CEFOCOP Promotion 2005-2007 Fiche de lecture Février 2006
A L’ECOLE, SOCIOLOGIE DE L’EXPERIENCE SCOLAIRE
FRANÇOIS DUBET ET DANILO MARTUCCELLI
1
1- Présentation des auteurs
François Dubet est professeur de sociologie à l’Université de Bordeaux et directeur
d’étude à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages
sur les mouvements sociaux, les problèmes urbains, la marginalité juvénile, la délinquance,
l’école, la socialisation, le travail et la théorie sociologique. Ses travaux portent actuellement
sur les théories et les sentiments d’injustice.
Danilo Martuccelli est chargé de recherche au CNRS. Ses travaux portent
essentiellement sur la théorie sociale et la sociologie politique mais aussi sur des thèmes plus
spécifiques comme l’école, le racisme ou le populisme.
A l’école, sociologie de l’expérience s’inscrit dans la suite logique de Les lycéens de
François Dubet publié en 1991, en allant plus loin car les auteurs s’intéressent à l’ensemble du
système scolaire depuis le primaire jusqu’au lycée. A travers cette recherche, F. Dubet
s’appuie sur sa théorie de la sociologie de l’expérience afin de montrer les différentes étapes
de la construction de la subjectivité de l’élève, thème auquel est associé D. Martuccelli qui
s’intéresse à la construction de l’individu dans la société moderne.
2- Présentation générale de l’ouvrage
L’objectif de ce livre est de répondre à la question « Que fabrique l’école ? » (p 11).
L’école est ici considérée comme un « appareil de production » (p 11) produisant des acteurs
sociaux et des sujets. Cette question se pose alors que l’école comme institution formant des
acteurs sociaux adhérant aux normes et des « sujets autonomes et critiques, des citoyens
rationnels et libres » (p 12) disparaît au profit d’une école ressemblant à un marché se joue
des stratégies visant à s’approprier des qualifications scolaires plus ou moins rares. Dans ce
contexte, l’apprentissage de rôles sociaux clairement établis ne fait plus sens dans une société
en continuel changement. C’est la capacité à maîtriser l’expérience scolaire qui importe, c’est-
à-dire à combiner les différentes logiques du système scolaire entre elles, à savoir :
« l’intégration de la culture scolaire, la construction de stratégies sur le marché scolaire, la
maîtrise subjective des connaissances et des cultures qui les portent. » (p 13).
Pour répondre à cet objectif, une recherche empirique a été menée sur trois ans dans
différents niveaux (primaire, collège, lycée général et technologique, lycée professionnel) et
sur différents acteurs (élèves, enseignants, parents d’élèves et spécialistes de l’enfance et de la
jeunesse, tels que les psychologues scolaires, CPE et COP). De plus, il s’est révélé important
de comparer des établissements au recrutement issu de milieu populaire et ceux issu des
2
couches moyennes. Pour cette recherche, il a donc été constitué quatorze groupes afin de
respecter toutes les variables. La méthode utilisée est l’intervention sociologique mettant le
groupe dans une situation de parole face à des interlocuteurs (chercheurs, étudiants,
parents…) dans le but de faire émerger les expériences du groupe mais aussi de les pousser à
produire une analyse sur leurs expériences. De plus, des entretiens individuels ont aussi é
conduits.
La première partie de l’ouvrage montre qu’à partir des mutations de l’école
(massification) mais aussi des mutations de la société (chômage, inadéquation emplois /
diplômes), on ne peut plus considérer l’école comme une institution. Autrement dit, elle ne
peut plus remplir ses trois fonctions principales, à savoir : « une fonction de distribution » (les
diplômes comme positionnement hiérarchique), « une fonction éducative » et « une fonction
de socialisation » (p 23-24). Aujourd’hui la socialisation ne peut plus être le seul résultat
d’une transmission de valeurs et de normes par l’école, mais la manière dont l’individu
construit ses expériences scolaires c’est-à-dire, sa capacité à s’adapter à son environnement et
sa capacité à s’individualiser, à devenir un sujet autonome. En conséquence, la sociologie
classique ne peut plus rendre compte des processus de socialisation. Le concept d’expérience
scolaire permet par contre d’appréhender la manière dont les acteurs combinent les « diverses
logiques d’actions » qui structure le monde scolaire qui sont : « l’intégration » (l’appartenance
sociale), « la stratégie » (l’école perçue comme un marché), et « la subjectivité » (la capacité à
se former comme sujet) ( p 62-65).
Les trois parties suivantes vont décrire et analyser les expériences scolaires des élèves, des
enseignants et des parents d’élèves aux niveaux du primaire, du collège et du lycée. Quant à la
dernière partie, elle positionne la sociologie de l’expérience scolaire dans l’histoire de la
sociologie de l’éducation. Il en ressort que la formation des acteurs sociaux est double.
D’abord, « c’est une socialisation dans laquelle les individus intériorisent des normes et des
modèles » (p 327), ensuite, c’est une subjectivation les individus prennent une distante par
rapport à ces modèles. Or, ces deux processus ne sont pas vécus dans la continuité mais sont à
la source de tensions, de contradictions que l’élève doit intégrer dans son expérience. Ainsi, il
n’existe pas une trajectoire scolaire mais des trajectoires.
L’expérience des écoliers semble vécue sur un fort principe d’intégration. Le principe de
socialisation domine le principe de subjectivation. Le primaire se présente donc comme un
monde de conformisme et uniforme du côté de tous les acteurs. A ce niveau l’école remplit le
3
rôle de l’institution. S’il y a individuation, elle se construit sur le mode du rejet à travers la
moquerie.
