l’obtention de biens divers et qui prennent le label de « politique » au sens où ils
concernent le champ politique.
D’où il découle qu’analyser les politiques publiques serait explorer une dimension de ce
champ politique, la plus institutionnalisée mais aussi la plus opératoire : les politiques
publiques délimitent et structurent les systèmes politiques, ses espaces, ses enjeux, ses
processus de règlement des conflits ou d’allocation des ressources, etc. On verra que tout
ceci est partiellement vrai.
Le « public » : ce terme renvoie d’abord littéralement à l’idée de destinataires, d’assujettis,
de bénéficiaires, d’usagers qui sont le public visé par l’action gouvernementale et
administrative. Mais plus généralement, le « public » dont il est question ici renvoie bien
sûr à l’Etat ; d’où étudier des politiques publiques serait traiter l’action
gouvernementale et il s’agirait ici de qualifier le travail gouvernemental pour en dégager
les caractéristiques principales. Or il y a au moins deux difficultés à ce stade :
- Il est parfois difficile de traiter scientifiquement de l’Etat (et du champ
bureaucratique) au sens où, comme Bourdieu le remarque, il institue lui-même et
impose au chercheur les catégories par lequel il est pensé : « entreprendre de penser
l’Etat, c’est s’exposer à reprendre à son compte une pensée d’Etat, à appliquer à l’Etat
des catégories de pensée produites et garanties par l’Etat, donc à méconnaître la vérité
la plus fondamentale de l’Etat »
. L’Etat impose non seulement ses catégories
d’analyse (« l’intérêt général », la « puissance publique », la « régulation », etc.) mais
aussi ses propres objets : « c’est dans le domaine de la production symbolique que
l’emprise de l’Etat se fait particulièrement sentir : les administrations publiques et
leurs représentants sont grands producteurs de « problèmes sociaux » que la science
sociale ne fait bien souvent que ratifier en les reprenant à son compte comme
problèmes sociologiques »
.
- La seconde difficulté est d’ordre moral, plus qu’intellectuel : l’idée de « politique
publique » sous-tend des éléments qui ne se trouvent pas vraiment dans la réalité et qui
sont connotés très positivement : l’idée de primauté de l’Etat, de volontarisme
politique, d’arbitrages justifiés et rationnels, de souci de l’intérêt général, de
souveraineté de la décision, de cohérence entre les moyens et les fins, d’inscription
nationale de la décision, etc. Or, face à des phénomènes comme la décentralisation, la
mondialisation, l’intégration européenne, on verra que ce qui est formellement produit
par l’Etat est en fait co-produit (dans l’Etat et entre l’Etat et d’autres groupes sociaux),
irrationnel, précipité, mu par des intérêts particuliers, instable, multi-niveaux,
polycentrique, etc.
L’ambiguïté des « politiques publiques » résulte en grande partie de cette juxtaposition entre
ces deux dimensions. On verra d’ailleurs tout au long des six sections qu’il est vraiment
difficile de donner une définition claire d’une politique publique et que cet objet, une fois
déconstruit, est avant tout caractérisé par sa complexité, sa fluidité, sa ductilité et son
instabilité. Au total, on verra la difficulté à gouverner qui caractérise les Etats modernes.
Pierre Bourdieu, « Esprits d’Etat. Genèse et structure du champ bureaucratique », in Raisons pratiques. Sur la
théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994, p. 101.
Ibid., p. 104-105.