Première leçon : Introduction à la réflexion philosophique et au cours de philosophie Qu’est-ce que la philosophie ? Comment philosopher, qui peut philosopher ? Pourquoi philosopher ? Mais qu’est-ce qu’un cours de philosophie ? « Philosopher, c’est résister ! » I. Qu’est-ce que le cours de philosophie ? 1. Son objectif (ou ses objectifs) 2. Ses moyens 3. Sa finalité 4. Les obstacles 1. L’objectif principal et les objectifs secondaires du cours de philos. en terminale *Apprendre à rédiger une dissertation ou une explication de texte, exercices canoniques du baccalauréat. Savoir-faire, technique à maîtriser. * Le devoir porte sur des notions définies dans un programme et implique de s’appuyer sur des auteurs, également cités dans le programme. *Apprendre à bien poser un problème à partir d’une question qu’il faut décoder, à raisonner de façon cohérente et rigoureuse pour aboutir à une réponse suffisamment justifiée pour répondre à la question. Utilité (au sens d’utilitaire) de ce savoir-faire transférable dans toutes les autres disciplines et intérêt d’avoir une culture philosophique minimale pour se « distinguer » dans la société. Le baccalauréat institué sous Napoléon, est indissociable d’une culture philosophique. Ce n’est pas une exception française mais une tradition dans tous les pays européens où « les humanités » furent à la base de la culture savante. 1 2. Ses moyens et ses outils pédagogiques L’épreuve de philosophie au bac : une dissertation ou une explication de texte au choix en quatre heures sans aucun document. 3 sujets au choix : 2 sujets de dissertation portant sue les notions étudiées, une explication de texte d’un extrait d’une œuvre d’un auteur figurant dans la liste du programme. Coefficient : 4 en ES, 3 en S, 2 en STG Liste des notions et des auteurs : voir livre Un cours est annuel : c’est l’organisation voulue par le prof. de toutes les questions en rapport avec le programme. Une leçon est une partie du cours qui est consacrée à une question liée à une ou plusieurs notions. Une séance ou séquence est le découpage dans la durée et selon l’emploi du temps : deux heures ou une heure. Les leçons traitent des notions sous forme de problèmes, c’est-à-dire de questions qui impliquent plusieurs réponses, selon les perspectives philosophiques. Ce qui caractérise une question philosophique : elle fait débat entre plusieurs approches fondées sur des principes différents, souvent opposés et incompatibles. Toute leçon doit donner lieu à une prise de notes : plan, principaux arguments, raisonnement, références. !!!!! Le livre : les textes lus en classe ou conseillés. L’apporter à la demande, l’utiliser comme outil de perfectionnement personnel. Les recherches, le travail personnel : d’une séance à l’autre pour préparer la leçon, ou pour la comprendre. Questions au brouillon, lectures, recherches sur internet, revues, émissions radio ou TV. Elles font partie intégrante du travail demandé et sont parfois notées, de toute façon évaluées dans les appréciations. Les questions en classe, posées au professeur ou les discussions. Elles font partie intégrante du travail collectif, elles exigent de l’attention et la capacité d’écouter les autres. Très bon indicateur de la qualité du travail de la classe. Les lectures conseillées, parfois avec fiches de lecture, ou libres sont absolument nécessaires à la progression de chaque élève. 2 Les devoirs maison ou en classe : sont des exercices nécessaires qui n’ont aucun intérêt s’ils ne sont pas le produit d’un effort intellectuel personnel. Les devoirs corrigés et leurs corrigés écrits sont à conserver et à relire. Au moins un devoir long par mois et dans la mesure du possible des exercices une fois par semaine. Le CDI offre des documents utiles et intéressants en philosophie, sciences humaines et sociales, histoire, art, religions, sciences et épistémologie. Voir aussi la presse, les revues : Philosophie magazine, le magazine littéraire, sciences humaines, La recherche, sciences et avenir etc. 3. La finalité du cours de philosophie Finalité : but ultime qui donne le sens et la valeur d’un parcours. Le cours de philosophie a pour ambition de permettre à l’élève d’acquérir des méthodes d’analyse et de réflexion pour mieux conduire sa pensée et exercer son jugement de façon plus critique. L’utilité propre à chacun : exercer son intelligence naturelle, résister à tout ce qui lui fait obstacle afin de mieux penser. Apprendre à bien penser. Non plus « à quoi ça sert », au sens utilitaire, mais en vue de quel perfectionnement de soi? 4 . Les obstacles à surmonter pour s’exercer à philosopher vraiment : La maîtrise insuffisante de la langue La subculture ambiante : cupidité, vulgarité, facilité etc. La culture personnelle insuffisante Le système scolaire en crise : inadaptation de l’unité classe, de l’emploi du temps, des locaux etc. La difficulté des textes philosophiques, de l’exercice de la dissertation Mais qu’est-ce que la philosophie ? Peut-on définir La philosophie ? Ou ce qu’est-ce que c’est que de philosopher ? 3 Intermède : Exercice d’application : Qu’est-ce que, comment et pourquoi philosopher ? ! Remarque : La philosophie, substantif est devenue le verbe philosopher. Pourquoi ? Un substantif désigne une chose déjà réalisée, un verbe désigne une action en train de se faire. (Question grammaticale : enjeu philosophique) Si la philosophie est un savoir, ou un ensemble de théories, qu’il suffit d’apprendre c’est une histoire des idées, des doctrines des philosophes, on peut alors se demander à quoi elle peut servir, sauf à donner une culture générale. La question de son usage se pose alors, à quoi cela sert-il de savoir ce que pensait Platon ou Aristote, s’il ne s’agit que de répéter, Platon dit que… ? La valeur et l’intérêt des pensées laissées par les philosophes et les penseurs ne viennent que de la lecture et de l’interprétation que nous en faisons, que chacun peut faire pour lui-même. Lire un texte de Platon, c’est s’efforcer de le comprendre, donc de le faire sien ou au contraire de comprendre pourquoi, décidément il ne peut entrer