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Polices entre Etat et marché
De Frédéric OCQUETEAU
Frédéric OCQUETEAU est chercheur au CNRS. Socio-criminologue, spécialiste des
institutions policières et des politiques publiques de sécurité, membre de l’Observatoire
national de la délinquance, il a dirigé le département de la recherche à l’Institut des hautes
études de la sécurité intérieure de 1998 à 2002.
Point de départ du livre : repenser les fondamentaux de la production de l’ordre dans
les sociétés occidentales en mobilisant les ressources publiques et privées en la matière.
L’auteur s’interroge sur la façon dont l’ordre public est assuré aujourd’hui et il remet en cause
la prérogative régalienne dans ce domaine.
Introduction
Etat, société et risques
Rappel historique : on est passé d’un Etat gendarme à un Etat social qui prend en
charge la protection de ses ressortissants contre les menaces, les dangers et les risques.
L’augmentation de la conquête de sécurité est assurée par les sciences et les techniques. Tout
ce qui n’est pas maîtrisé par la science devient insupportable pour les contemporains.
Dans les années 1980, avec les progrès scientifiques, est née la croyance d’une
éradication totale du risque. Toutefois, certains risques échappent à la science ce qui fait que
la science apparaît comme impuissante pour contenir les risques et pire elle peut même les
créer et les diffuser. Pour les risques technologiques, développement d’une coconstruction de
la précaution (on associe des associations).
Paradoxe : il y a à la fois un désir d’une demande croissante de sécurité et une aversion
pour les insécurités de toute sorte (humaine comme naturelle).
M.FOUCAULT souligne le problème de la compatibilité du couple sécurité/liberté.
Marché de la protection et sécurité publique
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Définition de la sécurité privée :
- secteur englobant l’industrie et le commerce de la fabrication, de la distribution et de
l’installation d’équipements de protection, les services de prestations humaines.
- secteur de services guidé par une philosophie d’action de la prévention des risques, de
pertes ou de dommages liés aux atteintes à l’intégrité physique, à la propriété
matérielle et immatérielle. Cette philosophie vise moins à éliminer totalement les
risques qu’à diminuer la fréquence des pertes.
- secteur de services par un fonctionnement plus ou moins autonome. Ce secteur a
des incidences sur la gestion de l’ordre public donc il est placé en concurrence
partielle avec certaines missions généralistes des polices publiques. Ce secteur a
besoin de fonctionner avec l’aval des autorités publiques pour sa légitimité gale et
pour asseoir sa viabilité économique. Cette concurrence fait que le secteur privé doit
démontrer son efficacité à ses clients et à l’Etat (qui peut être client, incitateur ou tiers
arbitre).
L’Etat est lui aussi engagé à piloter des politiques de sécurité par le biais de partenariat
qui vont utiliser toutes les forces et ressources de sécurité disponibles sur son territoire.
La différence entre le policing privé et le policing public recouvre trois postures :
- une position épistémologique : le privé est quelque chose de caché, d’intime, de
confidentiel et le public est alors une connaissance révélée dans un espace commun.
- une position sociologique : le privé correspondrait au communautaire et le public au
sociétal.
- une position juridique : on oppose le public qui est appréhendé comme l’organe et la
fonction au privé (le salarié, le cadre, détenteurs d’un contrat de travail).
Chapitre 1 La sécurité privée comme aventure de recherche et construction d’objet
Découvertes progressives d’un « nouveau monde »
C’est dans les années 1980 que quelques juristes se sont interrogés sur la sécurité
privée notamment par l’intermédiaire d’un fait divers : l’implication d’une société de
gardiennage dans le rétablissement de l’ordre dans une usine.
Deux criminologues canadiens se sont intéressés à la question de la sécurité privée :
C.SHEARING et P.STENNING. Selon eux, la sécurité privée et la justice privée allaient
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remettre fondamentalement en cause les modalités du policing traditionnel des polices
publiques. Selon eux, cette nouvelle forme de police ne venait pas compenser la faiblesse des
réponses de la police traditionnelle (c’est la thèse libérale) aux demandes de protection contre
le crime des citoyens. Pour eux, ces deux forces auraient à terme la même crédibilité si on
comprenait ce qui les opposait réellement. Ils considéraient le secteur privé de la sécurité
comme une police d’inspection et de négociation propre à des grands domaines plutôt qu’une
police orientée vers l’arrestation de suspects pour les faire traduire en justice.
En France (Etat régalien), l’idée d’une police privée sous-entendait la privatisation des
missions de police et le risque de dérive de polices privées musclées.
Comment justifier l’étude d’un milieu décrié ?
Il existe une différence entre la France et la Grande-Bretagne la BSIA (British
Security Industry Association) est l’interlocuteur du Home Office britannique dans la mise en
place de politiques de sécurité concertées alors qu’en France la FFOPS (fédération française
des organismes de prévention et de sécurité), non seulement elle ne participe pas à
l’élaboration des politiques de sécurité concertées mais en plus l’Etat via les préfets prend en
charge lui-même l’assainissement des éléments les plus suspects du gardiennage, de la
surveillance et du convoyage de fonds afin de faire de ses activités une nouvelle profession
contrôlée.
