Résumé socio 1. LE MÉTIER DE SOCIOLOGUE Une situation sociale transcende toujours l’individuel et le particulier pour atteindre au relationnel et au général. Le passage du particulier au général — soit au généralisable — est le propre de toute science, et la sociologie est une science : elle fait partie de ce qu’on appelle les sciences humaines >< sciences « exactes ». Sciences humaines : ont affaire à l’humain, et plus précisément au comportement humain et non pas à sa dimension strictement physique. >< médecine seul aspect = physiologie, qui peut bien sûr avoir des effets comportementaux mais ce n’est pas là ce qui occupe en premier les médecins psychologie : à la lisière des sciences humaines (psychanalyse, psychologie systémique) et des sciences exactes (neuropsychiatrie). Le sociologue va pour sa part essayer d’établir des lois généralisables à propos du comportement humain, non pas en cherchant l’explication dans la psychologie des personnes mais dans les déterminations sociales, économiques ou culturelles, bref dans des causes qui dépassent, voire déterminent la psychologie individuelle. Psychologie pas plus correcte mais socio et psycho s’intéressent et expliquent des catégories de faits différents, c’està-dire des faits qui sont identifiés et construits différemment selon les disciplines. Manière différente d’aborder le phénomène : exemple du coup de foudre. Soc : « homogamie de classe ». Les lois de la soc sont de nature probabiliste et non absolue. Même si des exemples infirment la règle, science pas « inexacte ». (pas non plus « exception confirme la règle ! »). Corrélations (ex : universitaires cinéphiles) Nous faisons tous de la sociologie sans le savoir : « sociologie spontanée ». Le simple fait de pouvoir se débrouiller dans la vie suppose que l’on mobilise des ressources qui sont autant de compétences sociales. La vie en société implique : - que chacun ait intériorisé un certain nombre de règles de vie (on peut appeler cela des règles morales), qui sont toujours relatives, c’està-dire propres à notre société (au Japon, se moucher en public est considéré comme aussi grossier que de roter à table chez nous, en revanche renifler bruyamment durant des heures y est tout à fait admis) - que nous disposions d’une véritable intelligence pratique du social : il n’est pas suffisant de savoir ce qui se fait ou ne se fait pas dans telle ou telle circonstance, encore faut-il savoir décoder et interpréter le social pour y reconnaître ces situations, pour décoder et interpréter avec justesse les comportements et les attitudes de nos semblables — ce qui n’est pas toujours simple. Ces compétences sociales supposent donc une certaine forme d’intelligence sociologique. Différence : le sociologue essaye de mettre au jour, de dévoiler des mécanismes sociaux partiellement inconscients et automatiques car parfaitement intériorisés et profondément enfouis en nous par l’effet de notre éducation, liée à notre origine sociale et culturelle, à notre milieu d’appartenance et de vie. Or, ce sont, en partie au moins, ces schémas mentaux et comportementaux acquis qui dictent notre conduite, qui déterminent nos actions, mais aussi nos idées, nos jugements, nos goûts, sans que nous en prenions la mesure, qui nous laissent croire que nous sommes libres de penser ce que nous pensons et d’aimer ce que nous aimons, alors que nous n’avons souvent pas encore commencé à nous demander pourquoi nous pensons ce que nous pensons et pourquoi nous aimons ce que nous aimons. La plupart des gens ne le font pas, ne contestent pas l’ordre établi, ce qui « va de soi ». Cela vient par la rencontre avec d’autres façons de faire nous fait douter de nos évidences. Cette rencontre avec l’altérité (tourisme ou exil) est déterminante dans la structuration de notre personnalité : nous prenons alors conscience tout à la fois de la relativité et du caractère inachevé de notre condition humaine, mais aussi de la richesse que représentent nos différences et notre complexité constitutive : « Je est un autre » écrivait Arthur Rimbaud. Sociologue ≠ thérapeute social ≠ assistant social ≠ auxiliaire des forces de l’ordre ≠ agent d’ambiance. L’utilité de la sociologie ne se jauge pas à l’aune de son aptitude à être immédiatement opératoire. Profit : mieux comprendre ce qui se passe en nous et entre les hommes. Ce qui intéresse au premier chef le sociologue, ce n’est pas forcément de résoudre les problèmes sociaux, mais bien plus de comprendre les problèmes sociologiques, qui sont d’un autre ordre. Ex : « Pourquoi les gens sont-ils racistes ? » est une question de sociologue; « Peut-on tolérer le racisme ? » est déjà une question de moraliste, « Que faire pour éradiquer le racisme ? » est une question politique. Le sociologue ne peut se substituer au décideur politique. La sociologie n’est pas pour autant une science neutre ou désengagée. Au contraire : CRITIQUE puisqu’elle énonce ce qui ne se dit pas, qu’elle révèle les mécanismes d’un système social basé sur des intérêts antagonistes et des rapports de force. Mais garder distinction entre convictions personnelles et analyse. Sociologue : parfois considéré comme un « agent double » puisqu’il connaît les signes et les codes du milieu tout en les trahissant. Ceci pourrait déjà constituer une première définition du sociologue, tant il est vrai que le sociologue est celui qui « vend la mèche ». mauvaise réputation. Travail du sociologue : élaborer des théories qui ont une vertu explicative même fonction que mythes, croyances, préjugés, idées reçues (= « sociologie spontanée » ou « portative »). Mais différence : la sociologie se réclame de la science, et à ce titre ses théories sont soumises aux règles de validation scientifique. La sociologie parie de la sorte sur l’intelligibilité rationnelle du monde. Va et vient entre l’observation empirique (observation = technique socio fondamentale) et la spéculation intellectuelle (modèles théoriques : cadre explicatif ou interprétatif). Observation cadre théorique validation par l’observation. Science (sociologie) >< pratique (travail social, décisions politiques). L’une inspire l’autre MAIS science procédures scientifiques et objectives d’énonciation, de problématisation et de vérification de ses théories. Emile Durkheim : « la sociologie ne mériterait pas une heure de peine, si elle n’était utile » la sociologie s’attache à des problèmes sociologiques et non sociaux, mais peut éclairer enjeux et conséquences. Politique : décisions qui doivent répondre de manière satisfaisante à la demande sociale (effective, supposée ou médiatisée). apporter une solution à des problèmes sociaux qui sont définis par les acteurs sociaux eux-mêmes, en adéquation si possible avec ses convictions idéologiques. Crise demande sociale exacerbée (ex : marches blanches) sociologue sollicité. Risque : être instrumentalisé (gagné, par sympathie ou opportunisme, à la cause des protagonistes, et neutralisé dans son discours). Distance critique : mise hors jeu car « indifférent », voire « complice » (parents de Julie et Melissa : « les experts, c’est nous »). La parole du sociologue est rarement entendue : o soit elle passe pour triviale et évidente (quelle originalité y a-t-il à répéter que les offres scolaires sont inégalitaires), o soit elle dérange ou déplaît (rappeler par exemple, lorsqu’on évoque précisément les dysfonctionnement de la police et de la justice, comme dans cette affaire Dutroux, que la diffusion du savoir et le respect du droit constituent les meilleures des garanties démocratiques). Le sociologue peut alors être tenté par le rôle de l’intellectuel médiatique qui a un avis sur tout (ce à quoi poussent les médias si prompts à tout qualifier de « phénomène de société »). Peut-être revient-il aux politiques de mettre en application certaines de ces théories sociologiques, et de la sorte d’« expérimenter » ces théories. Et au sociologue d’éclairer le politique quant aux effets probables de l’activation de ces théories. Car toute théorie produit des effets de réalité. Le sociologue appelé à la rescousse va commencer par reproblématiser en termes sociologiques les données de ce problème social. S’il ne le fait pas, c’est-à-dire s’il ne prend pas la recul scientifique nécessaire : risque d’être instrumentalisé par les pouvoirs publics ou par la population qui auront élaboré et défini de manière unilatérale et partiale le problème. Dissocier le problème de la manière dont il a été formulé et médiatisé. « Problème » de l’immigration : « difficile cohabitation » résolution logique = assimilation !? Or, point de vue des autochtones ! Nationaux redoutent la dissolution de leurs valeurs et de leurs repères (peur et haine des étrangers) préconisent assimilation. Immigrés : redoutent acculturation. Préconisent cohabitation de communautés culturelles soumises aux mêmes lois dans l’espace public et libres de pratiquer et d’entretenir leur culture dans l’espace privé (modèle anglo-saxon). Nécessité de recontextualiser le problème en élargissant les données du problème aux discours, aux intérêts, aux stratégies convergentes ou divergentes des différents acteurs en présence, et, ce faisant, de reproblématiser. Le « problème de l’immigration » devient : la question de l’expression des identités culturelles plurielles dans l’espace public. Ce n’est qu’au prix d’un tel travail préalable de « déconstruction » qu’on pourra risquer des propositions fondées sociologiquement. Règles méthodologiques propres à la sociologie (la distinguent de la philosophie ou commentaire journalistique). Aussi distinction >< sciences exactes : éthique limite expérimentation sondages, enquêtes par questionnaires, observation (participante ou extérieure, clandestine ou avouée) des milieux sociaux, histoire De plus, l’objet des sciences humaines est vivant, réactif : le discours sur le social peut modifier le social. sondages biaisés. (sexualité : sondés trouvent dans la publication de ces sondages des modèles à adopter ; publication des sondages d’opinion politique interdite avant les élections) Appel au sociologue quand problème social, çàd crise p/r normalité. On lui demande un remède pour revenir à la « normale ». Reproblématisation : reprendre le problème à contresens en commençant par interroger cette normalité. La crise est souvent symptomatique d’un conflit ! Parfois même fonction libératoire, pour des groupes sociaux victimes d’une oppression qu’ils ne pouvaient dire, soit qu’ils n’avaient pas les mots pour le dire, soit qu’ils n’avaient pas conscience de la nature de cette oppression. Situations de domination symbolique: le dominé n’a pas conscience voire participe à sa propre domination qu’il estime fondée, légitime. = violence symbolique : violence n’a plus besoin d’être exercée physiquement. Acceptation symbolique. (colonisé, salarié, épouse) Au lieu de forcément préconiser un retour à la normale (c’est-à-dire à une situation antérieure où le malaise n’était que latent), le sociologue pourra donc le cas échéant interpréter la situation de crise comme une réaction saine (psychanalyse collective !) Ex : échec scolaire vient aussi du rapport pédagogique, du fonctionnement du système scolaire, voire des opportunités, ou à l’absence d’opportunités, qu’offre la société et l’école au jeune suivant le type de certification qu’on lui destine. Décrochage scolaire : peut aussi être analysé en termes de calcul rationnel coût/bénéfice de la part de ce jeune. Distinction épistémologique entre probl. sociaux et sociologiques. Emergent d’une situation anormale, n’allant pas de soi 2. Viennent du normal, du taken for granted. Crise = révélateur, analyseur GENÈSE DE LA SOCIOLOGIE Sociétés traditionnelles et sociétés modernes Toute société humaine transmet de génération en génération un ensemble de savoirs et de savoir-faire (= traditions) qui constituent son capital intellectuel, culturel et technique (= de patrimoine). Récit mythique qui lui confère une identité collective, ordonne et donne un sens symbolique à ses pratiques (l’homme est foncièrement un « animal symbolique » et l’instinct ne lui suffit pas pour acquérir les compétences sociales nécessaires). Sociétés traditionnelles (respect de modèles ancestraux) : patrimoine ±constant identité collective stable pratiques orientées par référence à une forme de vérité révélée (foi religieuse ou sagesse ancestrale) « C’était mieux hier » Sociétés modernes : la conscience que ce sont les hommes qui font l’histoire (>< volonté transcendantale de Dieu, fatalité) oriente les pratiques et détermine l’identité collective. sociétés historiques, ou séculières. L’identité collective comme le sens de l’existence deviennent un projet collectif. Cette opposition radicale (Lévi-Strauss) est exagérée. Modèles théoriques purs. Il y a de l’histoire dans les sociétés traditionnelles et des coutumes, religions, croyances ésotériques dans les sociétés modernes : sacralité, irrationalité (facilité ou conviction). Naissance de l’étude de l’homme ; rationalisme Les progrès dans l’étude et la connaissance de l’homme en société vont coïncider avec deux processus historiques : 1) L’importance croissante que prend la bourgeoisie (marchande au XVIè, manufacturière au XIXé). La rationalité a toujours présidé aux activités de la bourgeoisie (économie, finance). 2) L’expansion coloniale des grandes puissances européennes. Contact avec les « sauvages » du Nouveau Monde voie nouvelle pour l’observation de l’homme à travers la disparité de ses coutumes. L’ethnologie moderne en procède. La notion de science, au sens où nous l’entendons de nos jours, s’est développée, en Occident, à partir de ce qu’on appelle communément la Renaissance. but de ce décryptage : parvenir à une meilleure maîtrise, conceptuelle et matérielle, du monde (physique ou humain). Sciences de l’homme : essor (XVIIè) lié au développement de deux principes visant à la fois le comportement individuel et la constitution des connaissances : individualisme et rationalisme. Notions indissociables car supposent l’émergence d’une forme d’humanisme qui détache la figure de l’homme de celle de son Créateur. Doué d’une intelligence et d’une volonté propres, il se forge un destin individuel par son travail et l’exercice de sa raison. Figure de l’homme privé, plus attaché à ses intérêts particuliers qu’à ceux de la collectivité. Cet homme abstrait, guidé par sa raison, qui prend ses distances avec la collectivité, se prête idéalement à l’examen scientifique. Sa première modélisation sera l’homo œconomicus (motifs rationnels : gain et perte…). L’impact révolutionnaire et émancipateur de la figure humaniste de l’homme comme individu sera tellement fort que ce ne sera que bien plus tard, suite aux analyses comparées des anthropologues, qu’on prendra conscience que cette conception n’est que notre manière typiquement occidentale et moderne de penser notre rapport aux autres et au monde. Le rationalisme n’est pas seulement un mode de connaissance du monde et des hommes, c’est aussi un principe d’action (contrôler le monde). Rationalisme contemporain à l’avènement du capitalisme marchand puis industriel Se déploie au rythme où la bourgeoisie s’installe aux commandes des Etats-nations. La bourgeoisie légitime la rationalité par l’idée de progrès. Lien entre progrès et rationalité : la méthode rationaliste permet le perfectionnement de connaissances. Caractère cumulatif progrès scientifique. la maîtrise rationnelle de l’« histoire naturelle » de l’homme permet d’envisager (>< Église) la perfectibilité morale de l’espèce humaine, soit cette autre forme de progrès qu’on appelle le progrès moral. ( franc-maçonnerie, Condorcet qui milite pour l’Instruction publique dans Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain) Le contrat social : Hobbes et Rousseau L’avènement de la bourgeoisie sert de cadre à la pensée de Thomas Hobbes. France : guerres de religion (rédige Léviathan) l’obligent à rentrer en Angleterre guerres civiles. Seul l'État souverain, séparé du pouvoir de l’Église, peut garantir la paix civile et la prospérité de la société civile. « À l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme ». La vie en société n’est dès lors possible que par un pacte passé entre tous les individus, et dont le respect ne peut être assuré que par le recours possible à la force de la part d’un souverain à qui les hommes confient, par contrat, le soin de les gouverner. pouvoir veillant à la bonne marche des activités de commerce —reposant lui aussi sur la notion de contrat, c’està-dire d’engagement mutuel garanti par le recours possible à une autorité supérieure dotée du pouvoir de faire respecter ces engagements— et donc favorable au déploiement des intérêts de la société bourgeoise. ≠ Rousseau (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ; Le Contrat Social). Pour lui, le problème fondamental est celui de la nature du pacte social. Il n’est plus question ici d’intérêts égoïstes et antagonistes d’individus qui mandatent un État souverain pour garantir la paix civile et l’ordre social, mais de la volonté du Peuple qui s’assemble pour assurer souverainement cette fonction. Ce sera l’objet du contrat social, qui va unir tous les citoyens également libres et librement égaux, et constituer une entité sociale souveraine. Démocratie directe (applicable à Genève, mais pas à grande échelle !). Prémices de totalitarisme ! Révolutionnaires de tout poil qui se réclameront de ses idées vont exercer une forme de terreur au nom de cette souveraineté populaire, censée être incarnée par le Comité de salut public sous la Révolution française, ou par les Soviets et le parti unique avec la Révolution russe. Rousseau lui-même : « il s’agirait au besoin de forcer les citoyens à être libres » ! Contrat social : nécessité d’instaurer une « religion civile » commune au plus grand nombre des citoyens afin de garantir et de pérenniser les valeurs républicaines. Endoctrinement ! (Robespierre : « culte de l’Etre suprême » ; Auguste Comte : « religion de l’humanité », « catéchisme positiviste », dans un esprit de cohésion) Vie en société Finalité pratique du savoir social : éthique. Problèmes naissent du fait que l’homme est un animal grégaire obligation d’instituer des règles et des normes de comportement qui permettent à des individus qui agissent suivant des motifs personnels de vivre sans s'entre-tuer. La pensée sociologique procède de ce projet, et on trouve de nombreuses ébauches de réflexions sociologiques chez des penseurs tels que Platon, Ibn Kaldoum, Hobbes, Rousseau, Montesquieu ou Tocqueville, qui tous ont pour préoccupation le choix du meilleur mode de gouvernement possible, soit la manière de résoudre le plus harmonieusement et avec le moins de violence possible cette question du vivre ensemble. rôle de la morale (= ensemble de règles de vie, qui diffèrent d’une société à l’autre). Morale : pluralité de jugements de valeur, d’opinions et d’idées reçues, de principes dont nous nous servons pour établir avec les autres des relations paisibles, et si possible aimables. Toutes les sociétés et à toutes les époques : préceptes moraux, prescriptions juridiques et récits mythiques légitimateurs. système cohérent de représentation et d’explication du monde qui s’impose pour autant qu’il paraisse légitime à la collectivité (ou avantageux aux groupes dominants). Les membres d’un groupe social sont unis par la poursuite de buts communs sous-tendus par le partage de « valeurs » communes autour desquelles se réalise un consensus. Pour que ce consensus se maintienne, il importe que les membres du groupe croient et continuent de croire en la légitimité de ces buts et de ces moyens. (vague de l’ésotérisme aux Etats-Unis pourrait reléguer la science au rang de croyance ; religions et sectes) Utopie Une des premières formes que revêt historiquement la pensée du social. Modélisation idéale de la vie de la Cité, permettant de critiquer à cette aune la réalité sociale effective. République de Platon Nouveau monde industriel et sociétaire de Charles Fourier Utopie de Thomas More (humaniste anglais et grand ami d’Érasme, il condamne la propriété privée et le régime monarchique auxquels il oppose un modèle de communautarisme idéal) Cité du Soleil de Tommaso Campanella (moine dominicain qui prône une forme de communisme intégral). Mais conception figée des rapports sociaux car idéalité qui doit rester intangible. Versions contemporaines : science-fiction qui décrit des sociétés totalitaires futures : 1984 de George Orwell Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Pamphlets basés sur des extrapolations critiques des travers que ces auteurs décèlent dans l’organisation de nos sociétés modernes. Leur ressort analytique remonte à la tradition des fables philosophiques classiques telles que Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, dont Voltaire s’inspirera pour composer son Micromégas, ou encore Les Lettres persanes de Montesquieu. Paradoxalement : toute construction utopique achevée comporte une part conservatrice, voire totalitaire. En effet, comment critiquer une société qui se donne pour parfaite ? Argument des régimes totalitaires ! Régimes totalitaires : justifient actions par le bien commun. Combattre les esprits critiques au nom d’un bien commun supérieur aux intérêts individuels. Problème moral et politique : comment concilier la liberté individuelle et la paix sociale ? Devise « liberté – égalité - fraternité » : tente de concilier. Régimes démocratiques privilégient tantôt l’un, tantôt l’autre. XVIIIè et XIXè siècles Pays neufs, qui peuvent agir sur l’imagination des philosophes à la manière d’utopies réalisées. Les Etats-Unis s’inspireront des principes démocratiques et républicains français. Tout à construire terrain d’expérimentation, laboratoire inespéré pour la sociologie qui étudie précisément la manière dont les sociétés s’inventent, se transforment et innovent sans cesse. Cet intérêt des sociologues pour l’Amérique tient à la nature même du projet de la sociologie qui se forme historiquement en Europe au XVIIIè siècle. Lumières critiquent religion : sur le plan intellectuel (science) et moral (droit naturel, démocratie citoyenne). Révolution française droit et devoir de prendre en mains son destin historique. Passage d’une société traditionnelle à une société moderne (symboliquement). (Traditionnelle : la tradition prime et se transmet à l’identique de génération en génération ; moderne : possède la faculté de se penser et de se transformer) Alexis de Tocqueville (XIXè), aristocrate français : s’inquiète de la menace que constituent l’égalitarisme et la démocratie pour la liberté individuelle L’Ancien Régime et la Révolution ; De la démocratie en Amérique (« despotisme démocratique », qui brade le principe de liberté pour celui d’égalité). Une gnoséologie moderne (théorie de la science) va progressivement se mettre en place (XIXè). 3 principes : 1. observation 2. expérimentation 3. référence aux mathématiques. L’emprunt de modèles mathématiques par la démarche scientifique vise l’établissement de rapports formels entre des concepts. but : mettre à distance les sujets particuliers de la perception spontanée, pour remplacer la subjectivité par l’objectivité (= traitement de ces sujets comme autant d’objets, de choses indépendantes de la volonté, de la foi ou des affects du chercheur, selon les principes de la doctrine positiviste) À côté d’une théologie et d’une cosmologie, va se développer au XIXè siècle une science de l’Homme ou anthropologie. Celle-ci va se diversifier en : psychologie, ethnologie, sociologie, histoire, etc. XIXè siècle - début XXè : tentative de créer une « physique sociale » (= adaptation des méthodes des sciences naturelles à l’étude de la société). Idée : dresser une étude rationnelle de l’esprit humain et de la société sur le principe de la médecine moderne ; trouver les lois de l’organisation de la société. Etude de ces lois : déjà la préoccupation majeure de Montesquieu, XVIIIè (précurseur de la sociologie moderne !). De l’Esprit des Lois théorie des lois, c’est-à-dire des « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses », qui gouvernent les sociétés humaines. Il fut par ailleurs le promoteur de la théorie des climats (aujourd’hui : obsolète ! Mais effort de prise en compte des cadres matériels de la vie sociale). Par ailleurs, son emprunt de la notion de loi aux sciences physiques, et qu’il va étendre à l’ensemble des choses, qu’elles soient inertes, vivantes ou humaines, connaîtra une postérité intellectuelle dans l’œuvre d’Auguste Comte, Karl Marx et Émile Durkheim. Le XIXè siècle voit l’apparition d’une philosophie de l’histoire qui tente de discerner des lois de l’évolution historique des sociétés. Hegel : philosophie idéaliste de l’histoire (l’histoire est celle de la confrontation des idées) Marx : philosophie matérialiste de l’histoire (l’histoire est celle de la lutte des classes) Avec la philosophie de l’histoire, les penseurs sociaux et les enquêteurs de terrain, le XIXè prépare le terrain pour l’émergence d’un savoir de type scientifique sur le social. Les savants vont appliquer au monde social les méthodes et les outils qu’ils réservaient jusqu’alors au monde physique. Auguste Comte, qui le premier parla de « sociologie » dans son Cours de Philosophie positive aurait du reste préféré donner à cette discipline le nom de « physique sociale », mais ce terme était déjà pris par l’astronome, mathématicien et statisticien belge Adolphe Quételet, auteur de la Physique sociale. Quételet conduisait des études statistiques et des recensements démographiques sur la classe ouvrière. Ces études sociographiques étaient destinées à mieux cerner les traits des populations ouvrières dont les conditions de vie étaient largement méconnues, et qui faisaient peur aux classes bourgeoises. Ces enquêtes sociales contribueront à la mise au point d’instruments statistiques dont la diffusion sera capitale pour l’avènement de la sociologie scientifique. Au même moment, Charles J. Booth va dresser une cartographie de la pauvreté à Londres (Life and Labour of the People of London), tandis que Frédéric Le Play présentera des monographies de familles ouvrières réalisées dans l’Europe entière (Les Ouvriers européens, 1855). Auguste Comte Il faudra toutefois attendre le début du XXè siècle pour voir cette discipline devenir véritablement scientifique. Au XIXè, Auguste Comte fait le pont entre la philosophie politique du comte Claude-Henri de SaintSimon (réformateur socialiste), et la sociologie universitaire d’Émile Durkheim, le fondateur de la sociologie en tant que discipline scientifique ayant un statut académique. La vie et l’œuvre d’Auguste Comte demeurent marquées par des contradictions flamboyantes. Il sera brillamment reçu à l’École polytechnique à 16 ans avant d’en être renvoyé pour insubordination et rébellion. Il est un inconditionnel de la Révolution française, mais veut cautériser les plaies qu’elle a ouvertes dans le corps de la société française. Élevé dans la religion catholique, il perdra la foi vers ses 14 ans et fondera la doctrine positiviste Refus de la religion et de la métaphysique Etablir les lois de l’esprit humain sur le modèle scientifique Mais il finira par rédiger un Catéchisme positiviste ( « religion de l’Humanité »). Durkheim (influencé par Comte) : lui aussi socialiste militant, hanté par le spectre de la discorde nationale. Il est fils de rabbin. Il considère la Société comme un être suprême et sacré. Il emprunte à Montesquieu la notion de loi et à Comte la notion de fait. Sociologie française engagée, depuis Durkheim, dans un combat en faveur d’idéaux républicains et attachée à l’idée d’existence lois positives de la vie sociale (>< autres pays, avec Max Weber et Wilfredi Pareto, deux autres pères fondateurs). Comte = inventeur du mot « sociologie » mais sa pensée est plutôt encore une forme de philosophie de l’histoire. Il est le premier à clairement énoncer la nécessité d’inscrire la connaissance du social dans l’ordre de la science. La théorie de l’évolution de Darwin donne indirectement naissance au darwinisme social d’Herbert Spencer (XIXè). Selon cette théorie, la sélection naturelle s’applique aussi aux sociétés humaines, et donc, la société occidentale est supérieure aux autres (fantasme ethnocentrique). Ce darwinisme social a été dénoncé par des anthropologues, comme Claude Lévi-Strauss dans Race et Histoire (XXè), qui a eu raison de qualificatifs aussi connotés que celui de « peuple primitif », par exemple, en démontrant que ces sociétés dites primitives, sont souvent bien plus complexes et raffinées sur le plan symbolique que nos sociétés modernes. Doctrine moderne du progrès (déjà énoncée par Condorcet, cf. supra) intervient : Dans la philosophie de l’Esprit de Hegel (l’histoire est la progression dialectique de la Raison). Dans le matérialisme dialectique de Karl Marx. Chez Auguste Comte avec la « loi des trois états ». « Loi des trois états » (Discours sur l’esprit positif) : concerne aussi bien la genèse de l’esprit positif chez l’homme dans un cadre défini par le Progrès que la marche de l’humanité vers le progrès (métaphore organiciste). Cette loi adopte un schéma évolutionniste quasi omniprésent au milieu du XIXè siècle. 