. Ce procédé linguistique est appelé calque. En voilà quelques exemples modelés sur la structure morphologique des mots anglo-américains : gratte-ciel < skyscraper, prépayer < prepaid, supermarché < supermarket, téléachat < teleshopping, etc. La thèse bien connue d’après laquelle l’emprunt est dicté par le besoin ne doit pas être comprise et interprétée d’une manière absolue, car ce besoin est de double nature, linguistique et individuelle. Et comme le prouvent les données de la plupart des langues, c’est le besoin linguistique qui est décisif et qui prédétermine le plus souvent l’emprunt et son assimilation. Les doublets étymologiques On appelle doublet un couple de mots à signification et aspect phonique actuels différents, issus d’un même étymon, mais introduits dans la langue française par deux voies distinctes : populaire et savante. Le mot populaire subit plus de changements 76 phoniques que le mot savant qui ne subit que des adaptations minimes. Souvent deux mots français remontent étymologiquement à un même terme de la langue mère, le latin : mot latin auscultare captivus dotare fragilis gracilis hospitalis legalis liberare mobilis pensare singularis mot français savant ausculter captif doter fragile gracile hôpital légal libérer mobile penser singulier mot français populaire écouter chétif douer frêle grêle hôtel loyal livrer meuble peser sanglier Les exemples cités montrent que les doublets peuvent appartenir à des parties du discours différentes (meuble - mobile, sanglier - singulier). Les doublets étymologiques expriment deux idées ou deux nuances d’idée différentes : écouter veut dire « s’appliquer à entendre, prêter l’oreille » et ausculter signifie « explorer les bruits de l’organisme par une auscultation » (le médecin ausculte le malade, ses bronches, son cœur, etc.) ; si chétif exprime la notion « de faible constitution, maigrichon, maladif » (un enfant chétif), captif a le sens de « soumis à une contrainte, asservi, attaché » (être captif de ses passions) ; loyal c’est celui qui obéit aux lois de l’honneur, de la probité, de la droiture (un homme loyal) et légal signifie « conforme à la loi, défini par la loi », etc. Parfois un mot provenant du latin et un autre pris à une langue étrangère forment un couple de doublets : 77 mot latin balneum caballarius campus expressus humor juratus niger opera tonna (tunna) mot français bain chevalier champ exprès humeur jurée noir œuvre tonnelle mot pris à une langue étrangère bagne (ital.) cavalier (ital.) camp (ital.) express (angl.) humour (angl.) jury (angl.) nègre (esp.) opéra (ital.) tunnel (angl.) Ajoutons que certains doublets anglais sont des mots d’origine française que l’anglais avait empruntés au français autrefois et que le français a repris avec une forme et un sens modifiés (express, humour, jury, tunnel). 78 Vocabulaire français – arménien – russe de termes linguistiques employés dans le Précis A Abréviation f Accent m Acception f Adjectif m Adjectivation f Adjectivé,e Adverbe m Adverbialisation f Affectif, -ive Affectivité f Affixation f Affixe m Amélioration f du sens (d’un mot) Analogie f Analytique Anglicisme m Anthropomorphique ѳå³íáõÙ, аббревиатура ß»ßï, ударение ÇÙ³ëï, Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, ³éáõÙ, смысл ³Í³Ï³Ý, прилагательное ³Í³Ï³Ý³óáõÙ, адъективация ³Í³Ï³Ý³ó³Í, адъективированный ٳϵ³Û, наречие ٳϵ³Û³óáõÙ, адвербиализация ½·³Û³Ï³Ý, аффективный ½·³Û³Ï³ÝáõÃÛáõÝ, аффективность ³Í³ÝóáõÙ, аффиксация ³Í³Ýó, аффикс µ³éÇÙ³ëïÇ µ³ñ»É³íáõÙ, улучшение Antihèse f Antonyme m Antonymie f ѳϳ¹ñáõÃÛáõÝ, антитеза ѳϳÝÇß, ѳϳÝáõÝ, антоним ѳϳݥǤßáõÃÛáõÝ, ѳϳÝáõÝáõÃÛáõÝ, / облагораживание значения слова ѳٳµ³ÝáõÃÛáõÝ, аналогия í»ñÉáõͳϳÝ, аналитический ³Ý·Édzµ³ÝáõÃÛáõÝ, англицизм Ù³ñ¹³Ï»ñå, Ù³ñ¹³Ï»ñå³Ï³Ý, антропоморфический антонимия Aphérèse f Apocope f Arbitraire Archaïsme m Argot m ëϽµÝ³í³ÝÏÇ ³ÝÏáõÙ, аферезис í»ñçݳí³ÝÏÇ ³ÝÏáõÙ, апокопа ϳٳÛÇÝ, å³ÛٳݳϳÝ, произвольный Ñݳµ³ÝáõÃÛáõÝ, архаизм ³ñ·á ¥ëáódzɳϳÝ, ¹³ë³Ï³ñ·³ÛÇÝ, Ù³ëݳ·Çï³Ï³Ý ųñ·áݤ, арго 79 (социальный, классовый, профессиональный жаргон) Argotisme m Article m Asymétrie f Auxiliaire ³ñ·áÛ³µ³ÝáõÃÛáõÝ ¥³ñ·áïÇÏ µ³é ϳ٠³ñï³Ñ³ÛïáõÃÛáõݤ, арготизм (арготическое слово или выражение) Ñá¹, артикль ³Ýѳٳã³÷áõÃÛáõÝ, асимметрия, асимметричность ûųݹ³Ï, вспомогательный C Calque m Catégorie f å³ï×»ÝáõÙ, калька ϳñ· ¥É»½í³µ³Ý³Ï³Ý¤, категория Classe f ~ grammaticale Classification f Cognitif, -ive (лингвистическая) ¹³ë, класс