1
L’enseignement de Sangharakshita
Fondateur du Triratna (l’Ordre Bouddhiste Occidental)
Causeries prononcées aux Voies de l’Orient en 2010-2011
par
Bernard Stevens
Avant-propos
Ces causeries sur “l’enseignement de Sangharakshita” ont été
prononcées aux Voies de l’Orient, à Bruxelles, lors d’une série de cinq
ateliers, étalés sur un an: de mai 2010 à mai 2011. Chaque causerie
d’une durée approximative d’une heure était suivie d’une séance
de méditation selon les méthodes enseignées par Sangharakshita au
sein du mouvement qu’il a créé: le Triratna (l’Ordre Bouddhiste
Occidental). Il y avait un échange autour d’une tasse de thé, avant et
après la méditation. Etant donné le succès de ces ateliers, il fut
décidé, à partir du mois d’octobre, de se réunir tous les dimanches à
16 heures pour méditer ensemble. C’est ainsi qu’un petit groupe de
méditants Triratna s’est formé à Bruxelles.
Pour ce qui est du texte des causeries proprement dites, il reflète le
style inégal de ces dernières. Les deux premières sont très libres dans
leur expression, m’étant permis de me laisser libre cours à mon
inspiration et à ma manière de formuler les choses. A partir de la
troisième causerie, je me suis appuyé, de manière toujours plus
stricte, sur les textes mêmes de Sangharakshita. Ceci donne à la
forme écrite des trois dernières causeries un style un peu plus
scolaire, plus académique que la part d’improvisation de l’exposé
oral avait toutefois réussi à alléger.
Introduction générale
Les Voies de l’Orient, à Bruxelles , le 1er mai 2010
J’aimerais mettre cette causerie dans la continuité d’une
courte intervention que j’ai faite le mois dernier, le samedi 13 mars,
lors de la journée zen mensuelle, dirigée par Pierre de Bethune à
l’Abbaye de Clerlande. Ce jour-là, précisément, Pierre était absent, et
2
il m’avait demandé de dire, à sa place, quelques mots pour tenir lieu
d’enseignement. J’ai donc parlé des “cinq qualités spirituelles” du
Bouddhisme originel, tels qu’ils sont enseignés par Sangharakshita,
fondateur de l’Ordre du Triratna également nommé Ordre
Bouddhiste Occidental (avec sa base élargie: les Amis de l’Ordre
Bouddhiste Occidentale: AOBO). L’accueil très favorable qui m’a été
réservé ce jour- m’encourage à récidiver aujourd’hui et à préciser
devant vous le contexte d’est provenu l’enseignement que j’avais
modestement tenté de transmettre.
Les mouvements bouddhistes sont nombreux en Occident en
général et en Belgique en particulier. Ils appartiennent principalement
aux diverses écoles tibétaines et aux écoles zen japonaises ou encore
vietnamienne. Le bouddhisme est donc bien représenté en Belgique, y
compris ici même aux Voies de l’Orient, où la méditation, (surtout zen
rinzai), est pratiquée dans un contexte chrétien particulièrement
propice. Cependant il existe un mouvement, le Triratna, un des plus
importants dans le monde anglo-saxon, et qui est pour ainsi dire
ignoré en Belgique ou du moins en Belgique francophone, car il
existe un Centre important à Gand.
Or, on gagne à connaître ce mouvement. Personnellement,
après avoir fréquenté, des années durant, pratiquement toutes les
tendances bouddhiques existant chez nous, et n’étant jamais
totalement satisfait par aucune, j’ai découvert le Triratna et, après en
avoir éprouvé l’enseignement et la pratique pendant près de deux
ans, et après avoir décidé de rejoindre ce mouvement, j’ai pensé qu’il
pouvait être souhaitable de vous faire part de ce que j’y ai trouvé de
si remarquable.
Ce qui me renforce dans ce souhait, c’est le fait que le
Triratna est, parmi tous les mouvements bouddhistes présents en
Occident, celui qui connaît la progression la plus spectaculaire. Quelles
peuvent donc être les raisons de ce succès?