3 stades théoriques, chez l’individu ou chez l’espèce : Stade Chez Chez l’espèce l’individu 1. Théologique Enfance Attribution des phénomènes naturels à l’existence de dieux 2. Adolescence Dieux remplacés par des entités abstraites Métaphysique 3. Positif Age mur Age de la science positive (mathématique, expérimentation) : seul souci de connaître le « comment » et non le « pourquoi » La doctrine du positivisme prétend ne tenir compte que du « réel » tel qu’il est perçu dans sa positivité, à savoir les « faits », indépendamment de leurs « causes premières » et de leurs « fins dernières » ( rejet de la métaphysique). Positivisme = origine du rejet de la métaphysique par la tradition sociologique. Influence de Comte sur la sociologie d’Émile Durkheim : Projet d’établir des lois du monde social analogues aux lois du monde physique. (mais à ce jour, aucune loi de ce type, malgré la pertinence du projet qui vise à comprendre la société par des méthodes scientifiques) Analogie organiciste qui voit la société comme un corps social, c’està-dire comme une entité où le consensus et l’ordre social sont synonymes de santé, et de prospérité. Marx et Hegel Il y a une sociologie chez Marx (encore influente), mais le matérialisme historique n’est pas à véritablement parler une théorie scientifique car la connaissance y est encore subordonnée à un projet messianique. Dans sa Critique de la philosophie du droit de Hegel, Marx >< Hegel (pour qui l’Etat = forme ultime de l’histoire et fonctionnaires = idéal philosophique garantissant la cohésion sociale). Pour Marx, fonctionnaires = une caste alliée aux puissants et qui contribue aux inégalités sociales. Marx : « histoire = lutte des classes » c’est la cohésion sociale (maintenue par les fonctionnaires) qui permet l’aliénation sociale des classes dominées. « Aliénation sociale » = maintien des classes dominées dans une situation d’exploitation qui leur paraît « normale ». (domination sans conscience de cette domination !) « fausse conscience » (qui est au principe du concept de « violence symbolique » de Pierre Bourdieu). Pour Marx, la « superstructure » (idéologique) est subordonnée à l’ « infrastructure » (économique). Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, mais c’est leur être social qui détermine leur conscience. Les superstructures politiques et juridiques sont également subordonnées à l’infrastructure économique de la société. Pour Marx, toutes les sociétés sont basées sur le conflit entre les détenteurs des moyens de production économique et ceux qui en dépendent pour pouvoir travailler. Les bourgeois — transforment la force de travail des ouvriers en marchandises, et en tirent une plus-value « volée » aux travailleurs. Cette exploitation est rendue possible par l’appropriation des moyens de production. Résultat : lutte des classes. Très large écho auprès des sociologues. La pensée marxiste (comme la pensée durkheimienne) est déterministe, mais doctrine émancipatrice (briser les chaînes de l’oppression en dénonçant l’aliénation). Conclusion Pères fondateurs de la sociologie : Emile Durkheim, Max Weber, Karl Marx, Wilfredo Pareto. La naissance de la sociologie résulte donc de la convergence (après la Révolution française et ses bouleversements sociaux) des intérêts entre : La bourgeoisie : pour qui la maîtrise du monde physique doit s’accompagner de celle du monde social Les industriels : qui tentent de comprendre la société de masse en formation (nouveaux problèmes d’organisation du travail, de logement, de santé,…) Quelques philanthropes progressistes : élaboration de mouvements sociaux organisés Au XIXè siècle va se mettre en place un puissant appareil d’observation du social, que le XXè n’aura plus qu’à exploiter et à systématiser. On comprend dès lors que ce soit un scientifique, grand industriel et grand bourgeois, Ernest Solvay, qui fonda l’Institut de Sociologie de l’ULB en 1900 en escomptant que la sociologie naissante allait éradiquer tous les problèmes sociaux en s’inspirant des méthodes des sciences naturelles et de la médecine. Durkheim comme ses contemporains était marqué par les bouleversements considérables de trois révolutions politiques (1789 ; juillet 1830 qui déposa Charles X pour instaurer la Monarchie de Juillet suite à une grave crise économique ; 1848 qui installe la IIe République suite également à une crise économique) en plus de ceux amenés par la Révolution industrielle, et se montrait soucieux avant tout d’assurer le maintien de la cohésion sociale et de l’ordre public dans le respect des valeurs républicaines auxquelles il était très attaché en tant que militant socialiste. L’exode rural et l’entassement d’un prolétariat dans les faubourgs engendrent de nombreux problèmes sociaux. La société n’est plus pensable en termes d’ordre naturel des choses ou d’intervention de la providence divine mais se découvre comme un corps social qui se produit lui-même et qui peut à l’occasion produire des situations critiques qui requièrent à leur tour une intervention scientifique et rationnelle de la société sur elle-même. But pratique et cognitif de la sociologie. 3. ÉPISTÉMOLOGIE DE LA SOCIOLOGIE (NB : épistémologie = étude des fondements, de la structure et du développement des sciences) Bonne distance Rapport du sociologue à la population qu’il étudie = problématique. Adopter la bonne distance à son objet d’étude : o Pas trop loin, car il faut communiquer, partager et comprendre son quotidien, ses valeurs, son langage o Pas trop près, car on risque facilement d’être happé par son objet et dès lors de substituer la connivence à l’analyse. Le bon sociologue sera toujours un « agent double » pour la communauté qui l’a accueilli et lui a révélé ses secrets ! Car il ne peut se contenter de se faire le porte-parole des revendications de cette communauté, aussi légitimes soient-elles. Principe déontologique : que le sociologue soumette son analyse à ses informateurs pour s’assurer qu’il n’y a pas eu distorsion des informations, et par souci éthique de transparence et de réciprocité. Mais la population se sent souvent trahie ! le sociologue doit s’endurcir pour supporter de commettre cette « trahison ». Sinon, comme c’est parfois le cas, engagement militant du sociologue acquis à la cause du groupe. Le sociologue n’est pas pour autant un froid ingénieur social : son implication éthique est fondamentale. Il est motivé par ses valeurs propres (qui déterminent le sujet sur lequel il se penchera). Autre danger : « piège de l’empirie » ( exaltation du vécu, hyperempirisme) : obtenir une photographie objective du réel. Cette valorisation romantique de l’expérience contre la théorie correspond à une conception naïve de la « réalité » qui se livrerait d’emblée dans toute sa vérité au chercheur de bonne volonté. But = informer, pas prendre parti. Mais comment concilier la quête d’objectivité et l’engagement moral ? préoccupation de tous les sociologues. Faits sociaux et prénotions, valeurs Durkheim (positiviste convaincu, emprunte à Comte la notion de fait) : Règles de la méthode sociologique fixer les principes positifs de la recherche sociologique. « Faits sociaux » = « manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui ». Première règle : « Les faits sociaux doivent être traités comme des choses ». CAR ils sont l’unique datum (point de départ de la science) offert au sociologue. Chose = tout ce qui s’impose à l’observation. Préoccupation de Durkheim = combattre les prénotions (a priori, préjugés…). Se débarrasser de notre vision subjective, non scientifique, non positive. Pour Durkheim et les positivistes, le fait social est objectif en soi, et il suffit dès lors d’éliminer les prénotions pour le connaître objectivement au départ d’une définition préalable. >< Bourdieu : « C’est avant tout en inversant le rapport entre la théorie et l’expérience que le rationalisme appliqué rompt avec l’épistémologie spontanée. » L’observation : Pour les positivistes : est d’autant plus fidèle qu’elle engage moins de présupposés théoriques Pour Bourdieu : est d’autant plus scientifique que les principes théoriques dont elle s’arme sont plus conscients et plus systématiques. Expliciter ses présupposés, dire « d’où l’on parle », car toute description comporte une part de théorie implicite. Il n’y a pas de sociologie libre de valeurs, pour deux raisons : 1°) Parce que le chercheur n’est jamais vraiment neutre devant la science, puisqu’il n’est chercheur que s’il cherche la vérité scientifique. Or cette vérité est déjà en soi une valeur. 2°) Parce que se débarrasser des prénotions (ou valeurs) n’est ni aisé ni même sans doute possible. Pour Weber, « valeur » = toute « évaluation » d’une chose quelconque. Or, l’acte d’évaluer intervient aussi dans la démarche scientifique, car le savant ne se contente pas d’accumuler des faits, il les interprète. En effet, comme le souligne encore Julien Freund, le fait scientifique, contrairement à ce qu’affirme Durkheim, n’est pas une chose donnée, mais le résultat d’une évaluation par interprétation. Le sociologue se doit d’être à tout moment conscient des raisons qui constituent le fait qu’il étudie en objet de science mais aussi attentif à l’usage qui sera fait de ses théories. Il est impératif de se défier de tout jugement de valeur (>< jugement de faits) dans l’analyse sociologique. MAIS toute proposition sociologique implique au moins un certain rapport aux valeurs. Le rapport aux valeurs est, selon Weber « le socle des questions que nous posons à la réalité ». ATTENTION : rapport aux valeurs ≠ jugement de valeurs, en ce que ce dernier se camoufle sous les apparences de la vérité objective (subjectivité à prétention objective). Weber nomme ainsi « neutralité axiologique » l’établissement et le maintien dans la recherche d’une distinction nette entre le nécessaire rapport aux valeurs et les jugements de valeurs. Cette différence recouvre à peu près la distinction entre juger et questionner. L’essentiel = indiquer les valeurs qui sous-tendent le point de vue, pas les faire intervenir de manière intempestive ( argument de Weber pour son collègue anarchiste). Ses valeurs ayant été posées, elles ne doivent plus intervenir que comme objets de son étude. Le sociologue s’abstiendra ainsi de juger moralement les faits qu’il étudie. (exemple : pas juger moralement la prostitution mais discours juridique ou marxiste ou interactionniste… selon la valeur) Peter Berger : rapport aux valeurs = idéal de compréhension théorique. Il n’implique pas que le sociologue soit dégagé de valeurs ou qu’il n’est pas conscient des valeurs à l’œuvre dans la situation qu’il étudie ! on s’efforce de percevoir la réalité sociale en dehors des espoirs ou des craintes que l’on peut ressentir Rien n’interdit, en effet, au sociologue de participer aux luttes idéologiques de son temps, avec les armes de sa recherche. Sinon, aucune vocation de sociologue ne naîtrait ! Mais dans cette mission, il lui faut se restreindre aux outils du savant qui respecte les règles de la méthode scientifique, et refuser la tentation d’user des armes du militant pour qui la fin justifie les moyens. Neutralité axiologique ≠ vague prétention au « neutralisme » face aux représentations sociales et aux mouvements qu’elles inspirent (partisans d’un positivisme exacerbé ou sociologues conservateurs qui s’abritent derrière cette prétendue neutralité, qu’ils confondent avec l’objectivité, pour cautionner « scientifiquement » l’ordre social). Neutralité axiologique distinguer : o moment subjectif du choix de son objet de recherche (en amont de la recherche) et de son exploitation politique ou morale (en aval de la recherche) o moment objectif de la recherche, où l’on s’interdit de juger des valeurs qui interviennent dans l’objet de la recherche. Mais la recherche scientifique combine toujours ces deux moments, et faire comme s’il n’y avait rien en amont et en aval du moment objectif est une tromperie (au minimum une illusion). La neutralité axiologique, comme l’a souligné Julien Freund, implique que le chercheur refuse d’introduire une hiérarchie entre les valeurs pratiques qu’il analyse. Elle implique aussi qu’il se refuse à astreindre le domaine de compétence de la science à certaines limites sacrées que le sociologue ne pourrait transgresser en tant qu’individu. Elaboration de la science Passage : savoir ordinaire, croyance, théories philosophiques ----> science sociologique : implique que celle-ci en passe par des généralisations contrôlées. Science : va-et-vient entre la théorie et des démonstrations empiriques ( !!!) (jeu d’essais et d’erreurs) Science : vise à proposer des vérités partielles (car spécialisation : elle découpe la réalité en morceaux qui révèlent autant de facettes différentes qu’il y a de disciplines et de techniques d’observation). impossibilité pour les théories scientifiques d’épuiser le réel. Science : vise à proposer des vérités provisoires, car le savoir est de nature cumulatif (>< philosophie, littérature) : il procède par accumulation des connaissances qui, ainsi dépassées par les découvertes plus récentes, sont ainsi amenées à devenir obsolètes. Karl Popper : « La scientificité d'une théorie réside dans la possibilité de l'invalider, de la réfuter ou encore de la tester » (La Logique de la découverte scientifique) critère de falsifiabilité. Une théorie, pour être scientifique, ne doit pas être « vraie », mais elle doit être réfutable, c’est-à-dire se soumettre à la vérification expérimentale. Or, Popper affirme qu’une seule réfutation suffit à réduire à néant toutes les confirmations du monde (Popper vise toutes les théories qui se donnent pour scientifiques sans se prêter à la validation expérimentale). Si l’on ne peut pas tenter d’infirmer une théorie, c’est qu’on est dans le registre de la poésie ou du dogme mais certainement pas de la science. pour Popper, psychanalyse, marxisme et théorie de l’évolution = systèmes de pensée totalisants (et non des théories scientifiques). Comment fait-on du social un objet de science ? Rupture épistémologique avec l’empirie immédiate. Bourdieu, Chamboredon et Passeron (Le Métier de sociologue) : 3 phases 1°) Conquête : « le fait est conquis contre l’illusion du savoir immédiat » nous rendre étranger le fait social que nous côtoyons dans l’empirie (car connivence, ou méfiance, bref a-prioris) 2°) Construction : à l’aide de concepts conduisant à la formulation de théories se débarrasser des a-prioris par un modèle formel abstrait, formation d’une hypothèse théorique 3°) Constatation : par l’expérience ou l’observation vérifier le bienfondé des théories Système hypothético-déductif de la science. Axiomes Les théories scientifiques sont des corpus structurés de propositions énoncées de manière rationnelle qui reposent sur un certain nombre d’axiomes. Claude Javeau, s’inspirant des Règles de la méthode sociologique de Durkheim, a tenté de repérer dans la sociologie scientifique positiviste trois axiomes de base : 1. « L’homme constitue une espèce unique et invariable dans le temps ». (commun à toutes les sciences de l’homme) étayé par la biologie moderne : inter-reproductibilité de toutes les ethnies humaines et leur commun capital génétique principe qui autorise à faire de la sociologie une science compréhensive (contrairement à la biologie animale) 2. « Les agencements de phénomènes sociaux ont un sens, lequel peut être mis en évidence par l’application de méthodes relevant de l’esprit scientifique. » pour la sociologie, les faits que l’on appelle sociaux sont soumis au principe de l’ordre et du déterminisme. 3. « L’ensemble des faits sociaux, autrement dit le social, est extérieur à l’individu. » Concerne « la logique du social ». Cet axiome rejoint le principe d’extériorité du fait social (de Durkheim : voir supra), et fonde l’épistémologie sociologique. Henri Janne (Le Système social) : même si le fait social est intériorisé, assimilé par l’individu jusqu’à le croire sien, il reste qu’il est venu de l’extérieur, qu’il existait dans la société avant. Ce qui paraît le plus personnel est parfois aussi le plus institué ! (goût pour le salé ou le sucré, préférences esthétiques, principes moraux) Javeau : « les actions individuelles concourent à la production du social, mais selon une logique propre à celui-ci, et non selon les intentions individuelles ayant présidé à ces actions. ». Différence entre la sociologie (étudie les causes sociales) et la psychologie (étudie les causes individuelles). Durkheim : le fait social diffère de l’agrégation des parties (individus) « le social s’explique par le social ». Paradigmes Ces axiomes définissent à leur tour des paradigmes = « modèles théoriques de pensée » qui servent de cadre à la recherche théorique. (Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques). Toute discipline scientifique opère au sein de paradigmes qui définissent ce que Kuhn appelle la « science normale », c’est-à-dire un type de savoir partagé par la communauté scientifique qui travaille à produire des théories toujours plus raffinées. Parfois, méthodes ou éléments d’information qui contredisent ou ne cadrent plus avec le paradigme en vigueur « révolution scientifique » (avènement d’un nouveau paradigme qui peut créer un nouveau domaine d’étude (physique moderne) voire une nouvelle discipline (sociologie)) Il existe en sociologie deux paradigmes concurrents qui ont couru en parallèle tout au long de l’histoire de la discipline : 1) Dans la sociologie française et américaine, le paradigme dominant a été longtemps du type holistique, ou de la structure, c’est-à-dire supposant que le tout (le « social ») est d’une nature différente de celle de ses composantes (les individus) (cf. Durkheim). Selon cette conception, les comportements individuels sont le résultat d’impositions effectuées par des structures sociales (l’État, la famille, le droit, le langage, l’armée, etc.), elles-mêmes produits d’une histoire qui se déroule selon ses propres lois. (le tout détermine les parties) Etude des « faits sociaux » extérieurs à l’individu, contraignants et parfois n’apparaissant pas comme extérieurs (langue, croyances) « faits de mentalité » ou « faits de croyance ». Le fait social est toujours un fait de groupe, et se caractérise par des régularités. En ce sens, l’une des ambitions de la sociologie est de mettre en évidence des lois (toujours de nature statistique). Ce paradigme est donc globalement prédictif dans la mesure où le modèle que propose ce courant est celui d’individus qui seraient « agis » par des structures relativement stables dans le temps et intériorisées sous la forme de ce que Freud appelle le surmoi. Le courant philosophique qui sert d’inspiration à ce paradigme est le positivisme (seule compte la connaissance des faits, à l’exclusion de toute prénotion, dès lors que le monde social a une existence en soi). 2) Le paradigme atomistique, centré sur l’individu ou sur l’acteur (Max Weber). Cadre de référence = phénoménologie d’Edmund Husserl qui pose l’intersubjectivité au fondement de l’objectivité du monde : le monde social est tissé et co-construit par la rencontre des subjectivités croisées ; il n’existe donc pas en soi. Influencé notamment par le behaviorisme, il met en évidence la manière dont l’individu organise ses relations avec les autres membres du groupe, voire de la société totale. étude de la genèse des institutions (que le paradigme holistique, au contraire, prend pour immuables). 4 types d’« action sociale » conduite par les individus : 1) l’action rationnelle par finalité : orientée vers une fin et mesurée par les moyens à déployer pour parvenir à cette fin (c’est le calcul rationnel fin – moyens) 2) l’action rationnelle par valeur : motivée par la conviction ou la croyance inconditionnelle en une valeur, indépendamment de son résultat : le devoir, l’honneur, la foi, la dignité… 3) l’action affective : reposant sur des sentiments et des passions : l’amour, la vengeance, etc. 4) l’action traditionnelle : reposant sur la coutume, mais aussi l’habitude, la routine, y compris et même surtout dans notre vie quotidienne. Ce sont, dans ce paradigme atomistique, les actions sociales qui vont produire et transformer les faits sociaux. (Fait social = résultat non intentionnel d’actions sociales intentionnelles) « Paradoxe de l’action et des conséquences » (Weber). Les hommes, dans leurs actions et leurs interactions, sont mus par des intentions qui président à la recherche de fins individuelles ou collectives. Ces intentions découlent du sens que les acteurs donnent à leurs actions (signification subjectivement pensée). La tâche du sociologue serait alors de saisir le sens des actions, donc non seulement de les expliquer (comme le ferait Durkheim), mais avant tout de les comprendre, c’est-à-dire de mettre en évidence le lien entre l’action et les intentions qui l’ont déterminée. « sociologie compréhensive ». Le sociologue s’efforcera ainsi d’attribuer un sens plausible au comportement humain interprétation herméneutique (science de l’interprétation). Weber : activité = comportement auquel on donne un sens. La sociologie se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale. Pour Weber (>< Durkheim), l’activité n’a de sens sociologiquement que si les protagonistes lui en confèrent un ( voir l’exemple du vol). Chez Weber (par rapport à Durkheim), la perspective se déplace du fait social (objectivé) à l’activité sociale (subjective ou intersubjective). NB : activité = en allemand handeln = commerce, interaction. Weber subordonne l’explication (but de la science) à la compréhension (qui en serait la condition nécessaire). ATTENTION : comprendre ne veut pas dire introspection, ni subjectivité, ni deviner l’autre, ni justifier ses actes. C’est simplement considérer comme un objet d’étude la subjectivité d’autrui : comprendre, selon Weber et ses disciples, c’est saisir, de la manière la plus objective qui soit, et en les rapportant aux causes les plus vraisemblables de leur production, les relations significatives que les individus établissent, en tant qu’acteurs sociaux, entre leurs conditions d’existence et les actions qu’ils accomplissent, en vue de réaliser des fins qui leur apparaissent plus ou moins clairement.µ Cette sociologie herméneutique « l’exaltation du vécu ». s’oppose radicalement à 4. LE TRAVAIL SOCIOLOGIQUE Avec quels outils travaille le sociologue ? Utilité de la sociologie ? Le sociologue n’est ni un thérapeute, ni un ingénieur social, ni un travailleur social, ni un guru qui édicterait de nouvelles façons de vivre en société, ni un prophète. Ni prévenir ni guérir ? La sociologie permet tout de même un certain degré de prévision (dégagement de régularités statistiques, de relations de causalités) MAIS elle se fixe clairement pour objectif l’explication plutôt que la prévision. Méthodes Le sociologue ne peut procéder à des expérimentations dans les conditions de reproductibilité offertes par les laboratoires. En sociologie, c’est l’environnement humain qui constitue les conditions expérimentales, or cet environnement humain est à la fois : Réactif : le fait d’énoncer une théorie sociologique peut affecter le social ! (contrairement aux lois de la physique) Hautement variable, et évolutif Ce qui interdit l’énonciation de lois sociologiques comparables aux lois de la gravitation universelle, par exemple. Le social est partiellement prévisible, mais jamais reproductible. On peut cependant se livrer à des expériences de type comparatif pour les introduire dans des raisonnements logiques de causalité. La comparaison peut être : Historique (une société à différentes époques) Inter-sociétale (sociétés différentes) Intra-sociétale (différents secteurs d’une même société). Le sociologue peut aussi aller plus loin en tentant de contrôler quelquesunes des conditions de l’expérience. constituer deux groupes similaires et utiliser l’un d’eux comme « groupe témoin », tandis que l’autre sera soumis à une variation d’une variable (cf. cours de Wilmotte !!). Exemple célèbre : Elton Mayo (sociologie du travail, fin des années 1920). Comparaison : ouvrières avec meilleur éclairage, fournissent un meilleur rendement que l’autre groupe d’ouvrières (éclairage habituel). Si la productivité a augmenté dans ce second groupe, ce n’est pas seulement parce que leurs conditions de travail se sont améliorées mais aussi parce que les ouvrières ont ressenti comme bénéfique qu’on s’intéresse à leur cas (« effet placebo »). mouvement des « relations humaines » dans le travail, conduit, pourrait-on dire cyniquement, dans un but de productivité. Dans les 3 phases du système hypothético-déductif (voir supra), on vérifie les hypothèses (ou conjectures) par l’empirie. Elaboration : De méthodes appropriées à la vérification de conjectures. (méthode = démarche intellectuelle qui pose correctement les termes d’un problème) De techniques qui constituent la mise en œuvre pratique de ces méthodes. (technique = arsenal de moyens, d’outils d’exploration au service de la méthode) Le schéma de travail méthodologique de Javeau : succession d’opérations qui effectuent un va-et-vient entre théorie et empirie. Juste milieu entre l’illusion subjectiviste (qui voudrait que par l’écoute des acteurs on accède à la vérité de la situation) et le leurre positiviste (qui veut que le social soit donné objectivement). Etapes : 1 - Rencontre et repérage d’une situation problématique : Le point de départ d’une enquête sociologique sera souvent un motif d’étonnement voire d’inquiétude qui apparaît. Le problème social naît, dans la société, d’une tension entre l’événement et le cours jugé « normal » des choses. Amorce du travail sociologique : d’abord s’étonner de l’étonnement (de celui des autres et du sien !), car c’est l’« idéologie ambiante » qui rend visibles certains problèmes plutôt que d’autres, ou qui traduit en termes de « problèmes sociaux » certains processus non problématiques a priori. Le problème sociologique que le sociologue s’efforce de construire englobera donc toujours ensemble : - le problème social tel qu’il est posé par les acteurs - les rapports et les positions de ces acteurs par rapport au problème considéré - les enjeux sociaux sous-jacents à ce problème social. Manière d’objectiver le problème social (et tout sujet d’étude sociologique) pour le constituer en problématique sociologique, qui sera le point de départ d’études ou d’enquêtes sociologiques (cf. supra : problèmes sociaux et problèmes sociologiques). La définition d’une problématique est le préalable à toute recherche sociologique. 2 - Explicitation des éléments théoriques : Le sociologue inscrira ensuite sa démarche dans le cadre d’une ou de plusieurs théories. choisir une certaine perspective. L’une n’est pas plus vraie que l’autre. (ex : délinquance théorie critique de la « résistance à l’ordre social » ou théorie durkheimienne de l’anomie) 3 - Construction itérative de l’objet : (Itératif = répété) L’objet d’étude ne doit pas être construit seulement de manière spéculative ni directement déduit de la théorie, il se construit progressivement par une série d’allers et venues entre la théorie et l’empirie. Javeau : le cadre théorique guide les relevés empiriques construction d’un modèle de l’objet vérification empirique des conjectures. Le modèle est constamment corrigé par la confrontation à l’empirie. 4 - Formulation des conjectures thétiques : Ce point est un corollaire du point précédent. Distinction : o Conjectures descriptives : contribuent à la construction de l’objet o Conjectures explicatives : ayant pour but de mettre en évidence des causes des phénomènes Mais la distinction n’est pas toujours nette : un élément descriptif (condition de vie des immigrés) peut se révéler explicatif (de la confrontation parfois difficile avec la population d’accueil). Les conjectures établissent entre les hypothèses confirmées des liens logiques qui empruntent aux théories. (théorie marxiste : nouveaux immigrés peu qualifiés = prolétariat en haillons, prolétariat sans conscience de classe) 5 - Vérification empirique : (Etape cruciale) Rassembler des données empiriques, par l’une ou l’autre technique, à des fins à la fois descriptives et d’administration de la preuve. Prouver = vérifier une conjecture. Exemples de techniques de recueil des données empiriques : 1. L’observation L’observation est la condition préalable à toute autre forme d’investigation en même temps qu’elle est déjà une forme d’investigation en soi. Car observer = plus que contempler : activement interroger des acteurs, partager leur existence, se mêler à leurs entreprises communes. Javeau : il est toujours bon de « respirer » le problème avant de l’étudier de manière systématique. L’observation est toutefois limitée : l’observateur ne peut accéder à certaines dimensions de la vie sociale (connaissance historique, données démographiques…) sans l’aide d’autres outils. L’observation sociologique comporte trois temps : 1) S’imprégner du terrain, en avoir une appréhension concrète qui évite d’en avoir une vision clinique de laboratoire. Cette immersion peut déjà permettre de tordre le cou à certaines idées reçues. Cette phase permet aussi de se faire accepter dans la société observée et, à terme, de ne pas être dépendant de lectures ou d’ « informateurs » (qui, parfois, construisent un récit qui a la couleur de l’authenticité, avec un grand risque d’archétypes). 2) Regarder, c’est-à-dire apprendre à distinguer l’essentiel du détail. Si la curiosité est bien la qualité essentielle du sociologue en situation d’observation, celle-ci doit être ouverte sur le plus grand nombre de messages possibles, tout en conservant une distance qui préserve du danger d’immersion totale. C’est ce que Lévi-Strauss a appelé le « regard éloigné ». 3) Transcrire ou traduire ce que l’on a vu, afin de le communiquer au monde sur un mode scientifique. On distingue ordinairement entre divers modes d’observation : Elle peut être type observation participante (l’observateur, en tant que tel, participe aux activités du groupe des observés) ou du type participation observante (un membre du groupe, qui participe d’ordinaire aux activités de celui-ci, prend le statut d’observateur). On peut encore mentionner l’observation détachée, c’est-à-dire n’impliquant aucune participation dans les activités du groupe. Dans tous les cas, l’observation peut être clandestine (l’observateur n’est pas vu des observés ou n’est pas reconnu comme tel par eux ) ou avouée (l’observateur se présente ou est reconnu comme tel par les observés). Le mode clandestin n’est pas forcément contraire à la déontologie. Dans de nombreux cas, la seule présence reconnaissable d’un observateur peut fausser complètement le déroulement des actions observées. Se pose néanmoins la question morale de l’observation clandestine qui peut violer la vie privée. (idem photographes de reportage : on imagine mal que l’investigation sociologique se cantonne à aller là où l’enquêteur est invité !) Si l’observation est la technique par excellence des ethnologues, le rapatriement des techniques ethnographiques sur le monde occidental moderne et l’adoption de méthodes ethnographiques par les sociologues font de l’observation une technique de plus en plus vivace en sociologie. L’observation peut aussi recourir à des instruments d’enregistrement sonore ou visuel ( rapidité + infos supplémentaires) 2. L’analyse documentaire Tout document, tout artefact fabriqué par l’homme porte témoignage de la société qui l’a produit (des registres d’état civil aux œuvres d’art en passant par les vêtements). Ce travail qui consiste à rechercher et à questionner des documents s’appelle l’heuristique et doit être assorti d’une vigilance critique qui s’apparente à la critique historique des sources, des documents ou des témoignages. Traditionnellement, on divise la critique historique en : o critique externe ou critique d’authenticité, ayant pour but de réunir l’ensemble des matériaux en s’efforçant d’en éliminer les contradictions éventuelles. o critique interne ou critique de crédibilité, destinée à discerner ce qui peut être accepté comme vrai dans un témoignage (analyser le contenu du travail de l’auteur). 3. l’entretien Il s’agit ici d’un type d’ « enquête », qui consiste à interroger des personnes censées avoir des connaissances sur le problème étudié (>< sondages d’opinion : postulent que tout le monde a une opinion sur tout). 2 questions à examiner : représentativité des interlocuteurs abordés ; neutralité des enquêteurs face aux questionnés, lesquels ne doivent pas être influencés par les termes utilisés et par les comportements adoptés par les enquêteurs. 3.1. L’approche biographique représente une part importante des techniques qualitatives. « Récits de vie », lesquels peuvent être mis en écho les uns avec les autres dans des « récits de vie croisés ». La version la plus radicale concerne le recueil d’une « histoire de vie » complète (Tante Suzanne, de Maurizio CATANI et Suzanne MAZÉ, travail d’exploration d’une trajectoire de vie d’une paysanne de la Mayenne). La transcription d’une histoire de vie repose sur l’hypothèse que « l’individu n’est pas un épiphénomène du social » (Franco Ferrarotti). Intérêt : explorer la dimension dramatique des situations humaines dont les démarches quantitatives rendent difficilement compte. Problème de la représentativité : il est résolu dans les enquêtes qualitatives par le recours à la technique de la saturation arrêter les entretiens dès que le chercheur estime qu’il n’apprendra plus rien de nouveau sur le sujet d’un interlocuteur supplémentaire. 3.2. L’enquête par questionnaire est la forme la plus répandue des techniques quantitatives. Les enquêtes par questionnaire de type classique reposent sur la comparaison de quantités censées être mesurables. Il s’agit de dégager de ces enquêtes des données chiffrées que l’on va comparer entre elles en les rapportant à des variables signalétiques qui vont faire varier ces données. Distinction : - valeurs intrinsèques d’une grandeur pouvant faire l’objet d’une mesure directe - valeurs de comptage (fréquences) d’un caractère qualitatif. Ici, la quantité retenue est la fréquence d’apparition des diverses modalités attribuables au caractère. La construction de ces variables comporte plusieurs phases, qu’a décrites Paul Lazarsfeld : 1° - représentation imagée des concepts : dégager les « impressions générales qui guident la curiosité du chercheur ». 2° - spécification du concept, ou évaluation de ses « dimensions » : les images retenues servent à élaborer les composantes, ou dimensions du concept. 3° - choix des indicateurs (ou « traces ») du concept : chaque dimension retenue doit être exprimée par certains indicateurs établissement d’une relation de type probabiliste nécessité de choisir un nombre élevé d’indicateurs. 4° - formation des indices : synthétisation en une mesure unique des données obtenues lors des étapes précédentes. Les indicateurs choisis pour illustrer les dimensions du concept doivent pouvoir être résumés en une variable intégrant les uns et les autres telle classe correspond à telle valeur mesurée. ! Erreurs quant au recours au chiffre et à la statistique !! I - la formalisation abusive de concepts : « faire semblant » de traiter mathématiquement des concepts qui, par nature, ne peuvent donner lieu à mesure. 2 - la quantification abusive de procédés d’évaluation : l’exemple le plus frappant est sans doute celui de la transformation d’échelles ordinales (donner une appréciation) en échelles d’intervalles (chiffres). 3 - le recours à des statistiques abusives : « mélange des pommes et des poires » (ex : additionner des crimes de degrés différents). C’est aussi le recours systématique à un paramètre statistique commode, comme la moyenne arithmétique, pour classer des caractères sociaux fort complexes, et non uniformes (richesse, niveau culturel). Forme du questionnaire Un questionnaire standardisé reprend une série de questions imprimées sur un document qui vont être posées, soit : directement par un enquêteur (peut sembler moins objective car l’enquêteur doit être attentif à ne pas influencer le répondant) indirectement et impersonnellement (mais aussi facteur de biais car absence de contrôle : demander de l’aide, non compréhension des questions, lassitude,…) à une série de personnes choisies au sein d’une « population » déterminée La part que prend l’enquêteur dans la suggestion des réponses peut être aussi limitée par le recours à des questions ouvertes plutôt que des questions fermées : A. les questions fermées (QCM). Avantage = facilité de leur dépouillement (raison pour laquelle on les trouve au principe des sondages d’opinion) Inconvénient = réduction des réponses possibles à quelques catégories stéréotypées possibilité d’induire les répondants à se prononcer massivement pour une ou des réponses qui correspondent à la vision que l’enquêteur (ou son commanditaire) se fait de la réalité, voire de leur suggérer des réponses. B. les questions ouvertes. Avantage : latitude aux réponses personnelles Inconvénient : dépouillement nettement plus difficile. Risque de réintroduire des biais en regroupant ces réponses hétérogènes en catégories de réponses homogènes déterminées par l’encodeur. Dépouillement Lorsque les questionnaires sont remplis par les répondants, il convient de coder les réponses ( « code » numérique). Dans l’ordinateur sont introduits à la fois le programme, correspondant au « plan de dépouillement » adopté et les réponses codées. Résultats : taux de fréquences (ou histogrammes) pour chaque variable traitée tableaux de contingences, présentant des croisements de variables ou de caractères entre eux (tableaux croisés) analyses multivariées (éventuellement) croisent un grand nombre de variables pour parvenir à déterminer, en les rapportant sur un plan bidimensionnel, les « nuages de points », dits clusters, significatifs identifier des typologies qui associent ces valeurs entre elles (revenus élevés - 1 enfant - Brabant wallon - libéral / revenus faibles - 3 enfants - Charleroi - socialiste). Ce sont ces tableaux qui serviront de base à la rédaction du rapport d’enquête qui tentera d’interpréter ces relations de corrélation en termes de relations de causalité, par exemple, et qui confirmera ou infirmera les hypothèses de départ. Les questions Interrogations explicites (combien de fois par semaine allez-vous au cinéma ?), mais aussi interrogations implicites (propositions à juger, jugements sur dessins ou photos) Elles ont pour but d’enregistrer quatre types d’informations : 1) des faits, se rapportant à la personne des individus interrogés, à leur environnement, ou à leur comportement objectif. 2) des opinions, c’est-à-dire des jugements que portent les individus interrogés sur divers problèmes censés les intéresser, mais aussi leurs motivations, leurs intentions, ou encore leurs aspirations (terme ambigu qui traduit la perception subjective d’un besoin ou d’une exigence sociale). 3) des attitudes, c’est-à-dire leurs dispositions à l’action, (même non conscientes). Dégagées à partir des opinions, censées représenter les structures mentales qui les sous-tendent. On construit des « échelles d’attitudes », dont certains barreaux significatifs sont censés représenter une attitude bien déterminée. 4) des cognitions, c’est-à-dire les niveaux de connaissance des problèmes ou des situations sur lesquels on les interroge. Important ! Car elles permettent de s’informer sur la compétence des individus interrogés. Or, à défaut de compétence, les réponses seront souvent le simple reflet de stéréotypes sociaux (idées reçues) ou d’attentes normatives du milieu auquel appartient le répondant (bienséance). Les 4 types de problèmes pour Javeau 1° la compétence des répondants : (peut se mesurer à l’aide de questions relatives aux cognitions). Les répondants peuvent ne rien connaître au problème OU inversement, être trop qualifiés pour répondre à une question libellée de façon lapidaire. 2° la sincérité des répondants : le mensonge peut être : délibéré, entre autres parce que la question a éveillé une méfiance qui peut, au demeurant, être légitime (l’assimilation du sociologue à l'auxiliaire de police, ou au travailleur social) commandé socialement, (ex : goût artistique, fraude fiscale, comportements sexuels). 3° la fidélité mnémonique des répondants : leur mémoire peut être défaillante, leur jouer des tours, agir de manière sélective ou non. Leur sincérité peut ici être absolue. 4° la compréhension sémantique des questions elles-mêmes : les répondants peuvent être d’un niveau culturel tel que les questions leur paraissent incompréhensibles ; le sociolecte (langage propre à un groupe social) des enquêteurs et celui des répondants peuvent être différents. Echantillon représentatif La population « représentée » doit être suffisamment homogène. En effet, l’enquête par questionnaires en elle-même suppose qu’une très vaste population parle à peu près le même langage, si bien que les différences constatées dans les réponses ne devront normalement rien aux différences dans la compréhension des mots utilisés. ---> condition difficile à remplir ! Taille de l’échantillon : (Dans les méthodes qualitatives, notion de saturation subjective). Méthodes quantitatives : aussi part d’arbitraire ! Un « échantillon représentatif » est une portion de la population à laquelle s’adresse l’enquête dans laquelle un nombre restreint de variables ou de caractères seront distribués à peu près de la même manière que dans cette population-souche (ex : même proportion d’hommes et de femmes). « A peu près » : degré d’erreur que l’on s’accorde pour déterminer la taille de l’échantillon (dépend des contraintes budgétaires et matérielles). La taille de l’échantillon est la seule mesure de la représentativité de l’échantillon mais il s’agit de la « taille absolue » et non de la fraction de la population que représenterait l’échantillon. Loi des grands nombres : "Plus le nombre d’épreuves est élevé, plus la fréquence d’apparition d’un phénomène se rapproche de sa probabilité théorique". Plus l’on choisira de personnes dans la population-mère, plus on aura de chances d’avoir la même proportion d’hommes et de femmes que dans cette population (en choisissant totalement au hasard les membres de l’échantillon). Théoriquement, les personnes appelées à constituer l’échantillon doivent donc être choisies au hasard dans la population-mère. Mais dans la pratique, il est plus facile pour les enquêteurs de pouvoir choisir les répondants parmi leur entourage. On a donc généralement recours (notamment pour les sondages d’opinion) à des procédés qui assouplissent cette règle. Technique des sondages par « quotas » : l’enquêteur doit reconstituer la population-mère en modèle réduit, en respectant des quotas concernant certaines variables. L’échantillon n’est donc plus du tout choisi au hasard. Cette procédure introduit des biais considérables et parfois insoupçonnables (Les quotas ne peuvent pas tenir compte de TOUTES les variables !). Or, on n’est jamais sûr que certaines variables apparemment extérieures à la problématique, ne sont pas corrélées avec d’autres variables qui, elles, peuvent influer sur le type de réponses. Sondages d’opinion 3 critiques : 1) Critique épistémologique Les sondages d’opinion reposent sur l’idée que les citoyens ont des opinions fondées. Rien n’est pourtant moins sûr (les gens ne font souvent que répéter ce qu’ils ont entendu, pex. dans les médias). « Opinion » = plutôt la combinaison de toutes les « informations » (images, slogans,…) dont nous sommes bombardés, que le résultat d’une réflexion rationnelle. De plus, recours à des questions fermées, parfois présentées de manière telle que les réponses sont conditionnées ! 2) Critique cognitive Les citoyens ne reçoivent des résultats des sondages qu’une image simplifiée à l’extrême, passant par des catégories cognitives peu approfondies (« popularité », « soutien à une politique ») et commentée par des journalistes peu au courant des inconvénients liés à la pratique des sondages. 3) Critique politique Les sondages figurent au premier rang des moyens modernes de faire de la politique, qui se trouve ainsi transférée des agents traditionnels de la représentation publique à des corps d’experts anonymes et irresponsables devant les citoyens. La représentativité statistique se substitue ainsi à la représentation légale qu’est le mandat électoral. Evacuation du débat public d’idées étayées par des arguments rationnels ( essence même de la politique et de la démocratie), au profit d’une justification par les statistiques. 5. L’ÉTUDE DU SOCIAL À la perception immédiate, le social apparaît sous les espèces de phénomènes spécifiques (les « faits sociaux » de Durkheim), dont les agencements constituent ce que l’on appelle ordinairement les cultures. Traditionnellement, culture >< nature. Cependant, l’environnement physique (la « nature ») contribue de manière appréciable à façonner la culture d’un groupe ou d’une société. D’un autre côté, l’existence d’une culture est la marque essentielle de l’hominisation, à telle enseigne qu’on a pu dire que la culture est la seconde nature de l’homme, voire sa nature même (chez l’homme, la plus infime manifestation bio-physiologique fait l’objet d’une interprétation en termes culturels. L’accouplement donne lieu à des rituels : fiançailles et érotisme, et à une institution, le mariage). On peut dire que tout groupe constitué de manière relativement stable présente des traits culturels identifiables sous la forme d’institutions. Les faits sociaux, ainsi constitués en cultures, constituent le social brut (Javeau). Ils se manifestent à des niveaux de perception différents. Le social brut se divise selon 2 dimensions : 1. Eléments visibles, matériels (pratiques, discours) >< invisibles, mentaux (pensées, aspirations, voire contenus non conscients comme des rêves). 2. Ces éléments sont eux-mêmes plus ou moins spontanés (informels) ou organisés (formels). On a donc la classification suivante : Matériel informel : pratiques courantes Matériel formel : systèmes d’actions (pratiques institutionnalisées et organisées, par exemple la guerre, les rites religieux, le travail de bureau, la recherche scientifique) Mental informel : représentations courantes (images, projets individuels, idées reçues, préjugés) Mental formel : systèmes de représentations (religions constituées, codes divers, théories scientifiques, idéologies, mythes). Leur fonction principale est de légitimer les conduites et les représentations au sein du groupe. imaginaire social. L’existence d’un imaginaire social renvoie au concept de « conscience collective » de Durkheim : l’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne de membres d’une même société ; elle est indépendante des conditions particulières où les individus se trouvent placés, et de leur génération. Cette notion renvoie aux idées holistiques de Durkheim. Cette vision est aujourd’hui un peu obsolète en sociologie car, comme l’a souligné Marx, la société est foncièrement conflictuelle. La « conscience collective » ne peut dès lors être qu’une manifestation de la doxa, c’està-dire d’un état des choses dicté par la classe sociale dominante. On trouve cependant une variante de la « conscience collective » dans la notion d’« opinion publique ». Cette dernière (>< conscience collective) est éminemment fluctuante (>< commanditaires d’enquêtes d’ « opinion publique » tentent de nous faire croire qu’elle est stable et unifiée). On entend aussi parfois parler d’« inconscient collectif ». Celui-ci procède du refoulement des apprentissages (oubliés ou niés). Acquis et non inné ! (>< certains usages de la notion d’« inconscient collectif » qui laissent entendre qu’il serait de nature innée utilisé par des idéologues racistes) Le concept d’idéologie recouvre un grand nombre d’acceptions. Marx a utilisé cette notion dans une perspective négative : elle a pour fonction à ses yeux de justifier l’ordre social (la doxa) en invoquant la Raison, la Beauté, la Grandeur ou la Morale comme justifications. Mais l’idéologie est aussi, sur un plan strictement opératoire, un système de représentations, dont le noyau est constitué en système de légitimation qui peut ainsi amener les fractions dominées de la société à accepter leur sort « fausse conscience » de classe (Marx). L’idéologie peut aussi opérer positivement en tant que système de légitimation en orientant l’action d’une classe sociale et en justifiant sa place dans l’histoire et dans la société. (idéologies de la Science et du Progrès qui légitimèrent la bourgeoisie comme classe sociale ascendante contre la noblesse puis bientôt dominante vis-à-vis de la classe ouvrière) Exemple : l’idéologie raciste, qui se traduit par : pratiques courantes : exclusion des personnes repoussées pour des raisons dites « raciales », insultes, vexations, discriminations représentations courantes (ou idées reçues) : les étrangers sont sales, ils profitent des allocations de chômage… systèmes d’actions : camps de concentration, livrets spéciaux, port d’une marque distinctive… systèmes de représentations : outre l’idéologie elle-même, on peut trouver : o un droit spécial (apartheid), o une production philosophique (Heidegger) o une production artistique (la cinéaste Leni Riefensthal qui célèbre la force physique des jeunesses hitlériennes, Céline et ses ignobles appels au meurtre dans son délire antisémite en pleine occupation nazie) o certains mythes (ou stéréotypes) qui sous-tendent avec beaucoup d’efficacité l’idéologie raciste. 6. LES SYSTÈMES SOCIAUX Qu’est-ce que le « social » ? Définition minimaliste : dès que deux personnes se rencontrent ? Mais caractère fugitif. Or, dans la société : Régularités, règles, qui s’établissent dans les échanges humains et qui constituent des traits sociétaux (politesse, langue). Cadres sociaux et économiques, institutions dans lesquelles les échanges humains évoluent (travail, famille, église). L’échange humain vu de manière isolée ne reflète pas le social. L’existence de structures à caractère durable garantit, en effet, la permanence ou du moins la reconduction dans le temps des processus sociaux qui, sinon, devraient être constamment réinventés et renégociés. Ces structures sont présentes dans toute société : Chez les animaux : c’est l’instinct qui assure cette permanence des structures sociales et organise la vie sociale. Chez les hommes : c’est la culture (le programme éducatif) qui assure cette fonction. Car seuls les humains possèdent cette faculté de symbolisation qui leur permet d’attribuer un sens à leurs conduites et d’accumuler du savoir transmissible « l’homme est un animal symbolique ». Cette faculté de symbolisation explique aussi que les sociétés humaines (>< animaux) construisent une histoire. Histoire = pas juste le cours de Jaumain, pas seulement les actes politiques et les grandes découvertes. L’histoire est aussi tissée de quotidienneté et d’anonymat. « Les hommes font l’histoire sans le savoir ». Les individus sont solidaires du système dans lequel ils vivent : chaque action posée dans une partie de la société, par l’une des fractions de la société, à un moment donné affecte tout le reste. Les épreuves que vivent les individus renvoient toujours à des enjeux sociaux. La sociologie donne les outils pour comprendre ce lien entre les petites histoires de nos vies et l’Histoire. Le changement social 1. Facteur endogène de changement : la faculté humaine d’innovation sociale. Cette faculté est liée à la capacité d’invention symbolique = l’homme est capable (>< animaux) de dissocier le signe de son référent (ce à quoi le signe réfère). Cette capacité est à l’origine : de la poésie, de l’art, des mathématiques, de l’érotisme. de la vie sociale (« comédie humaine » où les acteurs endossent des rôles et des masques sociaux, où l’on manipule et subvertit les codes sociaux). de la non prévisibilité de l’homme, contrairement aux routines et habitudes. C’est notamment cette faculté d’innovation ou de subversion des codes sociaux qui produit du changement social — c’est-à-dire des réaménagements plus ou moins brutaux et radicaux de l’ordre social préexistant — et qui rend socialement nécessaire une forme de régulation et de contrôle social, que l’on appellera « pouvoir », et qui est au fondement de l’ordre politique. 