Les luttes politiques en Espagne : 1870-1914

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Groupe 5
Fiche technique.
Conférence d’histoire de M. Nielen.
Les luttes politiques en Espagne : 1870-1914.
L’Espagne du XIX° siècle est encore un pays très pauvre, en retard par rapport à
la plupart de ces voisins européens et majoritairement rural et catholique. Sur le plan de la
politique intérieure, 1868 constitue une année charnière, avec la chute de la monarchie des
Bourbons, qui régnait sur l’Espagne depuis le XVIII° siècle. S’en suit une période d’Illusion
lyrique de trois années, avant la proclamation de la Ière République espagnole le 11 février
1873. Mais très vite, cette République tourne à l’absurde : privée de tout soutien populaire,
dépendante du pouvoir militaire pour se maintenir au pouvoir et esseulée face à la double
opposition des oligarques et de l’Eglise, elle s’effondre le 3 janvier 1874, lorsque le Général
Martinez Campas proclame Alphonse XII roi d’Espagne. C’est la période dite de la
Restauration qui s’ouvre et qui va durer jusqu’en 1923, grâce à un système politique dualiste
facteur d’une grande stabilité du régime. Comment ce système politique a-t-il fait pour
garantir la stabilité du régime, malgré la montée d’oppositions nombreuses ?
I)
Le système politique dualiste de la Restauration, facteur de stabilité
mais aussi d’immobilisme
A. Le Turno, alternance du parti conservateur et des libéraux au pouvoir
Après la parenthèse républicaine de 1873, Antonio Canovas del Castillo, dit Canovas,
est l’homme qui prépare le retour sur le trône des Bourbons. Ayant la confiance des élites,
inspirant le calme et le retour à l’ordre, il est nommé premier ministre en 1874 . Grâce à son
parti bien structuré, le parti libéral-conservateur, et à la mise en place d’une véritable dictature
de fait, il peut rédiger et promulguer un texte constitutionnel en 1876. Celui-ci réaffirme les
libertés individuelles mais avec des restrictions multiples (listes de partis illégaux, le
catholicisme est la religion d’Etat…).
Aux Cortès (les Assemblées), les partis sont autorisés, mais les carlistes (nom donné aux
partisans de don Carlos de Bourbon, prétendant au trône d’Espagne après la mort de son frère
Ferdinand VII (1833) et de ses descendants, traditionalistes politiques et religieux) et les
républicains s’excluent eux-mêmes des élections, manifestant par là leur refus du régime. Seul
Castelar (ancien homme politique de la Ière République) veut croire en la lutte électorale avec
sa doctrine : le possibilisme, nom du courant républicain qui participe à la vie politique.
Mais une véritable opposition n’a pas encore les moyens de s’exprimer aux débuts de la
Restauration en Espagne.
Par la suite, Canovas se prononce pour une monarchie de type anglaise, avec l’idée
d’alternance entre deux partis au sommet de l’Etat. Face à son parti conservateur, se dessine
un parti libéral-fusionniste créé en 1870 par Sagasta. Le régime parlementaire fonctionne
alors sur les bases du Turno, les libéraux succédant aux conservateurs et inversement, à
l’initiative du monarque. Le système Canovas semble parfaitement rodé. Mais il est tout de
même inquiétant et révélateur, que le changement de gouvernement précède toujours le
changement de majorité parlementaire. L’électorat ne modifie pas l’équilibre politique par un
vote : c’est en fait le ministre de l’intérieur qui négocie et qui fabrique la nouvelle majorité
parlementaire. En effet, le régime en place n’est pas véritablement parlementaire : le vote
(soumis au cens jusqu’en 1890) détermine la majorité parlementaire, mais pas la couleur
politique du gouvernement. En fait, les deux principaux partis se mettent d’accord pour la
désignation d’un gouvernement, puis influencent les élections dans un sens ou dans un autre.
B. L’oligarchie dominante, ou le blocage complet du pouvoir politique
Dans la pratique, c’est la classe politique qui se partage le pouvoir et ce n’est pas le vote
qui détermine la majorité. Les résultats sont le fruit d’une entente de 1881 entre les
responsables des deux partis principaux pour assurer le bon fonctionnement du Turno et le
changement de majorité. Par exemple, à la mort d’Alphonse XII en 1885, une entente entre
Canovas et Sagasta est conclue : c’est le Pacte du Pardo, qui donne le pouvoir aux libéraux
avec le consentement du gouvernement conservateur en place. Le Pactisme est alors le maître
mot de la politique en Espagne à cette époque.
