Chine et européens en 14

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Emmanuelle Jammet-Decaix
Histoire- exposé
LES EUROPEENS ET LA CHINE EN 1914
Intro : En 1914, la Chine, devenue une république depuis 1911, apparaît sur la carte du monde
comme un Etat souverain et indépendant. Pourtant, les intérêts européens sont présents
partout en Chine depuis 1842 à la suite de la signature des « traités inégaux »
On désigne par ce terme tous les traités imposés à la Chine par les puissances étrangères
entre1842 et 1901. On compte trois principaux traités : le traité de Nankin de 1842 qui fait
suite à la guerre de l’opium livrée par le Royaume-Uni avec l’ouverture de quelques ports, la
fin du monopole du commerce en faveur des Chinois et la cession de Hong-Kong aux
Britanniques. Le deuxième est celui de Shimonoseki en1895, où, à la suite de la victoire du
Japon dans la guerre sino-japonaise, les Européens interviennent et obtiennent des
compensations se font sous la forme du dépeçage de la Chine en zones d’influence pour
chaque puissance européenne. C’est ce que l’on a appelé le « Break-up of China ».Enfin, en
1901, le dernier traité inégal est imposé à la Chine à la suite de la révolte des Boxeurs
(soulèvement contre les missions européennes et les chrétiens chinois).
Au terme de plus de 60 ans de présence européenne en Chine, on peut donc se demander
quelles sont les particularités des liens entre les Européens et la Chine et comment qualifier
ces liens (impérialisme, colonisation ?)
Annonce plan
I-
1.
Des traités inégaux toujours en vigueur
des privilèges territoriaux, fiscaux et juridiques pour les Européens…
Quels sont les avantages concédés par la Chine dans ces traités ? Tout d’abord, ces
privilèges sont territoriaux. Concrètement, en 1914, les Européens sont présents en Chine
sous deux formes : les zones d’influence avec les territoires à bail formées lors du Breakup, et les concessions dans les ports ouverts qui existent depuis 1842.
En 1914 on compte 48 ports ouverts : dans ces villes les ressortissants des puissances sont
libres de s’installer et de pratiquer le commerce (alors que dans le reste de la Chine, ils ne
peuvent que voyager). De plus, dans certains de ces « ports ouverts » comme Shanghai,
Tianjin, Hankou ou Canton, on trouve des concessions qui sont des quartiers gérés par les
étrangers eux-mêmes. Ces concessions sont dirigées par un conseil municipal élu
exclusivement par les résidents étrangers, qui ont leur propre force de police. Bien que le
concept de concession soit une idée chinoise, les concessions constituent en fait une vraie
forme de colonisation car elles sont en réalité principalement habitées par des Chinois qui
n’ont aucun droit reconnu et sont écrasés par les impôts.
L’autre forme de présence européenne est le territoire à bail, doublé de la zone
d’influence. Sur un territoire donné qui est concédé pour un bail de 20 à 90 ans, une
puissance occidentale peut fonder des bases navales et faire stationner ses troupes. Elle
peut également s’arroger des contrats d’exclusivité pour construire et exploiter les mines
et les chemins de fer dans la « zone d’influence » qui entoure son territoire à bail. Les plus
célèbres de ces territoires à bail sont les « Nouveaux territoires » de Hong-Kong détenus
par les Britanniques rétrocédés en 1997.
Mais les puissances européennes ont également pratiqué l’amputation territoriale dans
certains cas (par exemple au Nord, la Chine a perdu 1 500 000 km² au profit de la Russie)
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ou ont favorisé l’indépendance de territoires vassaux à la périphérie (Birmanie, Viêt-Nam,
Tibet, Mongolie extérieure).
Ces traités inégaux, en plus des clauses territoriales, établissent également des privilèges
fiscaux et juridiques. Le privilège le plus marquant est le privilège d’extraterritorialité.
Cela signifie que tous les délits commis par des Occidentaux échappent à la compétence
des tribunaux chinois mais sont de la compétence des autorités consulaires, beaucoup plus
clémentes. Un autre privilège important est celui concernant les droits de douane et impôts.
Les traités inégaux limitent les droits de douane à 5% et des clauses exemptent les
puissances européennes de payer les impôts chinois tels que le lijin (sorte de taxe
intérieure de transit sur toutes les marchandises).
2. … qui ont su s’entendre autour du principe de « partage à l’amiable »
Jusqu’en 1914, la domination étrangère sur la Chine est principalement européenne et
garde un certain caractère de solidarité générale. En fait, les Japonais et les Américains
sont présents mais leur rôle est secondaire par rapport à celui des puissances européennes.
Les Européens n’ont pas voulu se faire la guerre à propos de la Chine, mais chaque pays a
exigé sa part du gâteau. En fait, dès qu’une puissance obtient un avantage, les autres font
pression sur le gouvernement chinois pour obtenir la même et s’entendent entre elles par
le biais de traités. Ainsi, lors du break-up, l’Allemagne a ouvert le bal début mars (région
du Shandong), suivie par la Russie fin mars (Mandchourie et une partie de la Chine du
Nord), la France en mai (au Sud : Guangzhouwan) et enfin le Royaume-Uni en Chine
centrale, en face de Hong-Kong et à Weihaiwei en juin-juillet.
Malgré tout, les zones d’influence ne doivent pas être comprises comme une chasse
gardée, car l’ensemble a un caractère fortement internationalisé avec une forme de libre
concurrence et des ententes entre les capitalistes des différents pays.
II-
Une pression économique à son paroxysme
1. Les Européens présents dans tous les secteurs de la vie économique
En 1914, les investissements étrangers en Chine atteignent la somme de 1 610 millions
de dollars, dont les deux tiers sont investis directement et le reste, prêté aux entreprises
privées chinoises et surtout au gouvernement. Ce sont les Européens qui sont les principaux
pourvoyeurs de capitaux (mais les investissements japonais représentent tout de même
environ 13% de ce total), avec en tête les Britanniques (un tiers du montant total), suivis des
Russes, des Allemands et des Français.
Les principaux secteurs économiques dominés par les étrangers sont :
 le secteur bancaire, avec des consortiums de banques qui non seulement
financent le commerce, mais drainent aussi les capitaux chinois et émettent des
billets.
 les chemins de fer avec 11 000 km de voies construites par les Occidentaux et
dont le réseau est de type colonial, puisque construit selon les préoccupations des
puissances. Ainsi par exemple le Yunnan (province frontalière du Sud-Ouest et
zone d’influence française) est-il mieux relié au Viêt-Nam qu’au reste de la
Chine.
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les mines où les étrangers contrôlent 90% de la production de charbon et la
totalité de celle de fer.
l’industrie légère : les Européens ont développé des industries textiles,
alimentaires qui sont tournées non seulement vers l’exportation mais aussi et
surtout vers le marché chinois.
2. Emprunts et indemnités grèvent le budget de l’Etat chinois
A chaque signature de traité, les puissances ont obligé la Chine à payer des indemnités
de guerre extrêmement élevées (par exemple en 1901 la Chine a été condamnée à payer
1.7 milliards de francs d’indemnités. Elle a obtenu la possibilité de payer en 39 annuités
mais avec les intérêts cela double pratiquement la somme). Pour assurer leurs arrières, les
Européens ont garanti le paiement de ces indemnités sur les revenus des douanes et de la
gabelle (impôt sur le sel). Mais cela ne suffisant pas, la Chine a dû recourir par-dessus le
marché à des emprunts pour payer ces indemnités, emprunts qui ont été réalisés auprès de
consortiums de banques européennes ou japonaises. Le dernier emprunt en date est celui
dit « Emprunt de la réorganisation » du 27 avril 1913 de 25 millions de livres sterling.
Cette pression financière sur une Chine à l’économie moderne encore peu développée
pose des problèmes d’indépendance et de souveraineté nationale. Les Européens se sont
fait octroyer la gestion de grandes administrations publiques telles que les douanes, la
gabelle (impôt sur le sel), les postes, pour contrôler le remboursement des indemnités.
Dans ces secteurs, tout le personnel de direction est étranger, par exemple, ceux sont deux
français, Messieurs Piry et Picard-Destelan, qui dirigent l’administration des postes.
III-
Le gouvernement et la population chinoise dans l’impossibilité de réagir
1. Les ingérences européennes sur le gouvernement et l’administration
Depuis 1911, avec la fin de la dynastie mandchoue des Qing et les débuts de la
république chinoise, les puissances européennes ont de plus en plus d’ascendant sur le
gouvernement central. Le corps diplomatique de Pékin surveillait déjà attentivement le
gouvernement chinois depuis la révolte des boxeurs de 1901. Certains Européens
agissaient également auprès du gouvernement en tant que « conseillers étrangers »
rémunérés par le gouvernement chinois. Mais à partir de cette date, les ingérences
européennes sont allées croissant. Celles-ci ont en effet laissé faire la révolution en
adoptant une politique de neutralité pour préserver leurs intérêts. Quant aux nouveaux
dirigeants chinois, ils ont essayé de se rapprocher des Européens pour mieux arriver à
leurs fins.
Ainsi, en 1914, Yuan Shikai a pris les rênes du pouvoir. Celui-ci a pu s’imposer entre
autres grâce au soutien des puissances étrangères. En effet, il a la sympathie des milieux
diplomatiques depuis longtemps, et c’est lui qui avait négocié l’emprunt de la
réorganisation. Pour mettre toutes les chances de son côté, il met un occidental à la tête
du budget et proclame la souveraineté du Tibet et de la Mongolie extérieure, ce qui lui
permet d’obtenir la reconnaissance de son gouvernement par la Grande-Bretagne et la
Russie.
2. L’échec de la bourgeoisie
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En 1914, la population chinoise est toujours traversée par un sentiment d’humiliation
politique. Face à un gouvernement sous contrôle des Européens et qui n’a pas su faire les
réformes nécessaires, la nouvelle bourgeoisie urbaine apparue à l’aube du siècle aurait pu
tenir un rôle non négligeable.
En effet, après les années de réaction xénophobe de la part de la population avec la
révolte des Boxeurs ou le boycott en 1905 et 1907 de certains produits étrangers, la
bourgeoisie tente d’appliquer une autre méthode à partir des années 1910. Un mouvement
d’occidentalisation apparaît en Chine, dont certains leaders républicains comme Sun Yatsen sont les représentants. La stimulation par rapport à l’impérialisme pousse cette
nouvelle bourgeoisie urbaine à moderniser l’économie nationale (avec le rachat des
chemins de fer concédés aux étrangers par exemple). Cependant, tous ces efforts n’ont pas
eu l’effet escompté. En effet, la Chine souffre, en plus de ses problèmes internes tels que
la surpopulation, les rivalités, la corruption, de son manque d’autonomie douanière et de
la concurrence avec les produits occidentaux.
L’année 1914 marque l’apothéose du règne des Européens en Chine. En effet, dès
1915, les puissances européennes sont absorbées par la grande guerre, laissant plus de place
aux Américains et aux Japonais. Mais la domination européenne sur la Chine continuera après
la première guerre mondiale, et ce malgré la participation de la Chine aux côtés de l’Entente à
partir de 1917.
On a souvent comparé la situation chinoise de 1914 à celle de l’Egypte mais surtout de
l’Empire Ottoman. Dans les deux cas, on a un vieil empire supposé riche dont l’intégrité et
l’indépendance ont été fictivement conservées. Dans les deux cas, sous couvert d’objectifs
économiques, les Européens en réalité ont été influents dans bien d’autres domaines tels que
la politique et l’administration, si bien qu’on peut parler ici, après la colonisation proprement
dite et le protectorat, d’un troisième type de colonialisme, qui permet aux Européens de tirer
parti de la situation sans les inconvénients habituels.
Bibliographie :
BASTID M., BERGERE M.-C., CHESNAUX J., La Chine : l’illusoire modernité 1885-1921,
Hatier, 1972
PAILLARD Yvan G., Expansion occidentale et dépendance coloniale, Armand Colin, coll.U,
1994
ROUX Alain, La Chine au XXème siècle, Armand Colin, coll. Campus Histoire, 2001
REMOND René, Introduction à l’histoire de notre temps, T.2 le XIXème siècle 1815-1914, le
Seuil, Points Histoire, 1974
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