Le corps humain, depuis les débuts de l'humanité, fait l'objet d'une déférence et d'un
respect particulier. Les interdits frappant le corps humain recoupent sa sacralisation, tous
deux se prolongeant au-delà de la mort. L'anthropologie sociale et l'archéologie ont mis en
évidence les représentations complexes et les rituels qui accompagnent toute empreinte
marquée sur le corps. Ces empreintes ont d'ailleurs pour but de soustraire, pour ainsi dire, le
corps humain à "l'ordre naturel" pour le rendre ou le restituer à "l'ordre culturel". Ces
empreintes peuvent être éphémères, comme les peintures corporelles, ou indélébiles, comme
les scarifications, y compris la circoncision, lors de certains rites d'initiation ou de cerémonies
renouant avec les ancêtres.
Des interdits entourent également les organes, les produits et les éléments du corps
humain: au premier chef le sang, qui a fait l'objet de prescriptions particulières dans de
nombreuses sociétés. Les éléments renouvelables du corps humain, comme les cheveux ou
les ongles, sont eux-mêmes entourés d'interdits, surtout quand il s'agit de nouveaux-nés ou de
morts.
Pour autant, ces représentations symboliques ne disparaissent pas au contact de la
connaissance que les sciences ont apportée du fonctionnement biologique du vivant: des
couches successives de représentations se sédimentent et intéragissent entre elles. Certes, la
science a modifié la perception du corps humain. Eléments et produits de ce corps sont même
parfois devenus des moyens thérapeutiques. Comment, dès lors, concilier différentes
représentations qui investissent le corps et cohabitent dans les sociétés aujourd'hui? Comment
assurer la dignité de la personne humaine afin qu'elle ne soit pas considérée comme une
carcasse de pièces détachables (organes, tissus ou cellules) qui peuvent être prélevées?
Greffes d'organes et de tissus
En l'an 2000, les projections statistiques semblent indiquer qu'une intervention
chirurgicale sur deux sera une greffe d'organe ou de tissu. Les techniques, tant chirurgicales
que de conservation d'organes et de tissus, permettent à l'heure actuelle des polygreffes.
Cependant, le potentiel de donneurs d'organes par an, dans les pays développés, est estimé de
50 à 300 par million d'habitants. La demande, par rapport au potentiel de dons d'organes, suit
une courbe exponentielle. Par exemple, uniquement pour les greffes de rein, elle est dix fois
supérieure.
Sur recommandation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), une soixantaine de
pays dans le monde ont adopté des législations interdisant le commerce d'organes et de tissus.
Toutefois, les systèmes juridiques peuvent être contournés - et de fait le sont quelquefois -
notamment en s'adressant à des pays où la législation est moins rigoureuse ou mal appliquée.
Si une action, au niveau international, avec la participation de tous les acteurs concernés
(institutions hospitalières, médecins, services de douanes, etc.) n'est pas engagée, le commerce
d'organes et de tissus peut devenir une des plaies de cette fin de siècle.
Les législations d’un nombre croissant de pays prévoient des dispositions concernant
le don d'organes et de tissus à finalités thérapeutiques provenant de personnes: majeures,
majeures mais incapables juridiquement, mineures, décédées.
En fait, c'est le consentement des donneurs d'organes et de tissus, lié au principe de
l'autonomie de la personne humaine, qui soulève des questions, de nature éthique, culturelle et
juridique. La question est d'autant plus difficile que souvent les prélèvement d'organes se
situent dans des situations humainement tragiques. Comment garantir ce consentement? Ce