Ainsi, c’est le ministre de l’Intérieur qui donne ses instructions pour favoriser, au niveau
local, la conclusion d’accords entre les « chefs » des partis locaux pour la désignation de
« candidats officiels ». Ces futurs députés semblent désigné d’en haut ; ce sont les
« encasillados ». Si cela ne suffit pas pour assurer de bons résultats aux élections, la pratique
de la fraude à grande échelle (achat de suffrage…) et le caractère très peu secret du vote
(urnes en verre) assurent au Turno une stabilité sans faille. Le suffrage universel accordé en
1890 n’y change rien.
Cependant, le véritable pouvoir est entre les mains des « caciques » : ce sont les
oligarques, hommes d’influence, tant au niveau local que national (on parle alors de
« prohombre »). L’indifférence de la masse à ce jeu électoral est total, l’abstention atteignant
des niveaux records. En 1907, elle prend de telles proportions que l’on décide de supprimer la
formalité de l’élection en cas de candidature unique. Cette modification de l’article 29 de la
loi électorale est un aveu de l’échec de tout le système électoral.
Les partis de la Restauration ne connaissent d’autres politiques que les affrontements
locaux. De plus, les hommes qui ont fait la Restauration disparaissent en quelques années,
Canovas d’abord, suivi de Castelar en 1899, Sagasta enfin en 1903. Leurs successeurs n’ont
pas l’autorité nécessaire pour maintenir la stabilité du système politique. Ils lui reprochent
d’empêcher toute évolution, et par suite, toute solution sérieuse aux problèmes internes de
l’Espagne.
Même si le système du Turno, initié par Canovas, semble bien fonctionné,
l’immobilisme et le conservatisme dont il fait preuve vont marquer son impuissance face à
l’apparition de nouveaux problèmes.
II)
L’impuissance du Turno face à de nouveaux problèmes.
A. La chute de l’Empire colonial.
En 1870, l’Empire colonial espagnol, qui avait fait jadis la puissance du pays, se
résume aux Philippines, à Porto Rico et surtout à la « perle des Antilles », Cuba. C’est cette
dernière colonie qui va faire parler d’elle tout d’abord. Depuis des années, la révolte cubaine
s’organise, avec l’aide notamment des Etats-Unis. Dès 1895, elle devient très active et le
gouvernement espagnol, alors dirigé par un conservateur, décide de l’envoie d’une armée de
200 000 hommes pour contrer les révolutionnaires. N’obtenant pas de résultats décisifs, le
gouvernement successeur, dirigé par Sagasta (un libéral) à la faveur du Turno, décide du
rappel des militaires et propose même aux Cubains de leur accorder un statut d’autonomie.
Mais cette volonté est sans compter celle des Etats-Unis de libérer Cuba de la tutelle
espagnole et d’en faire une sorte de protectorat économique. En 1898, à la faveur de
l’explosion du cuirassé Maine, les Etats-Unis entrent en guerre contre l’Espagne ; la flotte de
guerre espagnole est aisément détruite par les Américains aux Philippines et sur les côtes
cubaines. Le 10 décembre 1898, le traité de Paris confirme la perte des dernières possessions
espagnoles, Cuba, Poto Rico et les Philippines.
L’année 1898 est certainement une année noire pour tous les Espagnols et la
génération ayant vécu ce désastre sera dite maudite. Mais cette défaite va aussi raviver un
sentiment nationaliste très fort, avec comme première manifestation la volonté de reconquérir
un prestige colonial. C’est le Maroc qui est choisi pour cela, proche et facile d’accès. Mais les
difficultés s’annoncent nombreuses, et le rappel de réservistes en 1909 va provoquer une
violente émeute à Barcelone, manifestant pour la paix. C’est la semaine tragique de juillet
1909, sorte de guerre civile dans la capitale catalane. Cette nouvelle guerre coloniale se
soldera également par un cinglant échec, marquant à jamais la fin de l’impérialisme espagnol
et l’échec de la Restauration dans ce domaine.
B. L’essor des mouvements régionalistes.
Les gouvernements centraux de Madrid semblaient décidés à maintenir le centralisme
espagnol (code civil promulgué en 1889…). C’est probablement du fait de ce centralisme
affiché que naissent les mouvements autonomistes, tout d’abord en Catalogne puis au Pays
Basque.
