APPROCHE DIFFERENTIELLE DE LA SANTE DES ADOLESCENTS: LE VECU DU JEUNE ET LA PERCEPTION DU MEDECIN M. CHOQUET *, S. LEDOUX *, H. MENKE Institut national de la santé et de la recherche médicale - unité 169 - 16, avenue PaulVaillant Couturier, 94807 Villejuif Cedex. L'état de santé de l'adolescent est encore peu connu. Population à faible taux de mortalité (Kaminski, Bouvier-Colle, Blondel)' et de morbidité déclarée (Hatton, Garros, Tiret)', à faible taux de consommation médicale et de dépenses médicales (Credoc, Deschamps, Michaud, Martin, Jeanneret) ', elle fait peu fréquemment l'objet d'enquêtes systématiques dans la population. Néanmoins, plusieurs enquêtes récentes, dont les principales sont relatées dans ce fascicule, ont porté, en France sur des populations partielles, permettant de mieux connaître par exemple la santé des élèves de LEP (Erard), des jeunes chômeurs (Zmirou et Balducci), des jeunes d'une tranche d'âge (Bourderioux, Trilhe). Par ailleurs, d'autres études françaises ont porté sur des pathologies spécifiques et fréquentes à l'adolescence comme par exemple les accidents (Tursz, Manciaux, Kaminski)', le suicide ou la tentative de suicide (Davidson, Philippe, Choquet, Courtecuisse) ', la consommation de drogues licites ou illicites (voir chapitre sur ce sujet), la maternité précoce (Deschamps, Geadah)', la santé dentaire (Beau, Pemm)', l'anorexie mentale et l'obésité (Jeammet, Kestemberg, Brusset) ', la psychopathologie (Lebovici, Jeammet, Braconnier, Marcelli) 1 ... . Si dans plusieurs enquêtes les perceptions des adolescents et de leur santé sont abordées (Deschamps, Michaud, d'Houtaud), on a trouvé peu d'études qui mettent en évidence les concordances (ou les discordances) entre les perceptions du sujet et celles du médecin d'un même objet : la santé de l'adolescent, les problèmes de santé et la prise en charge. L'enquête longitudinale, effectuée par lINSERM (Choquet, Ledoux, Menke) entre 1983 et 1985 permet d'aborder ce sujet. On se propose en particulier d'approfondir : 1) le comportement différentiel'par sexe face à la consultation médicale ; 2) l'état de santé des adolescents, tel qu'il est perçu par le médecin. Une attention particulière sera portée aux différences entre les sexes et à la prise en charge de ces problèmes de santé des adolescents ; 3) les concordances entre la perception du médecin des troubles psychosomatiques de l'adolescent et celle de l'adolescent lui-même. METHODOLOGIE * Un échantillon représentatif d'élèves de première année de CAP et seconde indifférenciée a. été constitué dans deux zones déterminées. Deux villes de taille moyenne ayant les caractéristiques suivantes, ont été choisies : ne pas constituer des zones à problèmes (toxicomanie, alcoolisme, délinquance) ; s'opposer du point de vue sociodémographique (une zone industrielle, une zone tertiaire) ; avoir une infrastructure scolaire suffisante (lycées classiques, modernes, techniques, lycées professionnels ; enseignement public et privé) ; être en dehors d'une zone d'attraction importante (par exemple près d'une grande ville qui absorberait une quantité importante d'élèves, ce qui expliquerait la fuite de certains) ; avoir une adhésion totale des chefs d'établissements, du personnel administratif, médical et paramédical (ceci afin de favoriser les prises en charge d'une enquête aussi lourde et répétée)'. Au total, 327 élèves ont été suivis de 16 à 18 ans. Le plan de l'enquête est le suivant questionnaires personnels sur 1983- 1984- 1985 examen médical et entretien individuel : 1985 Elèves suivis TOTAL N = 327 Examen Médical : Durée 3/4 d'heure à une heure dans le Cabinet médical scolaire effectué par Médecin enquêteur spécialiste des adolescents. (médecin scolaire ou hospitalier). Questionnaire standardisé à questions fermées, élaboré avec le médecin scolaire RESULTATS 1 -Le comportement différentiel par sexe face à la consultation médicale (Tableau I) Les filles consultent, en moyenne, plus que les garçons. Déjà à16 ans, cette différence est significative (65 % des filles contre 51 % des garçons ont consulté au moins une fois le médecin durant l'année; 13 % des filles contre 7 % l'ophtalmologiste; 7 % contre 3 % le dermatologue ; 57 % contre 41 % le dentiste). Entre 16 et 18 ans, l'écart entre les sexes a tendance à augmenter. Ainsi à 18 ans, 84 % des filles (contre 52 % des garçons) ont consulté le médecin généraliste au moins une fois dans l'année; 29 % des filles (contre 3 %) l'ont consulté au moins quatre fois. Au total, 83 % des garçons et 89 % des filles ont vu un médecin au moins une fois durant l'adolescence. Mais 17 % des garçons et 11 % des filles ne l'ont pas consulté durant ces trois ans. On note la fréquentation importante du dentiste puisque environ un garçon sur deux et deux filles sur trois y vont au moins une fois par an ; 14 % des garçons et 23 % des filles le consultent au moins quatre fois dans l'année. La consultation du gynécologue augmente sensiblement entre 16 et 18 ans. A 18 ans, une fille sur quatre le consulte au moins une fois dans l'année. i Tableau I : La consultation médicale et son évolution durant l'adolescence Consultation Garçons 16 ans 17 ans 18 ans Généraliste 1 /an et + 4/an et + Ophtalmologiste 1/an et + 4/an et + Dermatologue 1/an et + 4/an et + Dentiste 1/an et + 4/an et + Gynécologue 1/an et + 4/an et + Filles (%) 16 ans17 ans 18 ans 51 9 55 5 52 3 65 18 73 17 84 29 7 - 14 - 16 - 13 1 26 0,6 22 - 3 0,6 8 0,6 6 0,6 7 l'q 12 1,2 14 l'q 41 13 47 14 51 14 57 29 57 23 64 23 7 1 15 2 23 3 2 - L'état de santé des adolescents (Tableaux Il, III, IV) La majorité des jeunes s'estiment en bonne santé (96 % des garçons et 90 % des filles), mais la pathologie observée par le médecin n'est pas négligeable. En effet (voir tableaux 11, 111, IV), on note que, selon le médecin, 6 % ont une maladie chronique ou un handicap, 7 % une cardiopathie, 5 % de l'asthme, 1 % des troubles auditifs, 27 % des problèmes de vision, 13 % des troubles orthopédiques, 8 % une hyper- ou une hypotension artérielle, 3 % ont fait une tentative de suicide. Par ailleurs, 30 % ont de l'acné, 14 % des problèmes d'alJergie, 45 % des céphalées, 36 % des lombalgies ou dorsalgies, 22 % des troubles du sommeil. Selon les types de troubles pris en considération, les différences par sexe sont plus ou moins importantes. Ainsi, il n'y a pas de différence entre les garçons et les filles pour les maladies graves (maladies chroniques, cardiopathies, asthme, troubles auditifs, troubles orthopédiques), mais une différence très nette pour les troubles fonctionnels (les filles ont plus souvent des céphalées, lombalgies, gastralgies, troubles du sommeil, malaises ou évanouissements), ainsi que pour les caries dentaires, les problèmes de vision (les filles en ont plus) et les maladies infectieuses (les garçons en ont plus souvent). Au total, les filles semblent donc en moins bonne santé que les garçons et se perçoivent elles-mêmes comme plus fragiles. En effet, 19 % des filles contre 6 % des garçons estiment avoir une santé Quant à la prise en charge des problèmes de santé, elle diffère - Pour les maladies aiguës, chroniques ou graves, la prise en charge est élevée (tableau 11). Plus de 80 % d'adolescents consultent en cas de maladies infectieuses, de problèmes de vision, de maladies chroniques ou handicaps de cardiopathies d'asthme de troubles auditifs ou de caries dentaires Pour les maladies ou troubles plus diffus ou à intensité plus variable (tableau III), la prise en charge est plus faible: un sur deux environ consulte pour des allergies, des acnés, des mycoses, des troubles orthopédiques ou respiratoires, de la tension artérielle). - Pour les troubles fonctionnels, la prise en charge est faible. En effet, les céphalées, les lombalgies, les gastralgies, les troubles du sommeil, les malaises ou évanouissements, donnent rarement lieu àune consultation médicale (dans un cas sur sept). A trouble égal, les garçons consultent encore moins que les filles. Tableau II: Résultats de l'entretien médical Age moyen des sujets : 18 ans, 2 mois Prise en charge médicale Pathologie Maladies infectieuses durant l'année Problèmes de vision Maladies chroniques ou handicaps Cardiopathies Asthme Troubles auditifs Caries dentaires f 45% G > F 27% F < G 6% 7% 5% 1% Moyenne F > G 4,2 dents par sujet 82% (77 % G 86%F) p < 0,01 88% (90 % G 86%F) Tableau III: Résultats de l'entretien médical Age moyen des sujets 18 ans, 2 mois Prise en charge médicale Pathologie Acné, mycoses, eczéma Allergies Troubles orthopédiques Tension artérielle Troubles respiratoires 30 % 14% 13 % 8% 10 % 45% (44 % G 45%F) F>G Tableau IV: Résultats de l'entretien médical Age moyen des sujets: 18 ans, 2 mois Prise en charge médicale Pathologie Céphalées Lombalgies dorsalgies Gastralgies Troubles du sommeil Malaises, évanouissements Tentative de suicide 45% 36% F>G F>G 22% 22% 11% F>G F>G F>G 3% F>G 14% (9 % G-18%F) P < 0,01, suivi médical ou psychologique pour 1 sur 5 3 - Les concordances entre la perception du médecin et celle de l'adolescent à propos des troubles fonctionnels (Tableau V) A l'âge de 18 ans, l'autoquestionnaire et le questionnaire médical comportaient tous les deux des questions sur la fréquence des troubles fonctionnels, tels que les céphalées, les lombalgies ou dorsalgies, les troubles du sommeil, les malaises et évanouissements. On note dans l'ensemble une sous-estimation des troubles par le médecin. Ainsi, parmi les jeunes qui évoquent, dans leur autoquestionnaire, des maux de tête, un sur deux seulement est identifié par le médecin comme ayant des céphalées. Il en est de même pour les malaises, les lombalgies ou dorsalgies, les troubles du sommeil. Pour la plupart des troubles, la sous-estimation est plus importante pour les garçons que pour les filles : ainsi, quand ils déclarent dans le questionnaire individuel souffrir de lombalgies ou dorsalgies, seulement 38 % sont identifiés par le médecin comme ayant ces troubles (contre 60 % parmi les filles). Une exception pourtant : les troubles du sommeil. Pour ces derniers, la sous-estimation existe dans la même proportion pour les garçons que pour les filles. Plusieurs facteurs permettent d'expliquer ces discordances. Le sujet peut, dans une situation de face-à-face médicale, moins verbaliser, les troubles qui n'ont pas de réalité objective à ce moment et qui expriment un malaise général sont parfois difficiles à admettre face àun professionnel. Le médecin peut aussi avoir des difficultés à aborder ces troubles et à les considérer comme tels. Il serait intéressant d'approfondir les raisons de cet état de fait. Une enquête, projetée en collaboration avec une équipe de cliniciens (Enquête INSERM (Choquet, Ledoux, Menke) - Université de Lille (Parquet, Bailly, Meurisse) permettra de comparer les perceptions réciproques du médecin et du jeune quant à la consultation médicale. Tableau V: Concordance entre le questionnaire médical et le questionnaire personnel Parmi les jeunes qui évoquent dans le questionnaire personnel Céphalées Lombalgies, dorsalgies Troubles du sommeil Malaises, évanouissements Identification du trouble par le médecin Garçons Filles 45% ** 64% 38% ** 60% 29% NS 31 % 50% ** 68% CONCLUSION 1. Les filles ont en moyenne plus de troubles que les garçons, surtout : - problèmes de vision - problèmes dentaires - hypotension; - troubles fonctionnels - TS. Mais les garçons ont plus de - maladies infectieuses - accidents. 2. La consultation est plus élevée parmi les filles que parmi les garçons. A trouble égal, les garçons consultent en moyenne moins que les filles. 3. Environ un jeune sur cinq n'est pas pris en charge pour les pathologies graves ou les maladies aiguës. La majorité des jeunes ne sont pas pris en charge pour les troubles fonctionnels, pourtant la pathologie la plus fréquente durant l'adolescence. 4. Les malaises que les jeunes évoquent dans leurs autoquestionnaires (et surtout les troubles du sommeil) ne sont identifiés par le médecin que dans un cas sur deux environ. Difficulté du jeune à parler ??? Malaise du médecin à aborder le sujet ??? 5. Les garçons parlent moins volontiers de leurs troubles fonctionnels que les filles. Difficulté du garçon à parler de ses problèmes personnels ??? Des troubles jugés comme typiquement féminins ??? * On tient à remercier très vivement les chefs d'établissements, le personnel administratif, le personnel médical et paramédical des établissements publics et privés de Fontenay-le-Comte (Vendée) et Saint-Dizier, On tient à remercier plus particulièrement le Dr. Tessier, médecin scolaire à Fontenay-le-Comte, qui a établi le questionnaire médical.