Tania Moguilevskaia
Ivan Viripaev, Galin Stoev, théâtre documentaire et la Grande Europe.
Ivan Viripaev est un auteur très jeune et prolifique. Son premier texte Les Rêves a circulé (peux tu
le formuler ? ) comme rarement aucun des textes contemporains russes, d’abord en Angleterre, ensuite ,
sous la forme de son spectacle , en France en 2002, et en Bulgarie. Son deuxième texte, Oxygène, a été
monté de nombreuses fois, en Allemagne, en Bulgarie, en Pologne, quatre fois…
Mais d’ou vient cet Ivan Viripaev ? Que veut dire de devenir l’auteur et l’initiateur d’une jeune
compagnie au début des années 2000 en Russie ?
En effet, il s’agit d’un contexte théâtral bien particulier, propre à la Russie, caractérisé d’une part,
d’une survivance de l’Institution théâtrale pesante, et d’autre part, d’une émergence, au tout début des
années 2000, d’un théâtre contemporain qui évolue volontairement en dehors des cercles officiels.
Il nous faut bien évidemment commencer par évoquer un héritage de poids qui vient de cette
entité bien difficile à cerner qu’a été l’URSS. Depuis des décennies, chaque ville, y compris celles de
moyenne importance, dispose d’un voire de plusieurs Théâtre. C’est donc plus de six cents Théâtres que
l’Etat subventionnait en Russie. Chacun d’eux possédait une troupe comptant entre trente et soixante
comédiens permanents. Ces Théâtres, dotés de salles souvent surdimensionnées, fonctionnaient selon le
principe de « répertoire ». C’est-à-dire qu’on y donnait au fil des mois et sous la direction d’un metteur en
scène principal, un certain nombre de spectacles inscrits en alternance au programme.
Et c’est au sein de ce formidable appareil institutionnel que se concentrait toute l’activité
théâtrale. Pas d’alternative, pas de jeune compagnie, pas de création « en marge » comme le théâtre
occidental a pu en connaître au cours du siècle dernier.
Au début des années 90, le financement de l’Etat diminue si radicalement que les Théâtres ne sont
plus, dans le meilleur des cas, subventionnés que pour de très maigres salaires. Leur survie dépendant
directement de la recette et du sponsorat, ils sont contraints de se rapprocher des pouvoirs en place dans
l’espoir d’avantages, de louer leur espace à des entreprises privées, de coller au plus près aux goûts
dominants du public. Ainsi quantité de spectacles, comédies étrangères, pièces de boulevard ou comédies
musicales, sont spécialement montés pour répondre aux aspirations de divertissement des «nouveaux
Russes». Parallèlement, une nouvelle forme de production théâtrale se développe, « la libre entreprise » :
un commanditaire privé, une agence, un metteur en scène de renom, quelques comédiens-vedettes. Et le
spectacle est joué trois ou six fois dans différentes salles louées pour l’occasion. Les prix des billets sont
faramineux et l’objectif purement commercial.
Aujourd’hui, les directions vieillissantes en place dans ces Théâtres restent très autoritaires à
l’image du rapport social précédent. Et le fonctionnement des Ecoles de théâtre qui forment metteurs en
scène et acteurs n’est guère plus souple ni moins stagnant.
Rien de bien collectif dans ce schéma institutionnel, c’est le metteur en scène qui décide
de tout, lequel n’hésitera pas à « casser » les acteurs s’il le juge nécessaire.