United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
International Bioethics
Committee (IBC)
Comité international
de bioéthique (CIB)
1, rue Miollis
75732 Paris Cedex 15
France
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23 janvier 2001
LA BIOETHIQUE: UN ENJEU INTERNATIONAL
Georges Kutukdjian
Directeur
Division des sciences humaines, de la philosophie
et de l’éthique des sciences et des technologies
La prise de conscience des implications humaines et sociales des progrès, réalisés dans
les sciences de la vie et de la santé, est l’un des faits marquants de cette seconde moitié du
XXe siècle. Le monde de la recherche scientifique considère désormais que la réflexion
éthique fait partie intégrante du développement de ce domaine.
L'être humain accède, pour la première fois, grâce aux découvertes en génétique, en
neurobiologie et en embryologie, à la connaissance de ses mécanismes vitaux. Il s’est de plus
doté, au-delà de ces savoirs, du pouvoir de transformer les processus du développement du
vivant, de toutes les espèces, y compris la sienne. Les décideurs publics et privés ne peuvent
plus ignorer l’impact potentiel de ce nouveau pouvoir. Dans le monde entier, ils ressentent la
nécessité d'une réflexion éthique pour accompagner les recherches scientifiques et anticiper
sur leurs applications.
La bioéthique est née, dans ce contexte, d’une double exigence:
- s'assurer que les progrès issus de ce nouveau pouvoir bénéficient à chaque homme et
chaque femme et à l'humanité entière;
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- identifier, avec sérénité et responsabilité, les enjeux sociaux et culturels des avancées
des sciences biologiques, qui intéressent aussi bien la santé, l’agriculture,
l’alimentation, que le développement ou l’environnement.
La bioéthique va en effet au-delà de la déontologie propre aux diverses pratiques
professionnelles concernées. Elle implique une réflexion sur les évolutions de la société,
voire les équilibres mondiaux. Elle alimente ainsi un large débat public sur les choix pour
l’avenir, induits par les développements scientifiques, et sur la manière de garantir la
participation éclairée des citoyens.
La bioéthique, il faut le reconnaître, s'est affirmée dans un contexte de remise en cause
globale du progrès scientifique et technologique, comme source en soi de bienfaits.
Néanmoins, cette préoccupation doit être conciliée avec l’impératif de la liberté de la
recherche. Reflet des inquiétudes d'un monde qui recherche l'équilibre entre la nature et le
développement, l'harmonie entre les individus et la société ainsi que la sauvegarde de l'espèce
humaine, elle est aussi l’expression des formidables attentes suscitées par la science.
C'est sur le socle des valeurs proclamées par la Déclaration universelle des droits de
l'homme de 1948 que la bioéthique se fonde. Les principes fondamentaux qui l'inspirent sont
ceux de dignité, d'intégrité et de liberté de la personne humaine.
Le mouvement bioéthique franchit aujourd’hui toutes les frontières, tant les
préoccupations qu'il exprime ont une dimension nécessairement internationale. Force est de
constater le nombre croissant de pratiques qui dépassent les frontières nationales. Pour ne
citer que deux exemples: les greffes d’organes, de tissus et de cellules, et les projets de
recherches ou les expérimentations biomédicales, se déroulant en même temps dans plusieurs
pays.
Ce constat a conduit l'UNESCO, à l'initiative de son Directeur général, M. Federico
Mayor, à créer en 1993 le Comité international de bioéthique. Le mandat de ce Comité,
composé de trente-six personnalités des milieux éducatifs, scientifiques et culturels, siégeant
intuitu personae, a été défini par le Conseil exécutif de l'UNESCO. Il couvre essentiellement
la recherche dans les sciences de la vie et leurs applications.
I. ACTION DE L'UNESCO
L'UNESCO se trouve impliquée dans le mouvement bioéthique. En effet, en
réunissant, aux termes de son Acte constitutif, dans ses objectifs la promotion de l'éducation,
de la science et de la culture, l'Organisation conjugue les termes essentiels du débat éthique. Il
entre dans la vocation universelle et transculturelle de l'Organisation d'associer tous les pays à
ce débat. Il est, enfin, dans la mission de l'Organisation de sensibiliser l'opinion internationale
aux nécessités de la reconnaissance de l'espèce humaine, comme valeur à protéger dans sa
dignité et sa singularité.
S'il est vrai que la bioéthique recouvre un champ de préoccupations très large, qui va
des questions touchant à la fin de la vie humaine aux transformations du vivant, le présent
texte se bornera à traiter de quelques uns des problèmes les plus aigus à l'heure actuelle.