ù»ñ³Ï³Ý³Ï³Ý ¹³ë, грамматический класс ¹³ë³Ï³ñ·áõÙ, классификация ׳ݳãáճϳÝ, когнитивный, познавательный Combinabilité f Communauté f linguistique Communicatif, -ive ½áõ·áñ¹»ÉÇáõÃÛáõÝ, ϳå³Ïó»ÉÇáõÃÛáõÝ, ѳٳÏó»ÉÇáõÃÛáõÝ, сочетаемость, комбинируемость, сочетаемостность É»½í³Ï³Ý ѳÝñáõÃÛáõÝ, языковой коллектив, языковая общность ѳÕáñ¹³Ïó³Ï³Ý, ѳÕáñ¹³Ïó³ÛÇÝ, коммуникативный Communication f Comparaison f Comparatif, -ive Complément f d'objet direct Composant m ѳÕáñ¹³ÏóáõÃÛáõÝ, ѳÕáñ¹³ÏóáõÙ, коммуникация, общение ѳٻٳïáõÃÛáõÝ, сравнение ѳٻٳï³Ï³Ý, сравнительный, компаративный áõÕÇÕ ËݹÇñ, прямое дополнение µ³Õ³¹ñÇã, компонент 80 Composé, e mot m ~ (composé m) Composition f µ³ñ¹, µ³Õ³¹ñÛ³É, сложный, составной µ³ñ¹/µ³Õ³¹ñÛ³É µ³é, сложное / составное слово µ³é³µ³ñ¹áõÙ, µ³é³µ³ñ¹áõÃÛáõÝ, словосложение Concept m Conjonctionnel, le ѳëϳóáõÃÛáõÝ, понятие ß³Õϳå³Ï³Ý, ß³Õϳå³ÛÇÝ ¥ß³ÕϳåÇ ¹»ñáí` ³ñÅ»ùáí ѳݹ»ë »ÏáÕ¤, союзный (выступающий в функции/значении союза) Construction f Contexte m Contextuel, le ϳéáõÛó, ϳéáõóí³Íù ¥É»½í³Ï³Ý¤, конструкция (языковая) ѳٳï»ùëï, Ëáëù³ß³ñ, контекст ѳٳï»ùëï³ÛÇÝ, Ëáëù³ß³ñ³ÛÇÝ, контекстный, контекстуальный Contiguïté f ѳñ³ÏóáõÃÛáõÝ, Ïóáñ¹áõÃÛáõÝ, смежность Convergent, e Conversion f ѳñ³Ù»ï, ½áõ·³Ù»ï, конвергентный ÷á˳ϳñ·áõÃÛáõÝ, ÷á˳ÝóáõÙ, конверсия Coordonné, e ѳٳ¹³ë, ѳٳ¹³ë³Ï³Ý, сочинительный, координативный Corrélation f ѳñ³µ»ñ³ÏóáõÃÛáõÝ, ÉÍáñ¹áõÙ, корреляция, соотносительность D Démonstratif, -ive Démotivation f Dérivation f óáõó³Ï³Ý, указательный ³å³å³ï׳鳵³ÝáõÙ, демотивация µ³é³Í³ÝóáõÙ, деривация, аффиксальное словообразование ~ impropre ÷á˳ÝóáõÙ, ³ÝÇëÏ³Ï³Ý µ³é³Ï³½ÙáõÃÛáõÝ, несобственная деривация, конверсия ~ parasynthétique ѳñ³Ñ³Ù³¹ñ³Ï³Ý / ½áõ·³Ñ³Ù³¹ñ³Ï³Ý ³Í³ÝóáõÙ, ѳٳͳÝóáõÙ, 81 парасинтетическое словообразование, парасинтетическая деривация ~ régressive ѻﳹ³ñÓ µ³é³Í³ÝóáõÙ, ³Í³Ýó³½»ñÍáõÙ, регрессивная деривация, дезаффиксация Dérivationnel, le µ³é³Í³Ýó³Ï³Ý, µ³é³Ï³½Ù³Ï³Ý, деривационный, словообразовательный Dérivé, e ³Í³Ýó³Ï³Ý, ³Í³ÝóÛ³É, производный mot m ~ (dérivé m) ³Í³ÝóÛ³É µ³é, производное слово, дериват Diachronique ï³ñ³Å³Ù³Ý³ÏÛ³, диахронический Dialecte m µ³ñµ³é, диалект Dialectisme m µ³ñµ³é³µ³ÝáõÃÛáõÝ, диалектизм Discours m Ëáëù, речь Divergent, e