Le catalanisme naît comme force politique avec la Lliga de Prat de la Riba dans les
années 1880. Ce parti de droite réclame l’existence d’un pouvoir législatif en Catalogne, la
préservation des privilèges de la région et donc une autonomie plus large. Face à la Lliga, se
dressent d’autres petits partis autonomistes de gauche. Les nationalistes catalans sont certes
divisés (gauche/droite, républicains/monarchistes), mais ils parviennent tout de fois à s’unir
en un grand parti en 1906 : la Solidaridad Catalana, qui obtient un important succès, mais
sans lendemain.
L’autonomisme basque apparaît lui dans les années 1890 avec la création d’un Parti
Nationaliste Basque, conservateur et protectionniste, par Sabino de Arana. Ce parti obtient
rapidement des sièges de députés dans les assemblées locales et même aux Cortès. Mais, là
aussi, les divisions internes sont nombreuses et entravent l’unité du mouvement.
Ces problèmes affectant directement le système de la Restauration, font croître en
Espagne même des oppositions de tous types.
III)
La montée en puissance des oppositions au régime.
A. L’opposition classique des Républicains.
Les républicains, qui s’affirment résolument en dehors du régime, se regroupent
autour de l’Association militaire espagnole, créée à Paris par Ruiz Zorilla. S’il subsiste une
menace révolutionnaire, elle se traduit par la naissance du mouvement ouvrier, par l’agitation
anarchiste sous forme de l’action directe, émeutes paysannes ou terrorisme urbain. Canovas
en sera la victime la plus illustre et sera assassiné en 1897 par un anarchiste.
Les républicains, suivant l’exemple de Castelar, jouent la carte pourtant truquée du
système électoral. Et, dans un premier temps, un succès modéré, mais réel, semble justifier
cette attitude. L’union qui regroupe les diverses tendances républicaines remporte une
trentaine de sièges aux élections de 1893. Mais ces sièges sont acquis dans les uniques villes
de Madrid, Barcelone et de Valence. Le républicanisme n’a aucune chance de l’emporter dans
l’Espagne rurale majoritaire. Surtout les dirigeants républicains étant restés les mêmes depuis
la Ière République de 1873 et tout le long de cette fin de siècle (en 1903, le chef désigné de
l‘Union républicaine est encore Salmeron, l’ancien chef de gouvernement de la Ière
République), on ne voit pas apparaître de nouveaux leaders et le républicanisme semble
s’essouffler.
B. Les nouvelles oppositions : le socialisme et le communisme.
Madrid doit faire face à une autre opposition de poids qui s’organise sous la
Restauration : c’est le mouvement des ouvriers, aussi bien syndical que politique. Les
conditions de vie désastreuses des ouvriers espagnols ainsi que la croissance démographique
exponentielle de ces années entraînent l’apparition de la question sociale en Espagne. Ces
thèmes sont repris par les premiers mouvements communistes, qui se fondent dans
l’Internationale en 1870, peu avant son interdiction par les conservateurs et les modérés. Puis,
se forment les premiers mouvements socialistes, avec le Congrès de Barcelone d’août 1888
qui est l’acte fondateur du Parti socialiste ouvrier espagnol. Etroitement lié au socialisme, le
syndicalisme apparaît également en Espagne à cette époque. L’Union générale du Travail
créée en août 1888 est le premier syndicat espagnol, mais ses effectifs restent très faibles.
Tous ces mouvements restent pour autant cantonnés aux grandes villes (Madrid,
Barcelone, Valence…) et leur écho ne se fait guère entendre dans les campagnes
traditionalistes.
Le régime politique du Turno cesse de fonctionner parfaitement dans les
premières années du XX° siècle. Edifié pour perpétuer la domination d’une classe sociale,
bâti sur une société rurale, il ne peut empêcher la contestation de se développer après le
désastre colonial, avec la croissance des autonomismes et la prise de conscience politique
d’un prolétariat misérable. Les partis politiques, qui se partagent le pouvoir selon un système
arbitrairement dualiste représentent l’un et l’autre la même classe dominante. L’apparition de
forces politiques représentatives des courants populaires remet tout en question. A la longue,
le suffrage universel modifie les conditions politiques en permettant à ces nouvelles forces
politiques de s’exprimer. Le système du Turno peut certes se maintenir à force de truquages et
de pressions politiques. Mais la corruption, peu gênante sous le régime censitaire, devient,
avec le temps, toujours moins tolérable.
Bibliographie :
 LAFAGE Franck. L’Espagne de la contre-révolution. L’Harmattan, 1993.
 TEMINE Emile, BRODER Albert, CHASTAGNARET Gérard. Histoire de l’Espagne
contemporaine. Aubier Montaigne, 1979.
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