
Mais  voilà  qu'au  cours  de  l'année  2012,  j'apprend  par  l'intermédiaire  d'un  nombre  grandissant  de 
reportages écrits et audiovisuels diffusés au Brésil et à l'étranger, que le berceau de la samba carioca 
n'est  plus  la  Praça  Onze,  mais  un  rocher,  situé  en  bordure  du  port  et  au  pied,  la  Pedra  do  Sal. 
Enregistrée  à  la  liste  du  patrimoine  culturel  de  l'Etat  de  Rio  depuis  1984  en tant  que  monument 
historique et religieux, rappelant le passé esclavagiste de la ville ainsi que l'importance de l'héritage 
culturel apporté par les africains dans la définitionde l'identité brésilienne, la Pedra do Sal est devenue 
en l'espace de quelques mois un espace de référence dans le paysage du tourisme musical de la ville. 
Quant à la Praça Onze, elle ne gardera dès lors qu'une partie de sa légitimité, celle du quartier du 
carnaval qui reçoit aujourd'hui la grandiloquence des spectacles des écoles de samba, là où il y a un 
siècle, défilaient les premières occurrences de ce qu'on appellera à partir des années 1930, le carnaval 
de Rio de Janeiro. 
Ce que je propose de retracer sous forme d'une communication lors du colloque du mois d'avril, c'est 
l'histoire au temps court d'un espace musical en départage ; le processus de scission entre un territoire 
qui serait celui du carnaval, et un territoire qui serait celui de la samba. La présentation de ce cas 
d'étude sera la plus courte possible afin de laisser le temps à une mise en perspective sur les deux 
questionnements suivants. 
Premièrement, le  constat  qui  sous-tend  celui  d'une  géographie  des  espaces  de  la  musique  carioca 
historique, comme celle que j'ai présentée succinctement dans ces lignes, c'est que la samba ne peut 
pas être jouée partout. Si des quartiers, des lieux, des places publiques et des monuments historiques 
lui sont affectés pour qu'elle puisse avoir lieu, tandis que d'autres ne parviennent pas à exister comme 
des espaces de musique, c'est qu'il existe des « conditions de félicité » pour qu'un espace puisse être 
investi de samba, et même de samba « authentique ». Je me placerai ici du point de vue des musiciens 
et de leur musique enregistrée sur le terrain (qui sera diffusée pendant la communication) pour tenter 
de comprendre en quoi un espace urbain peut-il déterminer la façon de jouer un répertoire dit de « 
samba des racines ». Ce premier point sera l'occasion de dresser un bref aperçu de la façon dont les 
sciences  de  la  musique  (musicologie,  ethnomusicologie  et  anthropologie  de  la  musique)  pensent 
l'espace urbain comme une donnée influente sur la matière musicale (et ce d'un point de vue autre 
qu'acoustique). 
Deuxièmement, une approche comparative de mes deux terrains de recherche – à savoir celui de la 
Praça  Onze  et  celui  de  la Pedra  do  Sal  -  autorise  à  se  poser  la question  de  ce  qui  distingue une 
recherche sur un territoire « qui existe » sur une carte (un rocher) d'un autre qui « n'existe pas » (une 
place publique détruite, ou un quartier « affectif »). Nous verrons que dans un cas comme dans l'autre, 
si l'on choisit d'adopter une approche non pas strictement représentationnelle de l'espace, mais plutôt 
une approche qui se place du point de vue des modes d'existence (Souriau, Latour) d'un lieu, d'un 
quartier,  d'un  rocher,  d'une  place  publique,  la  question  de  la  matérialité ou  de  l'identification  des 
contours de cet espace ne se posent plus ; en tout cas, elle ne se pose plus en termes de difficultés à la 
définition d'un « terrain ». Cette accroche au terrain par les acteurs qui le disent et (donc) qui le font 
pose enfin la question traversant l'ensemble du colloque de l'avenir des frontières disciplinaires. Elle se 
pose aussi dans le cas des disciplines dites « de l'espace » et de celles qui s'intéresse à la musique, 
science du temps et du diffus. 
 
 
AUTHIER J-Y, BACQUÉ M-H et GUÉRIN-PACE F, Le Quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et 
pratiques sociales. La Découverte, 2007. 
DESROCHES Monique (et al.) Territoires musicaux mis en scène. PU de Montréal, 2011. 
GOFFMAN Ervin. Les rites d’interaction. Les Editions de Minuit, Paris, 1974. 
GOODMAN Nelson, Manières de faires des mondes. Folio Essais, Paris, 2006 
GUIU Claire, 2006, « Géographie et musiques : état des lieux », Géographie et cultures, n°59, pp. 7-27. 
LABORDE, Denis. La Mémoire et l’Instant. Les improvisations chantées du bertsulari basque, Bayonne, Elkar, 
2005 
LABORDE, Denis. Identifier, enquêter, analyser, conserver : Tout un monde de musiques, Paris, L’Harmattan, 
1996. 
LABORDE, Denis. « A etnomusicologia serve ainda para alguma coisa ? » Musica em contexto. Brasilia, 2008, 
n°1 
LATOUR, Bruno et HERMANT, Emilie. Paris Ville Invisible. La Découverte, 2007 
LATOUR, Bruno. Enquête sur les modes d'existence : une anthropologie des Modernes, La Découverte, 2012.