Maladies sexuellement transmissibles (1ère partie)
par Eric Caumes*, Gorette Dos Santos**
*médecin infectiologue, hôpital Pitié Salpétrière, **médecin généraliste.
Cet article aborde en particulier la démarche diagnostique et thérapeutique de
l'ulcération génitale et du bubon inguinal. La conduite à tenir face à l'urétrite
masculine, à des leucorrhées, à une tuméfaction scrotale sera proposée dans une
prochaine édition de Développement et Santé.
1. Généralités
Les maladies sexuellement transmissibles (MST) sont des maladies infectieuses
dues à des agents microbiens qui se transmettent exclusivement ou principalement
par les rapports sexuels. Il s'agit de bactéries, virus, parasites et champignons qui
peuvent être associés entre eux à des degrés divers (une MST peut en cacher une
autre). Les MST se manifestent par une atteinte de la sphère génitale et/ou par une
infection généralisée. La gravité des MST est liée à la virulence de certains des
agents responsables, à la longue durée d'incubation, au potentiel contagieux, à la
méconnaissance fréquente de l'infection permettant une évolution à bas bruit et à
l'absence de traitement. Chez la femme, Chlamydia trachomatis est à l'origine de
stérilité, et les papillomavirus à l'origine des cancers du col utérin. Les MST peuvent
aussi se transmettre au foetus (syphilis congénitale) ou au nouveau-né lors de
l'accouchement par voie basse (formes néonatales d'herpès, de conjonctivite et de
pneumonie). Les virus sexuellement transmissibles sont responsables de maladies
sévères par leur virulence (VIH et Sida, VHB et hépatite chronique) et leur potentiel
oncogène (EBV et lymphomes, HPV et carcinome utérin, VHB et hépatocarcinome ...
).
Dans les pays en développement, les MST sont un problème majeur de santé
publique, non seulement par leur gravité, mais aussi par leur plus grande fréquence.
Les prévalences sont élevées pour beaucoup des MST les plus graves : 5 à 10 %
pour les gonococcies, 10 à 20 % pour la syphilis, 5 à 20 % pour Chlamydia
trachomatis. Quant à l'infection par le VIH, les séroprévalences peuvent dépasser 50
% dans certaines zones d'Afrique et dans certains groupes de population. Il existe
une interaction entre les MST (qu'elles soient à l'origine d'ulcération génitale ou non)
et l'infection par le VIH, les MST facilitant la transmission du VIH et augmentant son
potentiel contagieux. La prévention de l'infection par le VIH bénéficie donc de la
prise en charge et de la prévention des MST.
Le diagnostic des MST est rendu difficile par la grande fréquence des formes
asymptomatiques et paucisymptomatiques. Le défaut de personnel et de laboratoire
qualifié dans les pays en développement complique encore le diagnostic des formes
symptomatiques et justifie une approche syndromique des MST. L'OMS distingue
plusieurs syndromes cliniques : urétrite, cervicovaginite, ulcération génitale, bubon,
orchi-épididymite, pelvipéritonite... Les démarches diagnostiques et les algorythmes
varient selon le syndrome clinique et la disponibilité des examens complémentaires
(spéculum, examen microscopique direct, culture). Cette approche syndromique est
discutée mais a éutilisée avec succès en milieu rural en Afrique, limitant à moins
de 5 % le recours à un niveau de soins supérieur à celui des infirmiers.
Le traitement des MST est toujours double concernant le patient et son (ses)
partenaire(s). Les infections bactériennes, parasitaires et fongiques sont accessibles
à des traitements simples. Mais les traitements de la gonococcie et du chancre mou
sont de plus en plus coûteux du fait de la résistance croissante aux antibiotiques
d'anciennes générations. En Asie et en Afrique, dans certains pays, la résistance du
gonocoque dépasse 50 % pour les cyclines et les pénicillines et commence à
émerger pour les fluoroquinolones. Pour la plupart des infections virales, ou bien il
n'existe pas de traitement efficace, ou s'il en existe, le coût est encore prohibitif.
La prévention des MST est simple : abstinence sexuelle, fidélité réciproque ou usage
de préservatifs. Mais l'adoption de pratiques sexuelles " sans risque" est difficile. La
seule MST prévenue par la vaccination est l'hépatite B.
Il. Ulcération génitale
Y penser devant
une perte de substance cutanéo-muqueuse unique ou multiple localisée aux organes
génitaux externes ou internes.