Remarque :
- La FFOPS était incapable de susciter une déontologie sérieuse.
- Les gouvernements britanniques ultra libéraux étaient hostiles à l’idée de réglementer
un secteur purement commercial.
Enquête au cœur des administrations de contrôle préfectoral
La loi de 1983 avait la volonté de protéger les libertés publiques et d’assainir le secteur
privé. Elle eu quelques succès symboliques (épuration des agents de 3 à 8%) mais elle fut
critiquée car l’administration ne disposait pas de moyens réels pour accomplir sur place ses
missions d’investigation et vérifier les conditions dans lesquelles les sociétés recrutaient leurs
agents.
Cette loi était de faible contrainte puisque dix ans plus tard ni les nouvelles sociétés de
sécurité privée ni même les hommes politiques ne la connaissaient.
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La grande enquête pour l’opération d’assainissement a commencé en 1990. Les
fonctionnaires des préfectures semblaient démunis pour imaginer le fonctionnement réel des
missions prises en charge par les entreprises de sécurité concernées alors que ces dernières
demandaient des certitudes juridiques.
Enquête auprès de dirigeants d’entreprises de gardiennage et de surveillance
Il y a une omniprésence des dénonciations de la corruption et des déviances
organisationnelles. Cela s’explique par la forte personnalisation des rapports de confiance
entre les donneurs d’ordre privé et public, cela se traduit par le fait que le « marchandage » est
une forme obligée pour obtenir un marché.
Il y a des scandales relatifs à la sous-traitance et au recrutement des agents de sécurité.
Progressivement, l’opposition entre une « police républicaine » censée incarner à elle
seule le bien public et un « marché de la peur » qui ne s’intéresse qu’à la rentabilité financière
sans se soucier de la morale et des droits de l’Homme diminue. Les sociétés de sécurité
privées essaient de convaincre leurs clients que la nature des prestations offertes changeait et
pouvait devenir irréprochable. Une nouvelle génération de dirigeants d’entreprises de curité
et de protection émergea dans les années 1990, elle était sans préjugé sur les questions de
sécurité, elle avait juste senti que la sécurité devenait un créneau porteur. Ces nouveaux
dirigeants sont moins crispés que leurs prédécesseurs sur les valeurs « loi et ordre », ils
veulent contribuer à ce besoin de reconnaissance et de normalisation du secteur de la sécurité.
La thèse développée par les deux criminologues canadiens plus haut (une
complémentarité ou une légitimité virtuellement équivalente des deux types de prestations) ne
s’est pas confirmée dans les faits. Les agents publics contrôlaient sur le terrain encore très
largement les modalités d’exercice du policing privé.
N.SOUTH a testé les rapports entre le policing privé et le policing public pour tester à
la solidité de l’hypothèse des quatre « C ». Il a conclu à l’existence de traces de
complémentarité, de concurrence, de compromis ou de contournement.
En France, l’auteur note qu’il n’observe aucune interaction entre vigiles et policiers.
Cela montre selon lui la faiblesse de cette profession. La faible légitimité publique des
prestataires privés est liée à l’histoire de la France selon l’auteur et cette faible légitimité
explique le besoin des acteurs privés d’entrer dans des logiques de reconnaissance publique.
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Dans les domaines de l’expertise du risque urbain et du risk management, ce sont
développées des nouvelles technologies de surveillance. Cela a conduit à des processus
d’hybridation du policing à l’échelle locale dans ces domaines. L’hypothèse du brouillage des
frontières du policing public et privé se substituait progressivement à la thèse de la
concurrence à forces égales.
Nouveauté dans l’histoire : la loi d’orientation et de programmation de la sécurité
(LOPS) de 1995 reprend l’idée pour la première fois d’une coproduction de sécurité publique
et privée.
Mise en place d’une gestion pluraliste de la sécurité des personnes, des biens et des
informations.
Changement de position : les fonctionnaires commencent à voir des vertus à la sécurité
privée à caractère marchand.
Le développement du dispositif des emplois jeunes des adjoints de sécurité a mis en
avant le recours aux minorités visibles pour que la police « soit à l’image de toutes les
composantes de la situation ». Les entreprises de sécurité privée vont par la suite intégrer les
adjoints de sécurité dans leur rang (sorte de reconversion).
Enquêtes sur les technologies de surveillance à distance
Ce secteur a été confié au contrôle préfectoral ad hoc plutôt qu’à la CNIL.
Ces technologies sont la pierre supplémentaire de l’édification d’un Etat de sécurité.
En les confiant à la sécurité privée (on pense particulièrement aux policiers municipaux des
collectivités territoriales) mais en les instrumentalisant à son profit, l’Etat a exonéré largement
ces dispositifs d’un contrôle administratif.
Y a-t-il une spécificité française dans l’art de gouverner la sécurité ?
Au début du XXIème siècle, la reconnaissance du secteur privé par les pouvoirs
publics est quasiment finie. On parle aujourd’hui d’une coproduction de la sécurité.
Métaphore : « l’Etat apparaît ex post ante comme le barreur d’un navire qui essaie de
contrôler un mouvement qui lui échappe, tandis qu’une multitude de rameurs, privés et
locaux, mettent en œuvre la sécurité au quotidien ».
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