Le Triratna a été fondé en 1968, en Angleterre, par
Sangharakshita (né à Londres en 1925). Il est basé sur une
reformulation de la doctrine bouddhique, soucieuse d’en revivifier
l’esprit par un ressourcement aux origines indiennes et animée par la
volonté d’appliquer le bouddhisme à la vie et à la société
contemporaines, avec leurs problèmes spécifiques. Sangharakshita
s’est voulu un traducteur de la spiritualité bouddhiste à l’intention de
l’Occident moderne. Ayant étudié le bouddhisme pendant plus de 20
3
ans en Inde et en divers pays d’Asie, il a voulu en prélever la
substance et en énoncer clairement les principes.
N’étant tenu par aucune tradition particulière, mais s’inspirant
de toutes, il porte un regard critique sur certaines étroitesses du
traditionalisme, utilisant notamment les données de l’étude
philologique moderne.
Partant des dimensions fondatrices de la doctrine, il a cherché
à éclairer celles-ci à l’aide des diverses traditions plus tardives, mais
sans se limiter à aucune d’elles. Ce refus du sectarisme et cet esprit
d’ouverture, prenant chaque fois comme critère ultime les paroles
mêmes du Bouddha, donnent à l’enseignement du Triratna une
richesse, une cohérence et une solidité inégalées compte tenu, bien
évidemment aussi, des dons exceptionnels du fondateur,
Sangharakshita, qui a passé toutes son existence à étudier et mettre
en pratique la Voie du Bouddha.
Le retour aux dimensions fondatrices.
Toute tradition bouddhiste reconnaît dans l’expérience de
l’éveil la
bodhi
, en sanscrit l’événement principiel de la doctrine
(le nom Bouddha signifie “l’éveillé”). Or cet éveil, avant d’être
quelqu’expérience mystique ou fusionnelle, béatifique et indicible, est
simplement le fait de réveiller l’esprit de sa torpeur ordinaire et voir la
réalité telle qu’elle est, dans sa “talité”, son “ainsité” (
tathâta
). Le
Bouddha est, de ce fait, également nommé le “Tathagâta”: celui qui
voit les choses telles qu’elles sont.
Et la "talité" des choses, aperçue par le Bouddha lors de
l’éveil, est très schématiquement dit le fait que tout est régi par
ce que l’on nomme la “production conditionnée” (
pratitya samutpada
).
Cela signifie en gros qu’il n’y a pas de réalité en soi des choses, pas
de réalité substantielle première à la base des choses et de nous-
mêmes, qui en feraient des entités autonomes. Non. Tout est relié.
Tout est produit par d’autres choses dans un tissu de conditions
réciproques. Tout est dans un réseau d’interrelations où chaque
occurrence est dépendante d’une série d’autres et à son tour va en
influencer de nouvelles séries non pas de manière linéaire, mais en
une constellation de plus en plus large. Cela vaut pour les choses.
Mais cela vaut aussi pour nous, les humains. Nous ne sommes pas
simplement, chacun, une âme isolée, permanente, qui aurait, selon
son bon vouloir des rapports avec ses semblables: nous sommes
d’emblée des êtres relationnels. Ce que nous sommes dépend de
notre rapport interactif avec les autres. Et chaque acte que nous
4
produisons a des percussions, non seulement sur notre propre
existence, mais sur celle des autres. En somme, nous sommes
responsables de nous -mêmes et des autres. Ce qui a plusieurs
conséquences.
Je ne vais pas entrer ici dans le détail de la théorie du
karma
(le fait que chaque acte a une conséquence dans cette vie-ci et dans
une possible vie future). Mais simplement, au plan de cette vie-ci, par
notre propre action, par notre propre attitude devant la vie, nous
créons notre propre enfer et notre propre paradis. Et la manière dont
nous pouvons incliner la souffrance de notre condition vers un certain
bonheur se fait en interaction avec nos semblables. Si le bouddhisme
est bien une doctrine du salut (une sotériologie), il affirme que le salut
individuel ne se fait pas sans le salut des autres et, dès lors, il faut
développer outre la sagesse ou connaissance (
prâjna
) qui nous fait
mieux connaître la "talité" des choses la compassion (
karunâ
) qui
nous fait agir pour le bien d’autrui et de tout être vivant. La deuxième
vertu nous donne une saisie affective de ce que la première nous
enseigne intellectuellement et, en retour la connaissance nous oriente
de manière plus consciente vers la compassion.
