très variable, du rouge brique au vert olive en passant par le vert terreux, la peau de son dos
est verruqueuse, c'est-à-dire couverte de vésicules contenant un venin qui n'est libéré qu'en
cas de violence - sous la morsure d'un chien par exemple. Le venin, blanc, épais, toxique,
contient un alcaloïde qui fera saliver le chien pendant des heures et lui ôtera le goût du
crapaud. On dit que certains vieux hippies, en Australie, lassés du LSD sans doute, lèchent le
dos des crapauds pour avoir des hallucinations.
Le mâle est petit et lisse, de la taille d'une grenouille, il est maigrelet, se déplace par de
courts bonds, quand il se déplace, parce qu'à vrai dire il a une activité très réduite. La femelle
est bien plus grosse, c'est elle que l'on voit dans les jardinets, les pavillons, manger de
l'herbe. Combien de temps vit un crapaud ? Jean Rostand, qui en hébergeait beaucoup chez
lui, en avait gardé un trente-six ans, et encore ce dernier avait été tué par le labrador d'un de
ses assistants. Mais cette durée n'est pas significative. Le crapaud a un métabolisme très
lent, comme les reptiles ou la chauve-souris, qui vit trente-trois ans, et contrairement au
campagnol, son ennemi, toujours agité, qui, lui, vit à 200 à l'heure et meurt jeune. S'il est
protégé des prédateurs et n'a pas à chercher sa nourriture, comme c'était le cas chez
Rostand, il n'a aucun stress et vit longtemps. Mais en réalité - on le sait en sciant un os de
crapaud et en comptant les cernes qui marquent les changements annuels de rythme -, un
crapaud en liberté vit environ sept ans.
Le crapaud vit entre le niveau de la mer et 2 000 mètres d'altitude ; du climat océanique au fin
fond des Balkans ; en zone de culture ou dans les bois ; à proximité de l'homme. Autrefois, on
le vendait au marché aux fleurs parce qu'il élimine les limaces, se nourrit de lombrics et de
carabes, en projetant, tel le caméléon, sa langue collante attachée sur le devant de sa
bouche. Mais il vit toujours en milieu humide. Pondu début mars, il vit à l'état de larve dans
l'eau. Jeune têtard, pendant deux mois, il a des branchies internes avec lesquelles il filtre
l'oxygène de l'eau, puis un jour il se réveille sans queue, avec quatre pattes et des poumons.
Il sort de l'eau, c'est désormais un vaillant crapelet. Mais le temps n'est pas encore arrivé des
joyeuses agapes. Il doit mûrir.
La maturité chez le mâle vient à la quatrième année, chez la femelle un an plus tard. La vie
quotidienne des crapauds varie selon les climats. En été, on s'active un peu. Avec l'arrivée de
l'hiver, ceux du Sud continuent à se la couler douce, comme les Provençaux. Ceux du Nord
doivent se déplacer vers des sites d'hivernage, discrètement, en ralentissant leur rythme
biologique. Car l'option est simple : soit on s'agite de plus en plus pour trouver sa pitance, soit
on se met en veilleuse et on fait ceinture. Soit, enfin, on meurt comme les insectes en laissant
des oeufs. Le crapaud a choisi la ceinture et le sommeil.
Au sortir de l'hiver, l'épopée commence brutalement. Que l'on soit du Nord ou du Midi, branle-
bas, tout le monde sur le pont, sans se nourrir on se rue sur les sites de reproduction, c'est-à-
dire l'étang voisin. Toute la population des crapauds, à des dizaines de kilomètres à la ronde,
se précipite vers le même endroit, en même temps. D'où les hécatombes routières et les
plastiques de protection. Mais le crapaud ne se soucie pas des voitures dans cet instant
capital. Ce qui le tarabuste vraiment, c'est le ratio sexuel de son espèce : il y a beaucoup plus
de mâles que de femelles. Le combat pour le sexe s'annonce très chaud, toutes seront
honorées, mais tous ne seront pas servis. Il y a beaucoup de mâles qui vont rester sur le
carreau ou se contenter, comme chez les cervidés, de regarder le chef, le meilleur, s'ébattre
avec les plus belles. La stratégie de reproduction étant de pondre un maximum d'oeufs, il faut
qu'il y ait beaucoup d'eau pour que tout le monde puisse se jeter au bain en même temps et
tenter son aventure en solitaire dans cette version aquatique de Sodome et Gomorrhe.
Comment le mâle angoissé va-t-il résoudre son problème de surnombre ? Par la ruse. Les
plus malins choisissent leur femelle avant même le départ de la course, s'installent sur son
dos et la serrent très fort avec leurs pattes avant, se laissant ainsi véhiculer par leur grosse
femelle jusqu'à l'eau. Des crapauds pirates tentent de le chasser pour prendre sa place, ou
bien par myopie, mauvaise foi ou étourderie le prennent pour une femelle et lui grimpent
dessus. Le premier occupant les repousse avec ses vigoureuses pattes arrière et émet un
bref « Krôa ! » de protestation. Rostand écrit joliment : « Il chante souvent pendant
l'accouplement. » Sans doute. Avant, pour séduire. La rainette par exemple est plus attirée