A cet espace unifié du primaire, le collège apparaît comme éclaté. Tout d’abord, l’autorité
ne va plus de soi, le statut de professeur ne suffit plus à installer l’ordre, il doit y aller de sa
personnalité. Ensuite, le sens des études est absent de l’expérience des collégiens. Enfin, la
culture adolescente s’érige soit contre la culture scolaire soit en dehors. Le « bon collège »
apparaît comme le lieu de tensions et de contradictions que les élèves tentent de réduire au
moyen de la face. Cependant, ces tensions entre la vie scolaire et la vie sociale semblent plus
atténuées étant donné la continuité entre le milieu culturel et la culture scolaire. Les collégiens
de cet établissement présentent un rapport à l’école très utilitariste. Les identifications sont
directement liées aux jugements des catégories scolaires donnant une image de soi très
négative aux mauvais élèves de cet établissement sans autres recours possibles. Dans
« l’établissement populaire », les modèles de performance scolaire et d’études longues sont
les mêmes que dans le « bon collège », cependant, la distance entre le monde scolaire et le
monde social amène les élèves à résister à l’école. Cette résistance s’exprime au travers de la
frime (mécanisme cristallisé de la face) et n’est pas sans souffrance car il leur est difficile de
mettre en place des projets d’avenir et un vide se fait ressentir. Les élèves se trouvent aliénés
au système scolaire qui ne leur donne pas d’autres moyens de subjectivation que les
catégories scolaires. Ainsi, au collège, l’expérience se complexifie et est dominée par des
clivages autant du côté des élèves que du côté des professeurs.
L’entrée au lycée se singularise par le jeu des orientations qui marque une sélection des
plus performants et rejette les autres selon une hiérarchie fine des filières de formation.
L’expérience lycéenne devient de plus en plus complexe. La finalité des études apparaît plus
claire et le projet devient central. Les contextes et les parcours scolaires se diversifient,
notamment en fonction du milieu social. Les auteurs relèvent différentes figures lycéennes en
fonction du milieu social. Elles se caractérisent par un rapport différent aux études et à l’école
et rendent compte d’un processus de subjectivation différent. Le lycéen tente de se construire
comme sujet selon différentes modalités, cela peut être par l’école ou en dehors de celle-ci
(les petits boulots). Autant le lycéen peut devenir un sujet autonome, autant il peut être aliéné
par la culture scolaire. C’est cette partie sur l’expérience lycéenne qui fera l’objet d’une
analyse plus détaillée dans la partie suivante.
La dernière partie de cet ouvrage relate la place de la sociologie de l’expérience scolaire
au sein de l’histoire de la sociologie de l’éducation. Trois grands moments rendent compte de
4
l’évolution de la sociologie de l’éducation. Le premier, sous le modèle de la « paideia
fonctionnaliste » (p 304) décrit les différentes fonctions de l’école. L’école doit permettre
l’intégration des nouvelles générations dans la continuité sociale au moyen de l’accès à
« l’universel de la science et de la raison » (p 304). L’école a pour rôle de sélectionner les
plus performants (méritocratie) et enfin, l’école se doit d’accompagner le développement
psychique et moral de l’individu (construction d’un sujet critique). Suite à la massification de
l’enseignement, ce modèle s’est montré critiquable à plusieurs niveaux. Tout d’abord, la
culture n’est pas neutre, elle ne fait que refléter la distribution des pouvoirs dans la société
(Bernstein). Deuxièmement, la démocratisation scolaire n’a fait qu’apparaître une école
renforçant les inégalités sociales (Boudon). Enfin, l’école ressemble plus à un appareil de
contrôle qu’à un système rendant les sujets plus autonomes (G. Vincent). A ces critiques, un
contre-modèle se basant sur la théorie de la reproduction s’est construit (Bourdieu et
Passeron). Ces dernières années, les auteurs remarquent un déclin de la critique. Aucun
nouveau modèle intégré ne se construit. Des études plus microsociologiques viennent
alimenter la critique en étudiant un aspect spécifique des inégalités scolaires (l’effet des
politiques publiques, l’effet établissement, l’effet classe…). La sociologie de l’expérience
scolaire peut donc apparaître comme un nouveau modèle car même s’il s’agit de partir de la
subjectivité des acteurs, elle nous renseigne sur des mécanismes objectifs qui constituent le
système scolaire.
3- Analyse d’une partie : L’expérience lycéenne.
Par rapport au collège, l’expérience lycéenne se complexifie. La multiplication des filières
rend compte de trajectoires différentes en fonction des individus. Le lycée peut être pour
l’élève le moment de construction de sa subjectivité comme il peut être vécu comme le
sentiment de sa destruction et de son incapacité. Malgré la diversification des expériences, les
auteurs relèvent quatre types de figures lycéennes qui ne sont pas évidemment exhaustives.
Ces figures se présentent comme une hiérarchie entre ceux qui maîtrisent leurs expériences
scolaires et ceux qui sont aliénés à celle-ci.
Pour les « vrais lycéens » (p 256), les études vont de soi. Il y a une grande continuité entre
leur culture sociale et la culture scolaire. Leur vie juvénile correspond aux aspirations
culturelles de l’école, ainsi, les loisirs ne sont qu’un espace de plus investi pour améliorer
leurs performances scolaires. Cependant, la compétitivité peut se révéler très stressante pour
ces élèves. Pour les « bons lycéens » (p 257), futures classes moyennes, les études prennent
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !