A la fin de la nausée, Roquentin conclut : « Je suis de trop, de trop pour l’éternité », alors que l’enfant des « Mots » disait
« je suis de trop dans mon milieu mais ce n’est que temporaire, jusqu’à ce que je devienne un Simoneau. »
Assumer sa liberté, c’est assumer qu’on n’est indispensable nulle part. La dernière phrase des « Mots » : « Que reste-t-il ?
Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. »
La puissance de l’interdit et l’ennui
Stendhal (Souvenirs d’égotisme) écrit « Le rouge et le noir ». Julien Sorel, ambitieux précepteur sans reconnaissance sociale
n’accepte pas la hiérarchie de la Restauration (Napoléon). Il est l’amant de madame de Rhénal dont il s’occupe des enfants
jusqu’à ce que le mari de celle-ci le chasse. Monté à Paris, il est engagé par le Marquis de La Mole. La fille de celui-ci est
très belle et est habituée à recevoir beaucoup de marques d’admiration. Elle ne fait pas attention à l’insignifiant Sorel qui
pour conquérir cette personne intouchable joue les indifférents. La vanité de la jeune fille est piquée au vif et elle lui cède,
pour obtenir ce qui est hors de portée.
C’est l’illustration de la puissance de l’interdit.
Aussitôt son désir assouvit, Mathilde de La Mole se détourne de Julien pour retourner à ses mondanités. Julien décide de
jouer la carte de la jalousie pour la ramener à lui.
Parfois l’objet du désir est réellement voulu, il faut alors tenter de l’obtenir rationnellement.
Schopenhauer disait : « Dans la vie, au fond, il y a le désir et l’ennui. » Le désir est douloureux car il est l’expression d’un
manque prolongé. L’ennui arrive lorsque le désir a été assouvi une fois. L’ennui aussi est douloureux. Après l’ennui, naît un
nouveau désir…
Proust, « À la recherche temps perdu », cette œuvre est très autobiographique. Dans « un amour de Swan », le héros, juif
fortuné du 19° siècle, bien reçu dans l’aristocratie catholique, est fasciné par la peinture de la Renaissance mais n’aime pas
celle de son temps. Sa vie est très stratifiée. Il fréquente les salons du quartier Saint Germain, ceux obligés –duchesse de
Guermantes – ceux plus amusants – madame Verdurin. Mais il ne peut dire dans le premier qu’il se rend dans le second ! Il
a rencontré Odette de Crécy qu’il qualifie de belle mais « pas son genre ». Elle est toujours là pour l’écouter, Swan s’y est
habitué jusqu’au jour où elle disparaît. Il fouille tout Paris pour la retrouver. Tout à coup, elle lui est interdite et il
commence à souffrir pour cette femme qui ne l’attirait pas, avant. Il se souvient l’avoir aperçue dans « une attitude lui
rappelant un tableau de Boticelli ». Odette « devient » un personnage de la Renaissance. Quand il la retrouve, il
l’accompagne partout. Tout est beau, la musique est belle. Il est toujours à côté d’elle, la surveille. Elle se refuse à lui, il fait
des folies pour elle. Tout cela pour un désir suscité par des choses artificielles. La puissance de l’interdit.
Dans « La prisonnière », Proust raconte que, jaloux, complètement malheureux, il enferme Albertine. C’est un exemple
pathologique, comme le jeune Sartre qui veut devenir Simoneau. Roquentin, dans « la nausée », est malheureux et négocie
des compromis médiocres pour éviter que ces désirs contradictoires ne le mènent à une plus grande violence. (Lire ces
exemples dans « les fantômes de la liberté »). Quelqu’un de vertueux fait des compromis pour éviter la violence. Chez
quelqu’un dominé par les défauts, les compromis gèlent la situation, empêchent les changements. « Les compromis à la
Belge », caractéristiques de notre pays, alliés à la complexité de notre constitution, ont permis en Belgique de vivre sans
crise de violence mais en dépensant beaucoup d’énergie à des bêtises, comme la gestion de la situation des francophones en
communes à facilités, par exemple (obtenir les documents en français).
Le conflit en Yougoslavie a pris sa source à la fin de l’empire Austro-hongrois. Par un régime répressif, Tito a contenu les
poussées centrifuges de la Croatie, la Serbie et la Macédoine. Le groupe était multiculturel, mais il y avait des échanges, des
mariages interethniques. Fin 80, début 90, les Serbes, majoritaires en Yougoslavie, ont joué la carte nationaliste. Croatie et
Bosnie Herzégovine ont réclamé leur indépendance. S’en est suivi une période de repli sur soi. Une forte minorité de Serbes
(orthodoxes) coexistaient avec des Croates (catholiques) et des musulmans. Milosevic a mis au point un plan d’épuration
ethnique et les Serbes ont assiégé Sarajevo. Dans un premier temps, la communauté internationale n’a pas bougé. La
diplomatie ayant échoué, il a fallu envoyer un soutien armé pour stopper Milosevic et ses troupes et arrêter la violence.
Maintenant, ces pays sont en «paix ». Ils doivent redécouvrir la richesse de leurs cultures grâce à des compromis. Mais ils
resteront étrangers les uns aux autres, sans vrai réconciliation possible tant qu’on ne prendra pas le problème à la base, dans
l’enseignement. C’est à l’école que le message de tolérance et d’ouverture à la différence doit passer. C’est à l’école que
l’on permet ou que l’on interdit la possibilité de synthèse. Pour l’instant, les mentalités n’ont pas changé mais le contexte a
changé : des soldats empêchent les gens de se tuer.
Bien que profondément pacifistes, nous reconnaissons l’existence de la guerre et sa nécessité pour défendre les plus faibles.
« Saddam Hussein est une calamité, un dictateur qui sévit sur un pays riche, avec une bande de gangsters. »
La synthèse, alternative aux compromis
On rencontre des problèmes à tous les niveaux, en international, en communautaire, en individuel. Les compromis ne sont
des solutions que dans la mesure où ils évitent pire, l’explosion, une solution à moindre mal. Faire comprendre aux Serbes
et aux autres que leur opposition est néfaste, que rien n’est pire que se battre pour des raisons ethniques, c’est les ouvrir au
fait que leurs forces ne sont pas antagonistes et leur permettre de travailler ensemble à former quelque chose de plus solide.
La synthèse est une sorte d’unité supérieure. Après tout, les intérêts en jeu ne sont pas contradictoires. Les différences sont
enrichissantes. Des personnes qui ont vécus des expériences différentes ont quelque chose de plus à apporter au groupe, au
sein d’un débat critique et respectueux. La synthèse, c’est l’ouverture à l’autrement, et par là même le contournement des