ï³ñ³Ù»ï, дивергентный Dominante f ÑÇÙݳµ³é, ѻݳµ³é ¥ÑáÙ³Ýß³ÛÇÝ ß³ñùǤ, доминант (синонимического ряда) Doublet m ÏñÏݳÏ, дублет ~s étymologiques ëïáõ·³µ³Ý³Ï³Ý ÏñÏݳÏÝ»ñ, этимологические дублеты E Élément m ~ composant Emprunt m ~ direct ï³ññ ¥É»½í³Ï³Ý¤, элемент (языка) µ³Õ³¹ñÇã/µ³ÕϳóáõóÇã ï³ññ, компонент, составной элемент ÷á˳éáõÃÛáõÝ, заимствование ³ÝÙÇç³Ï³Ý/áõÕÕ³ÏÇ ÷á˳éáõÃÛáõÝ, непосредственное/прямое заимствование ~ indirect ÙÇçÝáñ¹³íáñí³Í/³ÝáõÕÕ³ÏÇ ÷á˳éáõÃÛáõÝ, опосредованное/косвенное заимствование 82 Énantiosémie f Énoncé m Espèce f Étymologie f Étymologique Étymologiquement Étymon m Euphémique Euphémisme m Expressif, -ive Expression f Expressivité f Ý»ñѳϳÝÇßáõÃÛáõÝ, ÇÙ³ëïÝ»ñÇ µ¨»é³óáõÙ, энантиосемия, поляризация значений ³ëáõÛÃ, высказывание ï»ë³Ï, вид ëïáõ·³µ³ÝáõÃÛáõÝ, этимология ëïáõ·³µ³Ý³Ï³Ý, этимологический ëïáõ·³µ³Ýáñ»Ý, этимологически ÑÇÙݳӨ, ݳ˳Ө, этимон Ù»ÕÙ³ë³Ï³Ý, эвфемистический Ù»ÕÙ³ëáõÃÛáõÝ, эвфемизм ³ñï³Ñ³Ûïã³Ï³Ý, ³ñï³Ñ³ÛïÇã, экспрессивный, выразительный ³ñï³Ñ³ÛïáõÃÛáõÝ, выражение ³ñï³Ñ³Ûïã³Ï³ÝáõÃÛáõÝ, экспрессивность, выразительность ~ phonique ÑÝãÛáõÝ³Ï³Ý ³ñï³Ñ³Ûïã³Ï³ÝáõÃÛáõÝ, фоническая/звуковая экспрессивность Extension f du sens µ³éÇÙ³ëïÇ ÁݹɳÛÝáõÙ, расширение (d’un mot) смысла / значения (слова) F Familier,-ière Figuré,e Ëáë³Ïó³Ï³Ý, разговорный å³ïÏ»ñ³íáñ, ÷á˳µ»ñ³Ï³Ý, переносный, образный emploi m ~ Flexionnel,le Fonction f Formatif, -ive Formation f des mots å³ïÏ»ñ³íáñ ·áñͳÍáõÃÛáõÝ, образное употребление ûù³Ï³Ý, флективный ·áñͳéáõÛÃ, ·áñͳéáõÃÛáõÝ, функция Ó¨³Ï³½Ù³Ï³Ý, формообразовательный, формообразующий µ³é³Ï³½ÙáõÃÛáõÝ, словообразование 83 Forme f interne Ý»ñùÇÝ Ó¨ ¥µ³éÇ, ¹³ñÓí³ÍùǤ, внутренняя форма (слова, фразеологизма) G Généralisation f Genre m Grammaticalisation f Graphie f Graphique Groupe m de mots ÁݹѳÝñ³óáõÙ, обобщение ë»é ¥ù»ñ³Ï³Ý³Ï³Ý ϳñ·¤, род (грамматическая категория) ù»ñ³Ï³Ý³óáõÙ, грамматикализация ·ñáõÃÛáõÝ, графика ·ñ³ÛÇÝ, графический µ³é³Ï³å³ÏóáõÃÛáõÝ, словосочетание H Histoire f de la langue Homographes m pl Homographie f Homonymes m pl Homonymie f Homophones m pl Homophone adj Homophonie f Hyperonyme m É»½íÇ å³ïÙáõÃÛáõÝ, история языка ÝáõÛݳ·ÇñÝ»ñ, омографы ÝáõÛݳ·ñáõÃÛáõÝ, омография ѳٳÝáõÝÝ»ñ, омонимы ѳٳÝáõÝáõÃÛáõÝ, омонимия ÝáõÛݳÑáõÝãÝ»ñ, омофоны ÝáõÛݳÑáõÝã, омофонный ÝáõÛݳÑÝãáõÃÛáõÝ, омофония ë»é³ÝÇß, гипероним I Identique ÝáõÛݳϳÝ, тождественный, идентичный 84 Identité f идентичность Idéographique Idéolecte m Immotivé,e Indice m Intransitif, -ive Invariant m ~ sémantique ÝáõÛÝáõÃÛáõÝ, тождество, ·³Õ³÷³ñ³ÝÇß, идеографический ³Ýѳï³Ï³Ý É»½áõ/Ëáëù, идиолект ãå³ï׳鳵³Ýí³Í, немотивированный ѳïϳÝÇß, признак, показатель ³Ý³ÝóáճϳÝ, непереходный ³Ý÷á÷á˳Ï, инвариант ÇÙ³ëï³ÛÇÝ ³Ý÷á÷á˳Ï, семантический инвариант Italianisme m Çï³É³µ³ÝáõÃÛáõÝ, итальянизм J Jargon m ųñ·áÝ, жаргон L Langage m É»½áõ, Ëáëù. Ëáëù³ÛÇÝ ·áñÍáõÝ»áõÃÛáõÝ ¥Áëï êáëÛáõñǤ, язык, речь: речевая деятельность (по Соссюру) Langagier, -ère É»½í³Ï³Ý, Ëáëù³ÛÇÝ, языковой, речевой Langue f É»½áõ, язык ~ prêteuse ÷á˳ïáõ É»½áõ, источник заимствования ~ empreunteuse ÷á˳éáõ É»½áõ, заимствующий язык Lexème m µ³éáõÛÃ, лексема Lexical,e µ³é³ÛÇÝ, лексический Lexico-grammatical,e µ³é³ù»ñ³Ï³Ý³Ï³Ý, лексикограмматический Lexicologie f µ³é³·ÇïáõÃÛáõÝ, лексикология Lexicologique µ³é³·Çï³Ï³Ý, лексикологический Lexico-sémantique µ³é³ÇÙ³ëï³ÛÇÝ, лексикосемантический 85 Lexique m µ³é³å³ß³ñ, µ³é³ÛÇÝ Ï³½Ù, лексика, Linguistique f словарный/лексический состав É»½í³µ³ÝáõÃÛáõÝ, языкознание, лингвистика Linguistique adj Locuteur m Locution f Logique É»½í³µ³Ý³Ï³Ý, É»½í³Ï³Ý ¥É»½íÇÝ í»ñ³µ»ñáÕ¤, лингвистический, языковой (относящийся к языку) ËáëáÕ ¥³ÝÓ¤, говорящий, говорящее лицо ϳÛáõÝ µ³é³Ï³å³ÏóáõÃÛáõÝ / ³ñï³Ñ³ÛïáõÃÛáõÝ, ¹³ñÓí³Íù, ¹³ñÓí³Í³ÛÇÝ µ³é³Ï³å³ÏóáõÃÛáõÝ, устойчивое словосочетание / выражение, устойчивый оборот, речение; фразеологизм, фразеологический оборот ïñ³Ù³µ³Ý³Ï³Ý, логический M Marqué,e ÝßáõÛóíáñ, ÝßáõÛóíáñí³Í, маркированный Métaphore f Métaphorique Métonymie f Monosémie f ÷á˳µ»ñáõÃÛáõÝ, метафора ÷á˳µ»ñ³Ï³Ý, метафорический ÷á˳ÝáõÝáõÃÛáõÝ, метонимия Ù»ÝÇÙ³ëïáõÃÛáõÝ, моносемия, однозначность Monosyllabe Ùdzí³ÝÏ, односложный, моносиллабический Morphème m Ó¨áõÛÃ, морфема Morphologie f Ó¨³µ³ÝáõÃÛáõÝ, морфология Morphologique Ó¨³µ³Ý³Ï³Ý, морфологический Morphologiquement Ó¨³µ³Ýáñ»Ý, морфологически Morphosyntaxique Ó¨³ß³ñ³ÑÛáõë³Ï³Ý, морфосинтаксический Mot m µ³é, слово 86 ~ accessoire ~ autonome ~ grammatical ~ lexical ~ plein Motivation f Motivé,e Mot-outil m Mot-racine m Mot-valise m ëå³ë³ñÏáõ/ûųݹ³Ï µ³é, служебное слово ÇÝùÝáõñáõÛÝ/ÇÝùݳϳ µ³é, автономное / самостоятельное слово ù»ñ³Ï³Ý³Ï³Ý µ³é, грамматическое слово ÉÇÇÙ³ëï µ³é, лексическое слово ÉÇÇÙ³ëï µ³é, полнозначное слово å³ï׳鳵³Ýí³ÍáõÃÛáõÝ, мотивированность å³ï׳鳵³Ýí³Í, мотивированный ëå³ë³ñÏáõ/ûųݹ³Ï µ³é, служебное слово ³ñÙ³ï³Ï³Ý µ³é, µ³é-³ñÙ³ï, корневое слово µ³é-ÓáõÉáõÛÃ, телескопное слово, слово-слиток N Néologisme m Neutre Nom m d'agent Ýáñ³µ³ÝáõÃÛáõÝ, неологизм 㻽áù, нейтральный ·áñÍáÕ ³ÝÓÇ ³ÝáõÝ, имя деятеля, агентивное имя Norme f ϳÝáÝ ¥É»½í³Ï³Ý¤, ÝáñÙ³, норма (языковая) Notion f ѳëϳóáõÃÛáõÝ, понятие Noyau m sémantique ÇÙ³ëï³ÛÇÝ ÙÇçáõÏ, семантическое / смысловое ядро O Onomatopée f µÝ³Ó³ÛÝáõÃÛáõÝ, ÝٳݳӳÛÝáõÃÛáõÝ, звукоподражание, ономатопея Onomatopéique µÝ³Ó³ÛݳϳÝ, ÝٳݳӳÛݳϳÝ, звукоподражательный, ономатопеический 87 Oratoire Ñé»ïáñ³Ï³Ý, ׳ñï³ë³Ý³Ï³Ý, ораторский, риторический P Paradigme m Parasynthétique Parler m local Parole f ѳñ³óáõÛó, парадигма ѳñ³Ñ³Ù³¹ñ³Ï³Ý, ½áõ·³Ñ³Ù³¹ñ³Ï³Ý, парасинтетический ï»Õ³Ï³Ý Ëáëí³Íù, местный говор Ëáëù ¥É»½íÇ` áñå»ë ѳٳϳñ·Ç Çñ³óáõÙÁ¤, речь (реализация языка как системы) Paronymes m pl Particularité f Particule f Partie f composante ѳñ³ÝáõÝÝ»ñ, паронимы ³é³ÝÓݳѳïÏáõÃÛáõÝ, особенность, отличительная черта Ù³ëÝÇÏ, частица µ³Õ³¹ñÇã, µ³Õ³¹ñ³Ù³ë, компонент, Partie f du discours Péjoratif, -ive составная часть ËáëùÇ Ù³ë, часть речи Ýí³ëï³Ï³Ý, µ³ó³ë³Ï³Ý, унижительный, пейоративный Péjoration f du sens (d'un mot) µ³éÇÙ³ëïÇ í³ïóñ³óáõÙ / Ýí³ëï³óáõÙ, ухудшение значения слова Perception f Périphrase f ÁÝϳÉáõÙ, восприятие ßñç³ëáõÃÛáõÝ, ßñç³ëáõÛÃ, перифраза, Phonème m Phonétique f Phonétique adj описательное выражение ÑÝãáõÛÃ, фонема ÑÝãÛáõݳµ³ÝáõÃÛáõÝ, фонетика ÑÝãÛáõݳµ³Ý³Ï³Ý, ÑÝãÛáõݳϳÝ, фонетический Phonique Phonologie f Phraséologique Polysémie f ÑÝãÛáõݳÛÇÝ, звуковой ÑÝãáõÛóµ³ÝáõÃÛáõÝ, фонология ¹³ñÓí³Í³µ³Ý³Ï³Ý, фразеологический µ³½ÙÇÙ³ëïáõÃÛáõÝ, полисемия, многозначность 88 Polysémique Populaire µ³½ÙÇÙ³ëï, многозначный ÅáÕáíñ¹³Ëáë³Ïó³Ï³Ý, народно- разговорный Positif, -ive Postposé,e Préfixal,e Préfixation f Préfixe m Préposition f Prépositionnel, le Procédé m Pronom m Prononciation f ¹ñ³Ï³Ý ¥¹ñ³Ï³Ýáñ»Ý µÝáõó·ñíáÕ, ¹ñ³Ï³Ý ³ñÅ»ùáí¤, положительный (положительно характеризуемый) ѻﳹ³ë, постпозитивный ݳ˳ͳÝó³ÛÇÝ, префиксальный ݳ˳ͳÝóáõÙ, префиксация ݳ˳ͳÝó, приставка, префикс ݳ˹Çñ, предлог ݳ˹ñ³ÛÇÝ, предложный Ñݳñ, Ñݳñù, Ñݳñ³Ýù, ÙÇçáó, прием, способ, средство ¹»ñ³ÝáõÝ, местоимение ³ñï³ë³ÝáõÃÛáõÝ, произношение Q Qualificatif, -ive áñ³Ï³Ï³Ý Qualitatif, -ive качественный (о прилагательных) áñ³Ï³Ï³Ý, качественный ¥³Í³Ï³ÝÝ»ñÇ Ù³ëÇݤ, R Racine f Radical m (слова) Rection f Restriction f du sens (d'un mot) Rhétorique f ³ñÙ³ï, µ³é³ñÙ³ï, корень (слова) ÑÇÙù ¥µ³éǤ, µ³é³ÑÇÙù, основа Ëݹñ³éáõÃÛáõÝ, í³ñáõÙ, управление ÇÙ³ëïÇ/µ³éÇÙ³ëïÇ Ý»Õ³óáõÙ, сужение смысла / значения (слова) ׳ñï³ë³ÝáõÃÛáõÝ, риторика 89 S Savant,e ·ñù³ÛÇÝ ¥Áëï ͳ·Ù³Ý¤, книжный (по происхождению) Sémantique f Sémantique adj ÇÙ³ëï³µ³ÝáõÃÛáõÝ, семантика ÇÙ³ëï³µ³Ý³Ï³Ý, ÇÙ³ëï³ÛÇÝ, семантический, смысловой Sémantiquement Sème m Sémiotique f Sémiotique adj Sémique Sens m ÇÙ³ëï³µ³Ýáñ»Ý, ÇÙ³ëï³ÛÝáñ»Ý, семантически ÇÙ³Ï, сема Ý߳ݳ·ÇïáõÃÛáõÝ, семиотика Ý߳ݳ·Çï³Ï³Ý, семиотический ÇٳϳÛÇÝ, семный ÇÙ³ëï, Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, ³éáõÙ, значение, смысл ~ dérivé ³Í³ÝóÛ³É ÇÙ³ëï/Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, производное значение ~ figuré å³ïÏ»ñ³íáñ/÷á˳µ»ñ³Ï³Ý ÇÙ³ëï, образное/переносное значение ~ fondamental (de base, essentiel, primitif) ~ phraséologiquement lié ÑÇÙÝ³Ï³Ý ÇÙ³ëï/Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, исходное / первоначальное значение ¹³ñÓí³Í³ÛÝáñ»Ý ϳåí³Í Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, фразеологически связанное значение ~ propre áõÕÕ³ÏÇ/µáõÝ ÇÙ³ëï/Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, прямое/собственное значение, прямой / собственный смысл ~ secondaire (sens dérivé) Sigle m Signe m Signifiant m »ñÏñáñ¹³Ï³Ý ÇÙ³ëï / Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, второстепенное значение ëϽµÝ³ï³é³ÛÇÝ Ñ³å³íáõÙ, инициальная аббревиатура Ýß³Ý ¥É»½í³Ï³Ý¤, знак (языковой) Ý߳ݳÏÇã ¥Áëï êáëÛáõñǤ, означающее (по Соссюру) 90 Significatif, -ive Signification f ÇÙ³ëï³ÏÇñ, знаменательный, значи-мый ÇÙ³ëï, Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, ³éáõÙ, значение, смысл ~ primitive ëϽµÝ³Ï³Ý / ݳËÝ³Ï³Ý ÇÙ³ëï / Ý߳ݳÏáõÃÛáõÝ, исходное / первоначальное значение ~ lexicale µ³é³ÛÇÝ/µ³é³Ï³Ý ÇÙ³ëï, µ³éÇÙ³ëï, лексическое значение Signifié m Spécialisation f Structure f Style m Stylistique f Ý߳ݳϻÉÇ, Ý߳ݳÏÛ³É ¥Áëï êáëÛáõñǤ, означаемое, обозначаемое (по Соссюру) Ù³ëݳíáñ»óáõÙ, специализация ϳéáõóí³Íù, ϳéáõÛó, структура (языковой единицы), строй (языка, предложения) á×, стиль á׳µ³ÝáõÃÛáõÝ, á׳·ÇïáõÃÛáõÝ, стилистика ~ discursive ËáëùÇ á׳µ³ÝáõÃÛáõÝ, дискурсивная стилистика Stylistique adj Stylistiquement Substantif m Substantivation f Substitution f Suffixal,e Suffixation f Suffixe m Syllabe f Syllabique Synchronique Synecdoque f á׳µ³Ý³Ï³Ý, á׳·Çï³Ï³Ý, á׳ϳÝ, á׳ÛÇÝ, стилистический, стилевой á׳ϳÝáñ»Ý, стилистически ·á۳ϳÝ, ·áÛ³Ï³Ý ³ÝáõÝ, существительное, имя существительное ·á۳ϳݳóáõÙ, субстантивизация, субстантивирование ÷á˳ñÇÝáõÙ, субституция í»ñç³Í³Ýó³ÛÇÝ, суффиксальный í»ñç³Í³ÝóáõÙ, суффиксация í»ñç³Í³Ýó, суффикс í³ÝÏ, слог í³ÝϳÛÇÝ, í³Ýϳñ³ñ, слоговой, слогообразующий ѳٳųٳݳÏÛ³, синхронный, синхронический ѳÙÁÙµéÝáõÙ, синекдоха 91 Synonyme m ~s partiels ÑáÙ³ÝÇß, синоним Ù³ëݳÏÇ ÑáÙ³ÝÇßÝ»ñ, частичные синонимы Synonymie f ~ absolue ÑáٳݥǤßáõÃÛáõÝ, синонимия µ³ó³ñÓ³Ï ÑáٳݥǤßáõÃÛáõÝ, абсолютная синонимия ~ relative Synonymique Syntaxe f Syntaxique Système m Synthétique ѳñ³µ»ñ³Ï³Ý ÑáٳݥǤßáõÃÛáõÝ, относительная синонимия ÑáٳݥǤ߳ÛÇÝ, синонимический ß³ñ³ÑÛáõëáõÃÛáõÝ, синтаксис ß³ñ³ÑÛáõë³Ï³Ý, синтаксический ѳٳϳñ· ¥É»½í³Ï³Ý¤, система (языковая) ѳٳ¹ñ³Ï³Ý, синтетический T Tabou m ³ñ·»É³µ³é, ³ñ·»Éí³Í µ³é / ³ñï³Ñ³ÛïáõÃÛáõÝ, табу (запрещенное слово или выражение) Terminologie f Tour m Trait m distinctif Trait m d'union Transitif, -ive ï»ñÙÇݳµ³ÝáõÃÛáõÝ, »½ñ³µ³ÝáõÃÛáõÝ, терминология ¹³ñÓí³Í, ËáëùÇ ¹³ñÓí³Í ¥ß³ñ³ÑÛáõë³Ï³Ý ϳéáõÛó¤, оборот, оборот речи (синтаксическая конструкция) ï³ñµ»ñ³ÏÇã ѳïϳÝÇß, различительный признак ÙdzóÙ³Ý ·ÍÇÏ, дефис, соединительная черточка ³ÝóáÕ³Ï³Ý ¥µ³ÛÇ Ù³ëÇݤ, переходный (о глаголе) Transposition f ÷á˳ÝóáõÙ ¥ËáëùÇ Ù³ë»ñǤ, Trope m транспозиция (частей речи) ¹³ñÓáõÛÃ, троп U 92 Unité f Ùdzíáñ ¥É»½í³Ï³Ý¤, единица (языковая) V Virtualité f Vocable m Ý»ñáõݳÏáõÃÛáõÝ, виртуальность µ³é³å³ß³ñÇ Ùdzíáñ, вокабула (слово как единица языка) Vocabulaire m µ³é³å³ß³ñ, µ³é³ÛÇÝ Ï³½Ù, µ³é³Ùûñù, словарный/лексический состав, лексика, словарный запас, словарь 93