Pour celui qui adhère à cette vérité et qui, dès lors, veut la
mettre en pratique, il y a, traditionnellement, un engagement. Ce
dernier consiste en ce que l’on nomme la “prise de refuge” dans les
Trois Joyaux (
Triratna
), que sont le Bouddha, le Dharma et le Sangha.
Alors que la prise de refuge a été parfois négligée, surtout dans le
Theravâda, cette notion est essentielle à l’Ordre du Triratna. Et c’est
le geste, régulièrement répété, qui est destiné à transformer la vie en
fonction de la Voie bouddhiste. Ce n’est pas une simple formule, ni
une simple formalité. C’est un acte d’engagement existentiel. Ainsi, à
la différence de nombreuses formes de bouddhisme en Occident, celui
qui se pratique dans le Triratna ne se contente pas d’être une activité
occasionnelle, comme laance de fitness ou de yoga, c’est un
engagement destiné à transformer l’existence.
Prendre refuge (ou “aller en refuge”) dans le Bouddha est un
acte de foi par lequel on témoigne sa confiance dans son exemple et
dans son enseignement. On accepte les principes de base de celui-ci:
outre la co-production conditionnée, on s’engage dans la voie qu’il a
tracée et qui est la Voie du Milieu (
Mâdhyamika
) entre le jouissance
du monde sensible et la mortification ascétique, et on cherche à vivre
en perspective de l’éveil et en fonction des quatre Nobles Vérités.
5
Ces dernières nous font entrer dans le deuxième Joyau de la
prise de refuge : le Dharma. Le vocable Dharma, intraduisible en un
seul mot, signifie l’enseignement, la doctrine, la loi de l’univers, le
principe des choses… Vaste programme. Disons ici, pour nous
maintenir à l’essentiel, que cela porte sur l’enseignement bouddhique
et notamment les quatre Nobles Vérités. Celles que le Bouddha a
énoncées lors de son premier sermon à narès, dans le Parc des
Gazelles. Rappelons brièvement.
La première Vérité dit que toute vie est
dukkha
: un mot, à
nouveau intraduisible, qui signifie à la fois l’impermanence,
l’insatisfaction et la souffrance. La souffrance de la maladie, de la
vieillesse et de la mort. La souffrance d’être séparé de ce que l’on
aime, de ne pas obtenir ce que l’on veut…
La deuxième Vérité dit que l’origine de la souffrance réside
dans la soif ou l’avidité (
trsna
). C’est la volonté de fortifier son ego en
s’appropriant toujours davantage, en consommant toujours plus, en
jouissant toujours plus, en voulant toujours plus, selon une fuite en
avant insatiable et finalement désastreuse.
La troisième rité dit qu’il peut être mis un terme à cet état
de choses par le
nirvâna
, c’est-à-dire par “l’extinction” de l’avidité,
l’extinction de la flamme douloureuse du désir insatiable.
La quatrième Vérité donne le moyen d’accéder au nirvâna et c’est le
Noble Chemin Octuple. Ce dernier est composé d’une série de règles
de vie qui peuvent se ramener à trois registres : les préceptes
moraux, la méditation et la connaissance. Globalement, la morale et la
méditation sont des moyens pour arriver à la connaissance celle,
bien évidemment, que l’on acquiert dans l’état d’éveil.
Toutefois ce qui caractérise le Triratna, c’est de mettre
l’accent sur le troisième Joyau (qui est précisément le moins mis en
évidence traditionnellement) : le Sangha, c’est-dire la communauté.
Aller en refuge dans le Sangha peut être pris à divers niveaux:
cela signifie que l’on entre dans la vaste communauté des pratiquants
du bouddhisme, toutes traditions confondues. Mais cela signifie aussi
que l’on choisit de s’intégrer dans une communauté précise. Pas
seulement le bouddhisme, pas seulement le mouvement du Triratna,
mais le Centre ou le groupe spécifique concret que l’on fréquente
régulièrement et avec lequel on cherche à tisser des liens étroits.
Le Sangha restreint que l’on fréquente n’est pas seulement un
groupe de méditation que l’on rencontre occasionnellement pour
1 / 52 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !