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Pénurie de cimetières musulmans
A l'heure où l'on essaye d'organiser les instances de l'islam en France, la question de
l'inhumation semble primordiale en terme d'intégration et d'enracinement. A l'heure où les
premières générations d'immigrés vieillissent et sont confrontées à la mort, il apparaît que rien
n'est prévu pour créer un nombre suffisant de cimetières musulmans et enraciner définitivement
les immigrés sur le sol français. Si le droit musulman prévoit l'enterrement du mort là où il
meurt, certains musulmans réalisent que la France ne leur accorde que des possibilités limitées
de s'y faire enterrer selon leurs normes. Et bien que l'islam soit la deuxième religion de France
avec ces 4 millions de musulmans dont plus de la moitié sont français, on ne compte qu'un seul
cimetière musulman, celui de Bobigny, ouvert par décret présidentiel en 1934. Au fil des
années, les places se font rares ; certains accommodements ont toutefois permis la constitution
de carrés confessionnels dans les cimetières communaux, bien qu'une loi de 1885 fasse des
cimetières des espaces à la fois publics et laïques dans lesquels tout regroupement par
confession sous la forme d'une séparation matérielle du reste du cimetière est en théorie
interdite. A partir de 1991, une circulaire adressée aux préfets préconise la création de ces
«carrés» confessionnels. La circulaire stipule qu'il revient aux maires de décider du
«regroupement, dans les cimetières communaux, des sépultures de défunts de confession
musulmane». Cette idée n'est pas neuve, puisqu'elle reprend les termes d'une circulaire de
1975, rarement appliquée, qui prévoyait déjà de regrouper les sépultures de Français
musulmans. Aujourd'hui, ce ne sont pas seulement des cimetières islamiques mais des lopins
de terrain réservés aux inhumations des populations de confession musulmane, juive,
bouddhiste...
La circulaire de 1991 étend désormais son champ d'application «aux personnes de nationalité
étrangère souhaitant que leurs défunts soient inhumés sur le sol de la société d'accueil». Les
musulmans pourront ainsi, selon la tradition coranique, se faire enterrer la tête tournée vers La
Mecque, puisque «l'orientation des tombes dans une direction déterminée» est autorisée par la
circulaire. Néanmoins, contrairement aux pratiques courantes dans les pays musulmans,
«l'inhumation directement en pleine terre et sans cercueil ne pourra être acceptée» (pour des
raisons d'hygiène).
Pour ce qui est de l'inhumation sur le sol français, le seul obstacle à l'application du rite
musulman est qu'elle ne respecte pas le repos perpétuel des défunts. Comme la mise en terre
en direction de La Mecque, il est de la liberté de chacun de faire effectuer la toilette du mort par
un imam selon le rite, de même que la prière sur le mort qui ne pose aucun problème quant à
son application. Enfin, enterrer le corps à même le sol en islam a pour but d'assurer une
dégradation rapide du corps, qui doit ensuite se mélanger à la terre, dans une perspective de
retour au lieu d'origine, ou encore de processus le plus naturel possible ; mais il est également
considéré que le corps ne doit pas être écrasé par la terre, de peur qu'il ne soit endommagé.
C'est pourquoi les musulmans le protègent d'une dalle. Compte tenu de cela, le cercueil
n'apparaît plus trop étranger au rituel islamique et peut être compris comme une étape dans
cette protection du corps. Rapatrier les défunts dans les pays d'origine représente un certain
coût. La solution est l'ouverture de cimetières musulmans régionaux, voire
départementaux, territoires d'enracinement qui réunissent les familles musulmanes de
France et créeraient une mémoire collective pour les générations à venir.
Certes, la volonté de rassembler les tombes musulmanes d'une part, l'exigence de perpétuité
d'autre part, sont des motivations religieuses, mais il y en a d'autres, culturelles et
sociopolitiques. Le fait même qu'une partie de plus en plus large de la population
musulmane s'intéresse à une solution sur le sol français peut signifier une «intégration
réelle».