dans notre façon de voir. Mais, si les œuvres des « grands philosophes » sont comme des nourritures spirituelles, elles ne sont pas les seules nourritures de notre esprit (entendons par là notre capacité de penser de façon critique et réflexive). Tout ce qui nous est présent à l’esprit et que nous sommes capables d’analyser pour le comprendre afin d’en rendre raison et de le juger est matière à philosopher : exemple ? Cette activité accessible à tous les hommes sains peut aussi leur être utile, « en fin de compte », « finalement », c’est-à-dire, « tout bien considéré ». Si l’on tient compte de ce que représente un être humain, la vie d’une personne, de vivre comme un être humain et non comme une bête de somme ou un mollusque accroché à son rocher au gré des courants, alors il faut 4 accepter d’envisager l’utilité à long terme de l’exercice de la philosophie, comme on investit à long terme pour tout apprentissage. La nature de ces exercices est telle qu’elle implique le dialogue entre des individus conscients, responsables et de bonne volonté, courtois les uns envers les autres, respectueux de la liberté de penser et d’exprimer ce qui est pensé, individuellement et collectivement, ce qui n’interdit nullement de s’y opposer mais sans intention de réduire à néant la pensée refusée. Qu’est-ce que la philosophie = Réponse par leçon magistrale Cours ex cathedra Comment philosopher ? que faire ? Action, acte de : Confronter sa pensée, penser contre et/ou avec : - la réalité - la réalité et la pensée des autres Faire l’exercice de passer du « je dis que », qui s’avère souvent un « on pense que » vers un « je sais ce que je pense », et « je comprends ce que tu penses » donc finalement, voilà ce que nous pensons. Deux pensées à méditer : « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine » Montaigne « On n’apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher ». Kant II. Qu’est-ce que philosopher ? 1) Définition par l’étymologie 2) -Définition comparative 3)-Définition par l’essence ou la nature Question en elle-même déjà philosophique : comment définir quelque chose, qu’est-ce donner une définition ? (Socrate) Ce n’est pas seulement décrire un aspect, énumérer des cas particuliers, ni même donner quelques propriétés. Il 5 s’agit d’atteindre la nature même de ce que l’on cherche à connaître, d’en saisir la raison profonde, ce qui le fait exister, ce qui le détermine à être. - 1) Définition par l’étymologie : Philosopher, du grec philein aimer, désirer, tendre vers et sophia, sagesse, savoir théorique et pratique, savoir que et savoir comment. On a une piste : ceux qui ont choisi de se consacrer à la philosophie, les philosophes, cherchent à atteindre une perfection du savoir et du savoir vivre. Donc ils ont conscience de leur imperfection, c’est la différence avec les sagesses « orientales » qui enseignent une voie à suivre. Un maître a déjà fait le chemin et il faut l’imiter. C’est aussi l’enseignement des religions révélées et messianiques, une voie est donnée, il faut la suivre. Philosopher, c’est chercher sa propre voie, compter sur ses propres forces intellectuelles, sur son seul jugement. -2. Définition comparative : ce que le philosophe n’est pas. Il n’est pas parfaitement sage, il n’est pas dans l’extase, la pure contemplation, ce n’est pas un mystique qui verrait directement la vérité absolue ; il résiste à ces formes d’exaltation qui peuvent être dangereuses (sectes, fanatisme). C’est un chercheur qui ne se satisfait pas des réponses immédiates, faciles, miraculeuses. Donc c’est un esprit critique. Mais est-ce à dire qu’il ne vise aucune connaissance stable, aucune réponse ? C’est un vrai problème pour définir la nature de l’acte de philosopher. Est-ce tout remettre en question et relativiser toutes les pensées ? Ou bien est-ce critiquer les pensées aveugles en vue d’atteindre une pensée « éclairée » sinon lumineuse ? Les penseurs « sceptiques » « relativistes » sont ceux qui ne croient pas dépasser l’exposé des points de vue différents. Il n’y a que des manières de penser, des opinions relatives aux individus, aux groupes. Elles expriment des manières d’être, de vivre, de ressentir les choses. L’homme est la mesure de toutes choses disait Protagoras. Par la voix de Socrate, personnage principal de ses dialogues, Platon oppose le relativisme d’opinions à la recherche d’une vérité unique et universelle. Les relativistes sont des philodoxes, des amants de l’opinion (doxa), seuls les chercheurs de vérité sont des philosophes, des amants de la sagesse ( sophia). Avant de porter un jugement, essayons de comprendre l’enjeu de cette opposition. Socrate fustige les relativistes qu’il appelle des sophistes. Le terme prête à confusion car le sophos est justement celui qui est détenteur d’un savoir. Mais de quel savoir les « sophistes » tels Protagoras ou Gorgias sont-ils détenteurs ? Ce sont des maîtres d’opinion et de savoir technique. Ils savent tout ce qui se pense dans la société et ils savent comment s’y prendre pour agir 6 sur l’opinion publique. On pourrait les comparer aux conseillers en communication auprès des hommes politiques. D’ailleurs l’une des fonctions principales des « maîtres d’opinion » est de former l’élite politique des cités grecques. Le contenu de la pensée est finalement indifférent, seule compte la manière de l’exprimer pour l’emporter sur la place publique. La philosophie serait réduite à une simple rhétorique, un art du discours. Le but serait de persuader le plus grand nombre pour qu’il adhère sans réfléchir aux propos qui sont aussi des propositions de pensée et d’action. On peut néanmoins réhabiliter ces philosophes relativistes mais il faut alors leur attribuer un autre pouvoir que celui de séduire un auditoire crédule. Il faut leur reconnaître un pouvoir de critique des traditions, de remise en question des croyances, et surtout d’animation du débat d’idées. Philosopher c’est essentiellement débattre de question que se posent les hommes de façon cruciale et qui ne peuvent être réglées sans discussion. 3. Définition par l’essence ou la nature (on appelle essence ou nature de quelque chose ce qui la fait exister telle qu’elle est, ce qui lui donne ses propriétés et ce qui permet de la comprendre dans son principe). Philosopher c’est résister à la bêtise, exercer son jugement, s’interroger, réfléchir de façon critique sur tout ce qui intéresse notre humanité, c’est confronter sa pensée à celle des autres non pour vaincre et dominer mais pour avancer vers une meilleure compréhension de soi et du monde. S’aider pour ce faire des œuvres des philosophes en leur prenant ce qu’elles ont de meilleur pour nous. Exercice du jugement : s’engager, résister, chercher, critiquer ; raisonnement et réflexion critiques (autoréflexion) : s’interroger ; porter un jugement de valeur, un jugement esthétique en les justifiant, après réflexion ; discours : parler, écrire pour autrui, donc argumenter, chercher à convaincre par des arguments fondés en raison, s’adresser à l’intelligence rationnelle des autres, viser la plus grande universalité possible. Débattre pour poser des problèmes, tracer des problématiques, montrer des enjeux. Dialoguer en permanence avec les autres et avec l’autre qui est en soi-même. 7 « Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre » dit Montaigne en s’adressant au lecteur au début des Essais, et il lui conseille ironiquement de ne pas perdre de temps à le lire. Pascal, dénonce le « sot projet de Montaigne de se peindre lui-même », il n’avait pas été sensible à l’ironie du propos. Comme Socrate, Montaigne se présente dans sa singularité mais c’est pour atteindre à travers sa personne, sa façon de penser et d’exister, ses sentiments, ce qui est propre à tout homme. « Certes, c’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l’homme ». Donc, Montaigne est un bon exemple de ce que fait un philosophe authentique, il s’examine mais cherche en lui-même ce qui est humain car, comme l’a dit le poète latin Terence : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». L’universel est présent en chaque homme. Tout homme sain d’esprit est apte à philosopher, il est philosophe en puissance. Mais il ne suffit pas d’avoir des aptitudes, il faut passer à l’acte. Devenir philosophe en acte. II. Comment philosopher ? Qui peut philosopher ? 1. Comment ? La réponse à la question comment philosopher dépend de celle faite à la question pourquoi. Tout d’abord il s’agit de déterminer un rapport entre la fin et les moyens. Si je sais ce que je vise dans l’exercice philosophique, je chercherai les moyens appropriés à la fin. 1°) Si je cherche seulement à donner le change et à avoir une bonne note, les moyens seront techniques : je chercherai des modèles à imiter, je peux même reproduire une pensée toute faite de façon assez habile. Je fais alors un calcul et je raisonne selon un impératif hypothétique : « si tu veux une bonne note, suis les règles indiquées… » La philosophie n’a pas plus de valeur qu’un concours de jet de crachats, il suffit d’arriver à une certaine habileté et d’assurer une réussite régulière. 2°) Au contraire, si je cherche un intérêt propre : faire une expérience intellectuelle en vue d’une meilleure compréhension de ma culture, d’une maîtrise du jugement critique, d’une forme de lucidité nouvelle, alors je dois trouver ma voie dans les exercices proposés. L’idéal est de s’inventer librement ses propres exercices, de se donner des recherches à faire. Figures imposées et figures libres, comme dans la danse. Il faut faire des gammes pour jouer d’un instrument de musique mais celui qui 8 croirait que le plaisir de jouer est dans l’exercice des gammes serait un sot. Toute la difficulté est de ne pas se rebuter devant la difficulté et la répétition. Il faut de l’humilité et de la bonne volonté avant de pouvoir improviser librement. 2. Qui peut philosopher ? Toute personne qui ose le faire. Il faut donc une étincelle, le désir d’échapper au « cirque » médiatique, de faire le premier pas hors de la société de consommation. Tout homme peut en principe s’intéresser aux questions propres à l’humain : qu’est-ce que je suis ? Quelle différence entre un chimpanzé et un enfant ? Jusqu’où s’étendent les connaissances humaines et que valent-elles ? Comment vivre ensemble ? Qu’est-ce qui est bien et qu’est-ce qui est mal ? etc. Mais s’intéresser suppose un acte de la pensée, tourner sa pensée vers un objet de réflexion, lui consacrer de l’attention, du temps, faire un effort intellectuel. Tout homme sain est capable de philosopher, c’est un philosophe en puissance, cela n’implique nullement qu’il passe à l’acte. Devenir philosophe en acte exige un engagement personnel, un désir et une volonté de mener une recherche sur des questions qui seront bien posées, élucidées et exprimées en des termes rationnels. Dans certains pays, la France, L’Espagne, le Portugal, le Brésil, l’Italie, la philosophie est au programme de l’enseignement secondaire. Dans les pays anglo-saxons, Royaume Uni, Allemagne, Etats-Unis c’est une spécialisation de l’enseignement supérieur. Au fond, c’est toujours une possibilité qui est offerte à un nombre plus ou moins grand, mais on ne peut obliger personne à réfléchir, à penser. On peut conditionner les esprits pour les empêcher de penser, jamais on ne peut les forcer à user librement de leur jugement. 3. Pourquoi ? (finalité : « en vue de quoi ? ») Comment peut-on s’intéresser à la philosophie ? Ou bien on croit naïvement qu’il y a des cours intéressants par eux-mêmes, ce n’est pas faux mais c’est relatif, ce qu’on trouve intéressant dépend de l’époque, du public, des circonstances. Ecoutez une conférence de Jean-Paul Sartre qui fut une vedette de la philosophie existentialiste, un ténor de la philosophie engagée, elle est très datée. Ce qui fait l’intérêt de ces discours c’est aussi les réactions suscitées, c’est comme on dit, un climat, une époque. Une classe c’est aussi un climat, un moment qui est fait par le système des 9 élèves et des professeurs. Un cours n’est pas la distribution d’un savoir tout fait, c’est un événement qui met à l’épreuve les participants. Que signifie s’intéresser à quelque chose ? Le verbe est réflexif, il s’agit donc d’abord de l’action du sujet. S’intéresser a un tout autre sens que : être intéressé. Etre intéressé c’est trouver son intérêt, c’est-à-dire, penser avoir un intérêt à faire quelque chose, recevoir en échange. On retrouve la première hypothèse, la philo obligatoire, il faut faire quelques exercices formels et en échange recevoir une note, bonne si on fait « ce qui est attendu ». S’intéresser c’est donner une valeur à ce qui retient notre attention, par exemple un programme de TV que nous choisissons, nous ne zappons pas. Mieux s’intéresser c’est désirer entrer dans un échange, dans une discussion à laquelle nous nous intéressons nous voulons avoir notre mot à dire, nous voulons écouter et être écouté. Etymologie : inter-esse : être parmi, être avec les autres, participer au processus de la pensée, par l’échange des idées, la discussion, les objections, l’argumentation, la recherche d’une cohérence et finalement de ce qui peut s’accorder, faire sens, ou, si c’est possible saisir ce qui fait que les choses sont ainsi. Il faut retenir que l’intérêt a plusieurs sens, qu’il peut signifier donner de la valeur, juger valable ou au contraire il peut s’opposer à la valeur au sens supérieur et signifier ce qui nous rapporte de l’intérêt, ce qui conforte notre égoïsme. La philosophie est souvent rejetée par ceux qui cherchent d’abord un intérêt au sens le plus étroit et égoïste parce qu’elle passe par la remise en question de sa propre pensée, par l’autocritique, et cela est difficile, amer, ne fait pas plaisir. L’intérêt au sens supérieur (la philosophie utilitariste) s’oppose à l’égoïsme, signifie ce qui nous est vraiment utile, notre utile propre (donc utile universellement). Mais nous confondons souvent ce qui est réellement utile et ce que nous croyons utile sur le moment. Ex : tricher pour avoir une bonne note sans se fatiguer. Est intéressant ce qui nous touche, nous attire, nous captive, nous prend, on dit que c’est passionnant. Il faut aussi être méfiant, captiver a la même étymologie que captif, être prisonnier. On peut croire qu’il est plus intéressant de sortir s’amuser dans des bars que de lire des livres ardus, mais s’amuser, se divertir n’est-ce pas une façon de se fuir ? 10 Pascal nommait cela le divertissement. Cependant il vaut mieux aller se distraire en boîte ou à la plage que de se distraire de façon apparemment sérieuse, dans les sciences, la philosophie ou ces choses très savantes et sérieuses, si on les fait seulement pour briller, réussir, « se la jouer ». Comme Pascal disait que l’éloquence se moque de l’éloquence, on peut dire que la philosophie (engagée, personnelle) se moque de la philosophie (de salon, frimeuse, prétentieuse). Philosopher est un art qui s’acquiert. Lire ; écouter ; discuter ; poser des questions ; écrire ; chercher résister à la paresse d’esprit A la question pourquoi et comment philosopher, il y a au moins deux réponses possibles de nature différente : - Ou bien, c’est une matière d’examen obligatoire, il faut donc sacrifier à l’exercice de la dissertation. (fin externe, fixée par d’autres) - Ou bien, les questions posées font écho aux problèmes de l’existence humaine tels que chacun en fait l’expérience. (finalité interne, propre au sujet) *Si la vie était simple, facile et heureuse… le cerveau humain serait moins compliqué. *Si les connaissances satisfaisaient pleinement la raison, les hommes s’en contenteraient, la question pourquoi n’aurait pas de sens. *Si les hommes se comprenaient spontanément eux-mêmes, chacun voyant clair en lui-même, ils sauraient comment vivre. *Or il y a des normes, des règles morales, mais elles se contredisent et surtout elles sont inefficaces, « je vois le meilleur et je fais le pire ». *Or il y a des théories scientifiques, des technologies très performantes, mais aucune réponse unique à la question : comment se fait-il que nos calculs correspondent à la réalité physique ? *Or les hommes continuent de ne pas comprendre ce qu’il leur arrive quand ils tombent malades, quand ils meurent. Pourquoi vivons-nous, que faisons-nous de notre vie, que sommes-nous, que reste-t-il de nous ? Les romans, le théâtre, le cinéma, tous les arts et aussi les religions offrent des modèles, des symboles, mais la philosophie invite à concevoir clairement et distinctement l’étendue de ces questions. Dans quel but ? Mieux vivre, être en accord avec sa propre pensée, comprendre ses limites et ne plus se faire d’illusion pour jouir de la réalité, de sa propre réalité. 11 Pourquoi les sociétés dynamiques et libres ont-elles toujours favorisé la philosophie ? Pourquoi les dictatures, les régimes totalitaires, l’absolutisme, les pouvoirs théocratiques ont-ils toujours cherché à limiter ou empêcher la liberté de discussion philosophique ? La liberté de pensée stimulée par les œuvres philosophiques est dangereuse pour toute forme d’autorité fondée sur la force, la domination. La philosophie est dangereuse pour les ennemis de la liberté ; par conséquent, les philosophes peuvent risquer leur vie ou être inquiétés pour leurs idées. Les exemples ne manquent pas. Est-ce toujours vrai ? Partout où les Lumières de la raison sont menacées ou même voilées c’est vrai. Dans les pays « libres », c’est-à-dire livrés à la foire d’empoigne des intérêts commerciaux et monétaires, le danger est d’une autre nature. La pensée réflexive, cultivée et critique est tournée en dérision. « Disneyworld » ou « gogoland » veulent du temps de cerveau disponible, « amusez-vous », on pense pour vous ! CONCLUSION Philosopher c’est, entre autres choses telles l’art, les voyages intelligents, l’observation des hommes sans préjugés, une manière de résister à la bêtise qu’engendre nécessairement tout système social et qui nous menace tous. . 12 Deuxième leçon : réfléchir à partir d’une définition problématique « La philosophie n’est pas un temple mais un chantier » Georges Canguilhem Qu’est-ce que c’est « La philosophie » ? La Philosophie en personne serait-elle une déesse ou un philosophe ? Ce serait Le philosophe, comme on appelait Aristote1 au Moyen-âge : « Le Philosophe ». I. Analyse de la sentence : tableau dichotomique. TEMPLE CHANTIER Application à la philosophie : Philosophie-monument Philosophie-chantier Commentaire : Cette hypothèse, que La philosophie puisse être incarnée dans la personne d’un philosophe, ou, parce qu’il est mortel, déposée dans un Livre, pourquoi est-elle irrecevable ? 1 Chercher biographie et bibliographie succinctes. 13 Si vous n’avez pas d’idée, pensez à d’autres formes de spiritualité qui sont incarnées dans un être et transmises à partir d’un Livre, Le Livre sacré. Réponse : Considérer La philosophie comme quelque chose de sacré, une pensée qu’il faudrait révéler comme une vérité religieuse c’est s’interdire l’accès à l’activité de réflexion philosophique. II. Philosopher ou chercher une vérité : exercice zététique Faire, être actif par la pensée, s’exercer à réfléchir qu’est-ce à dire ? Nous n’allons pas apprendre La philosophie, comme un savoir tout fait, une vérité déjà établie qu’il s’agirait de répéter. Nous allons apprendre à philosopher. Nous allons essayer de construire une démarche de recherche en nous posant des questions que nous n’avons pas l’habitude de nous poser. Essayer c’est s’efforcer de faire un effort intellectuel parce que ce n’est pas spontané, ce n’est pas notre façon habituelle de penser. Il s’agit d’entraîner notre esprit à fonctionner autrement, à ne plus enchaîner mécaniquement, automatiquement les opinions, les réactions affectives, à ne plus croire immédiatement ce qui est perçu comme évident. Donc apprendre à conduire un certain type d’investigation, comme un policier peut chercher des indices et utiliser toutes sortes de techniques pour élucider une affaire criminelle. En l’occurrence, l’affaire criminelle qui va nous occuper est la mort de l’esprit, le crime contre votre intelligence perpétré par un système social qui, semblable au Dieu Cronos de la mythologie grecque, dévore ses enfants. L’homme est né libre et apte à réfléchir, à se poser des questions. Or le système d’intégration sociale détourne en permanence les capacités des individus pour se développer. Toute l’intelligence, la créativité humaine est en permanence asservie à la production de « biens » de consommation qui sont aussitôt transformés en marchandises. La seule finalité du système est d’accélérer le processus du « toujours plus ». 14 Philosopher c’est résister, c’est dire non à l’asservissement de l’intelligence critique, non à la négation de son désir propre d’exister et de construire son propre chemin. C’est très difficile parce que toute activité fait partie du système. Par exemple l’école, le lycée, l’Université ou les médias. III. La pensée a toujours déjà commencé. Il n’y a jamais de « première fois », c’est une illusion, toutes nos expériences supposent que nous avons déjà vécu et acquis des connaissances. Il n’y a pas de table rase, nous partons toujours de quelque chose. N.B : l’idée d’un commencement absolu, à partir de zéro est un préjugé religieux : la création du monde, de la nature à partir de rien. Création ex nihilo. C’est impensable, on ne peut absolument pas se le représenter. Si je dis que quelque chose commence à partir de maintenant, je dois poser artificiellement un point mathématique qui coupe la durée continue du temps. Comme le départ d’une course. Mais il y a toujours des événements avant, la préparation, le positionnement « prêt » etc. 1. Les idées reçues ou pensées préreflexives Personne n’est un parfait innocent, ingénu, c’est-à-dire un imbécile qui ne se serait jamais interrogé sur lui-même, sur les autres etc. Qui n’a jamais été saisi d’un doute existentiel ? Qui ne s’est jamais posé de questions morales sur la validité d’un jugement : bien ou mal ? En outre, le fait d’avoir acquis des connaissances, certes assez générales, sur un certain nombre de faits naturels ou sociaux, donne à penser pour soi-même. Enfin, le fait de vivre avec les autres dans un rapport contradictoire, perturbant sur le plan émotionnel et affectif nous conduit parfois à analyser nos comportements et à nous interroger sur notre « humanité ». Donc il y a bien un terreau et des germes pour faire pousser de belles pensées réflexives, donc très philosophiques. La condition sine qua non pour ce faire : Avoir le courage de se servir de son propre entendement. 15 2. Penser par soi-même : user de son propre entendement Penser par soi-même, ce qui ne veut pas dire ne rien lire, ne rien écouter etc, mais s’efforcer de ne pas reproduire des idées toutes faites, des truismes, des banalités, des idées reçues, des préjugés, quels qu’ils soient. Deux exercices : -Lire et analyser un texte -Chercher des exemples d’idées reçues ou de préjugés « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières» Explication d’un texte de Kant. Lisons et analysons le petit texte de Kant2 (Qu’est-ce que Les Lumières ? un article de 1784) I. 1. 2. 3. 4. II. Questions : Comment caractériser l’état de tutelle d’après le texte ? Pourquoi les hommes sont-ils responsables de leur état de tutelle ? Quand un homme devient-il naturellement autonome ? Pourquoi, d’après Kant, la maturité intellectuelle des hommes n’est-elle pas aussi simple à acquérir que la maturité physique ? Exercice d’analyse Définissez et distinguez les termes suivants : Opinion ; idée reçue ; préjugé ; croyance ; autres termes appartenant au même champ sémantique ? Cherchez des exemples d’idées reçues (voir Flaubert, Le dictionnaire des idées reçues) ou de préjugés, non seulement chez les autres mais dans votre façon de penser la moins réfléchie. 3. Comprendre les origines de notre culture : 4 piliers de la culture « occidentale » : L’antiquité grecque : la tragédie, la philosophie, les mathématiques, la démocratie. Le christianisme : La Bible à la lumière de Platon et d’Aristote 2 Chercher biographie et bibliographie succincte. 