A confirmer par
l'examen clinique, avec palper protégé, qui précise les caractères sémiologiques de
l'ulcération.
L'interrogatoire précise les circonstances d'apparition de l'ulcération, ses modalités
évolutives, la présence de symptômes chez le(s) partenaires) sexuel(s), les
antécédents...
En rapport avec
- La syphilis primaire, d'incubation longue, de 10 à 100 jours (en moyenne 3
semaines). L'ulcération génitale est souvent décrite comme superficielle, propre et à
surface indurée. La syphilis primaire est confirmée par l'examen direct au
microscope à fond noir (mise en évidence de tréponèmes) et les résultats du TPHA-
VDRL répété à 15 jours d'intervalle (séroconversion, ascension du titre du VRDL
quantitatif aux examens successifs).
- Le chancre mou, d'incubation courte (3 à 7 jours). Il existe des ulcérations
cutanées à distance du chancre et surtout une adénopathie inguinale inflammatoire
(bubon), fluctuante, se fistulisant spontanément à la peau en un seul pertuis. Le
diagnostic de chancre mou est difficile (cf. bubon inguinal).
- L'herpès génital, évoqué sur la notion d'épisodes antérieurs identiques, la
présence d'ulcérations génitales nombreuses (5 ou 6), groupées en bouquets, mais
l'Herpes simplex virus (HSV) peut également être à l'origine d'une ulcération
chancroïde. L'herpès est idéalement confirmé par la culture virale, la présence du
virus étant révélée par l'observation d'un effet cytopathogène caractéristique. En cas
d'ulcération génitale, il s'agit habituellement d'un HSV de type 2. L'examen direct
d'un frottis de raclage de la lésion génitale (cytodiagnostic de Tzanck) est sensible.
Le sérodiagnostic manque de spécificité (grande fréquence de la présence des
anticorps sériques anti HSV 1 dans la population générale), à moins d'utiliser des
techniques spécifiques de HSV1 et HSV2 mais l'intérêt diagnostique de la sérologie
est faible.
- La donovanose, évoquée sur la notion de jour en pays d'endémie et sur la
présence d'une ulcération unique en plateau. Le diagnostic de la donovanose
repose sur l'examen direct qui met en évidence la présence de corps de Donovan.
- La maladie de Nicolas et Favre, évoquée sur la notion de séjour en pays
d'endémie, se révèle plus souvent par une adénite inguinale, le chancre d'inoculation
passant inaperçu (cf. bubon inguinal).
Pour en savoir plus
Le diagnostic positif d'une ulcération génitale est clinique. Chez la femme le
diagnostic est plus difficile que chez l'homme car les lésions peuvent siéger au
niveau des organes génitaux internes. Le drainage lymphatique est fonction du
siège de l'ulcération : inguinal si vaginal, pelvien profond si cervical. Ainsi
l'ulcération profonde peut passer inaperçue : la syphilis primaire et le chancre mou
sont plus facilement diagnostiqués chez l'homme que chez la femme.
Les étiologies infectieuses dominent. Herpes simplex virus, Treponema pallidum,
et Haemophilus ducreyi sont les 3 agents pathogènes les plus fréquents à l'origine
d'une ulcération génitale d'origine infectieuse. Leur répartition respective est
variable d'une région du monde à une autre. Le diagnostic microbiologique est utile
mais les approches syndromiques à partir d'algorithme décisionnel sont de pratique
courante (Cf.algorythme). Les étiologies des ulcérations génitales peuvent être non
infectieuses : ulcération caustique, mécanique, physique; aphtose génitale
(habituellement associée à une aphtose buccale dans la maladie de Behçet) ;
tumeur génitale (souvent d'origine cancéreuse) ; localisation à la muqueuse
génitale d'une taxidermie.
Traitement
1. Syphilis primaire
benzathine benzylpénicilline (Extencilline®)
2,4 M Ul en IM (1 injection),
ou bénéthamine pénicilline + pénicilline G (Biclinocifline® ) : 1 M UI/j en IM x 14 j,
ou, en cas d'allergie à la pénicilline :
doxycycline : 100mg x 2/j per os pendant 15 j ou éventuellement (car moins efficace)
érythromycine (Erythrocine®) : 1g x 2/j per os pendant 15 j.
2. Chancre mou
macrolides : éryhromycine (Erythrocine®)
1g x 2/j per os pendant 7 j,
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