II. RESPECT DU CORPS HUMAIN
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Le corps humain, depuis les débuts de l'humanité, fait l'objet d'une déférence et d'un
respect particulier. Les interdits frappant le corps humain recoupent sa sacralisation, tous
deux se prolongeant au-delà de la mort. L'anthropologie sociale et l'archéologie ont mis en
évidence les représentations complexes et les rituels qui accompagnent toute empreinte
marquée sur le corps. Ces empreintes ont d'ailleurs pour but de soustraire, pour ainsi dire, le
corps humain à "l'ordre naturel" pour le rendre ou le restituer à "l'ordre culturel". Ces
empreintes peuvent être éphémères, comme les peintures corporelles, ou indélébiles, comme
les scarifications, y compris la circoncision, lors de certains rites d'initiation ou de cerémonies
renouant avec les ancêtres.
Des interdits entourent également les organes, les produits et les éléments du corps
humain: au premier chef le sang, qui a fait l'objet de prescriptions particulières dans de
nombreuses sociétés. Les éléments renouvelables du corps humain, comme les cheveux ou
les ongles, sont eux-mêmes entourés d'interdits, surtout quand il s'agit de nouveaux-nés ou de
morts.
Pour autant, ces représentations symboliques ne disparaissent pas au contact de la
connaissance que les sciences ont apportée du fonctionnement biologique du vivant: des
couches successives de représentations se sédimentent et intéragissent entre elles. Certes, la
science a modifié la perception du corps humain. Eléments et produits de ce corps sont même
parfois devenus des moyens thérapeutiques. Comment, dès lors, concilier différentes
représentations qui investissent le corps et cohabitent dans les sociétés aujourd'hui? Comment
assurer la dignité de la personne humaine afin qu'elle ne soit pas considérée comme une
carcasse de pièces détachables (organes, tissus ou cellules) qui peuvent être prélevées?
Greffes d'organes et de tissus
En l'an 2000, les projections statistiques semblent indiquer qu'une intervention
chirurgicale sur deux sera une greffe d'organe ou de tissu. Les techniques, tant chirurgicales
que de conservation d'organes et de tissus, permettent à l'heure actuelle des polygreffes.
Cependant, le potentiel de donneurs d'organes par an, dans les pays développés, est estimé de
50 à 300 par million d'habitants. La demande, par rapport au potentiel de dons d'organes, suit
une courbe exponentielle. Par exemple, uniquement pour les greffes de rein, elle est dix fois
supérieure.
Sur recommandation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), une soixantaine de
pays dans le monde ont adopté des législations interdisant le commerce d'organes et de tissus.
Toutefois, les systèmes juridiques peuvent être contournés - et de fait le sont quelquefois -
notamment en s'adressant à des pays la législation est moins rigoureuse ou mal appliquée.
Si une action, au niveau international, avec la participation de tous les acteurs concernés
(institutions hospitalières, médecins, services de douanes, etc.) n'est pas engagée, le commerce
d'organes et de tissus peut devenir une des plaies de cette fin de siècle.
Les législations d’un nombre croissant de pays prévoient des dispositions concernant
le don d'organes et de tissus à finalités thérapeutiques provenant de personnes: majeures,
majeures mais incapables juridiquement, mineures, décédées.
En fait, c'est le consentement des donneurs d'organes et de tissus, lié au principe de
l'autonomie de la personne humaine, qui soulève des questions, de nature éthique, culturelle et
juridique. La question est d'autant plus difficile que souvent les prélèvement d'organes se
situent dans des situations humainement tragiques. Comment garantir ce consentement? Ce
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consentement peut-il s'inscrire dans le cadre de limites culturelles? Faut-il définir la portée de
ce consentement dans certaines circonstances? Faut-il toujours exiger un consentement donné
par écrit? Peut-on se contenter d’un consentement présumé? Quelle peut être la portée du
consentement donné par la famille ou les proches?
Quel statut juridique pour le corps humain?
La législation de certains pays prévoit expressément que les dons d'organes, de tissus
et de produits du corps humain (sang, sperme, ovule, etc.) doivent être gratuits, tandis que
d’autres pays autorisent une compensation monétaire au bénéfice du donneur, sans tolérer
pour autant, en règle générale, que le corps humain fasse l'objet d'un commerce. Quels sont
les principes qui doivent guider les sociétés modernes dans un domaine à l'intersection d'un
service technologique disponible, à savoir la transplantation, et une valeur universelle, à
savoir la dignité de la personne humaine?
La distinction parfois opérée entre les tissus et les cellules renouvelables (sang,
sperme, ovule, etc.) et les organes non renouvelables est-elle pertinente? Le corps doit-il se
voir dénier tout caractère de patrimonialité? Les infractions à la loi en la matière doivent-elles
relever du droit pénal? Les sanctions doivent-elles s'appliquer avec la même rigueur aux
institutions et aux personnes qui tirent profit d’un éventuel commerce et à celles qui en sont
“victimes”?
III. PROTECTION DES PERSONNES DANS LES RECHERCHES
BIOMEDICALES
L'expérimentation biomédicale sur des sujets humains est nécessaire au stade de mise
au point d'un médicament ou d'une thérapeutique, afin d'en mesurer la qualité, l'efficacité, la
tolérance et les éventuels effets secondaires. Pour assurer à ces recherches une validité
scientifique incontestable, il est souvent procédé en "double aveugle" - ou en double insu -
puisque ni le médecin ni le patient ne sait si le produit qui est administré est un placebo ou le
médicament expérimenté.
Ces recherches sont conduites suivant des protocoles, qui sont soumis tant à un scrutin
scientifique - pour s'assurer de l'objectivité et de la fiabilité des recherches - qu’à un scrutin
éthique - pour veiller aux conditions nécessaires à la protection des personnes qui seront
amenées à participer aux dites recherches.
Recherches biomédicales et dignité de la personne humaine
Le Code de Nuremberg en 1947 a fixé les premières règles de protection des personnes
en cas de recherches biomédicales. L'Association médicale mondiale (AMM) par la
Déclaration d'Helsinki de 1964, précisée sous certains aspects par les Déclarations de Tokyo
(1975), de Venise (1983), et de Hong Kong (1989), a défini les principes qui doivent guider
tout essai clinique sur des sujets humains. Plus récemment, en 1992, le Conseil des
organisations internationales des sciences médicales (CIOMS) a adopté des "Principes
directeurs internationaux d'éthique de la recherche biomédicale concernant les sujets
humains".
Il est évident que cette question essentielle revêt une acuité accrue de nos jours.
Plusieurs facteurs y contribuent. D'une part, les scientifiques reconnaissent que le modèle
"animal" présente certaines limites dans la recherche de nouvelles thérapeutiques. D'autre
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part, la nécessité de mener des essais cliniques pour des traitements concernant certaines
maladies, surtout répandues dans des régions précises du monde, conduit à une délocalisation
des expérimentations sur des sujets humains.
S'assurer que les critères scientifiques pour des essais cliniques sont réunis et que les
précautions éthiques sont respectées semble reposer sur deux conditions: d'une part, la
capacité à encourager la recherche et à la maîtriser; et, d'autre part, l'existence de comités
multidisciplinaires d’éthique, à l’autorité reconnue. Dans de nombreux pays, ces deux
conditions sont encore loin d’être réunies. A cet égard, il est nécessaire que des recherches
sur des sujets humains, menées par une équipe scientifique dans un pays tiers, fassent l'objet
d'une participation des chercheurs nationaux, afin qu'ils contribuent à la définition des
objectifs, à la conduite des expérimentations, ainsi qu’à la gestion et à l'analyse des résultats
de la recherche. De plus, il est également souhaitable que les pays qui ne sont pas encore
dotés de comités nationaux d'éthique les créent afin de s'assurer que les expérimentations sont
menées avec toutes les garanties de protection des droits et libertés des personnes.
Les principes éthiques qui devraient guider l'expérimentation sur des sujets humains
sont:
- le respect de l'intégrité des personnes participant aux recherches;
- le consentement libre (c'est-à-dire, en dehors de toute contrainte), éclairé (sur la base
d'une information aussi complète que possible), et explicite (en connaissance du but
poursuivi par les recherches) des participants;
- l’évaluation des risques pour éviter tout incident ou effet indésirable;
- le devoir de réparation en cas d'accident.
Comment garantir la confidentialité des données nominatives?
La confidentialité des donnés nominatives des recherches biomédicales est un élément
essentiel de la protection de la vie privée. De même, en matière de recherches, les participants
aux essais cliniques ou à des recherches biomédicales doivent avoir des garanties quant au
respect de l'anonymat.
Si de nombreux pays ont adopté des mesures législatives de protection des données
nominatives, une telle protection ne s'est pas étendue dans le monde entier. De plus, ces
législations ne sont pas toujours pleinement adaptées aux impératifs de la protection du secret
médical, dont la portée diffère selon les cultures et les systèmes de droit.
Dans ces conditions comment protéger la confidentialité des données médicales ou
génétiques intéressant les individus? Quelles précautions faut-il prendre pour sauvegarder les
banques de données à partir de recherches génétiques qui auront é constituées sur une
famille ou sur un groupe de population? A qui doit être confiée la gestion de ces banques?
Ces questions sont d'autant plus d'actualité qu'il paraît de plus en plus évident que les
données génétiques pour des raisons scientifiques et épidémiologiques doivent être conservées
sur plusieurs générations au moins. Même si elles sont rendues anonymes, quelle instance en
conservera le transcodage? Qui pourra accéder aux données génétiques que d'aucuns tiennent
pour des données familiales et non individuelles? Le secret des données est-il absolu? Les
descendants d'une personne, bien après son décès, pourront-ils revendiquer le droit de
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