16 Les Lumières : la révolution galiléo-newtonienne, les droits de l’homme, l’Etat et la Révolution. La pensée contemporaine : La relativité de l’espace-temps, Auschwitz et Hiroshima. Comparer ces modèles avec d’autres : Chine, Confucius, taoïsme, Inde : brahmanisme, bouddhisme etc. Mais il ne s’agit pas de faire une sorte d’histoire des idées ou de se contenter d’une vague culture générale. Il est nécessaire d’avoir quelques références essentielles parce que constitutives de notre culture, donc de notre pensée. Quand bien même ces pensées qui nous viennent de loin, des mythes les plus anciens, opèrent de façon inconsciente en nous. Par exemple, les mythes de l’amour qui viennent des hérésies chrétiennes, des cathares et du platonisme ou encore le mode de penser manichéen, forces du mal contre force du bien etc. Que faire de ces références qu’il vaut mieux reconnaître (comme il est préférable de savoir d’où viennent les aliments que nous ingérons). D’où viennent les idées, les sentiments, les façons de penser qui déterminent notre manière de voir le monde et donc aussi d’y prendre part ? Ce que nous appelons « notre identité » qu’est-ce que c’est de quoi est-ce fait ? On s’intéresse beaucoup à la génétique et très peu à l’anthropologie culturelle, à l’histoire. Or ce qui importe est-ce ce dont nous sommes faits, notre héritage, génétique ou culturel ou bien ce que nous, nous en faisons? 4. La liberté de penser N’est-il pas naïf de croire que nous sommes immédiatement et sans aucun effort, seuls maîtres et créateurs de nos pensées ? Que notre liberté de penser s’exprimerait dès que nous parlons, que dire « je pense que » « mon avis » etc., serait la marque évidente de notre indépendance intellectuelle ? La première étape pour acquérir une méthode de réflexion, pour philosopher vraiment de façon rigoureuse et constructive consiste à faire l’inventaire de ses idées et sentiments en vue d’un tri. Autrement dit de prendre conscience de tous ce qui meuble ou remplit notre esprit et de juger du bien-fondé, de la valeur de l’intérêt que nous lui portons après un examen serré. C’est ce qu’on 17 nomme critique. Avoir l’esprit critique c’est avoir l’esprit d’examen, d’analyse, de recherche : connaître de façon précise et claire, distinguer et évaluer. Qu’est-ce qu’une pensée critique ? L’étymologie du mot critique peut nous renseigner. C’est un verbe du grec ancien : krinei qui a des sens multiples. On trouve la même racine dans critère. Au sens propre : séparer l’épi de la tige qui l’enveloppe. Le bon grain de l’ivraie. Séparer les guerriers par tribus. Donc le premier sens est trier, distinguer les choses, les distribuer selon des qualités différentes mais aussi inégales. Donc séparer et juger ; Chez les philosophes Platon et Aristote, le verbe prend un sens intellectuel : juger, décider, trancher des questions morales, du bien et du mal, du vrai et du faux. Le terme a aussi un sens juridique : juger, rendre une décision, condamner, interpréter. Il faut donc retenir : que critiquer ne veut pas dire dénigrer ou rejeter par dégoût ou par haine mais d’abord examiner, trier, séparer pour obtenir le meilleur. L’intellect ou l’entendement ou la raison est notre capacité mentale à ne pas réagir émotivement, mais à prendre du recul et à analyser, à mesurer et à juger ou trancher après réflexion ou délibération. Donc la pensée critique est toujours une raison critique et jamais une réaction de ressentiment. Conclusion On ne peut définir la philosophie comme un domaine de connaissances car c’est avant tout un exercice spirituel à pratiquer sur soi-même. Il s’agit d’entreprendre une analyse critique de sa propre pensée. La pensée critique ne peut être triste ; le sentiment de tristesse est négatif, dépréciatif contraire à l’agir. On n’est pas toujours la cause de son sentiment de tristesse mais on est responsable de ce qu’on en fait : se complaire et entretenir les passions tristes ou bien s’efforcer de les transformer. Comment convertir l’angoisse, la peur, la déception, la jalousie etc. en état d’esprit plus satisfaisant ? Philosopher est une activité plutôt joyeuse, un « gai savoir ». Ne pas pleurer, ne pas gémir, mais comprendre et aussi savoir prendre de la distance par l’humour, le rire. 18 Troisième leçon : Le cas Socrate3 I. Présentation du dialogue de Platon Dans l’Apologie de Socrate, Platon son disciple, met en scène le procès de celui qui est devenu l’emblème du philosophe. Poser des questions qui défont les certitudes irréfléchies, les habitudes de pensée paresseuse, les préjugés. La forme du dialogue socratique : Socrate et ses interlocuteurs. Ils croient savoir et se présentent fièrement devant Socrate pour répondre à ses questions. Il prétend ne rien savoir, il reconnaît qu’il sait qu’il ne sait pas ; c’est un piège dans lequel tombent les vaniteux imbus de leur prétendu savoir. Au fil de la discussion, il s’avère que les réponses ne résistent pas à l’examen de plus en plus serré que leur fait subir Socrate. L’ironie socratique : La grande qualité des dialogues écrits par Platon est qu’ils ne sont pas tristes mais plaisants, « spirituels » au sens où ils « amusent » l’esprit. On sourit du ridicule des interlocuteurs malheureux de Socrate. Le mot ironie vient du grec ancien eirôneia, interroger en feignant de ne rien savoir. C’est une manière de se moquer de quelqu’un ou de quelque chose en disant le contraire de ce qu’on veut faire entendre. 1er Exercice : chercher des mots proches : moquerie, raillerie, dérision, sarcasme, humour…… Différences ? L’ironie est subtile et s’appuie sur un jeu de langage, une maîtrise du double sens, de l’interprétation du sens caché, tandis que la raillerie ou la moquerie sont des attaques directes, plus ou moins méchantes contre les défauts des autres. La dérision ou le sarcasme sont des attitudes de dénigrement empreints de causticité, de volonté de nuire à autrui. L’ironie fait appel à l’intelligence pas la moquerie, ni la raillerie, encore moins le sarcasme ou la dérision. La différence entre l’ironie et l’humour, est que l’une vise les travers des autres alors que l’humour est une forme d’auto-critique. 3 Chercher : biographie, personnage dans les dialogues de Platon. 19 2ème exercice: les « humoristes contemporains pratiquent-ils l’humour ? L’ironie ? Le sarcasme ? Exemples 3ème exercice : trouvez des exemples d’expression de l’ironie, de la moquerie, de la dérision, du sarcasme, de l’humour. II. Apologie de Socrate Socrate (voir notice biographique) fut condamné à mort en 399 avant J-C par le tribunal d’Athènes, l’Éliée habilitée à examiner les accusations d’impiété. Le procès de Socrate est connu par deux comptes rendus : celui de Platon, disciple de Socrate, présent au procès et qui devint l’un des plus grand philosophes grecs, et celui de Xénophon un chroniqueur qui n’assista pas au procès mais entreprit d’en faire le récit quelques années plus tard. Le texte intitulé « Apologie de Socrate » est un dialogue écrit par Platon, probablement entre 390 et 385 av J-C. Le titre signifie à la fois défense et aussi glorification. La défense est le discours que Socrate fit devant ses juges pour se défendre contre les accusations d’impiété et de corruption de la jeunesse qui le dénonçaient comme un ennemi de la cité. La glorification dit le caractère apologétique, laudatif et admiratif du texte qui contribue à faire du personnage de Socrate une légende, le premier vrai philosophe, le point de départ de la philosophie. Philosopher ce serait donc comprendre la leçon de courage et de vérité administrée par Socrate aux athéniens et résister aux préjugés, aux opinions prétentieuses, mal informées, imbues d’elles-mêmes, aux rumeurs infondées et surtout à la bêtise collective. La cité modèle de la démocratie est aussi un lieu de conflits d’opinions et de luttes de pouvoir. L’opinion est la reine du monde, il faut persuader la masse des citoyens électeurs en utilisant des idées simples, des artifices rhétoriques du discours. Celui qui démasque les faux-semblants, les apparences au nom de la justice et d’une vérité universelle sera perçu comme un trublion. Socrate est « un empêcheur de tourner en rond » de penser en rond, il passe son temps sur la place publique, haut lieu de la vie politique. Il interroge tous ceux qui prétendent savoir quelque chose et savoir ce qu’il faut faire ; Ses questionnements sont comparés à une décharge électrique de raie torpille, et il 20 torpille implacablement toute prétention à une domination par un faux savoir. Il s’attire donc la haine de tous ceux qui ont été démasqués par ses questions. Il est sacrifié comme victime expiatoire à la vindicte d’une opinion publique « remontée » contre les intellectuels, les esprits trop critiques, les hommes libres. Le contexte politique et le cadre juridique du procès : La démocratie athénienne : chercher dans un livre d’histoire de seconde. La procédure d’accusation pour impiété . Les accusateurs de Socrate (Apologie 23 e et 36a) : celui qui a rédigé la plainte et l’a déposée devra être l’accusateur lors du procès : Mélètos, un jeune homme assez inconsistant et manipulé par les vrais instigateurs de la plainte : Anytos et Lycon ; le premier est un homme politique assez douteux qui essaie de se refaire une popularité en donnant en pâture une victime à la colère populaire. Anytos est en guerre contre les sophistes et il met Socrate dans le même sac. Or Socrate est aussi très critique à l’égard des sophistes comme en témoignent les dialogues où il démonte les arguments rhétoriques des sophistes, tels Gorgias, Hippias, Protagoras. Pourquoi Anytos les confond-il ? Il y a trois points de vue en présence : d’une part, les traditionalistes comme Anytos qui affirment que les valeurs sur lesquelles une société est fondée ne doivent ni être critiquées, ni même étudiées mais seulement reproduites. Les pensées qui dirigent les actions sont un temple, elles sont sacrées, ce sont des croyances qui doivent être préservées de toute réflexion. Anti-intellectualisme caractéristique des « anciens » {ou des fondamentalistes ] qui assimile tous les « modernes » ou les partisans d’une réforme de la pensée, d’un amendement ou d’une éducation de l’esprit, donc d’une culture intellectuelle qui s’appuie sur l’usage du raisonnement, sur l’aptitude de chacun à se servir de son propre jugement. Et en cela Socrate et les sophistes sont des modernes, des chercheurs, des enquêteurs. Là s’arrête ce qu’ils ont de commun, puisque les sophistes, professeurs itinérants, se font payer assez cher par les familles les plus influentes pour former leurs fils à la rhétorique et à toutes les connaissances qu’il convient de maîtriser assez pour se faire élire comme chef politique de la 21 démocratie athénienne (stratège). Ils enseignaient dans la même perspective que les Grandes Ecoles en France pour former les futures élites, apprenant à être efficace pour persuader, non à être rigoureux dans la recherche de la vérité ; ils ne pensaient pas que les hommes puissent atteindre une vérité universelle. Au contraire, Socrate ne prétend rien enseigner puisqu’il n’a aucune compétence particulière, il n’est spécialiste d’aucune science, d’aucun art, mais il a reçu un don, celui d’accoucher les esprits de ceux qui ont la capacité de faire naître de belles pensées. Il est un bon testeur capable de dépister la validité des pensées de ceux qui prétendent savoir et surtout transmettre aux autres, faire partager ce qu’ils savent. Savent-ils vraiment quelque chose et apportent-ils une connaissance ou bien sont-ils des prestidigitateurs de la pensée qui font croire aux naïfs qu’ils apportent des connaissances inouïes alors que ce n’est qu’une apparence de connaissance, de la poudre aux yeux ?Une autre source de l’opinion défavorable envers Socrate, autrement plus redoutable, la comédie d’Aristophane, Les Nuées. Socrate y est montré comme un charlatan qui se fait payer pour donner de mauvais conseils qui conduisent les honnêtes gens à la ruine. L’ordre du dialogue 3 discours : 1° la défense (17 a à 5d) ; 2° l’établissement de la peine, 36 e à 38 ; 3° conversation informelle avec ceux qui n’ont pas voté sa condamnation. *Exorde : comment Socrate s’adresse à ses juges puis annonce de sa démarche : dire la vérité est la règle de l’orateur (et non faire un beau discours) et le rôle des juges est de juger de la véracité du discours : est-il l’expression de ce que l’orateur pense être vrai ? Et a-t-il raison de le croire ? Faire triompher la vérité. *Les anciens accusateurs récusés 1) ce que Socrate n’est pas. Socrate ne peut être défini comme ils le présupposent : ni philosophe de la nature comme les premiers philosophes « physiciens » ; ni sophiste ; 2) Ce que Socrate est vraiment et ce qu’il fait : l’oracle de Delphes, Socrate est le plus sage des hommes parce qu’il ne croit pas savoir ce qu’il ne sait pas. Il sait qu’il ne sait pas. De là vient qu’il va trouver tous ceux qui prétendent savoir quelque chose pour vérifier que l’oracle ne s’est pas trompé. Ils ne savent pas 22 plus que lui mais ils croient savoir. Les hommes politiques, les poètes, les artisans. Le résultat de l’enquête apporte la preuve par l’expérience que l’oracle a dit vrai. Socrate a donc une mission qui est de tester la validité des discours de ceux qui prétendent éduquer les autres. De là viennent les désirs de vengeance et la plainte déposée contre lui. *Les nouveaux accusateurs dont Mélétos est le porte-parole. Socrate lui propose de répondre à ses questions et transforme le procès en exercice de philosophie : Mélétos ne sait pas de quoi il parle, il se contredit. Cela devrait suffire à discréditer son accusation. Les trois chefs d’accusation : Socrate pervertit la jeunesse, question du meilleur éducateur sur laquelle Meletos n’a aucune idée ; Socrate ne respecte pas les dieux de la cité : il est athée et il rend un culte à d’autres dieux. *Défense de l’éthique socratique : la vertu socratique s’exprime dans le mode de vie. Mieux vaut risquer de subir l’injustice que de commettre une injustice. Le courage est de tenir sa place et de faire son devoir ou la tâche qui nous a été assignée par les dieux. Socrate obéit à l’oracle au risque d’être incompris et victime de l’injustice *Second discours sur l’établissement d’une peine : condamné à une courte majorité (280 voix contre 220) Socrate doit proposer une peine : ironiquement il propose d’être logé et nourri au prytanée (lieu où les héros sont honorés) ; puis il propose de payer une amende. Epilogue : il a été condamné à mort . Premier temps : Adresse aux juges qui l’ont condamné : ils sont responsables d’une injustice qui marquera l’histoire d’Athènes. Deuxième temps : conversation avec ses partisans. Son testament philosophique : la mort n’est pas la fin de la vie, l’âme survit et elle sera jugée par d’autres juges qu’aucune rhétorique ne pourra tromper. 23 III. Explication de texte (3ème sujet type bac) Répondez aux questions sur le texte en vous référant toujours au texte et en enchaînant les réponses de la façon la plus continue et la plus cohérente « J’allai trouver un de ceux qui passent pour être savants, en pensant que là plus que partout, je pourrai répudier la réponse oraculaire et faire savoir ceci à l’oracle : « Cet individu-là est plus savant que moi, alors que toi tu as déclaré que c’est moi qui l’étais. » Je procédai à un examen approfondi de mon homme – point n’est besoin en effet de divulguer son nom, mais qu’il suffise de dire que c’était un de nos hommes politiques-, et de l’examen auquel je le soumis, de la conversation que j’eus avec lui, l’impression que je retirai, Athéniens, fut à peu près la suivante : cet homme , me semble-t-il passait aux yeux de beaucoup de gens , et surtout à ses propres yeux, pour quelqu’un qui savait quelque chose, mais ce n’était pas le cas. Ce qui m’amena à tenter de lui démontrer qu’il s’imaginait savoir quelque chose, alors que ce n’était pas le cas. Et le résultat fut que je m’attirai son inimitié et celle de plusieurs des gens qui assistaient à la scène. En repartant je me disais donc en moi-même : « Je suis plus savant que cet homme-là. En effet, il est à craindre que nous ne sachions ni l’un ni l’autre rien qui vaille la peine, mais, tandis que, lui, il s’imagine qu’il sait quelque chose alors qu’il ne sait rien, moi, qui effectivement ne sais rien, je ne vais pas m’imaginer que je sais quelque chose. En tout cas, j’ai l’impression d’être plus savant que lui du moins en ceci qui représente peu de chose : je ne m’imagine même pas savoir ce que je ne sais pas. » Puis j’allai en trouver un autre, l’un de ceux qui avaient la réputation d’être encore plus savant que le précédent, et mon impression fut la même. Nouvelle occasion pour m’attirer l’inimitié de cet homme et de beaucoup d’autres. […] Ceux qui avaient la réputation la meilleure m’apparurent, au cours de l’enquête que je menais à l’instigation du dieu, être, à peu d’exceptions près, les plus démunis, tandis que les autres, qui passaient pour valoir moins, m’apparurent être des hommes mieux pourvus pour ce qui est du bon sens » Platon, Apologie de Socrate 21 c 24 Questions : 1. Quelle est l’idée directrice du texte et quelle est la logique de l’argumentation ? 2. Expliquez les expressions suivantes : - « Cet homme passait aux yeux de beaucoup de gens, et surtout à ses propres yeux, pour quelqu’un qui savait quelque chose » - « tenter de lui démontrer qu’il s’imaginait savoir quelque chose » - « Les autres, qui passaient pour valoir moins, m’apparurent être des hommes mieux pourvus pour ce qui est du bon sens » 3. La conscience de sa propre ignorance est-elle la condition initiale du vrai savoir ? --------------------------------------------------------------------------------------------------------Conclusion des trois premières leçons: On n’apprend pas La philosophie, on s’exerce à philosopher, c’est-à-dire on exerce sa capacité de réfléchir, d’analyser, de comprendre et de juger. Oser penser par soi-même, donc s’exercer à la liberté de penser ne veut pas dire s’enfermer dans sa pensée immédiate et subjective, mais acquérir des méthodes et des outils intellectuels pour développer sa raison critique. Travail : Recherche : indications biographiques et bibliographiques : Platon ; Socrate ; sophistes ; Aristote ; Kant ; Nietzsche vocabulaire : Exercice, raison, entendement, critique, préjugé, ironie, humour Lire : Kant, Qu’est-ce que les Lumières ? ‘(extrait) Platon, Apologie de Socrate 25 26