Dans :
Si je changeais mes dents, ce serait une insulte à ma nature, à mes parents
le sens serait incompréhensible en dehors du repérage de l’instance d’énonciation (« je »,
accompagné par les possessifs « mes », « ma »), dans la personne de Laetitia Casta.
Le sujet parlant n’est plus une simple annexe, inutile, dont la langue et le linguiste
pourrait, à la rigueur, se passer. Par conséquent, le locuteur quitte sa position marginale et
s’insère dans une instance de discours centrale. Il gère, dans cette position, la relation je/tu et
ordonne les références de ici et maintenant.
Même s’ils considèrent comme une révolution le passage d’une linguistique de la
langue à une linguistique de l’énonciation, certains linguistes s’avisent des limites de la
théorie benvenistienne. On peut établir, plus précisément, la distinction entre une linguistique
de second type (la linguistique de l’énonciation) à une linguistique de troisième type (la
pragmatique)
Quand même, la pragmatique a joui, sans conteste, de la richesse des textes de
Benveniste, notamment lorsqu’on avait saisi que les questions du sujet et du sens ne peuvent
plus être tenues hors du champ de la réflexion linguistique.
D’autres s’avisent encore qu’il serait possible de mieux préciser, à la suite de
Benveniste, des notions telles sujet parlant, émetteur ou locuteur
: la distinction entre le
sujet de l’énoncé et le sujet de l’énonciation en est une première tentative.
A coup sûr, la prise en compte du côté subjectif de la langue vient « dérégler » les jeux
ordonnés de l’objectivité et nous invite à examiner plus attentivement les jeux de la langue,
vue comme fondement des relations intersubjectives mises en oeuvre dans le discours.
Mais la nouveauté ouverte par Benveniste va encore plus loin. Dans sa théorie, on
n’assimile pas tout simplement le discours à la « parole » de Saussure : le discours n’est pas la
langue « exécutée » par les individus. Ce serait un piège de le voir ainsi et de ne pas pouvoir
lui attribuer aucune autonomie ou fonction spécifique. Benveniste montre aussi qu’il ne suffit
pas de voir le discours comme mettant la langue au service de fins intersubjectives : en lui-
même, il constitue une relation intersubjective
.
Une simple question telle :
Pourrais-te venir demain me voir ?
met en fonction tout un système de relations institutionnelles qu’entretiennent les individus
entre eux et avec le « milieu » où ils interagissent. C’est ici qu’on établisse les positions des
individus, caractérisés par une psychologie complexe (le désir de protéger leur image face au
potentiel agressif de la question). C’est toujours ici qu’il faut identifier les indices de
l’énonciation (tu, me, demain) et la portée de la force illocutionnaire de cet acte de langage
indirect (souhait, prière, incertitude, etc.).
Paris Match, mai 1999.
Cf. Roland Eluerd, La pragmatique linguistique, Paris, Nathan, 1985, p. 35.
C. Normand, « Le sujet entre langue et parole », Langages, 77/1986, Paris, Larousse.
Cf. O. Ducrot, Logique, structure, énonciation, Paris, Minuit, 1989, p. 159.