Parmi les prédicateurs de l’Avent, saint Bernard de Clairvaux est probablement
l’un des plus grands. Vous connaissez peut-être le Sermon sur les trois
avènements du Christ dans lequel Bernard, s’adressant à ses fils moines,
distingue trois avènements pour le Christ :
-le premier dans l’humilité de la chair à Bethléem,
-Le troisième dans la gloire au Jour dernier,
-Et entre les deux le deuxième à chaque fois que le moine laisse résonner la
Parole de Dieu dans son cœur.
La liturgie de ce jour nous parle de ces trois avènements, mais peut-être plus
des deuxième et troisième, le premier viendra plus tard dans la seconde partie
de notre Avent quand nous nous rapprocherons de Noël. Pour le moment ce
n’est pas encore à Noël que nous nous préparons mais au retour glorieux du
Christ ainsi qu’à sa venue, aussi discrète que fréquente, dans notre vie de
chaque jour.
L’Evangile évoque en termes apocalyptiques ce retour du Christ dans la gloire,
avec des images de phénomènes cosmiques auxquelles la liturgie nous habitue
depuis quelques semaines : La semaine passée c’était les étoiles qui tombaient,
cette semaine c’est le fracas de la mer et des flots. Mais le signe, le grand signe
est le signe du Fils de l’homme : « Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans
une nuée, avec puissance et grande gloire. » Paul lui-même dans sa première
Lettre aux chrétiens de Thessalonique, le plus ancien de tous les écrits
chrétiens, évoque aussi ce retour du Christ, qui vient avec tous les saints, c’est-
à-dire escorté de toutes celles et ceux qui ont cru en lui et ont témoigné sans
peur de sa résurrection.
Le premier avènement est beaucoup moins présent dans les textes de ce
dimanche. Juste un court oracle du prophète Jérémie : « En ces jours-là, en ce
temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le
pays le droit et la justice. » Un oracle messianique dans lequel la tradition
chrétienne a très tôt reconnu la naissance, discrète, cachée, comme un germe,
vous avez déjà vu une jeune pousse au printemps, ça ne fait pas de bruit et
pourtant c’est que réside la promesse de la moisson, la naissance cachée,
dans la crèche de Bethléem, de Celui en qui nous reconnaissons le Prince de la
Paix.
Le second avènement n’est pas directement évoqué par les textes et c’est
normal car, selon saint Bernard, il se réalise à chaque fois que nous accueillons
la Parole de Dieu comme une Parole vive, qui nous touche et nous met en
mouvement. Bernard reconnait dans ces mouvements suscités par l’accueil de
l’Ecriture, de la parole dans le cœur croyant, la visitation de la Parole, avec un
grand P, la visitation du Verbe de Dieu qui n’est autre que le Christ, qui nous
visite et nous parle, aujourd’hui, réellement, quand sa Parole est proclamée
dans l’assemblée des croyants. Et que nous dit-il, aujourd’hui ce Verbe de Dieu
qui nous parle dans l’Ecriture ? Il nous dit comment nous comporter alors que
nous sommes dans ce temps très particulier compris entre la venue du Christ
dans la chair, sa Passion et sa Résurrection et son retour en gloire. L’avent ainsi
a pour fonction de nous apprendre à habiter chrétiennement le temps qui
nous est donné. Le temps chrétien n’est pas un temps indéterminé, c’est un
temps enserré, enchâssé entre le premier et le troisième avènement du Christ,
c’est-à-dire un temps marqué du sceau de l’attente. Nous tenons cette attitude
de nos frères juifs, le peuple juif est un peuple qui attend. Nous sommes aussi
un peuple qui attend mais nous connaissons celui que nous attendons parce
que nous attendons celui qui est déjà venu et dont nous fêterons à Noël la
venue parmi nous…et dont nous attendons le retour. Quelles conséquences
concrètes le fait d’être un peuple qui attend-a-t-il pour nous chrétiens ? Les
textes de ce dimanche qualifient très précisément cette attente :
Il s’agit d’une attente vigilante, priante et aimante
Une attente vigilante : « Restez éveillés » nous dit Jésus. Les disciples de Jésus
ont quelque chose en commun avec la sentinelle. Comme chrétiens, nous ne
pouvons jamais être en repos…. Car notre mission est de discerner dans
l’histoire, dans notre histoire ce que le Concile Vatican II appelait les signes des
temps, les multiples signes du Royaume qui vient. C’est peut-être plus
nécessaire que jamais dans les temps troublés que nous vivons. Une vigilance
qui nous appelle au discernement ; dans un monde marqué par la violence,
discerner les signes de l’amour à l’œuvre, envers et contre tout, ces germes du
Royaume pour reprendre l’image de rémie et en même temps ne pas nous
laisser happer par les multiples idéologies dominantes qui voudraient toutes
faire de nous un peuple somnolent. Idéologies un peu plates du Vivre ensemble
comme de manière symétrique les idéologies délétères du repli sur soi ! La
vigilance et la prière sont les conditions nécessaires pour que nous demeurions
des hommes et des femmes debout nous dit Jésus : « Restez éveillés et priez en
tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de
vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Une attente priante : « Restez éveillés et priez en tout temps ». Paul reprendra
ce « Priez sans cesse » de Jésus un peu plus loin dans la Lettre aux
Thessaloniciens. Oui si nous sommes des êtres d’attente, nous sommes aussi
des êtres de désir d’autant plus que nous connaissons celui que nous désirons,
celui qui seul pourra combler notre désir, et si nous sommes vraiment des êtres
de désir, nous languissons de son absence, comme un amant languit après sa
belle quand elle tarde. Le psaume 62 dit cette attente, ce désir de manière
probablement indépassable : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube :
mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans
eau. » La prière est l’expression de ce désir de tout l’être, du cœur comme de
l’intelligence comme du corps lui-même. Comme une terre aride, altérée =,
sans eau. L’avent nous est donné pour raviver notre désir de la Visitation de
Dieu dans notre cœur, dans notre tête, dans notre corps et la prière est à la fois
la conséquence de notre désir et le lieu irremplaçable où il se renouvelle.
Prions donc pendant l’Avent, prions en particulier avec les prophètes, dont
Isaïe, le grand prophète de l’Avent, prions avec Jean Baptiste, l’ami de l’Epoux,
dont toute la vie a été consommée par le désir du Christ, prions avec Marie qui
a accueilli la Parole de Dieu à une telle profondeur que la Parole, le Verbe a fini
par prendre chair en elle. Isaïe, Jean Baptiste et Marie seront cette année
encore les trois grands compagnons que la liturgie nous donne sur notre
chemin d’Avent, trois maitres exceptionnel pour nous aider dans la prière !
Une attente aimante. L’attente chrétienne est tout sauf passive, Paul nous le
dit magnifiquement dans l’extrait de la lettre aux Thessaloniciens que nous
avons entendu : « Frères, que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de
tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui
que nous avons pour vous. » Chez Paul, l’amour fraternel est la manière de se
préparer à la venue, au retour du Christ. Juste après avoir invité les chrétiens
de Thessalonique à vivre dans l’amour fraternel, il leur parle en effet du retour
du Christ : « Et qu’ainsi il (Le Seigneur, NDLR) affermisse vos cœurs, les rendant
irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre
Seigneur sus avec tous les saints. Amen » L’amour, concret, pour les frères de
la communauté, ceux qu’on n’a pas choisis mais qui nous sont donnés est la
condition, la seule allais-je dire, la voie royale, la seule manière de se préparer
au retour du Christ, donc la manière chrétienne d’habiter le temps qui nous est
donné.
Voilà donc, frères et sœurs, si nous accueillons, vraiment cette Parole entendue
aujourd’hui dans la liturgie comme une Visitation du Christ lui-même, la
manière qui nous est proposée d’habiter chrétiennement le temps qui nous est
donné. Attendre mais pas comme on attend Godot ou comme l’attente vide du
Désert des Tartares mais une attente vigilante, une attente priante et surtout,
surtout une attente aimante. Bon avent !
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