2. Facteurs exogènes de changement Les facteurs exogènes (car non contrôlés par l’homme) peuvent aussi bien être extérieurs (variations climatiques, cataclysmes naturels, épidémies) qu’individuels, relevant de la biologie humaine (vieillissement, maladie, capacité de reproduction). Comme ces forces ne sont pas contrôlées par l’homme (malgré les progrès scientifiques et technologiques), elles continuent de faire l’objet d’interprétations culturelles et mythiques, voire idéologiques. Une société statique ou dynamique ? La présence de régularités au sein des sociétés humaines, d’une part, et l’interdépendance des éléments qui les constituent, d'autre part, permettent au sociologue de parler de systèmes sociaux. Un système social possède à la fois : une dimension statique : pérennité des règles, des codes, des coutumes, des habitudes séculaires et des institutions ; une dimension dynamique car il est un lieu de convergence de forces capables d’engendrer, au sein de cet agencement, des changements. La société n’est PAS « en perpétuel changement » (lieu commun très répandu dans les médias). Des historiens comme Fernand Braudel ont montré que le temps historique connaît plusieurs vitesses : il y a le temps court ou rapide des événements politiques mais aussi le temps long ou lent des structures sociales et des mentalités. Par ailleurs, il subsiste des éléments structurels récurrents dans le temps et dans l’espace (systèmes de parenté, interdiction de l’inceste), ce qui peut nous donner l’illusion d’avoir affaire à des invariants culturels et temporels. Mais PAS non plus vision figée du système social ! (Cf. idée que la société constitue « un tout organique » dont les crises constitueraient des pathologies qui mettent en danger le bel équilibre du système). En réalité, la société est conflictuelle, constituée de clivages, qui définissent des luttes qui à leur tour produisent de l’histoire (çàd du changement). Institutions et « solidarité sociale » Dans le temps long des structures sociales, les institutions constituent des éléments structuraux par excellence. Durkheim : « une institution est un fait social caractérisé par un haut degré de permanence ». Marcel Mauss (neveu et disciple de Durkheim) : « institution » recouvre la quasi-totalité des faits sociaux. Institution = ensemble d’actes ou d’idées tout institué qui s’impose aux individus. « Il n’y a aucune raison pour réserver exclusivement, comme on le fait d’ordinaire, cette expression aux arrangements sociaux fondamentaux ». Les institutions, dans cette optique (Mauss), incarnent et renforcent fonctionnellement la solidarité sociale. Solidarité sociale = interdépendance des actions sociales au sein du système social (PAS entraide,…). Pour Durkheim, le crime = ce qui entraîne la rupture de la solidarité sociale ou la menace gravement. Notion universelle : chaque société définit des « crimes » et les réprime. Pour Durkheim, le développement de la division du travail social définit des modes de solidarité sociale : o « mécanique » pour les sociétés traditionnelles où les individus sont peu différenciés (car tous peu qualifiés) et s’assemblent sur le mode de la similarité des tâches à accomplir vision simpliste des peuples « primitifs » ! o « organique » pour nos sociétés modernes, où les fonctions sont très différenciées et complémentaires. Autorité, pouvoir et violence On passerait par la même occasion d’un droit répressif (supposant un pouvoir directement coercitif) à un droit coopératif (supposant le recours à l’autorité). Autorité = capacité qu’a un individu, sans recourir d’emblée à la force physique, de faire accomplir quelque chose par un autre. Pouvoir = la structure encadrant de manière permanente (institutionnelle) des comportements d’autorité. Violence qui s’exerce en vertu de rapports de domination reconnus comme légitime. La violence, de physique, devient symbolique. Lorsque ce pouvoir est rendu et perçu comme légitime, justifié par tous (dominant et dominé), on peut parler de domination légitime. Pouvoir légitime forme de violence symbolique qui a à voir avec l’idéologie au sens où il suppose l’acceptation par tous de certaines valeurs. L’idéologie remplit ici une « fonction religieuse » (= relier les individus entre eux) car elle rend solidaires dans la croyance partagée en des valeurs indiscutables. Weber distingue 3 types fondamentaux de domination légitime : 1. La domination légale à direction administrative bureaucratique : c’est celle des sociétés modernes, dans lequel le pouvoir appartient à des administrations fonctionnant selon une rationalité instrumentale, de manière en principe anonyme et impartiale. 2. La domination traditionnelle : c’est celle des sociétés où le détenteur du pouvoir est consacré (monarchies de droit divin). 3. La domination charismatique : c’est celle qui est reconnue à des personnages extraordinaires qui se trouvent investis de manière irrationnelle de qualités surnaturelles et qui sont l’objet d’un culte de la personnalité (de l’idole des jeunes au principe totalitaire du chef absolu). Système et sous-systèmes Le système social est lui-même composé de systèmes sociaux correspondant à des sociétés particulières définies pour les besoins de l’analyse. Chacune d’entre elles peut être à son tour subdivisée en soussystèmes, ou champs (Bourdieu). (ex : sous-système scolaire ou familial) Intrants = inputs du sous-système, extrants = outputs. Le champ scolaire a des intrants venant du champ familial (élèves), et d’autres du sous-système de l’emploi (professeurs). Rétroaction : récupération d’une partie des extrants (anciens élèves qui deviennent professeurs). Ces systèmes sociaux sont ainsi doués de la faculté d’auto-poiesis, c’està-dire, non seulement de la capacité d’auto-reproduction ou de celle d’auto-organisation, mais aussi de celle d’auto-référence, c’est-à-dire de secréter leurs propres valeurs qui régissent la logique du champ (savoir pour le champ scolaire, foi pour le champ religieux, efficacité pour le champ professionnel). Les sociologues structuralistes pensent aussi que les sous-systèmes sont structurés de telle manière qu’il existe une homologie (similitude) entre les diverses structures. (Et de même, la structure de la société serait en homologie avec celle du cerveau : cf. cerveau droit et cerveau gauche). La structure de la société globale est homologue à ses sous-structures. Exemple : Champ Structuration de la société Champ Culture savante Production des œuvres d’art Artistes nobles Production des artistes Culture populaire Classes dominantes « distinguées» Société Artisans vulgaires Classes dominées « vulgaires » 7. LES RAPPORTS SOCIAUX Dans toute société, on trouve des dominants et des dominés, définis comme tels suivant plusieurs échelles qui peuvent coexister. (Ex : si l’on compare les genres, les femmes sont souvent dominées, mais une noble peut être « supérieure » à un roturier échelle de classement différente.) Les échelles elles-mêmes sont hiérarchisées (ex : la hiérarchie en « ordres » domine la hiérarchie en « genres »). Toute société est hiérarchisée, dès lors que les hommes adoptent des valeurs ( d’office hiérarchie basée sur ces valeurs). Entre les différents groupes (hiérarchiquement distribués), s’établissent des rapports sociaux. Des rapports de coopération sont possibles mais, le plus souvent, ce sont des rapports de conflit. Car les groupes s’affrontent (implicitement ou ouvertement) pour modifier le système de domination. Lorsque la légitimité de l’ordre social est intériorisée ( les individus acceptent leur position comme normale), les conflits se limitent généralement à la recherche d’avantages marginaux (augmentations de salaire,…). Mais lorsque la légitimité de l’ordre social est remise en cause par un groupe social, le conflit peut mener à des éruptions révolutionnaires (révolutions bourgeoise ou prolétarienne, Woman’s Lib, Flower Power, Black Panthers…). Stratification sociale = manière dont les groupes sont structurés suivant une hiérarchie dominante. Ce n’est pas une simple répartition en catégories ! La société est conflictuelle et cette division en groupes est bien un classement social, établi par des luttes constantes : Au sein d’un champ social, luttes de position et d’influence, suivant les valeurs propres du champ (quelle est l’entreprise la plus performante ? Quelle est l’église la plus orthodoxe ? Quel est le mouvement artistique le plus avant-gardiste ? Quelle est la théorie scientifique la plus vraie ? ) Dans la société globale, luttes politiques. Enjeu : la légitimité du classement (que les dominants veulent perpétuer et les dominés, contester). Marx Lutte des classes = moteur de l’histoire. Conscience de classe = conscience du mécanisme d'aliénation et d’exploitation de l’homme par l’homme. La définition des classes vient du mode de production capitaliste et du travail salarié (les capitalistes achètent le travail des travailleurs, et prélèvent du « surtravail » qui sera traduit en « plus-value » profit). Les rapports de production induisent des rapports sociaux spécifiques. Fausse conscience de classe : les prolétaires ne reconnaissent pas leur aliénation, par exemple, et croient œuvrer au bien collectif. Conscience de classe ambiguë : contremaîtres, employés, fonctionnaires. NB : phénomène de « récupération » des mouvements de revendication (suite à leur succès). Exemple du mouvement ouvrier : par ses succès (établissement de la sécurité sociale), il a contribué à l’affaiblissement de la conscience de l’aliénation et, paradoxalement, à l’éclatement d’une conscience de classe unitaire. la lutte contre les inégalités sociales fait place à des revendications catégorielles, concernant le salaire ou le statut. Tocqueville Il avait perçu que l’égalitarisme démocratique avait considérablement atténué le rôle de l’appartenance de classe (>< Ancien Régime). Dans la société démocratique, les conflits de positions statutaires l’emportent sur les conflits de classes. Chacun recherche un statut meilleur. Weber (Assez proche de Tocqueville : distinction classe - statut) 3 échelles de stratification : 1. Celle de la situation de classe, liée à la position dans le système de la production. 2. Celle de la situation de statut, liée à sa position dans le système de prestige (marques extérieures : style de vie ou standing). 3. Celle de son identification partisane, liée à ses choix à l’égard de la forme du pouvoir politique. Bourdieu La société est structurée suivant l’axe du capital économique et l’axe du capital culturel. Ces structures se reflètent sous la forme d’habitus : çàd des comportements, opinions, goûts, incorporés par les individus en raison de la classe à laquelle ils appartiennent. Cet habitus est à la fois : - le résultat de l’intériorisation de la structuration sociale - une manière de perpétuer ces structures. Nous effectuons des jugements qui nous classent socialement en retour !! La poésie de Prévert sera jugée vulgaire par l’esthète, prétentieuse par l’ouvrier et distinguée par le petit bourgeois. Cette manière de classer repose sur un jugement de classe qui classe les sujets en retour. Conclusion : en discriminant entre le vulgaire et le distingué, on classe les gens « vulgaires » et « distingués » ! « Chacun a le droit de préférer la variété française à l’opéra » MAIS réalité sociologique : chacun n’est pas éduqué de manière à être familiarisé avec l’opéra ! Discrimination insidieuse, qui est aussi à l’œuvre dans la reconversion du discours raciste en un éloge de la différence culturelle. Extrême-droite : « chacun a le droit de préférer sa famille à ses voisins et ses voisins aux étrangers » ; « la culture des Étrangers vaut peut-être la nôtre mais nous restons différents ». Il faut être vigilants. 8. STRUCTURATION ET RÉGULATION SOCIALES (Supprimé pour l’examen) 9. LE MÉTIER DE SOCIOLOGUE OU LE SAVOIR SOCIOLOGIQUE À L’ÉPREUVE DU SAVOIR COMMUN ET DE LA DEMANDE SOCIALE ET POLITIQUE Objet de la sociologie ? La sociologie n’a pas véritablement d’objet propre. Tout regroupement humain est susceptible d’une analyse sociologique. Mais on peut même étudier une seule personne puisque la société est intériorisée en chacun de nous (langue, vêtements, idées… façonnés par notre communauté). L’objet hypothétique de la sociologie ne serait donc pas les choses ellesmêmes mais les relations entre les choses. la sociologie est une discipline globalisante, qui consiste à contextualiser ce dont elle a choisi de parler, c’est-à-dire à reconstituer tout le réseau de relations, manifestes ou souterraines, qui lient les choses entre elles. hypothétique mais indique vers quoi tend la sociologie. Prendre n’importe quel élément de la réalité sociale comme point de départ restituer cet élément dans la totalité de ses relations signifiantes. Le métier de sociologue Socio = héritière de la modernité (Raison). Ce processus de rationalisation a donné à la société les moyens intellectuels de se réfléchir, c’est-à-dire de se penser comme entité qui se produit et se reproduit sans plus devoir recourir à des modes d’explication de type doctrinal. Le sociologue est soumis, dans son métier, à des contraintes : dans la sphère professionnelle logique académique dans la sphère publique demandes sociales et politiques. Nous allons étudier le rapport avec la sphère publique. Son travail ne consiste pas à établir une liste des problèmes sociaux pour tenter de leur trouver des solutions sociologiques. Cette mise à distance de la pratique ne procède pas du mépris du terrain (puisqu’il effectue un constant va-et-vient entre la théorie et la pratique ; v. supra). Mais importance des modèles explicatifs qui offrent un cadre aux faits bruts ! Si pas de modèle explicatif sociologie spontanée (Bourdieu), portative (Javeau). Le sociologue doit donc prendre des distances par rapport à l’empirique, pour deux ordres de raisons (1 : la sociologie est une science >< la politique est une pratique ; 2 : problèmes sociaux >< problèmes sociologiques) : Première raison : la sociologie est une science Sociologie ≠ travail social car la sociologie est une science et le travail social est une pratique. Spéculation théorique (qui comporte une part de « terrain ») >< intervention sociale (qui répond à une demande des acteurs et est l’œuvre du politique). Le politique fait des choix qui doivent répondre à la demande sociale : supposée, comme celle qui émerge des sondages d’opinion ou réelle : revendications structurées Il doit donc apporter une solution à des problèmes sociaux tels que perçus et formulés par les acteurs sociaux. Le politique, dans une société démocratique, constitue un relais institutionnel de la parole citoyenne. (Marches blanches : revendications de transparence et de justice mesures immédiates : démissions, commissions, réformes) La parole du sociologue est plus rarement entendue : Car il peut proposer des analyses que personne ne souhaite entendre (car >< doxa, çàd opinion générale). (Prendre de la distance face à des drames, expliquer ce qu’on veut croire mystérieux, bref faire des analyses, en tant qu’expert, dans un contexte passionnel). Or, l’expertise, basée sur le savoir, est nécessaire au bon fonctionnement des institutions dont le respect des procédures est la meilleure garantie démocratique. Parce que souvent, le sociologue énonce en termes savant ce que chacun croit savoir intuitivement. Ce n’est pas entièrement faux (puisque le sociologue n’en sait pas plus à la base) MAIS il réfléchit de manière plus totalisante en reproblématisant en termes sociologiques les problèmes sociaux ; et il s’efforce de démêler ce qui relève de l’intuition et le résultat d’analyses sérieuses. Désireux d’être écouté, le sociologue pourra être tenté de répondre aux appels des politiques ou des médias. MAIS ces « clients » n’attendent pas véritablement une analyse sociologique ! Le politique veut des remèdes, des « solutions » Les médias veulent des prophéties, des formules chocs, des arguments de marketing social (« phénomène de société », « société de consommation », « État-providence », « fracture sociale »). Le sociologue ne pourra pas faire passer de discours sociologique, mais seulement faire de la figuration. Le sociologue est tiraillé entre sa fonction d’intellectuel et sa fonction d’expert. L’intellectuel (Zola, Sartre, Bourdieu) s’insurge, en tant que citoyen, contre les exactions, les dysfonctionnements institutionnels. Ambiguïté car le transfert de prestige d’un champ spécialisé vers le champ médiatisé retire à l’intellectuel sa légitimité à s’exprimer en tant que spécialiste lorsqu’il quitte son domaine de compétence. Il s’exprime en tant que personnage médiatique. L’intellectuel a besoin des médias ( parfois même les médias créent l’intellectuel : BHL). La sociologie n’est éclairante qu’à la condition de respecter sa propre intégrité épistémologique. (modes de vérification objectifs de ses hypothèses en opérant des allers et venues de la théorie à l’empirie : grâce à des outils statistiques, des techniques qualitatives d’observation et des règles d’argumentation logique. + Approche totalisante : aborder les faits par le contexte, la société dans son ensemble). Mais sociologie ≠ sciences exactes, car limitation dans l’expérimentation (d’où son faible pouvoir de prédiction). Voir supra. Notamment, réactivité du social explique aussi que les théories sociologiques dans leur forme vulgarisée font partie intégrante de nos rationalisations les plus communes. Deuxième raison : problèmes sociaux ≠ sociologiques (Voir supra !!!) Le sociologue s’intéresse au « taken for granted ». Problème sociologique comprendre la situation normale, et non pas seulement la situation de crise qui constitue un problème social. La crise ne sert que d’analyseur. Tout comme le droit, en condamnant certains comportements, définit a contrario ce qui est acceptable, c’est dans la condamnation (formelle, donc judiciaire, ou informelle, donc émanant de la société) que le sociologue discernera la frontière que la société ou le groupe social trace entre le « normal » et l’ « anormal ». Découverte de cette norme sociale non explicite (car intériorisée). Le sociologue se met dans la peau de l’étranger, afin de mettre au jour les manières de sentir, de penser, mais aussi toute la part d’impensé des agents sociaux. (Cf. Candide de Voltaire ; Comment peut-on être Persan ? de Montesquieu : dispositif de mise à distance culturelle). Le sociologue doit se rendre étrangères les évidences du sens commun. Le sociologue ne peut prendre pour argent comptant les prescriptions juridiques et moralistes les recontextualiser (travail d’anamnèse = « psychanalyse »). Recontextualiser : les mettre en rapport avec la société qui leur a donné naissance. L’analyse sociologique Reproblématiser en termes sociologiques le problème social. (V. supra) Ex : échec scolaire : le sociologue peut montrer que l’échec n’est pas dû au seul déficit intellectuel ou à la démotivation de l’élève, mais au rapport pédagogique lui-même, qui pénalise ceux qui ne sont pas préparés par leur milieu familial à accepter les valeurs et les attitudes préconisées à l’école. Les valeurs de la culture scolaire ne sont, en effet, pas neutres mais elles sont en phase avec les valeurs des familles de la moyenne et haute bourgeoisie. Milieux populaires : on cherche à préserver l’enfant le plus longtemps possible des vicissitudes de la vie adulte. L’école y est perçue comme austère, voire hostile. Caractère inégalitaire de l’accès à l’école, pourtant présentée comme une institution égalitaire car gratuite. Différence entre ce qui est perçu comme un problème social et ce que le sociologue analyse en tant que problème sociologique. Problème épistémologique fondamental Epistémologie (< epistêmê : science, et logos : étude) = l’étude critique et théorique de la science. Autrement dit, la question des conditions de l’énonciation, de leur validité et de la portée des savoirs. Ce problème épistémologique fondamental réside dans le fait que le discours du sociologue semble toujours redoubler un discours plus trivial (cf. supra). Car l’objet du sociologue n’est pas les atomes (que nous ne pouvons voir respect dû à l’ignorance), mais sur ce qui nous concerne immédiatement. Micro-sociologie (étude de l’ordre des relations sociales qui secrètent, qui construisent du social dans l’interaction interindividuelle) >< macro-sociologie (étude des institutions et des rapports sociaux structures sociales qui nous surplombent). La micro-sociologie met l’accent sur l’individu, et considère que le social résulte des interactions entre ces acteurs accent sur la liberté individuelle. La macro-sociologie considère en revanche que les structures sociales préexistent à nos actions et les déterminent par avance approche déterministe. En fait, ces deux plans d’analyses sont indissociables. Car s’il est vrai que la société est constituée par les individus qui disposent d’une certaine liberté, il existe néanmoins des règles du jeu préexistantes (conventions, règles, rituels, cadres sociaux et linguistiques). La distinction micro – macro renvoie respectivement aux paradigmes atomistique et holistique. L’adoption de l’un ou l’autre modèle induit une dimension idéologique, voire éthique (vision normative et fixiste de la soc >< compréhension du sens que les individus donnent à leurs actions). C’est néanmoins la compréhension du sens des actions humaines qui va donner au sociologue l’accès aux « faits sociaux » qu’il étudie. Les faits bruts sont, en effet, innombrables et chaque société découpe le social selon des catégories différentes et ce sont nos représentations collectives (mythes, religions, philosophies, morale, droit,…) qui nous font voir ces catégories instituées en autant de « faits sociaux ». Le social n’existe pas en soi : il se révèle à nous sous les catégories de notre esprit. Champ de réflexion de la sociologie Les cultures étrangères nous montrent que nos habitudes, qui nous semblent évidentes, ne sont pas celles de tous. Le sociologue a pour but d’étudier ces faits qui nous semblent anodins, alors que rien, sauf nos préjugés, ne justifie qu’il doive en être ainsi et pas autrement. La sociologie consiste précisément à combattre ces préjugés, ou du moins de les révéler au grand jour pour ce qu’ils sont : un résidu culturel et un indice de notre identité sociale qui se définit par rapport à autrui. ( La plupart des noms des tribus = « hommes » dans leur langue >< autres, les étrangers). Wright Mills proposait comme programme pour la sociologie : « rien d’humain ne m’est étranger ». D’ailleurs, pour être bon sociologue, il faut être doué d’« imagination sociologique » (faculté de se mettre à la place des autres). Distance critique de l’observateur étranger. Cette rupture de croyance envers les évidences imposées par le sens commun implique, que la sociologie est un projet humaniste. Car au lieu de croire que les choses sont immuables, inscrites, on comprend qu’elles sont le résultat de l’histoire écrite par l’homme possibilité d’agir sur cette histoire, de changer la société, d’améliorer l’homme. Révolutions projet de faire table rase, et de reconstruire la société sur des bases nouvelles. Les Révolutions ont comme point commun avec la sociologie qu’elles reposent sur le postulat que la société est réformable. But de la sociologie Passage (eu XIXè) d’une société traditionnelle à une société moderne. Aujourd’hui, le temps de l’histoire s’accélère énormément. « Société en perpétuelle mutation » ?? Mais cette assertion oublie un peu rapidement que nos sociétés modernes connaissent des persistances de la société traditionnelle. Cf. Fernand Braudel : temps géographique (quasi immobile : saisons), temps social (lent : structures, mentalités), temps événementiel ou individuel (rapide : actualité). Ces temps se chevauchent : souvent, on dit être passé à une étape suivante mais il faut beaucoup plus de temps avant que les mentalités soient influencées (Euro, Internet, persistance de l’Ancien Régime, persistance des habitudes coloniales). Au départ : sociologie (qui étudie la société en mouvement, qui veut changer son histoire) >< ethnologie (qui étudie les sociétés traditionnelles, dont l’histoire est lente). Aujourd’hui, cette frontière n’est plus aussi nette (les ethnologues se sont penchés sur les sociétés occidentales ; les sociétés traditionnelles se dirigent vers la modernité). Dynamique sociale : étudie le changement des institutions. Statique sociale : étudie la stabilité sociale. Ce que la sociologie apporte dans l’étude du comportement humain, c’est une théorie sur la manière dont la société produit le minimum d’ordre, de stabilité nécessaire à la vie en commun et aussi le minimum de changement nécessaire pour s’adapter aux changements du monde environnant et pour justifier le maintien de l’ordre social. Enigme que la sociologie tente d’élucider : les individus font la société mais ils sont en même temps le produit de la société. En d’autres termes, la sociologie essaye de rapporter nos expériences personnelles à des enjeux collectifs (comme le fait la sagesse populaire, mais sur une base rationnelle). Allers et retours entre la micro-sociologie et la macrosociologie. Liberté ou déterminisme ? (Cf. supra, micro-sociologie versus macro-sociologie). Qu’entend-on par liberté ?? La liberté, ce n’est PAS le bon plaisir de faire ce qu’on a envie de faire. D’ailleurs, la société nous fait désirer ce qui est socialement défini comme désirable (cf. : société de consommation, publicité) La liberté, c’est sans doute la capacité de choix, mais plus encore que la faculté de choisir, c’est la faculté de formuler ses propres choix. Pour la philosophie humaniste du Sujet (en gros, la philosophie classique de Kant), l’homme conduit par la Raison est maître de son destin. Nietzsche, Marx, Freud, Foucault ont apporté des restrictions à la toutepuissance de la raison humaine. Pour le sociologue, l’homme naît et grandit, avec un capital génétique, culturel, économique déterminé, qui dessine le profil social de son existence. NB : « nous sommes tous (collectivement) des individualistes » L’homme est conditionné à penser et à agir suivant certains schémas mentaux qu’il croit, en toute bonne foi, personnels, et suivant certains schémas comportementaux qui lui paraissent naturels. Or, son identité est pour une large part sociale. La liberté d’action est bordée de contraintes sociales. Elle est même souvent illusoire dans la mesure où ce qu’il désire lui est en quelque sorte « soufflé » par la société. Les choix qu’on pose ne sont pas toujours faits en toute connaissance de cause. L’homme, pour la sociologie, n’est plus pensé comme Sujet philosophique dont la liberté transcendantale lui permet de maîtriser son destin en fonction d’une Raison universelle, mais comme un acteur dont la liberté n’est pas donnée d’emblée mais doit se conquérir. La sociologie libère en libérant de l’illusion de la liberté. La liberté n’est pas un donné, mais une conquête, et collective. La sociologie nous met en état de décider ce que nous voulons faire de ce qu’on a fait de nous. La sociologie nous rend plus libres. LE BRICOLAGE DU SOCIAL INTRODUCTION Le social est le monde propre aux humains, siège de ce que l’on appelle la culture. A son degré zéro se trouve le monde vécu (vie quotidienne = Lebenswelt) L’homme est un animal social mais ce qui le différencie des autres espèces animales sociales, c’est sa capacité d’innovation organisationnelle. D’où la notion de « ordre du social ». L’ordre du social résulte de la conjonction de trois sous-ordres : ● Sous-ordre biologique : déterminant de la condition humaine. La seule différence entre l’homme et les autres animaux est le développement accru de son cerveau ce qui a permis le développement d’un langage articulé phonétiquement, synthétiquement et sémantiquement, d’où émerge la pensée symbolique, apanage exclusif de l’espèce humaine ● Sous-ordre symbolique : dont le mode de présentation est le discours qui prolonge l’exercice de penser, les productions de l’esprits humain ● Sous-ordre structurel : c’est ce que la tradition sociologique a rassemblé sous l’appellation de « stratification sociale » et ce qui a trait à la domination au sein du groupe. A la différence des animaux, ces structures changent au cours du temps. Leur conjonction débouche sur l’élaboration des cultures. Ces trois sous-ordres concourent à produire à leur zone de rencontre l’axe culturel autour duquel se déploie l’ordre du social dans son ensemble. Cet axe est affecté d’une inscription dans le temps. Selon Braudel, il existe trois temporalités dans toute société : longue/moyenne/courte. Nous retrouvons ces temporalités dans nos sous-ordres : le biologique = longue durée, le symbolique et le structurel = les trois. L’existence d’une conscience collective (DURKHEIM) reste de l’ordre de l’hypothèse, la conscience individuelle par contre est un axiome. Selon SIMMEL, il faut partir des âmes individuelles qui s’assemblent dans le processus de la sociation (Vergesellschaftung). Les individus constituent le moteur dans le processus, ils constituent entre eux (intersubjectivement) un social qui leur revient ensuite sous la forme d’institutions (qui résultent d’une sédimentation dans la temporalité historique de ces pratiques intersubjectives). CHAPITRE I – Demander l’heure et autres situations Demander un renseignement exige un certain nombre de compétences (sociales, linguistiques, cognitives…). Ces compétences s’appliquent à tout moyen mis en œuvre pour faire aboutir une interaction. L’interaction vise tout commerce avec autrui qui présente un degré suffisant de réciprocité. Des interactions fortement liées constituent un épisode. Une série d’épisodes prennent place dans une situation (environnements faits de possibilités mutuelles de contrôle, au sein desquels un individu se trouvera partout accessible aux perceptions directes de tous ceux qui sont présents et qui lui sont similairement accessibles). La situation est un espace. Ce dernier constitue un environnement, càd un espace où des choses se passent autour d’une personne (Umwelt). Les individus doivent obligatoirement se livrer à l’opération de définition de la situation, càd qu’il s’agit pour les acteurs d’y distinguer les éléments, les paramètres qui sont déterminants pour déclencher les actions qui s’imposent. Il y a trois paramètres : lieu/temps/scénario. De nombreuses imprécisions et confusions sont possibles. C’est ce que GOFFMAN appelle le problème du cadre. Toute situation est déterminée par un cadre. Toute situation se détermine par rapport à une caractérisation du cadre dans lequel elle prend place, à partir d’une reconnaissance d’un cadre primaire, socle sur lequel toutes les définitions effectives des situations doivent venir s’ancrer. Ce cadre primaire est celui du degré zéro de la vie quotidienne. D’autres cadres sont possibles, ils procèdent du cadre primaire et sont le résultat d’une transposition de celui-ci au cours de laquelle au moins un des trois paramètres de la situation est modifié. Les situations et les paramètres qui les définissent sont d’abord des idées, des représentations. Avoir une idée de quelque chose, ce n’est pas connaître cette chose. La vocation de l’idée est de passer par le truchement du langage, produit par excellence des interactions sociales. Pour gérer les interactions, il faut recourir à l’outil qu’elles nous fournissent. Le premier lieu d’inscription du bricolage est donc le langage. La tâche de reconnaître un interlocuteur passe par la mise en œuvre de l’idée que l’on se fait de la personne capable de répondre. Il s’agit d’un arrangement, d’une transaction d’un le cadre primaire ou transposé. Pour qu’une situation se déroule de manière qui semble acceptable à tous ceux qu’elle rassemble, il importe que les uns et les autres soient d’accord a priori sur sa définition. Celle-ci ne doit pas obligatoirement être partagée par des observateurs extérieurs. Selon THOMAS, les situations sociales n’ont pas d’autre réalité que celle qui leur est reconnue par les participants. Quelqu’un qui est capable d’exercer une influence sur d’autres ne le peut pas en raison d’une caractéristique intrinsèque, mais bien parce que les autres, dans une situation déterminée, lui reconnaissent cette capacité. Théorème de THOMAS : If men define situations as real, they are real in their consequences. Les compétences mises en œuvre dans les situations s’alimentent à leur tour aux ressources. Selon SCHÜTZ, ces ressources sont un « stock de connaissances disponibles », mobilisables à tout moment pour gérer les situations. Cette notion peut être rapprochée avec celle d’habitus (BOURDIEU). La tâche qui incombe à l’habitus est en premier lieu de « définir les situations ». Cet « ensemble de dispositions structurées et structurantes » englobe les compétences dans des interactions dynamiques (structurantes) au départ de ressources organisées (structurées) selon des modalités qui se rapportent à l’appartenance de classe. Bourdieu, Schütz, Giddens et Goffman se rejoignent pour constituer un paradigme : les compétences et les ressources (les dispositions de Bourdieu et les connaissances de Schütz) concourent à nous maintenir dans un monde vécu dont les significations ne nous sont pas livrées d’emblée, et que nous sommes chargés de fabriquer en partie à partir de nos engagements dans les épisodes, tissés d’interactions, qui composent les situations dans la succession desquelles nous insérons toute notre vie. Les paramètres que l’individu est capable de reconnaître pour définir une situation font partie du stock de ressources de l’individu et déterminent la mise en œuvre de règles. Ce stock, qui comporte à la fois des éléments cognitifs et des éléments normatifs, et ne peut donc être réduit seulement à des connaissances, l’acteur l’emmène avec lui tout au long de son parcours. C’est ce que l’on peut appeler son habitus. Il l’a reçu de ses socialisateurs, qui eux-mêmes l’ont reçu de leurs socialisateurs etc.. BERGER et LUCKMAN ont distingué deux sortes de socialisation : le socialisation primaire qui se termine lorsque l’enfant est capable de respecter les règles en l’absence du socialisateur et la socialisation secondaire. Grâce à la socialisation, l’enfant passe de la perception d’un monde indifférencié à celle de deux espèces de sous-mondes : ● l’Umwelt : le sous-monde des espaces symboliques où se déroulent certaines types d’activités. Les relations sont vécues sur le mode de la singularité. Les coacteurs se trouvent en « congruence de flux de conscience ». Celle-ci résulte d’une temporalité partagée, même si elle ne l’est pas de manière constante. La dimension familière désigne le règne de la singularité et aussi celui de l’indexicalité. Ce qu’ils disent n’est accessible à l’observateur extérieur que si ce dernier est au courant du contexte dans lequel paroles et gestes se déroulent. ● la Mitwelt : le sous-monde des relations où dominent deux modes de relations (intimes + contemporains). Les relations sont vécues sur le mode de la typicalité. Les flux de conscience ne se conjoignent que de manière intermittente quand la relation est tout à fait ponctuelle. C’est le domaine de la typicalité, de l’appartenance des partenaires à des types sociaux répertoriés ; ce répertoire figurant lui-même dans le stock des ressources des partenaires. Un « type » est une espèce d’invariant, se rapportant à une culture particulière et intégrant sous sa définition une pluralité d’individus, débarrassés à l’égard de leurs partenaires de relation d’indexabilité. Cela signifie que le représentant d’un type peut être le participant à un commerce, sans que compte ne soit tenu de son contexte singulier. Encore faut-il que ce commerce ait lieu dans des situations sur les définitions desquelles, en référence aux trois paramètres, les partenaires s’accordent. Le type est donc un condensé d’attributs (parce qu’abstraction est alors faite de variations personnelles qui n’entravent en rien le fonctionnement du type) et un modèle d’orientation (parce que c’est en fonction des attributs qui lui sont reconnus que le type sélectionné dans le répertoire déterminera la « marche à suivre » dans une interaction) pour l’action. Toute irruption de singularité dans des relations typiques ou inversement, constitue des accidents de parcours. Ces accidents mettent en danger l’effectivité du monde (la « discipline dramaturgique » de GOFFMAN) dont la permanence exige que chacun reste à sa place et y joue la partition qui lui a été remise. Il peut aussi s’agir d’une volonté délibérée, celle de provoquer un « procès de rupture », contraignant les partenaires soit à fuir, soit de modifier leur comportement, généralement dans la mesure où ils découvriraient davantage de leur être singulier. Le processus inverse est vrai aussi. Le passage du singulier au typique se produit lorsque l’un des partenaires au moins de l’Umwelt, pour des raisons de « circonspection dramaturgique » (survenance d’un tiers peu familier etc.) repasse dans une Mitwelt. Les coacteurs se rabattent alors sur les comportements que dicte leur typicalité dans un système de typification donné. Le comportement amoureux relève de l’Umwelt. Nous sommes dans le domaine du pathos, éloigné de l’infra-ordinaire des gens en « vitesse de croisière ». le comportement correspond au modèle typique. Il en est ainsi de tout ce qui relève de L’Umwelt : l’être le plus singulier ne peut se dégager des indications imposées par le type auquel il appartient. C’est à partir de ces indications que les partenaires vont bricoler. Ils les adaptent à leur contexte particulier. Il n’est pas facile de reconnaître la primarité d’un acte en l’absence de ce que GOFFMAN appelle des « parenthèses temporelles ». Les amoureux affichent aussi leur relation dans leur Mitwelt. Pour les amoureux, le but est de faire comprendre aux autres que leur état est particulier. L’ethnométhodologie a consacré la notion de l’accountability, la capacité de rendre compte et d’engendrer le compte rendu. Il s’agit pour les amoureux de rendre visible une situation de sens commun. Le « monde pris comme allant de soi » est aussi un monde « connu en commun » (GARFINKEL). La Mitwelt n’est pas une portion homogène du monde vécu, mais qu’elle se distribue en cercles que l’on peut se représenter concentriques, des plus proches faisant presque partie de l’Umwelt aux plus éloignés qui n’ont d’autres présence que celle que l’on peut accorder à un élément de décor. Plus on s’éloigne de l’Umwelt, plus la typicalité perd de détails. Le bricolage auquel se livrent les amoureux concerne à la fois le comportement qu’ils sont tenus d’adopter en conformité aux règles qu’ils sont tenus d’adopter en conformité aux règles en usage dans la culture à laquelle ils appartiennent, et les voies par lesquelles ils rendent ce comportement compréhensible à leurs partenaires de l’Umwelt ou de la Mitwelt. La capacité de rendre compte est la faculté d’émettre les signaux adéquats. Les acteurs sociaux sont donc tenus de bricoler leurs comportements à partir de ressources qui tiennent compte des variations existant, pour chaque catégorie de comportement, selon les différents sociotopes auxquels ils risquent d’être confrontés. Le sociotope est le milieu de chaque individu qui possède diverses caractéristiques qui se rapportent à des modes de différenciations « canoniques ». Le passage d’un milieu à un autre ne s’opère pas sans diverses procédures de « traduction » : on renonce à certaines manières de se comporter pour en adopter d’autres, ce qui peut entraîner un sentiment de culpabilité de se déclencher à l’occasion des retours en arrière. Le sociotope est ce milieu tel qu’il est observable à un moment donné, mais en tenant compte de sa dimension dynamique : il se trouve sur une trajectoire et constitue le cadre de traductions, lesquelles sont une des variantes des « transactions ». Les sociotopes sont les expressions localisées des habitus dans ce qu’ils présentent de dynamique. Sur le sociotope des amoureux se greffe l’Umwelt. C’est des éléments matériels du décor que celui-là leur impose que celui-ci tire les signifiants servant à identifier les deux premiers paramètres intervenant dans la définition des situations, ceux de temps et de lieu ; celui du scénario ne peut manquer de s’alimenter aux ressources fournies par le sociotope et avec lesquelles il est difficile de transiger. C’est l’habitus qui commande l’effectivité de ces comportements, mais c’est le sociotope qui leur fourni des matériaux, lesquels ne sont pas sans incidence sur le déroulement de l’interaction. Dans une interaction quelconque, ce quel es partenaires s’efforcent d’obtenir est toujours la satisfaction d’un intérêt. La finalité visée doit représenter un apport. On investit donc des ressources assortis de compétences, lesquelles constituent son capital humain, convertible. métaphore du théâtre (GOFFMAN) + métaphore du marché (BOURDIEU) Chez GOFFMAN, l’enjeu des interactions, des représentations montées en commun dans des situations sur les définitions desquelles l’accord est postulé au départ, est la face. Chez Bourdieu, l’enjeu serait la rentabilité du capital investi. CHAPITRE II – De l’ordre souverain à la structuration tâtonnante Dans la sociologie canonique, longtemps prédominée d’un modèle classique d’inspiration durkheimienne, il existe un ordre social, basé sur une cohésion (engendrée dans nos sociétés par la solidarité organique qu’entretient la réaction sociale à un niveau acceptable de crime), censée apparaître comme objectif préférentiel à tous les membres de la société. Cet ordre reposant sur l’adéquation des conduites effectives et des représentations collectives est bordé par des zones de désordre qu’il s’agit constamment de résorber ou contrôler. La cohésion ou l’homogénéité sociale est assurée par l’idéologie (au sens de discours légitimateur) tirant sa capacité ordonnatrice de valeurs partagées transmises par les voies et moyens de la socialisation, en particulier avec l’éducation. Les zones de désordre situées aux marges du bloc ordonné central servent d’aliment à divers dispositifs de maintien de l’ordre. Ces dispositifs sont de nature institutionnelle et de divers niveaux de légitimation. Il faut obtenir l’adaptation du plus grand nombre aux règles. L’objectif principal de tous les membres de la société est la cohésion et l’homogénéité sociale. On en revient à la « division du travail » de DURKHEIM. Dans cette conception de la cohésion sociale, tout se passe comme si, d’un hypocentre caché dans les profondeurs du social partaient à tout moment des injonctions à destination de ses membres, que ceux-ci s’incorporeraient grâce au travail d’institutions spécialisées, chacune investie d’une fonction dont la mise en œuvre peut ne concerner qu’une fraction du corps social. Chez DURKHEIM, les injonctions parviennent aux consciences individuelles par le canal de la conscience collective, dont on sait qu’elle est supérieure à la somme des consciences individuelles et qu’elle constitue un hôlon. Cette conception holistique a l’avantage de se conformer à la démarche supposée courante des sciences de la nature, où l’on étudie non pas des cas individuels, mais des classes, des invariants, censés ici primer sur des variations individuelles, considérées comme épiphénoménales. Ce qui importe au sociologue, c’est d’objectiver une pluralité de sujets dépouillés de leur subjectivité, tout comme lui-même doit s’efforcer de se débarrasser de la sienne pour objectiver le sujet de ses prédicats scientifiques. Mais : Il n’est pas possible que tout le monde se ressemble à ce point, par cela seul que chacun a son organisme propre et que ces organismes occupent des portions différentes de l’espace. Il existerait des individus dont le comportement serait assez efficace pour perturber l’ordre social les causes sont le milieu physique immédiat, antécédents héréditaires et même influences sociales. Le social n’agirait donc pas de manière uniforme sur chacun de nous et se modulerait en fonction du milieu dans lequel nous vivons et de notre hérédité, pour produire du social particulier, du crime (cela contredit l’adage « le social s’explique par le social »). Le crime est fonctionnel, « facteur de la santé publique, une partie intégrante de toute société saine ». Mais : Cette conception du social ne résout pas le problème du changement. Le temps y est traité en variable indépendante, vecteur de ce qu’on appelle l’histoire transformée en évolution, sur le modèle de DARWIN. Dès lors, DURKHEIM postule des « stades de développement » entre lesquels il n’existe pas de lien causal, mais uniquement chronologique (l’état antécédent ne produit pas le conséquent). Les sociétés passent par des phases de développement, qui déterminent ce qu’il appelle les « espèces sociales », auxquelles correspondent les faits sociaux que l’on peut tenir pour normaux : « un fait social est normal pour un type social déterminé, considéré à une phase déterminée de son développement, quand il se produit dans la moyenne des sociétés de cette espèce, considérées à la phase correspondante de leur évolution ». Cette conception statique, tournée vers l’illustration des procédés de maintien de l’ordre, d’une homéostasie sociale perturbée par des phénomènes de déviance et d’anomie, se prolonge dans les modèles qu’elle propose pour orienter les recherches empiriques. Ces modèles sont synthétisés par celui du « passage à l’acte ». Le schéma consiste à envisager, à partir de relevés statistiques, fournis d’ordinaire par des enquêtes par questionnaires standardisés, l’intervention de divers facteurs dans l’apparition du phénomène étudié, et des poids respectifs qu’y déclinent chacun de ces facteurs. Il s’agit en général d’aligner une succession de fréquences modales pour rendre compte d’un comportement collectif, ayant reçu une dénomination le plus souvent non remise en perspective critique, telle la criminalité ou l’échec aux études, qui est inscrit à un moment précis dans le temps. Cette conception manque donc de perspective dynamique car si les fréquences modales relevées à propos des variables conditionnent le passage à l’acte soumis à investigation, c’est instantanément, et non à l’issue d’un processus inscrit dans le temps. L’idée que des comportements jugés problématiques puissent résulter d’une pluralité d’interactions s’inscrivant dans une perspective de déroulement temporel est ici complètement occultée. Dans ce modèle du passage à l’acte, il y a une adéquation entre conformité à l’ordre social et positivité des comportements, et entre déviance par rapport à l’ordre social et négativité des comportements. il y a une confusion constante entre un problème social tel que défini hors du champ scientifique et problème sociologique, élaboré au sein de ce champ même. C’est ainsi qu’on étudiera plutôt l’échec scolaire que le fonctionnement de l’école en général etc. Cette confusion est encore renforcée par le fait que le plus fréquemment ces recherches sont financées par les pouvoirs publics qui préfèrent l’analyse de liste de chiffres qu’une méthode plus anthropologique. La confusion entre les deux problèmes a été dénoncée par BERGER. Le problème sociologique est toujours de comprendre ce qui se passe en termes d’interaction sociale, et ne consiste donc pas à savoir ce qui ne va pas, mais bien à savoir comment le système fonctionne et est maintenu dans son ensemble. Les sociologies de type holistique, dont celles qui reposent sur la démarche fonctionnaliste sont la plus éloquente illustration, favorisent cette confusion entre problématisation sociale et problématisation sociologique. Cela tient essentiellement à l’amalgame opéré entre ordre social (« ordre » est pris dans acception normative : il y a de l’ordre et du désordre) et ordre du social (« ordre » est pris dans l’acception descriptive). Lorsque BOURDIEU considère l’ordre du social comme un champ où le chercheur est agent, la sociologie holistique devient teintée de positivisme (car la mise à distance de l’objet emprunte à la démarche des sciences de la nature). Le rôle social du sociologue est celui d’un régulateur mettant en œuvre un savoir qui reste proche des savoirs des laboratoires et des centres de calcul. L’objet ou le social est composé d’individus regroupés en catégories standardisées. La confusion entretenue entre savoir sur le social et travail social est préjudiciable à la constitution d’une véritable science des comportements collectifs. Donc pour les chercheurs holistiques, les individus bricolent sans doute, mais de manière erronée et leur bricolage ne les intéresse pas en tant que tel. Le modèle fonctionnaliste vacille à cause de la société de consommation, qui repose sur l’individualisme qui amène un recentrement de l’attention des sciences de l’homme sir l’individu. Il y a un retour au sujet. Ce sujet est proche de l’agent wébérien. Ce sujet communique un sens subjectif dans son commerce avec autrui (=action sociale). C’est en se mettant à sa place par empathie (Einfühlung) que le sociologue peut espérer « comprendre par interprétation » (deutend verstehen) l’activité sociale à laquelle se livre l’agent et aussi l’expliquer causalement. C’est une reconstitution à distance à partir de l’édification de « l’horizon des significations » auxquelles l’agent se réfère dans ses activités quotidiennes, dans son sociotope. Les agents ou acteurs construisent ensemble un ordre du social, mettant en commun leurs intentions, leurs intérêts, leurs ressources et leurs compétences (cognitives et normatives). C’est un processus qui n’est pas constamment réflexif. Ce qu’il importe de comprendre par interprétation, premier moment d’une démarche interrogative dont le second sera l’imputation causale, c’est la participation de tout un chacun à ce processus, la part que celui-ci prend qualitativement parlant, dans ladite construction. Les matériaux utilisés sont les déclarations, ses écrits, ses apparences, toutes les traces qu’il a laissées. Il n’est bien sûr pas possible pour le sociologue ou à l’anthropologue de s’intéresser à chaque acteur en particulier dans son irréductible singularité étude de petits groupes. Selon FERRAROTTI, « l’individu n’est pas un épiphénomène du social ». Cette affirmation ne vise pas à nier que le social soit le produit d’un « effet de composition », mais bien à rappeler que dans la composition entre une pluralité de sujets composants. Chacun d’eux par retour du social dans son rapport au monde, est davantage qu’un fragment incomplet de ce social. Ce que produisent des individus singuliers sont des situations uniques. Mais il est vrai que la mémoire collective fournit des modèles que les acteurs à un moment donnée, ne se privent pas nécessairement d’imiter ou plutôt de reproduire (la reproduction du social, partie prenante de la production du social, consiste souvent en la reproduction de modèles antérieurs). Le social, lorsqu’il s’exprime en événements, en configurations, durables ou non, s’inscrit dans ce que SIMMEL appelle des formes que l’on peut tenir pour des cadres transsituationnels qui ne se mettent à révéler leur existence que lorsque des acteurs concrets y déposent un contenu singulier (=cases vides). La reconnaissance du fait que la temporalité est inscrite dans les processus sociaux eux-mêmes est l’une des caractéristiques du tournant épistémologique. C’est à dire que les activités sociales, au sens de Weber, engendrent leur propre dimension temporelle : les temps comme l’espace sont des constructions sociales, même s’il y a un certain caractère prédonné. Le changement ne peut donc plus, comme dans les théories classiques, être rapporté à des causes « exogènes » ou « endogènes ». Ces modifications se situent aux divers niveaux auxquels les existences individuelles et collectives prennent du sens. En tant que récit, l’histoire est celle du changement collectif, la biographie étant celle du changement individuel. Mais le changement collectif est le produit des changements individuels, chacun de ceux-ci incorporant le changement collectif. Le changement collectif’ s’il est produit par les changements individuels, résulte aussi de ce qu’on pourrait assimiler à des multiplications de comportements personnels, chacun d’entre eux étant à l’origine d’effets semblables à des « multiplicateurs ». Par cercles concentriques autour de chaque acteur individuel se diffusent les effets de ses activités sociales. Ces cercles croisent d’autres cercles. Dans cet entrecroisement de cercles, on peut glisser « l’effet papillon » (« si un papillon bat des ailes à Pékin, il s’ensuis une tempête de neige à Washington ». Cet adage illustre les théories édifiées autour de la notion de chaos. C’est un événement qui a l’air dérisoire mais qui a des effets imprévisibles. A l’opposé se trouve « l’effet escargot » (« Quand un excargot traverse Namur, il ne se passe rien »). C’est un événement qui produit des effets de manière prévisible, la constante répétition à l’identique. Les cercles concentriques se dessinent autour de chaque individu et se recoupent incessamment pour constituer la trame du social. Le désordre causé par les efforts antagonistes des effets se sédimente au delà des actions humaines, c’est l’histoire qui possède une apparence d’ordonnancement. GURVITCH a décrit plusieurs temps, qui sont plus produit que producteur. Le cadre temporel n’exerce son influence que dans la mesure où chaque agent lui confie sa temporalité et contribue à le modifier, à le remplir de nouvelles manières. Si le temps n’était qu’une toile de fond se déroulant à une vitesse uniforme pour tous, les itinéraires se reproduiraient à l’identique de génération en génération et seule la mort les rendrait dissemblables. Chacun de nous fait un usage différent de cette ressource qu’est le temps cosmique (physique) en le ralentissant ou en l’accélérant. Ainsi chacun de nous est producteur de sa propre temporalité et influence celle des autres. Nous ne sommes pas tous également compétents. La temporalité de chacun de nous est tributaire de celle de chacun de nos partenaires proches ou lointains. Le temps des actions humaines est produit par les acteurs en même temps que les actions elles-mêmes. Le temps est une ressource parmi d’autres, appelé à se transformer en temporalités singulière et plurielles. Une deuxième voie explorée par les promoteurs d’une sociologie non holistique, interactionniste, est celle de la facticité des codes. Pour les sociologues du courant canonique, la société fonctionne selon les modèles descriptifs qu’en donnent ceux qui parlent pour elle. Cette vision est très réductrice car l’ordre du social est un lieu de mensonge constant et généralisé. Les codes ne sont pas respectés ou le sont incomplètement. L’idée d’une correspondance univoque entre les injonctions des institutions telles qu’on les trouve dans les discours que celles-ci tiennent à leur propos et le comportement effectif des individus que ces institutions visent, est totalement irréaliste. [exemples p.65-67] L’idée du manque de respect à l’égard des codes met sérieusement en cause la prétention à la lisibilité des sociologues de type holistique, qui prétendent plaquer les règlements édictés par les agences du pouvoir à destination de l’ensemble des populations qu’elles ont pour tâche de régenter. Les individus, dans leur vie quotidienne, ne cessent de manifester de la résistance, à l’égard des impositions des pouvoirs. Ce concept commande un paradigme dans lequel figureraient des termes comme ruse, duplicité etc. en regard des stratégies mises en œuvre par les diverses agences des pouvoirs en place, les individus du commun développent des tactiques, dont l’intention est subversive. La décision se perd et est détournée dans les multiples embranchements de la socialité souterraine. Souterraine mais non invisible, car ses manifestations sont nombreuses et multiformes. Ce sont autant de symptômes de tactiques résistantialistes largement diffusées dans toutes les couches de la population. Ces constatations concernent, d’un côté, l’inclusion de la temporalité dans les processus sociaux eux-mêmes et, de l’autre, l’irrespect des codes imposés par les structures du pouvoir. Cela nous amène à dire que les acteurs sociaux ne décident pas leurs actions de manière rationnelle. Ce n’est ni la raison raisonnable ni la raison rationnelle qui gouvernent les actions des passants du monde ordinaire. Si structuration il y a, elle est tâtonnante, car elle n’est pas déterminée par les impératifs de la Raison. La société se produit/reproduit par les essais et erreurs qui caractérisent les actions d’acteurs incomplètement compétents et occupés à subvertir les codes que la propre production de leurs prédécesseurs veut leur imposer. Ce tâtonnement, autre nom pour le bricolage, est visible dans une pluralité de comportements et témoigne : - de l’extraordinaire créativité des hommes - de leur défiance à l’égard de l’ordre établi - de l’anarchie qui règne au sein des mondes vécus par les diverses catégories d’acteurs et qui peut apparaître ordonnée. Celle-ci se déploie dans des temporalités à vitesses variables, ce qui complique encore les accords qui doivent résulter des interactions. La structuration n’est pas un processus univoque. Elle est l’expression du tâtonnement incessant auquel se livrent les acteurs sociaux, pour écrire une histoire qu’ils sont rarement capables de prédire CHAPITRE III – Ils ne savent pas l’histoire qu’ils font Tout regard en arrière confirme que le récit des temps passés qu’on appelle l’histoire continue, s’agissant des temps les plus proches du présent, ceux où la réflexivité peut être supposée à être fait de bruit et de fureur et que toute tentative d’y mettre de l’ordre reste sans lendemain. Il faut être prisonnier du logos, comme HEGEL, pour découvrir une Raison dans l’histoire. Mais il faut s’interroger sur ce penchant des hommes à se chercher noise. Qui dit donc passion, dit dos tourné à la logique : pathos contre logos. Il y a ambiguïté à faire coïncider logique et rationalité. Il y a glissement de l’un à l’autre en passant par la logique rationnelle. Chez PARETO est « action logique » celle pour laquelle le but objectif est identique au but subjectif. Pour cela, il faut avoir « une somme plus ou moins grande connaissance des faits » qui relève de l’activité scientifique qui repose sur une base rationnelle. La sociologique canonique ne s’est souciée que des actions logiques, d’un homo sociologicus (comme reflet d’une homo oeconomicus), modèle supposé de logique rationnelle, puisque préoccupé, tout logiquement, de maximiser son profit pour une mise minimale mais où trouver la rationalité, en finalité pour parler comme WEBER (Zweckrationalität), de chercher à engranger le plus de richesse possible. Cet homo sociologicus correspond au projet initial de cette discipline au XIXe siècle. Dans le système durkheimien, fondamentalement holistique, on découvre les individus qui produisent l’anomie et qui sont de la même espèce dont les caractéristiques importent peu, ce sont des figurants. Il évoque de cette manière un homme « pluriel ». Le processus de DURKHEIM est fonctionnel. En réalité il s’agit d’une pluralité de singularités, pas d’une singularité qui se multiplierait à l’identique. Le pluriel est composé de singularités irréductibles les unes aux autres car toute personne est inévitablement contrainte par la portion d’espace qu’elle occupe et que personne d’autre ne peut occuper en même temps. La reconnaissance de cette singularité est ontologique. Ce sont des êtres singuliers et désirants et désirants à partir de leur radicale singularité. Le sujet désirant se comporte à l’encontre de ce qui est prescrit par les agences de contrôle. L’appétitif irrationnel l’emporte sur le rationnel sous les espèces de ce qui correspond à son intérêt. L’effort des éducateurs est de faire dominer la Raison, le logos, sur le désir, le pathos qui revient toujours à la charge. D’où les bruits et les fureurs dont est faite l’histoire des hommes. Le raisonnable est la doublure éthique du rationnel et est censé fonder des conduites conformes à un ordre souhaitable, et que tout un chacun devrait souhaiter. Pas mal d’interdits n’ont rien de raisonnable. Le désir dont il s’agit ici est celui qui pousse les hommes à aller à l’encontre de ce que leur entourage ou toute agence de contrôle estime qu’ils devraient raisonnablement respecter. La société postmoderne a tendance à transformer des prescriptions réglementaires en interdits. Ce sont les experts qui éditent des normes en ces matières et les marquent du sceau rationnel scientifique. L’Homme échappe aux pesanteurs naturelles grâce à sa liberté, de cette part d’aléa que contient son destin. Les fins de l’Homme ne sont pas données a priori. Il agit pour réaliser ses propres fins, actions dont le nécessaire complément est la passion. L’Homme n’est plus simplement agi par des processus physico-chimiques ou par l’instinct, il est devenu agent, et même acteur, accomplissant des actions dont la passion le plus souvent, sauf lorsqu’il s’agit de gestes de routine, est le principal moteur. La passion dont le propre moteur est le désir. L’Homme est un être passionné parce qu’il est avant tout un être désirant. L’Homme est être singulier et sujet désirant ; il parcourt ainsi la trajectoire qui lui indique la flèche du temps. Tous ces désirs et ces singularités qui se croisent et se recroisent simple font du désordre. G. BALANDIER a beaucoup insisté sur le couple « ordre-désordre ». Selon lui, le couple est consubstantiel à l’ordre du social car (au niveau macrosocial) « la société s’appréhende comme un ordre approximatif et toujours menacé, à des degrés variables selon ses types et formes, elle est le produit des interactions de l’ordre et du désordre, du déterminisme et de l’aléatoire. Elle met en présence des configurations dont la reproduction n’est pas assurée. Ce qui est nommé « société » ne correspond pas à un ordre global déjà là, mais à une construction d’apparences et de représentations ou à une anticipation nourrie par l’imaginaire. Le social est sans fin à la recherche de son unification ». Au niveau microsocial, l’on peut dire que « la négociation des rapports imposés par la vie quotidienne et l’avancée durant le parcours de vie sont affectées par le doute et astreintes à de fréquents réajustements ; un empirisme mouvant et bricoleur réduit le champ des ritualisations et des routinisations, des habitudes et des certitudes ». Pourquoi les Hommes souhaitent-ils mettre de l’ordre ? Au système fonctionnaliste s’en substitue un autre, l’inverse. Le social constitue un lieu de désordre permanent, encadré à ses marges par de minces couches d’ordre. Celui-ci est précaire et constamment menacé par les tourbillons désordonnés du centre. Mais c’est de ceux-ci que procèdent les couches d’ordre. La question est de savoir pourquoi le logos tente-il de surmonter le pathos et de se doter que quelque permanence dans les temps ? GIDDENS a postulé l’existence chez tout homme d’un système de sécurité ontologique : c’est « un sens de continuité et d’ordre dans les événements incluant ceux qui ne se trouvent pas directement dans l’environnement perceptible de l’individu ». Ce cadre est basé sur des diverses routines. La demande de sécurité provient de l’anxiété, définie comme étant essentiellement un état de crainte inconsciemment organisé. Elle est associée à la liberté humaine, laquelle ne serait pas une caractéristique immanente à l’individu, mais dériverait de l’acquisition d’une compréhension ontologique de la réalité externe et de l’identité personnelle. Les expériences du premier âge sont d’une importance capitale ; ces routines sous-tendent une acceptation émotionnelle de la réalité du « monde extérieur », sans laquelle une existence humaine dotée de sécurité est impossible. Le monde extérieur n’est jamais complètement débarrassé de sources de doute ; ceci est également vrai pour l’identité personnelle qui subit elle aussi les conséquences de l’inscription de l’être dans le temps, faisant de lui un « être pour la mort ». La « compréhension ontologique » de la réalité externe ne peut jamais être entière, pour le motif que celle-ci reste immuable dans le temps. Selon WITTGENSTEIN, il existe un monde de la réalité externe dont l’expérience est universelle, mais qui ne reflète pas directement dans les composantes significatives des conventions en vertu desquelles les acteurs organisent leurs comportements. Cette expérience n’est pas susceptible d’être donnée une fois pour toutes, car elle est aussi soumise à la contingence de la temporalité. Les « composantes significatives des conventions « subissent les répercussions de cette soumission. Aucune routine, quoi que fasse l’agent pour la soustraire à la contingence, n’est assurée de permanence. L’expérience de la rupture possible ou de l’effilochement est toujours potentiel, tout en s’alimentant aux ruptures/ effilochements dont l’expérience a déjà été faite, et dont la première manifestation brutale (rupture) ou progressive (effilochement), serait la séparation vécue dans le premier âge d’avec l’adulte nourricier. L’identité personnelle ne cessera d’être marquée par cette rupture et à se ressentir sur le mode du manque. L’anxiété est liée à l’expérience du manque, lequel renverrait au manque originel. Selon les moments, le manque est comblé mais peut aussi s’intensifier (l’individu s’aliène sans de tels circonstances). C’est à de tels moments que la dimension pathique risque de l’emporter sur la dimension logique du comportement individuel, menant au passage effectif du pathique au pathologique. GIDDENS a appelé « moments fatidiques » ces épisodes au cours desquels le manque prend une ampleur que le cadre de sécurité ontologique ne peut plus contenir : « les moments auxquels des décisions lourdes de conséquences doivent être prises ou des actions doivent être mises en œuvre ». Ces moments sortent des routines et sont soumis au destin. Dans la société postmoderne, ces moments fatidiques surviennent lorsque l’individu est abandonné par les « systèmes experts » qui encadrent son existence et auxquels répond son propre système de sécurité ontologique. Cela peut être une conséquence d’un effet papillon. L’évolution de ce que ELIAS a appelé la civilisation des mœurs va dans le sens de l’individualisation et de la rationalisation, mais elle n’a pas fait triompher le logos en dépit des apparences : lorsque l’étau d’un système expert censé fonctionner selon les lois de la rationalité se desserre, les individus qui ont recours à lui, se retrouvent livrés à leur propre pathos. Remarques : - le pathos n’est pas toujours mauvais conseiller. Beaucoup de gens peuvent profiter d’une crise pour réorienter leur vie - la passion n’est pas toujours aveugle, tandis que la raison peut l’être. Il est des passions capables de répondre d’elles mêmes. Et de négocier avec des passions concurrentes. - le sujet désirant entre fréquemment en conflit avec le sujet raisonnable/rationnel car tout deux sont installés sous la même enveloppe et logés dans le même sociotope. Un conflit secondaire peut subvenir entre les composantes rationnelle et raisonnable (opposition entre la morale de la conviction et morale de la responsabilité). Les passions sont davantage que les raisons le premier moteur du processus global de la structuration. Les règles (normatives) et les ressources (cognitives) qui viennent composer les compétences sont empruntées, par les voies de la socialisation, aux stocks sédimentés dans la culture d’une société donnée. Dans les interactions, les individus peuvent appartenir : - ou non à la même culture - à des cultures différents, mais connues dans leurs grandes lignes, de manière croisée à des cultures différents, dont seuls les uns connaissent les grandes lignes, les autres ne connaissant pas celle de leurs interlocuteurs à des cultures imperméables Dans le cas de la culture commune, celle-ci en tant que système symbolique à la disposition d’un contexte pratique fournit un contexte de description pour des actions particulières ; elle peut rendre l’action plus « lisible ». Cette compréhension repose sur une « convention symbolique », grâce à laquelle un geste, une attitude, une parole peuvent être compris de telle ou telle manière, mais pas de manière univoque. Car en regard de la convention symbolique, se dressent les singularités des acteurs dans ce qu’elles ont d’irréductible, parce qu’elles renvoient non seulement à des individualités substantiellement distinctes les unes des autres, mais aussi à des actions spécifiques hic et nunc, avec leurs intérêts particuliers, leur degré de pathos, leur degré de congruence de flux de conscience, etc. Les actions sont inséparables des acteurs : même si deux actions semblent tout à fait identiques, elles n’en conservent pas moins la singularité qui est l’attribut essentiel de chaque acteur envisagé isolément. Les motifs des actions, que la réflexivité transformera ultérieurement en raisons, se rapportent à des intérêts qui se rapportent à des situations spécifiques. Ces intérêts, que BOURDIEU appel protentions, se muent en intentions, interprétables. On parle d’interprétation interne lorsque l’acteur recourt aux symboles que lui fournit sa culture, son contexte de description, càd quand il nomme dans sa tête les différentes composantes de l’action : les objets, le comportement, le résultat, le schéma mental qui conduit à l’action et qui en maintient le déroulement. On parle d’interprétation externe lorsque c’est un observateur externe qui interprète l’action. Celui-ci peut appartenir au même contexte de description ou non, se rapprochant ainsi plus ou moins de l’interprétation interne à laquelle se livre l’acteur, ses conjectures seront plus ou moins pertinentes et vérifiables selon ce à quoi il peut se rapporter, son expérience, celle de l’acteur s’il fait partie ou a fait partie de son Umwelt. L’interprétation d’une action accomplie par autrui ne peut être proposé que par rapport à ce que cette action a de typique dans le contexte de description qui la concerne, si autrui fait partie de la Mitwelt de l’observateur. S’il ou elle fait partie de son Umwelt, elle s’interprète à partir de la mise en commun d’éléments singuliers. Pour communiquer cette interprétation à des tiers qui ne font pas partie de la même Umwelt, il faudra recourir à des symboles socialement partagés, lesquels renvoient à des typicalités aisément descriptibles. Dans la Mitwelt se met en place, ce que SCHÜTZ appelle une « intersubjectivité pratique », propre aux situations dans lesquelles elle se porte à la connaissance d’observateurs éventuels. Interprétations, exhortations et instructions, s’exprimant en symboles, constituent des matériaux culturels. L’exposition à ces matériaux et leur acceptation sélective et interprétative présupposent un langage commun en tant que moyen de communication entre les personnes et en tant qu’instrument de connaissance pour l’individu. Si l’observateur possède une connaissance suffisante de la langue commune des gens qu’il observe, il peut essayer de dégager le « système de normes ». Il ne s’agit là que de règles de surface assignables au contexte de description ou à « l’horizon des significations » [vp.6] des acteurs. Mais ces règles ne conditionnent pas les comportements individuels. L’acteur reconnaît les stimulants et parvient à les orienter dans le sens d’un certain type de comportement en vue d’une réponse organisée et accepter par l’autre. L’individu doit posséder des procédés de base qui lui permettent d’identifier des situations et de faire appel aux normes appropriées : ces normes régissant la façon dont l’acteur parvient à décider de la prise ou de la création d’un rôle seraient des règles de surface et non de base. Les procédés interprétatifs ou de base (basé sur des règles grammaticlaes de la structure en profondeur) donnent à l’acteur un sens de la structure sociale qui se modifie par étapes et qui permet d’assigner une signification à un environnement d’objets. Ils permettent surtout à l’acteur de produire les réponses appropriées à des situations changeantes. Ces procédés interprétatifs évoluent tout au long de notre vie. Les règles normatives ou de surface permettent à l’acteur d’associer sa vision du monde à celle des autres au cours d’une action sociale, et de présupposer que le consensus ou l’accord partagé est atteint au cours de l’interaction. Règles normatives structure de surface permet à l’acteur d’associer sa vision du monde à celle des autres au cours d’une action sociale et de présupposer que le consensus ou l’accord partagé est atteint Procédés interprétatifs structure en profondeur donnent à l’acteur un sens de la structure sociale qui se modifie par étapes et qui permet d’assigner une signification à un environnement d’objets A tout moment, l’acteur se trouve en présence d’une problématisation. Le problème consiste en la survenance d’une nécessité à satisfaire un intérêt. SCHÜTZ a appelé relevances (dont il existe plusieurs sortes [lire p. 90-92]) les dispositions mentales qui s’appliquent à une telle nécessité. Le procès constamment renouvelé de familiarisation est rendu possible par la mise en route de routines cognitives et les prises de pouvoir dans les routines comportementales. Il est alimenté par les typicalités auxquelles l’acteur a affaire dans le déroulement des épisodes qui jalonnent sa trajectoire de vie. Ce passage par la théorisation des relevances chez SCHÜTZ permet d’introduire l’ignorance dans les interactions sociales. Ce thème renvoie à ce qu’on nomme le niveau macrosociologique, et qui souligne que les hommes ignorent l’histoire dont ils sont les artisans. L’ignorance joue un rôle important dans les interactions, envisagées ici comme des transactions. Dans ces interactions, les uns et les autres jouent sur ce que dans un autre domaine, la sociologique des organisations, on appelle les « zones d’incertitudes ». Dans la transaction qui s’engage, les deux partenaires procèdent par essais et erreurs, et les ignorances s’y révèlent aussi importantes que les connaissances [lire p. 94-95]. Selon FERRAROTTI, la méthode des « histoires de vie » permet de faire le pont entre l’histoire et la sociologie : « L’histoire de vie permet en fait de comprendre une société sur la base des deux éléments essentiels à sa construction : a) l’acteur social et b) la temporalité, à travers laquelle l’individu est amené à prendre part à l’histoire qui le fait devenir acteur social » (processus dual de la structuration). Une biographie, càd ce qui résulte du regard réflexif d’un observateur extérieur ou du sujet lui-même sur l’itinéraire que parcourt un individu, d’épisode en épisode, de situation en situation, d’interaction en interaction, se construit dans le chef de l’acteur par essais et erreurs, au départ de relevances incertaines appliquées à des stocks de connaissances incomplets, comportant de nombreux fragments d’ignorance. Quand bien même les acteurs s’efforcent de planifier au maximum de protections rationnelles, il restera toujours, lorsqu’ils conjuguent ces actions avec celles d’autres acteurs, ce qui est évidemment inéluctable dans la perspective de la production/reproduction du social, le « paradoxe des conséquences » décrit par WEBER, les conséquences non souhaitées des actions les mieux prévues, ces « effets pervers » dont parle BOUDON, qui leur confère une dimension morale qu’ils ne possèdent pas nécessairement. Ce « paradoxe des conséquences » est, suites des actions humaines, engendré par la précarité des relevances et celle des contenus du stock de connaissances auxquels elles s’appliquent, affectant nécessairement tout acteur en train de jouer, sur la scène sociale et dans les coulisses, qui sont toujours lieux de représentation, sa partie d’acteur. On retrouve aux divers niveaux auxquels se produise l’ordre du social « l’effet papillon ». CHAPITRE 4 – Mettre les menottes au temps Les actions des hommes sont prises dans les tourbillons de la temporalité. Les acteurs sociaux spéculent sur le déroulement du temps, en faisant preuve d’une défiance plus ou moins grande à l’égard des structures, ce qui se révèle en particulier dans les déviations effectives le leurs actions par rapport aux injonctions des dispositifs institutionnels qui prétendent guider leurs comportements. Les hommes sont aliénés au temps qui passe, qui a tout moment les rend autres de ce qu’ils étaient l’instant d’avant, tout en restant semblables à eux-mêmes. Ces considérations renvoient (en opposition au modèle structuro-fonctionnaliste) au modèle de l’ordre du social selon lequel le cœur du social est constitué par des désordres constamment renouvelés, les parties d’ordres étant métaphoriquement rejetées à la périphérie. Cette quête d’ordre repose sur la nécessité pour tout être humain d’assurer a tout être humain un minimum de « sécurité ontologique ». Celle-ci doit lui apporter la garantie qu’à terme suffisant les choses sur lesquelles repose son rapport au monde ne subiront pas de modifications tangibles. Ces choses comportent son identité, son sociotope, ses compétences etc., rapportés à son stock de connaissances. Selon son habitus, il sera plus ou moins ouvert au changement dans un délai plus ou moins long. Le problème vital est de maîtriser le flux du temps. Le maîtriser c’est affirmer la possibilité d’un ordre qui, s’il n’échappe pas au temps, le soumet à ses exigences. C’est la fonction que la tradition anthropologique-sociologique appelle rite. Les rites sont mis en scène pour renouer avec le cours jugé normal des choses, lorsque celui-ci semble se déliter ou être simplement menacé de l’être. Au niveau des interactions les plus banales se donnent à voir les microrituels dont le rôle est celui de garde-fou dans le déroulement des transactions. Il s’agit de tout acte ayant une portée sociale comportant une part de ritualisation : celle qui traduit le rôle de garde-fou qui est dévolu au rituel. Dans l’infra –ordinaire quotidien, les microrituels jouent un rôle comparable à celui des rites primitifs, qui est d’assurer la nécessaire maîtrise de la temporalité. Il ne s’agit pas de capturer le temps dans la seule intention de le rendre captif, mais bien d’établir, de reproduire ou de renouveler les identités individuelles et collectives : les microrituels inscrits dans la sociabilité gratuite, contribuent à garantir la circularité de celle-ci parce qu’ils permettent une gestion synchronique (capacité des individus de repasser par les mêmes temps >< gestion synoptique = capacité de repasser par les mêmes lieux) du temps qui passe. Ils ponctuent les routines quotidiennes par des repères temporels, semblables aux marquages spatiaux du territoire, auxquels les microrituels peuvent être rapportés de sa manière spécifique : à chaque microrituel sa localisation précise dans l’espace domestique. Les deux gestions se situent dans l’ordre du souvenir ; il faut pour qu’il se manifeste un déclencheur, qui a un rapport avec la mise en place d’un rituel, qui ne peut être que de portée microsociale. La sociabilité pure (forme de la sociation selon SIMMEL) concerne les interactions humaines sans laquelle les existences conjuguées des acteurs ne seraient que discontinues. Elle joue un rôle de liant, et c’est ici qu’interviennent les micorituels : ils vont fournir un cadre significatif à ce liant. On a affaire à un métadiscours apolégétique du quotidien, qui double l’appropriation des sociabilités immédiates par les acteurs, et leur permet ainsi de conférer un sens aux activités répétitive génératrices de ces banalités jamais éloignée de l’aliénation dont certains ont fait la substance de ce qu’ils appellent la quotidienneté. Les petits gestes accomplis souvent sans qu’on y accorde beaucoup d’importance, ceux dont GOFFMAN nous dit que nous les déclarons vides, ne sont donc pas nécessairement condamnés à la facticité des automatismes, dans la mesure où leur microritualisation les introduit dans le règne du sens [ex. serrement de main]. Si on envisage le serrement de mains dans le cadre de l’Umwelt des acteurs concernés, et si donc on se trouve face à des significations indexicales, on ne cesse pas d’avoir affaire à un microrituel. S’agissant de la Mitwelt, où les comportements font l’objet de typification et se retrouvent donc nantis de typicalité, les variations autour du thème du serrement de mains sont déjà considérables. Dans une vie quotidienne qui peut être envisagée comme une routine encadrée par des procédés de ritualisation pratiquement permanents, le jeu dans ces échanges micro ritualisés représente pour chaque acteur singulier une manière insigne de réaffirmer sa singularité. Les acteurs se déguisent en « comédiens de la sociabilité » : le texte que leur microrituel consacre est alors récité de manière ironique. Les acteurs souhaitent ainsi montrer qu’ils ne sont pas dupes de leur apparente soumission aux formes réglementées et réglementaires de la sociabilité telle qu’elle se pratique dans leur contexte de description et de signification. L’irruption d’un imprévu peut toutefois engendrer un trouble considérable. On outrepasse alors les possibilités de jeu que réserve toujours la codification en apparence la plus impérative des conduites cérémonielles. Ce jeu sur l’authenticité de l’investissement personnel dans les contraintes inhérentes à la partie à jouer, auxquelles correspondent les attentes des autres acteurs, renvoie à la conception du moi chez GOFFMAN. Pour ce dernier, le Moi est envisagé comme une projection dans la situation de l’image que les uns pensent que les autres veulent donner. Ce Moi, que l’individu met en scène, résulte de la représentation et se dégage de l’action qui se noue ente les protagonistes. « Le Moi en tant que personnage représenté n’est donc pas une réalité organique ayant une localisation : c’est un effet dramatique qui se dégage d’un spectacle que l’on propose, et la question décisive est de savoir si on y ajoute foi ou non ». Le Moi projeté est une caractéristique du type de contrôle social que met en œuvre une société donnée. Le mode habituel d’adhésion des individus à ce type de contrôle social se traduit par le mode de ritualisation des relations sociales auquel ils souscrivent. En passant par une expression ritualise, l’acteur accomplit les rôles que le groupe social ou la société au attendent de lui, et se procure ainsi la possibilité de mener à bon terme les représentations dans lesquelles il est engagé. Les microrituels rendent et légitiment l’instauration d’une « distance au rôle », une mise à l’écart du Moi projeté par rapport à un autre Moi, que par une hypothèse on pourrait qualifier de réel. Il s’agirait en fait d’une instance de la personnalité, correspondant de manière adéquate à l’identité personnelle telle que GOFFMAN la définit en regard de l’identité sociale, commanditaire de l’identité personnelle virtuelle, mais dotée d’une autonomie réflexive par rapport à cette dernière. La microritualisation est dans cette perspective la fore acceptable de la duplicité fondamentale des acteurs dans les représentations qu’ils montent ensemble et qu’ils donnent en public. Par les microrituels s’exprime de manière légitime le « paraître » des acteurs, reposant sur des manifestations jugées communément adéquates du Moi projeté. Par l’entremise des microrituels, l’acteur engagé dans une représentation garantit le respect de sa face et protège les frontières de son territoire. Le modèle goffmanien repose sur la véracité du jeu car de cette véracité, l’acteur individuel est juge au même titre que ses partenaires. Les impressions créée par les uns doivent se combiner aux impressions produites par les autres afin de mener à bon port des interactions se rapportant à une situation correctement définies de toutes parts, ce qui implique que ni les faces, ni les territoires des uns et des autres ne courent le risque d’être mis en danger. Selon ROSSET, il n’existe pas une dualité du Moi, car seul peut exister le Moi social, le moi réel n’étant qu’une illusion : la suprématie du Moi social s’observe dans le fait que tous les philosophes situent le continuité de la personne dans la faculté de se souvenir, dans la mémoire sans laquelle l’unité du moi se disperserait en sensations isolées. Or le suivi de la personne intéresse de toute évidence le moi social. On en déduit que le Moi réel n’est pas nécessaire. Il s’agirait que de deux variantes d’un seul Moi ou de deux moments : celui où le Moi est effectivement projeté et celui où il est en train de se projeter, le premier étant commandé par le second et le second étant sollicité par le premier. Entre ces deux moments se glisserait la dose plus ou moins élevée de nécessaire mensonge social, qui est ritualisé. Le mensonge n’aurait pas pour bit premier de protéger un Moi réel ou profond mais bien de protéger la capacité qu’a le moi projeté de jouer sur le tableau de la mise en scène plus ou moins sincère, de se dissimuler derrière la simulation à laquelle se trouve ou se croit contraint. Ce double jeu est de l’essence même de toute intrigue sociale, en d’autres termes de tout scénario d’interactions mises en représentation. André PETITAT explique : « l’idée féconde de GOFFMAN consiste à établir une relation entre le dédoublement de l’être et du paraître et la constitution d’un espace de jeu interactionnel qui exclut aussi bien l’authenticité que la fausseté complètes : en clair cela signifie que GOFFMAN a été plus fasciné par le ronron ritualisé du modus vivendi que par l’étude de sa régulation à travers les ruptures et les menaces de rupture ». L’espace de jeu interactionnel selon PETITAT, exclut donc que le Moi projeté et le Moi réel arrivent à coïncider, mais qu’ils ne parviennent jamais à être entièrement dissociés en d’autres termes, je est toujours un autre, mais cet autre, s’il n’est jamais vraiment je, ne lui est jamais tout à fait étranger. Voilà qui donne raison à DIDEROT et à son « paradoxe du comédien » (en ce qui concerne la seconde partie de la proposition). C’est bien parce qu’il veut cesser d’être lui que le comédien professionnel est celui qui est capable d’incarner des personnages très différents les uns des autres, càd d’être quelqu’un de totalement extérieur à ce qu’il joue. Cela est possible car en ce qu’il le concerne, l’espace de jeu interactionnel est devenu par l’existence de la scène « espace de jeu institutionnel », avec ses règles propres, rompant avec les règles de la vie courante. Le même phénomène de « distanciation » (BRECHT) se retrouve de nos jours dans les débats télévisés. Le grand public est étonné de découvrir que les hommes politiques qui viennent de s’affronter se mettent à se tutoyer et à manifester de la cordialité : le plateau de la télévision est devenu espace de jeu institutionnel. Celui-ci se situe dans un cadre transposé qui finit par devenir cadre primaire dans une certaine mesure, à un point tel qu’il devient modèle à des débats se produisant en salle devant des auditeurs. En masquant cette marque de connivence, on permet à la fiction de l’affrontement de se maintenir. Selon BALANDIER, il existe une « dramatisation généralisée » : « les jeux de l’écran imposent aussi un nouveau type d’acteur politique (le télépoliticien) dans les société à régime politique, et une nouvelle présentation de la figure de l’autorité suprême dans le cas des régimes totalitaires. Ils permettent une dramatisation permanente, adaptable aux circonstances et aux objectifs. Ils apportent à la dramaturgie politique une unité de lieu tout en étant visibles au même moment dans une multitude de foyers. Le pouvoir soit se tenir là où est l’image, il est tenté d’en avoir le contrôle sinon le monopole ». Dans l’espace de jeu interactionnel, la dissimulation que les acteurs abritent derrière le jeu (mensonge social) se décline en rituels plus ou moins impératif dans le sens où ils s’imposent en tant que mode d’expression des actions sociales, qu sens wéberien ; et aussi dans le sens où leur théâtralisation contient des figures par lesquelles il faut nécessairement passer pour mener les interactions à leur terme. Cette ritualisation constitue la tentative de domestiquer le temps dont aucun acteur ne peut faire l’économie : il s’agit de créer un minimum de sécurité ontologique. *** Au degré zéro des interactions (Wechselwirkung), ce que l’on a coutume d’appeler la sociabilité, l’exigence de la sécurité ontologique n’est pas mise entre parenthèse. Selon SIMMEL, un « rationalisme superficiel » ne peut voir dans la sociabilité qu’une niaiserie creuse, dans la mesure où il cherche un contenu alors qu’elle n’est que forme. E qui n’empêche pas que les êtres puissent en retirer une plénitude d’existence jouant symboliquement, ou jouant à être un symbole et une capacité de porter du sens. Dire qu’il y a du jeu, c’est également dire qu’il existe un flottement entre l’effectivité pratique et les discours qui prétendent en rendre compte. La sociabilité consiste en une production du social par le social, d’une espèce de degré zéro du monde pris comme allant de soi (World as taken for granted). Il serrait toutefois erroné de considérer ce monde là comme un socle immanent sur lequel reposeraient toutes les productions sociales. Pour fabriquer de la sociabilité, il faut y mettre du sien. Jouer à ne produire du social que pour le plaisir de produire du social réclame une vigilance qui passe par la mise en place des microrituels servant à contrôler le temps qui passe, afin de l’empêcher de passer comme s’il était le seul maître des actions à jouer et des représentations à monter. L’ordre du jeu, c’est l’ordre des microrituels. Envoyer une carte postale s’inscrit dans l’ordre du jeu, d’un jeu sans enjeu véritable, donc dans l’ordre de la sociabilité. Mais cette sociabilité pour se maintenir, réclame la mise en scène de microrituels appropriés. GOFFMAN a accordé aux rituels sociaux, qui sont presque toujours des microrituels, un rôle prééminent : « Quand les individus se retrouvent dans la présence immédiate l’un de l’autre, l’une des conditions majeures de la vie sociale devient extrêmement nette : il s’agit de son caractère indicateur et promissoire. Ce n’est pas seulement que notre apparence et nos manières qui fournissent des indications sur notre statut, c’est aussi que la ligne de notre attention visuelle, l’intensité de notre engagement et la forme de nos actions initiales, permettent aux autres de deviner notre intention immédiate et notre propos. Le caractère glané de ces observations est luimême facilité et compliqué par un processus central qui reste encore à étudier : la ritualisation sociale, càd la standardisation du comportement corporel et vocal à travers la socialisation, ce qui alloue à tel comportement une fonction communicationnelle spécialisée dans le cours du comportement général ». Mais la ritualisation ne consiste pas en un ajout contingent aux comportements de base, au plaquage d’une manière de chorégraphie sir des postures et des paroles qui, sans elle, se débrouilleraient toutes seules. La ritualisation possède une dimension ontologique essentielle et cette dimension se manifeste même au degré communicationnel le moins élaboré en apparence : celui de la sociabilité. La véritable destination, voir fonction de tout rituel est de se lancer à la poursuite du temps pour l’empêcher de nous échapper, entreprise nécessairement voué à l’échec. Sans doute s’agit-il bien d’une standardisation des comportements corporels et vocaux, amis elle n’est pas simplement formelle : dire bonjour est un acte standardisé et qui revêt effectivement une forme particulière non seulement dans son expression verbale mais aussi dans la façon de faire passer le message. Mais au-delà de cette mise en scène, rudimentaire et quasi instantanée, se dessine l’intention sociale et dépasse le rappel d’une structure de liens sociaux dont la sociabilité n’est que l’indice. C’est qu’il s’agit de souhaiter à autrui une bonne journée, d’appeler sur lui les faveurs du sort. Cela permet d’insister sur le rapport que toute ritualisation entretien avec le sacré. Comme GOFFMAN l’a souligné, ce qui se trouve sacralisé c’est le petit homme ordinaire. Dans ce qu’il appelle les rituels de présentation, il s’agit de faire savoir au destinataire la manière dont il sera traité lors de l’interaction. C’est d’avantage à l’identité sociale, au statut que s’adresserait cette ritualisation. L’autre famille de rituels est celles des rituels d’évitements. Dans ce cas il s’agit de se garder de porter atteinte, sans précaution, à la sphère intime d’autrui. Tout individu déplace avec lui une certaine sphère dans laquelle il est assuré en principe de ne point subir d’intrusion non autorisée. Les rituels d’évitement s’adressent à l’identité personnelle de l’acteur. Il faut nuancer les propos de GOFFMAN. Les rituels de présentations, actes de confirmation du type de relation qui unit des acteurs typiques dans un hic et nunc donné, visent sans doute d’abord des identités socialement construites et reconnues. Toutefois, celles-ci sont modulés de manière plus ou moins explicite en fonction de caractéristiques propres aux identités personnelles : il entre toujours dans la construction de l’identité sociale, une certaine dose, variable selon la connivence des acteurs ou des circonstances, d’identité personnelles. La ritualisation de la vie sociale ne consiste pas seulement en une codification plus ou moins impérative de gestes et de verbes qui doit permettre aux individus de disposer de repères plus ou moins intangibles dans le parcours de leurs trajectoires existentielles. Cette codification (ou standardisation selon GOFFMAN) traduit une tendance à la sacralisation des individus, opération par laquelle ils deviennent des personnes. Elle a pour fonction d’emprisonner le temps qui passe afin que ces personnes, au travers des divers flux d’événements et d’avatars qui affectent leurs existences, restent identiques à elles-mêmes et jouissent donc d’une sécurité ontologique minimale. Cette sécurité est assurée de l’intérieur par une permanence affectant les situations vécues de l’extérieur. En dépit de leur caractère contraignant, allant jusqu’à la reproduction obligatoire de modèles qui prétendent exprimer l’objectivité incontestable d’une position sociale, les microrituels, tout comme les rituels impliquant une scène sociale plus étendue, ne réussissent jamais à domestiquer le temps qui passe. Ce dernier parvient toujours à se débarrasser des menottes qu’on s’efforce de lui passer, et toute tentative de l’emprisonner se solde par un échec. CHAPITRE 5 – Liberté, que de crimes Le problème de la liberté se pose en terme ontologique et il concerne tous les aspects de l’être au monde. Il ne faut pas réduire la conception que la sociologique est en droit de proposer de la liberté, à des expressions cursives de celle-ci, comme dans « liberté du travail » ou « temps libre ». Ce dernier entraîne une confusion avec la notion de « loisir », issu de licere. Ce dernier fait partie d’un doublet avec « licence » dont la signification première rejoint celle de liberté. Mais les critiques de l’Ecole de Francfort ont bien mis en évidence que la liberté à laquelle fait référence le temps libre ou temps du loisir n’était qu’une illusion et que tout au plus on pouvait peut-être parler de « temps libéré » des obligations du travail et d’autres contraintes institutionnalisés, dans cependant qu’il s’agisse d’un temps au sein duquel d’autres modes d’aliénation ne puissent s’instaurer. Dans ce cas, la « liberté » dont il s’agit évoque celle de contracter, dont le propriétaire de la force de travail est le dépositaire face au propriétaire des moyens de production. Cette liberté est en réalité celle de s’aliéner. Moins captieuse est la « liberté de choix ». Face à diverses options, l’individu se trouve en position de choisir, bien que les options en présence ne soient pas nécessairement grosses des mêmes conséquences probables. On peut déduire de l’abord de telles situations que les individus sont amenés à imaginer des calculs « coûts-bénéfices », l’intention étant d’adopter la conduite correspondant au bénéfice le plus élevé pour le coût le moins élevé. Ce genre de rationalité est l’apanage d’un homo sociologicus inspiré de l’homo oeconomicus des économistes. BOURDON ayant une telle conception de l’acteur social, a nommé cela « individualisme méthodologique ». Mais la liberté de choix telle qu’elle est synthétisée dans la conceptualisation de l’homo sociologicus, calculateur et rationnel, n’est pas de la liberté ontologique. MEYER a distingué entre deux manières d’envisager la liberté en rapport avec ce qu’il appelle l’historicité, qu’il demande de comprendre comme ce qui « exprime la liberté de pouvoir questionner le questionnement, une liberté qui implique aussi que l’on puisse vivre dans l’acceptation d’un univers inquestionné, avec ses évidences et ses lieux communs », la liberté constitué et la liberté constituante. La première est définie « par l’ensemble des réponses possibles compatibles avec celles qui nous surdéterminent ». L’espace des réponses possibles détermine une liberté d’action et de pensée, compte tenu toutefois de ce à quoi aucun acteur ne peut échapper. Sa condition d’être fini dans un monde fini. La deuxième que l’on peut faire dériver empiriquement de la première, est « attachée à la problématisation car le questionnement est inaugural en tant que tel, ce qui précède ne compte pas, le but étant de répondre, non de savoir à quoi questionner lui-même répond ». On peut dire que les deux libertés sont inséparables, sauf à réduire la liberté constituée au déterminisme et à rapporter la liberté constituante à un sujet transcendantal pur on peut dire que liberté constituée, consistant en possibilités d’agir ouvertes dans un espace donné, et liberté constituante, consistant en la capacité propre à l’agent humain, l’acteur, de prendre ne compte ces possibilités et de les opposer les unes aux autres, sont les deux volets liés de la liberté ontologique. On revient à l’idée que les êtres humains font activement leur propre histoire, autant qu’ils sont faits par elle. Les hommes se voient offrir diverses possibilités d’agir : celles-ci sont pas en nombre infini et ne peuvent ignorer les prédéterminations de toutes existence individuelle. Les possibilités qui s’inscrivent dans le cadre de ces prédéterminations se rapportent à des contextes historiquement situés : elles n’en offrent pas moins aux hommes des choix qui dans leur majorités s’excluent mutuellement, celui de ne pas choisir n’étant d’ailleurs pas offert. Au regard de ces possibilités, l’être humain est doté de la capacité de peser les unes par rapport aux autres, de s’autodéterminer au départ de sa faculté de réflexivité. Celle-ci, selon GIDDENS est liée à l’existence de langages synthétiquement différenciés. L’erreur à ne pas commettre consisterait à séparer les occasions offertes par la liberté constituée, au delà des prédétermination inévitables, et les autodéterminations relevant de la liberté constituante, qui se réduiraient à une simple capacité de faire des chois. Les deux espèces de liberté sont inséparables. Pour l’interactionniste SIMMEL, le 1er sens de la liberté correspond « au simple refus de la liaison sociale, car l’homme libre ne constitue par une unité avec d’autres, il est liberté en luimême ». « Mais pour un être qui est en liaison avec les autres, la liberté a un sens plus positif. Elle sera un phénomène de corrélation qui perd son sens quand il n’y a pas d’interlocuteur ». Cette liberté a deux conséquences pour la structure de la société. Et d’abord pour l’acteur, la liberté n’est ni un état donné d’emblée, ni un bien acquis une fois pour toutes, parce que par principe, chaque « désir particulier » engage toutes les forces de l’individu dans une certaine direction et tend en fait vers l’infini : c’est ainsi que toute relation est loin d’être stable dès qu’elle est livrée à elle-même, une toile d’exigences qui tend à emprisonner l’homme tout entier, à s’aliéner. L’amoureux connaît ce « sentiment d’étrangeté », qui risque de le submerger s’il ne se constitue et délimite « une réserve de forces, d’engagements, d’intérêts » qu’il aura expressément soustraite aux effets dévastateurs de sa passion pour son moi réel. Ce que nous pourrions appeler le « complexe de Sapho »a pour effet de déraciner l’amoureux de son univers habituel. Il faut relever d’après SIMMEL « la brutalité avec laquelle s’exprime l’exigence pourtant tout à fait partielle et limitée de liaisons déjà établies ». Ainsi par exemple l’état de sujétion des enfants à leurs parents. Chacune de ces relations « veut faire valoir ses droits impitoyablement, indifférente à d’autres intérêts ou devoir qu’ils soient en harmonies ou totalement incompatibles avec elles. SIMMEL exprime que « cette forme de nos relations, la liberté apparaît comme un processus permanent de libération ». On retrouve ce souci constant de SIMMEL d’envisager toute prise de position de l’individu à l’égard du monde en termes de processus. Dans ce cas, il s’agit bien d’un processus permanent, qui consiste en un combat [polémologie Clausewitz] non seulement pour l’indépendance du moi, mais aussi pour le droit de s’affirmer à tout instant, même dans la dépendance, avec sa volonté libre. La liberté constituante de MEYER est le produit d’une conquête toujours remise sur le métier de l’existence au jour le jour. Selon cette perspective, il peut arriver que les deux formes de liberté entrent en conflit, comme entrent en conflit les deux espèces de liberté, la positive (les droits que l’on peut faire valoir) et la négative (l’autonomie dans un espace donné) dont traite Sir Isaiah BERLIN. Selon SIMMEL, dans l’espace où se trouve garantie la liberté négative, se constitue la liberté « libératoire ». Cet espace, réel ou métaphorique, n’est pas donné une fois pour toutes, et il convient de réaffirmer régulièrement son existence, voir de s’en créer de nouvelles extensions. C’est ce qui se passe dans les relations interpersonnelles, lorsqu’il est convenu qu’il faut imposer des limites au contrôle mutuel. Le mensonge social se trouve alors protégé par les microrituels de résistance, à tout outrepassement de l’ordre social. L’ambiguïté de la « gestion » des relations sociales apparaît clairement dans cette thématique de la résistance. D’une part, une grande partie de l’effort de vivre est consacrée à baliser l’existence de garde-fous, à commencer par les microrituels, en vue de s’assurer que les routines se perpétuent. D’autre part, il s’agit aussi d’inventer l’autobiographie que l’on se raconte à chaque moment, la résistance parie sur un avenir qui est différent de celui que lui promet le cours normal des choses. Il se produit un jour une révolte, et elle n’étonne que ceux qui ne c’était jamais penché sur son cas. Mais on sait qu’il peut toujours arriver que les résignés se révoltent, même s’ils peuvent deviner que leur révolte risque bien de se révéler impuissante. Dans la tradition classique, l’absence de révolte, la soumission à l’ordre sont du ressort de l’aliénation. Transposée dans le cadre des conduites infraordinaires, l’aliénation devient la quotidienneté. Pour LEFEBVRE, la quotidienneté est « l’espace social et le sel de la consommation organisée, de la passivité maintenue par le terrorisme. L’analyse y décèle une irrationalité latente sous le rationalisme manifeste. Marx a désigné l’économique comme le niveau auquel s’attaquer. Aujourd’hui la quotidienneté peut jouer ce rôle. Elle résulte d’une stratégie globale de classe ». Lieu géométrique des insignifiances, la quotidienneté est synonyme d’enlisement, de métroboulot-dodo, de perte de sens, des postures renouvelées qui ne paraissent plus être comparable qu’à des gouttes d’eau qui glissent sur une surface sans aspérité. L’acteur devient un simple agent, agi par des forces sur lesquelles il n’a aucune prise. L’essence de la quotidienneté est dans cette absence de liens qui compte vraiment dans une vie, qu’il s’agisse de personnes ou de simples objets. L’acteur se transforme en passager distrait de sa propre vie. Mais on n’a pas tenu compte de la capacité de chaque individu à prendre le maquis, se distraire. Cette capacité c’est pas née avec la modernité. Depuis toujours, les hommes ont appris à ruser (ruse = catégorie de l’existence commune qui met en cause la guerre, la vie sexuelle, le pouvoir, l’imagination). L’anthropologue recherche des structures permanentes, à la fois contraignantes, parce qu’elles sont des règles, et immobiles puisqu’elles définissent un idéal qui permet la reproduction de la vie collective. Une casuistique informulée permet à la plupart des hommes de tourner les règles. Ces détournements peuvent se faire par les rituels (dans leur dimension de glaciation des règles) Selon BALANDIER, « la ruse trouve son espace de manœuvre dans le décalage existant entre les apparences et les réalités sociales ; elle agit sur celles-ci en se servant de celles-là, et davantage, elle tient son existence de cette distance ». Les rituels, voire les microrituels sont avant tout des mises en scènes d’apparences. La ruse se sert d’eux, non seulement pour agir sur les « réalités sociales », mais aussi pour les subvertir. On soulignera la référence à la distance qui évoque la notion goffmanienne de distance au rôle, laquelle comporte une allusion au thème de la résistance : « le terme de distance au rôle n’est pas supposé se rapporter à toute conduite qui ne contribue pas directement à la tâche nodale d’un rôle donné, mais seulement à celles de ces conduites qui sont considérées par quelqu’un de présent comme susceptibles de rendre compte du lien qui attache l’acteur à son rôle particulier, mais de manière propre à suggérer que l’acteur présente dans une certaine mesure une désaffection à l’égard de, et une résistance contre le rôle ». Ce qui signifie que refuser de jouer un rôle n’est pas nécessairement faire preuve de résistance. « Le concept de distance au rôle procure un moyen sociologique de traiter d’un type de divergence entre l’obligation et l’exécution effective. En premier lieu, la distance n’est pas mise en oeuvre de manière individuelle, mais qu’elle peut être prédite au départ des caractères de l’exécutant. La distance au rôle est une portion du rôle typique, et cette caractéristique sociologique routinisée ne devrait pas nous échapper simplement parce que la distance au rôle ne fait pas partie du cadre normatif des rôles. En second lieu, ce qu’à propos de quelqu’un l’on dit avec prudence qu’il n’est pas ou pas seulement, exerce nécessairement une influence directrice et intime sur la conduite de celui-ci, en particulier dans la mesure où l’expression de cette désaffection doit être extraite du matériau disponible de manière standard dans la situation ». Tenant compte que « situation » doit être prise au sens de l’interactionnisme symbolique, il est rappelé que la distance au rôle, l’une des dimensions observables de la résistance, ne s’alimente pas à une espèce individuelle, mais bien à des ressources mises à la disposition des acteurs par les situations dans lesquelles ils se trouvent impliqués. Le détournement des règles repose sur l’existence de règles et ne peut donc être confondu avec l’invention de règles inédites. Faire partie d’un univers marginal ou déviant n’est pas de la résistance. On sort alors de la dissidence pour entrer dans l’opposition, qui, lorsqu’elle se déplace de la simple marginalité vers la déviance, devient de plus en plus frontale. La marginalité est un ensemble de comportements qui se situent en marge des conduites jugées comme légitimes par le plus grand nombre, tout en ne les mettant pas expressément en cause. La déviance est un ensemble de comportements qui enfreignent trop expressément les normativités légitimes pour être encore jugés comme acceptable par la majorité des gens. Sera dit délinquant le comportement déviant qui enfreint un règlement de caractère juridique. Le concept de crime chez DURKHEIM chevauche les deux domaines de la déviance et de la délinquance. Une conduite peut être délinquante mais nullement déviante et vice versa. Certains comportements, qui pourraient passer pour marginaux, n’en sont pas moins fort répandus, à telle enseigne qu’ils peuvent servir de terreau à une normativité largement acceptée. Il s’agit de la superstition. Une autre lecture de ces comportements est possible. Ce qu’on a commenté par l’appellation de sécularisation ou encore désenchantement du monde, n’a pas laissé de se manifester dans l’organisation visibles des rapports sociaux1 et mêmes des relations sociales2. Le système institutionnel global et ses multiples ramifications en sous-systèmes spécifiques sont censés se conformer aux prescriptions d’une rationalité en moyens (Zweckrationalität) qui envahit tous les secteurs de l’activité humaine. Cette situation doit beaucoup au primat de l’économique dans la structuration de ce type de société, censé allier démocratie politique et primat de la liberté des marchés. Il s’agit selon GAUCHET de l’« épuisement du règne de l’invisible ; on n’annonce pas une fois de plus la mort en quelque sortes physique des Dieux et la disparition de leurs fidèles. On met en évidence le fait que la Cité vit déjà sans eux. Ce qui a disparu, c’est la fonction dont les nécessités ont défini depuis le départ le contenu des religions. C’est un phénomène très précis : la fin du rôle de structuration de l’espace social que le principe de dépendance a rempli dans l’ensemble des sociétés connues. La religion ne s’explique que par l’exercice d’une fonction exactement définie, mais qui n’existe plus. La société moderne s’est constituée par une rationalisation de la fonction religieuse ». Les sociologues de ka religion ont mis en évidence l’émergence d’une religion à la carte. Ce phénomène n’a rien de neuf sauf qu’il se manifeste dans les sociétés qui ont connu le mouvement de sécularisation. Mais non seulement la pratique de la religion à la carte a connu un grand succès, alors que le nombre de pratiquants réguliers, les rites de passage mis à part, ne faisait que décroître, mais tout se passe comme si s’était maintenu tout au long de ces transformations attribuées à la sécularisation et au désenchantement un attrait spécifique pour des modes magiques d’interprétation du monde : il est facile d’expliquer rationnellement un accident de voiture, mais comment expliquer que cet accident ait pour victime la princesse Galles, personnage hyper médiatisé ? [lire p.144-147]. Ce qui déplace la question : pourquoi les médias exercent ils une telle influence et quelle est leur légitimité ? 1 2 Les rapports qui s’établissent entre positions sur diverses échelles de domination Les relations interindividuelles, autrement dit les interactions telles que les concevait SIMMEL Cet intérêt passionné participe de ce que d’une manière générale on peut appeler le « croire ». Il s’agit d’une espèce de mouvement de l’esprit vers un numineux disponible, à portée de main, en l’occurrence d’écran de télévision. Selon ZYLBERBERG3 « le croire, càd l’extériorisation et l’intériorisation de fantasmes comme résultat de pulsions et d’obsessions libidinales, fait irruption dans tous les lieux sociaux. La rationalité moderne elle-même devient objet de croyances. L’immanence et la transcendance des esprits et des idoles chrétiens, leur caractère mystérieux et incontournable, la culture primordiale qui les accompagne, l’évidence du mystère, se retrouvent désormais dans chaque objectivation sociale. L’ensemble des relations des objectivations sociales configure un vaste marché du croire (offre et demande), ainsi que l’ensemble du donné physique et biologique. En corollaire, la crédulité affective déplace dans la communication les logiques cognitives de l’argumentation et les logiques autoritaires de l’organisation. La libéralisation des échanges, la révolution des communications etc, ont favorisé l’émergence d’une concurrence imparfaite dans le marché du croire et l’avènement de nouveaux locuteurs dans l’émission d’énoncés fantastiques ; il n’est pas incongru de supposer que l’avènement de nouveaux locuteurs (qui ne sont souvent que des avatars modernisés de locuteurs s’inscrivant dans une tradition parfois fort ancienne) n’a pu se produire que parce qu’à ces locuteurs s’adressaient des auditeurs en quête de nouveaux énoncés fantastiques, en dissonance avec les propos normalisés en vente sur le marché habituel du croire. Mais il n’y a pas d’offre sans demande, et vice versa. On peut donc penser que la condition postmoderne a suscité elle-même une attente à l’égard de ces énoncés fantastiques, habillés ou non de neuf, à laquelle ont répondu des producteurs idoines, tels les médias ». Au niveau zéro (et contrairement à ce que prétend GAUCHET), le « règne de l’invisible » n’est pas épuisé, même s’il a changé de registre. Pour chaque individu contraint de se fier aux systèmes experts qui le prennent en charge, et au fonctionnement desquels, sauf ceux dont il est un agent (et encore, cela dépend de son niveau de compétence), il ne comprend le plus souvent que très peu de choses, il importe que les risques dont ces systèmes évaluent la probabilité et la localisation ne se transforment pas en aléas personnels. D’où le recours éventuel à des modes de conjuration non rationnels. L’objet fétiche [lire p. 150] complètent le quotidien, lui confèrent une épaisseur concomitante de l’expulsion de la quotidienneté au sens lefèbvrien. Un esprit rationnel remarquera que l’acteur ne se libère d’une aliénation que pour tomber sous le joug d’une autre. La superstition deviendra un « opium du peuple ». En tout état de cause, quels que soient les moyens auxquels ils recourent pour sortir de leur condition existentielle, les hommes n’échappent jamais à la finitude, à leur inéluctable aliénation au temps. On se trouve ici dans un intense bricolage. Pour l’acteur en situation ordinaire, il n’existe que des matériaux épars, appartenant à des paradigmes qui lui sont offerts par la tradition. Pris dans son sens commun, le bricolage signifie bien le recours à des procédés et des matériaux aisément disponibles dont l’agencement ne réclame pas une qualification légitimée par une formation scolaire reconnue. Le bricoleur travaille bien de bric et de broc avec des moyens de fortune. Si le bricolage est un système, c’est, comme la parenté, parce que les sociologues et les anthropologues rationalisateurs le veulent ainsi. Car les relations de parenté elles-mêmes sont bricolées par ceux qui sont chargés de les mettre en œuvre. Et la liberté ? Elle se manifeste dans cette infime capacité de création qui, au cœur de la plus enfermente aliénation, reste toujours probable. Elle est plutôt de nature constituante et négative. 3 Il s’agit d’une position macrosociologique Toute liberté négative s’exerce toujours plus ou moins à l’abri du regard des contrôleurs. On attribuera plus précisément ce caractère de clandestinité à toute manifestation comportementale et/ou verbale qui évite de se donner à voir pour ce qu’elle est : une tentative de se subvertir à l’ordre établi. Celle-ci peut se camoufler derrière une action reconnue pour normale, voire honorable. Elle peut aussi carrément se dérober à l’investigation, bien à l’abri derrière des rideaux tirés. Certaines expressions de ce qu’on appelle la folie relèvent de cette clandestinité. Il s’agit alors des déterminations internes, invisibles à une observation courante, d’un comportement de rupture, dont il ne sera jamais tout à fait possible de décider s’il s’agit ou non d’une simulation. Mais la liberté, ou plutôt l’autonomie à l’œuvre dans le décalage subversif des normes et des règles ne tend pas nécessairement à la rupture. Elle peut se contenter d’en suggérer la possibilité. Dans les infinies variations de l’ironie ou de l’humour se manifeste une autonomie, relative, certes, mais effective, par rapport aux codes socialement admis, voire imposés. Au vrai, il est des situations, au sens que l’interactionnisme symbolique donne à ce mot, où l’ironie est elle-même composante de la norme. Mais dans d’autres situations, l’ironie est surnuméraire. Elle colore les interactions d’une touche de légèreté. La liberté des humoristes est celle de se mettre en représentation dans les interstices de la dramaturgie. En termes goffmaniens, les personnes dotées du sens de l’humour ne respectent pas la discipline dramaturgique, tout en ne dérogeant pas nécessairement à la loyauté dramaturgique. En effet, il ne s’agit pas de mettre ne péril l’action en cours, càd de mener l’un ou l’autre participant à perdre la face. On peut considérer que les propos tenus, faisant partie de la convention, appartiennent à une catégorie particulière de rituels, de dénégation. Cette dénégation ne porte pas sur le contenu des négociations en cours, mais bien sur leur terme : ce qui est nié, c’est le sérieux des choses qui sont en train de se passer. L’humour, manifestation de la duplicité, est une des figures de la résistance. Celle-ci peut entraîner une véritable rupture. La rupture est une des expressions de la liberté constituante, même si sa mise en œuvre est dans certains cas facilitée par des dispositifs institutionnels. L’existence d’une liberté constituée potentielle ouvre davantage le champ des comportements librement déterminés. [lire sur le crime passionnel et le suicide p. 155-157] [lire sur le choix et le déterminisme p. 157-158] Accentuer le couple choix – déterminisme, c’est souligner que, face au social objectivé en système d’institutions et d’actions, subsiste toujours, quand elle ne s’affirme pas avec force, une capacité de création individuelle et interindividuelle, dont la sociologie canonique éprouve grandes peines à rendre compte. C’est elle qui explique les innovations sont est jalonné l’humanité. La plupart de ces innovations, s’élaborent au sein d’interactions impliquant peu de participant, plus souvent en coulisse. CHAPITRE 6 – Le singe habillé Selon BOURDIEU, tout individu est produit parce qu’il contribue à produire ; il est produit d’une production à laquelle il a participé. Il s’autoproduit, mais sans se passer des autres pour que le processus soit mis en œuvre de manière récurrente et aboutisse à lui en tant que produit social, càd socialisé. C’est de cette manière qu’il est possible de rendre compte de la logique du champ humain, de ce que JAVEAU a appelé l’ordre du social, lequel constitue un « monde paradoxal ». C’est ce processus que GIDDENS a appelé structuration. A une extrémité on retrouve la durée de l’expérience quotidienne (emprunté à SCHÜTZ), rapportée à la nature répétitive et routinière de nos activités journalières. A l’autre extrémité se trouve la longue durée (empruntée à BRAUDEL) du temps institutionnel, rapportée aux structures relativement invariantes, qui s’étendent sur de longues périodes. Entre ces deux pans se trouve la tranche de vie de l’individu. GIDDENS vise à relier ces différents paliers de temps et met en évidence comment, p.e., la reproduction au niveau de la durée de SCHÜTZ contribue à la reproduction au niveau de la longue durée de BRAUDEL. C’est sur ces bases que la théorie de la structuration de GIDDENS se donne comme objectif de transcender la traditionnelle division micro-macro en sociologie. Dans la vie sociale, ces trois paliers temporaux se recoupent. Entre la durée de SCHÜTZ et la longue durée de BRAUDEL se situe le temps que prend le passage de l’individu sur terre. La première se mesure en heures et correspond à l’effervescence durkheimienne. La seconde se mesure en siècles et renvoie à la lente « respiration des civilisations ». La troisième se mesure en année ou en décennie et se rapproche donc de ce temps social que GURVITCH appelle la longue durée. Chez BRAUDEL, le temps le plus long concerne la lente mise en place des armatures historiques, les superstructures qui enserrent les existences de générations successives. Elles évoluent lentement et connaissent le cours habituel des choses vivantes : elles naissent, se développent, déclinent et puis meurent. Si la longue durée apporte les codes, c’est sur la courte durée que se produit leur effectuation. Ces codes constituent la substance de ces compétences, composées de règles (normatives) et de ressources (cognitives) que les hommes mettent en œuvre pour garantir la continuation de leur existence, ce que GIDDENS appelle la conduite stratégique, qu’il oppose à ce que l’on pourrait appeler le cadre institutionnel. Son entreprise méthodologique consiste à unifier les analyses de l’une et de l’autre, de faire sauter les « parenthèses méthodologiques » qui les isolent. D’où le remplacement du dualisme représenté par le couple « institution-action » par la dualité structurante, laquelle postule une relation particulière entre la structure sociale et l’agence humaine. Cette dualité permet à GIDDENS de réunir les différents niveaux de temporalité et d’attribuer un statut équivalent aux analyses stratégique et institutionnelle. Le problème principal du rapport des hommes au monde est ainsi abordé : il s’agit de celui de la temporalité, des effets sur chaque existence individuelle du déplacement de la flèche du temps. Les rapports que l’acteur entretient avec sa temporalité ne sont pas uniformes. Si l’acteur est dans le temps, le temps est dans l’acteur. Les consciences humaines ne sont jamais isolées. La société est composée de consciences se trouvant réunies pendant une certaine portion, aux délimitations variables d’une conscience à l’autre, du déroulement du temps cosmique. Leur coprésence dans l’espace et dans le temps, ou dans un espace-temps donné sous-tend l’existence du réseau de communication dont SCHÜTZ soulignait la nécessaire préexistence afin de récuser l’hypothèse d’une intersubjectivité transcendantale fondatrice du social. Ce qui définit l’Umwelt (fragment du monde vécu accordé aux partenaires intimes) est la possibilité de reconnaître une congruence de flux de conscience, en l’occurrence une congruence temporelle. Etre l’intime de quelqu’un, c’est partager avec lui la même temporalité. Avec les agents côtoyés dans la Mitwelt, le partage ne porte que sur des intermittences temporelles, pendant lesquelles les congruences n’ont d’autre objet que celui de l’interaction elle-même, ce fragment du monde vécu qui concentre alors dans le hic et nunc tout l’effort de problématisation. Dans la Mitwelt tous les agents rencontrés n’ont pas le même statut ontique. Certains se retrouvent tous les jours sur notre chemin, et parmi eux certains jouent un rôle important dans notre vie. Il ne suffit pas d’affirmer qu’il existerait trois modalités temporelles au départ desquelles se structurerait le social. MERLEAU-PONTY souligne que la conscience « déploie ou constitue le temps ». Le temps constitué et déployé n’est ni uniforme ni rectiligne : il comporte des trous, des retours sur lui-même, des projections sur l’avenir, les zigzags liés aux perturbations diverses de la conscience. Les conjonctions de flux de conscience se ressentent de ces irrégularités. Le temps est avant tout une création sociale, résultant de la conjonction de la multiplicité des déploiements et constitutions de temps individuels, lesquels sont tributaires de la matière temporelle imposée par le social. Selon MEAD, le maintenant n’est pas indifférencié. Les individus possèdent la capacité de transcender le présent, dans la mesure où le passé et le futur sont représentés dans celui-ci, le passé étant symbolisé par la mémoire et le moi qu’elle contribue à sous-tendre, et le futur se façonnant en tant qu’anticipations et attentes de réactions des autres à leur comportement. En conséquence, ce qui est humain consiste à vivre non seulement dans le présent, mais aussi de s’en échapper. Ce « présent destinataire » de BAERT désigne une modalité particulière du présent dans laquelle les autres modes temporels sont représentés, dans qu’aucune reconstruction n’ait lieu dans ce présent. Le temps du présent est considéré dans cette conception de manière passive. BAERT introduit une autre conception du présent, qui est liée à la notion de fonction reconstructive de la pensée. Le présent est le lieu au sein duquel la représentation ou la signification du passé et du futur sont constamment altérées. Les individus réévaluent régulièrement le passé et se mettent en conséquence à penser différemment à propos du futur. Alors que le temps passe, le passé s’étend et le futur ne contient plus les présents qui étaient jusque-là possibles. Le présent réel et le futur possible sont différents de ce qu’ils avaient été en tant que futurs devenus passés. Et les représentations et significations de ceux-ci tendent à changer. Il faut tenir compte ici des aspects discontinus du temps individuel, tel que déployé ou constitué par la conscience. Ce qui est devenu passé n’est pas un présent compact. Le futur qui devient le présent n’est pas davantage compact. Certains de ses contenus ont été imaginés au préalable, d’autres résultent d’accidents imprévisibles. Le temps individuel n’est pas un récit individuel lisible d’emblée. Comme tout ce qui touche à l’existence, il est donc bricolé. Passons du côté des structures telles qu’elles interviennent dans le processus de structuration. Le temps social (création sociale collective) dans lequel se meuvent les individus et qui sert d’aliment aux consciences qui déploient et constituent le temps, tout en procédant de ces déploiements et constitutions (pas plus que la conscience collective qui n’est pas formée par l’addition des consciences individuelles, le temps social ne résulte pas de l’addition des temporalités individuelles), se décline analytiquement selon trois dimensions, celles que déterminent les cadres temporels, les milieux temporels et les cultures temporelles. Les cadres temporels renvoient à un espace qui enferme du temps dans des limites définies. Ils distinguent un temps enfermant, reconnu et accepté comme référence et convention, et des temps enfermés, lesquels sont de l’ordre de l’exercice qui permet de les découvrir. Exemple : le travail en usine est caractérisé par la rigidité, la coercition, la régularité, la réitération et le retranchement (la coupure de la vie en deux périodes dans la durée quotidienne, hebdomadaire, annuelle et la biographie). Ces cadres sont soit naturels et entraînent une adaptation de l’organisme humain, soit construits et peuvent alors être personnels ou collectifs. La plupart des temps sociaux participent des cadres collectifs. GROSSIN fait remarquer que certains temps sociaux ne sont pas construits (comme p.e. celui de l’attente collective d’un moyen de transport, que l’on peut appeler interstitiel). Il souligne aussi que la civilisation industrielle a multiplié les cadres temporels personnels, de travail ou de loisir. Il s’agit plutôt selon JAVEAU de cadres interpersonnels, à l’instar de celui qui concerne les rendez-vous et autres obligations de rencontre, consignés sur des agendas. Dans certains cas, ces cadres deviennent collectifs, tel celui qui vise les personnes tenues de participer à des réunions fréquentes. Les milieux temporels concernent « l’assemblage de plusieurs temps », dont l’homme est une illustration. L’être humain porte en lui une pluralité de temps, assignables à sa dimension biologique (respiration, digestion,…). Ces temps sont contemporains et concurrents, modifiables ou modulables, mais pas nécessairement réguliers. Toutefois ces temps internes sont perméables à d’autres temps (p.e. les temps réflexes ou conditionnés (une horloge interne qui déclenche le réveil à la même heure). Mais il faut aussi tenir compte de milieux temporels externes, dont l’opposition entre temps urbain et temps rural fournit une représentation parfois contestée par ceux qui tiennent qu’il ne s’agit que de modalités d’un même temps. La culture temporelle renvoie à la manière commune dont le temps est produit et donc envisagé dans un contexte descriptif donné, une culture. Les hommes reçoivent de leur société une culture temporelle toute faite. Ces trois dimensions nous rappellent que l’individu ne se détermine que par rapport à des contraintes structurelles inscrites dans des institutions plus ou moins incontournables. Que deviennent les trois niveaux de temporalité de GIDDENS ? La longue durée de BRAUDEL, la très courte durée de SCHÜTZ et la durée moyenne de l’existence humaine sont toutes trois concernées par la présence de cadres, milieux et cultures temporels, selon leurs modalités propres. Le milieu physiologique interne de l’être humain se rapportera à la très courte durée, tandis qu’un milieu externe comme le milieu rural ou le milieu urbain se rapportera à la longue durée, comme du reste la plupart des cadres temporels repérables. C’est aussi le cas pour les cultures temporelles. Les trois dimensions impliquent la durée de l’existence humaine. Celle-ci se façonnera par rapport à une culture temporelle donnée, sera conditionnée par un milieu temporel interne, naviguera entre divers milieux temporels externes, sera soumise de manière à divers cadres temporels. Les uns et els autres sont parties prenantes du processus de structuration et se greffent sur les trois sous-ordres de l’ordre du social (Chapitre I) On retrouve dans les trois dimensions structurantes et structurées de la temporalité les sous-ordres biologique (milieu temporel interne), symbolique (culture temporelle et milieu temporel externe), et structural (cadre temporel). Les niveaux de temporalité pris en compte par GIDDENS, lorsqu’on les envisage sous l’angle des structures, relèvent de diverses dimensions et de divers « ordres des choses », et ne peuvent se ramener à trois bandes monochromes sur un spectre universellement utilisable, pas plus qu’ils ne constituent, lorsqu’on les envisage sous l’angle des trajectoires individuelles, des tissus unis tramés et lissés de manière impeccable. Les règles et les ressources avec les normes et valeurs qui les sous-tendent constituent la chaire de ces structures dont il est question dans le processus de structuration de GIDDENS. Leur caractéristique commune est leur relative invariance dans le temps. PARSONS et MERTON ont parlé de structures normatives. Elles sont impliquées de manière récurrence dans la production et la reproduction des systèmes et sous-systèmes sociaux. Les structures sont une grammaire, un ensemble de règles à suivre pour parler et écrire correctement une langue. Dans la vie de tous les jours, les acteurs sont presque exclusivement confrontés à des règles (faire ceci, pas cela). Le problème des normes ne se pose qu’au travers des règles qui les expriment. Ainsi le travailleur qui ponte à l’heure prescrite respecte-t-il la norme du bon travailleur. Quant à la valeur « travail », qu’une certaine investigation analytique pourrait mettre en évidence à l’arrière-plan du couple « règle-norme » relatif à cet aspect de l’activité humaine, elle n’est guère présente dans les esprits, qu’il s’agisse de celui des travailleurs ou de celui de ceux qui sont chargés de les contrôler. Cette conception de « règles-normes-valeurs » pèche par excès de linéarité. Une règle est imbibée de normes, lesquelles pataugent dans les valeurs. Les valeurs, que l’on tient pour les attendus de nos comportements, font l’objet de négociations constantes. On aligne une institution et une manière de se comporter. Se voir opposer une règle implique qu’on puisse ou non la respecter ou la contourner. La réponse correcte à une règle fait partie des connaissances disponibles, donc de ce que GIDDENS appelle des ressources. Les aspects normatifs et les aspects cognitifs des comportements sont constamment liés. Etre compétent signifie être capable de résoudre un problème. La compétence diffère de la qualification, qui n’est qu’un indicateur institutionnel. Les individus sont dotés de compétences, autre nom des connaissances regroupées dans le stock tel que SCHÜTZ le conçoit. Celles-ci sont apportées aux individus par le processus des socialisations, lesquelles désignent la totalité des voies et moyens mis en œuvre par un ensemble social donné (une société), lui-même réparti en une pluralité de sous-ensembles, en vue de faire de l’individu survenant un membre compétent du sous-ensemble en question. Le monde vécu est ainsi constitué d’un certain nombre de sousmondes, chacun étant censé réclamer une adaptation spécifique, une socialisation de type secondaire. Chaque fois, l’individu survenant dans ce sous-monde est initié par des informateurs patentés. Les compétences acquises comporteront la reconnaissance de la portion des structures qui concerné les modes de domination et les pouvoirs auxquels ceux-ci dont appel et qu’ils mettent en œuvre. Cette reconnaissance serait plutôt le champ d’application des règles, mais la distinction entre règles et ressources n’a d’intérêt qu’analytique. Les socialisateurs patentés sont porteurs des attributs de la légitimité de leur rôle social. Ils sont donc investis de la tâche de produire chez ceux-ci de la légitimation. Ce faisant, ils consolident le social comme réalité objective. La socialisation s’achève, en tant que processus institutionnalisé, quand cette réalité est devenue indiscutable aux yeux des socialisés. En principe, ils peuvent rejoindre à leur tour les rangs des socialisateurs. La manière dont les choses se passent dans les sous-mondes où n’existent pas de socialisateurs patentés n’est pas différente. Il peut arriver que des membres du sous-monde endossent le rôle de socialisateurs de manière impromptue et finissent par s’y voir confirmés par les autres membres, qui s’en remettent à eux pour superviser la socialisation effective des survenants. Leur manière d’exercer leur domination et de conférer à celle-ci une légitimation relève de l’autorité qu’ils possèdent. Celle-ci est davantage un attribut personnel (lié à cette forme de domination que WEBER appelle le charisme, qu’un attribut institutionnel. Il peut aussi arriver que le socialisateur soit contraint d’assumer ce rôle de façon tout à fait improvisée. D’une manière générale, on peut avancer qu’aux côtés des socialisateurs patentés (institutionnels) ou reconnus (non institutionnels, mais s’institutionnalisant à la longue) figurent toujours des socialisateurs de proximité, capables de prendre le relais des autres. En tout état de cause, nous sommes toujours un peu tour à tour socialisateurs et socialisables, socialisés en train de l’être ou ayant achevé notre parcours dans un sous-monde donné, abritant les sociotopes auxquels nous nous référons d’ordinaire dans notre vie de tous les jours, et qui contiennent la portion de social objectivé à la production/reproduction duquel nous collaborons sans cesse, et qui correspondent à ce que GOFFMAN appelle un cadre primaire. La socialisation réalise l’intériorisation du monde social objectivé, l’un des trois moments dialectiques, selon BERGER et LUCKMANN, dans la réalité sociale, les deux autres étant l’extériorisation et l’objectivation. Ce que nous avons intériorisé, sous la pression des autres, nous l’extériorisons en même temps en direction des autres, sur qui nous faisons pression à notre tout et en retour, et ce qui est extériorisé contribue à produire du social objectivé, en d’autres termes, institutionnalisé. L’institué devient instituant, et vice versa, au travers des agents instituteurs devenus pour cette tâche des acteurs. Des acteurs qui tracent dans le sens de la flèche du temps les sillons dans lesquels germeront les plants de la sédimentation historique. Dire que les actions humaines sédimentent dans le cours du temps, produisant ainsi le terreau sur lequel poussera des récits qu’on appelle l’Histoire, n’explique rien. La forme géométrique à laquelle l’ordre du social peut être assimilé n’est pas le cercle, mais bien le ressort en spirale. Le social tourne sur lui-même, mais cela se passe dans le temps ; mais chaque boucle du solénoïde n’est jamais identique à une autre car des modifications interviennent, résultant d’innovations et d’abandons. La production/reproduction d’un trait culturel (dans l’exemple un rituel de salutation/présentation), n’est pas l’œuvre d’un seul acteur, mais bien d’une pluralité d’acteurs, un seul d’entre eux fût-il amené à prendre la parole : ses interlocuteurs, réels ou potentiels, se contentent de ratifier, donc de légitimer cet usage. Il ne faut pas oublier le rôle que joue une agence de légitimation. Le cours des choses institutionnalisées, se traduisant au degré zéro par tel ou tel usage ponctuel repose sur l’existence d’un dispositif de domination au sein de la structure sociale intéressée. Les agents de la domination, qui dans la sphère qui est de leur compétence, légitiment ou imposent la légitimité de tel ou tel comportement, ne peuvent exercer leur pouvoir que parce qu’ils sont eux-mêmes dépositaires d’une légitimation suffisante, en provenance de ceux auxquels leur pouvoir s’adresse. La société postmoderne se définit selon BALANDIER par « le mouvement, plus l’incertitude ». L’individu, l’acteur, y serait caractérisé par un « Moi qui ne dispose plus de repères stables, qui doit s’ajuster à des situations multiples et changeantes qui le contraignent à la plasticité ou à la fragmentation, qui se trivialise en se situant de plus en plus sous l’influence des incitations et des manipulations du dehors. La réponse narcissique est un essai de renforcement du Moi, une tentative pour parvenir à son affirmation malgré tout ; dans le reflet qu’interroge le Narcisse contemporain, se reconnaît surtout l’image brouillée d’une modernité ». Image brouillée dans laquelle la rationalité célébrée sur tous les tons par la première modernité n’est plus en position dominante. Selon BAUMANN, « nous apprenons à vivre avec des événements inexpliqués est inexplicables. Certains d’entre nous pourraient même dire que ce sont de tels événements qui constituent le noyau dur de la destinée humaine. Nous apprenons de même à respecter l’ambiguïté, à accorder de l’attention aux émotions humaines, à prendre en compte des actions sans dessein et sans rétributions escomptées. Nous acceptons que toutes nos actions n’exigent pas d’être justifiées et expliquées pour être dignes de notre estime ». Beaucoup d’actions n’acquièrent ce statut de respectabilité que sous l’effet manipulateur des médias. Le narcissisme contemporain se contemple dans ce brouillage, dans cet inexplicable, dans ce respect de l’ambiguïté. Il y trouve comme une légitimation dans la mesure où il autorise l’individu à se croire maître des significations. L’individualisme postmoderne n’est qu’un égotisme de façade recouvrant comme un vernis des conduites standardisées. Il ne s’agit pas d’une société du Moi-Je mais bien du Nous-Je dans laquelle il importe d’être différent à condition de ressembler à tout le monde. Selon BECK, « cette différenciation des situations sociobiographiques est accompagnée dans le même temps par un degré de standardisation, les mêmes médias qui favorisent une individualisation favorisent également une standardisation. Dans la modernité avancée, l’individualisation se produit dans les conditions générales du processus de sociétalisation, lequel rend les autonomisations individuelles de plus en plus impossibles. l’individu se voit en effet éloigner des engagements traditionnels et des relations d’entraide, mais les échange au profit des contraintes de l’existence liées au marché de l’emploi et en tant que consommateur, avec les standardisations et contrôles qu’elle englobe. La place des liens et des formes sociales traditionnels est prise par des dispositifs et institutions secondaires, qui marquent la biographie de l’individu et font en sorte qu’il devienne dépendant de modes, de la politique sociale, des cycles économiques et des marchés, contrairement à l’image de contrôle individuel qui s’installe dans les consciences. Quel est le sort réservé aux acteurs dans un contexte descriptif marqué par le changement rapide et la réflexivité ? Tiraillé entre le mirage de l’autodétermination (« Je suis moi ») et les sollicitations des agences et institutions secondaires qui oblitèrent la biographie des individus, au premier rang desquelles figurent les médias de masse, l’acteur de la postmodernité est contraint de mener sa vie de manière hasardeuse à l’aide d’expédients, parmi lesquels les innombrables gadgets que lui propose le marché des innovations techniques. Entre l’injonction idéologique à se « faire tout seul » et la pression des dispositifs de standardisation, l’acteur postmoderne est plus que jamais amené à bricoler son existence, parsemée de risques que des experts évaluent de manières contradictoires. Se prémunir de risques dont la probabilité est annoncée dans les moyens de communication de masse, sans que cette probabilité soit établie de manière certaine, et veiller à ne pas transformer une probabilité nécessairement théorique en un aléa qui le vise personnellement, telle est la dure tâche qui requiert l’acteur postmoderne et qui le contraint pratiquement à effectuer un parcours de combattant. Cela peut se faire de manière classique (assurances,…), mais d’autres voies sont possibles : le refuge dans l’exaltation identitaire prônée par les diverses communautés dont l’émergence signifie l’éclatement de l’espace public, la recherche de solidarités transversales à travers des occupations dites de loisirs, etc., la quête d’un moi profond, d’une maîtrise de soi, qui révélerait des énergies et des modes de contrôle capables de conjurer les aléas de l’existence infra-ordianire.