Polices entre Etat et marché De Frédéric OCQUETEAU Frédéric OCQUETEAU est chercheur au CNRS. Socio-criminologue, spécialiste des institutions policières et des politiques publiques de sécurité, membre de l’Observatoire national de la délinquance, il a dirigé le département de la recherche à l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure de 1998 à 2002. Point de départ du livre : repenser les fondamentaux de la production de l’ordre dans les sociétés occidentales en mobilisant les ressources publiques et privées en la matière. L’auteur s’interroge sur la façon dont l’ordre public est assuré aujourd’hui et il remet en cause la prérogative régalienne dans ce domaine. Introduction Etat, société et risques Rappel historique : on est passé d’un Etat gendarme à un Etat social qui prend en charge la protection de ses ressortissants contre les menaces, les dangers et les risques. L’augmentation de la conquête de sécurité est assurée par les sciences et les techniques. Tout ce qui n’est pas maîtrisé par la science devient insupportable pour les contemporains. Dans les années 1980, avec les progrès scientifiques, est née la croyance d’une éradication totale du risque. Toutefois, certains risques échappent à la science ce qui fait que la science apparaît comme impuissante pour contenir les risques et pire elle peut même les créer et les diffuser. Pour les risques technologiques, développement d’une coconstruction de la précaution (on associe des associations). Paradoxe : il y a à la fois un désir d’une demande croissante de sécurité et une aversion pour les insécurités de toute sorte (humaine comme naturelle). M.FOUCAULT souligne le problème de la compatibilité du couple sécurité/liberté. Marché de la protection et sécurité publique 1 Définition de la sécurité privée : - secteur englobant l’industrie et le commerce de la fabrication, de la distribution et de l’installation d’équipements de protection, les services de prestations humaines. - secteur de services guidé par une philosophie d’action de la prévention des risques, de pertes ou de dommages liés aux atteintes à l’intégrité physique, à la propriété matérielle et immatérielle. Cette philosophie vise moins à éliminer totalement les risques qu’à diminuer la fréquence des pertes. - secteur de services mû par un fonctionnement plus ou moins autonome. Ce secteur a des incidences sur la gestion de l’ordre public donc il est placé en concurrence partielle avec certaines missions généralistes des polices publiques. Ce secteur a besoin de fonctionner avec l’aval des autorités publiques pour sa légitimité légale et pour asseoir sa viabilité économique. Cette concurrence fait que le secteur privé doit démontrer son efficacité à ses clients et à l’Etat (qui peut être client, incitateur ou tiers arbitre). L’Etat est lui aussi engagé à piloter des politiques de sécurité par le biais de partenariat qui vont utiliser toutes les forces et ressources de sécurité disponibles sur son territoire. La différence entre le policing privé et le policing public recouvre trois postures : - une position épistémologique : le privé est quelque chose de caché, d’intime, de confidentiel et le public est alors une connaissance révélée dans un espace commun. - une position sociologique : le privé correspondrait au communautaire et le public au sociétal. - une position juridique : on oppose le public qui est appréhendé comme l’organe et la fonction au privé (le salarié, le cadre, détenteurs d’un contrat de travail). Chapitre 1 – La sécurité privée comme aventure de recherche et construction d’objet Découvertes progressives d’un « nouveau monde » C’est dans les années 1980 que quelques juristes se sont interrogés sur la sécurité privée notamment par l’intermédiaire d’un fait divers : l’implication d’une société de gardiennage dans le rétablissement de l’ordre dans une usine. Deux criminologues canadiens se sont intéressés à la question de la sécurité privée : C.SHEARING et P.STENNING. Selon eux, la sécurité privée et la justice privée allaient 2 remettre fondamentalement en cause les modalités du policing traditionnel des polices publiques. Selon eux, cette nouvelle forme de police ne venait pas compenser la faiblesse des réponses de la police traditionnelle (c’est la thèse libérale) aux demandes de protection contre le crime des citoyens. Pour eux, ces deux forces auraient à terme la même crédibilité si on comprenait ce qui les opposait réellement. Ils considéraient le secteur privé de la sécurité comme une police d’inspection et de négociation propre à des grands domaines plutôt qu’une police orientée vers l’arrestation de suspects pour les faire traduire en justice. En France (Etat régalien), l’idée d’une police privée sous-entendait la privatisation des missions de police et le risque de dérive de polices privées musclées. Comment justifier l’étude d’un milieu décrié ? Il existe une différence entre la France et la Grande-Bretagne où la BSIA (British Security Industry Association) est l’interlocuteur du Home Office britannique dans la mise en place de politiques de sécurité concertées alors qu’en France la FFOPS (fédération française des organismes de prévention et de sécurité), non seulement elle ne participe pas à l’élaboration des politiques de sécurité concertées mais en plus l’Etat via les préfets prend en charge lui-même l’assainissement des éléments les plus suspects du gardiennage, de la surveillance et du convoyage de fonds afin de faire de ses activités une nouvelle profession contrôlée. Remarque : - La FFOPS était incapable de susciter une déontologie sérieuse. - Les gouvernements britanniques ultra libéraux étaient hostiles à l’idée de réglementer un secteur purement commercial. Enquête au cœur des administrations de contrôle préfectoral La loi de 1983 avait la volonté de protéger les libertés publiques et d’assainir le secteur privé. Elle eu quelques succès symboliques (épuration des agents de 3 à 8%) mais elle fut critiquée car l’administration ne disposait pas de moyens réels pour accomplir sur place ses missions d’investigation et vérifier les conditions dans lesquelles les sociétés recrutaient leurs agents. Cette loi était de faible contrainte puisque dix ans plus tard ni les nouvelles sociétés de sécurité privée ni même les hommes politiques ne la connaissaient. 3 La grande enquête pour l’opération d’assainissement a commencé en 1990. Les fonctionnaires des préfectures semblaient démunis pour imaginer le fonctionnement réel des missions prises en charge par les entreprises de sécurité concernées alors que ces dernières demandaient des certitudes juridiques. Enquête auprès de dirigeants d’entreprises de gardiennage et de surveillance Il y a une omniprésence des dénonciations de la corruption et des déviances organisationnelles. Cela s’explique par la forte personnalisation des rapports de confiance entre les donneurs d’ordre privé et public, cela se traduit par le fait que le « marchandage » est une forme obligée pour obtenir un marché. Il y a des scandales relatifs à la sous-traitance et au recrutement des agents de sécurité. Progressivement, l’opposition entre une « police républicaine » censée incarner à elle seule le bien public et un « marché de la peur » qui ne s’intéresse qu’à la rentabilité financière sans se soucier de la morale et des droits de l’Homme diminue. Les sociétés de sécurité privées essaient de convaincre leurs clients que la nature des prestations offertes changeait et pouvait devenir irréprochable. Une nouvelle génération de dirigeants d’entreprises de sécurité et de protection émergea dans les années 1990, elle était sans préjugé sur les questions de sécurité, elle avait juste senti que la sécurité devenait un créneau porteur. Ces nouveaux dirigeants sont moins crispés que leurs prédécesseurs sur les valeurs « loi et ordre », ils veulent contribuer à ce besoin de reconnaissance et de normalisation du secteur de la sécurité. La thèse développée par les deux criminologues canadiens plus haut (une complémentarité ou une légitimité virtuellement équivalente des deux types de prestations) ne s’est pas confirmée dans les faits. Les agents publics contrôlaient sur le terrain encore très largement les modalités d’exercice du policing privé. N.SOUTH a testé les rapports entre le policing privé et le policing public pour tester à la solidité de l’hypothèse des quatre « C ». Il a conclu à l’existence de traces de complémentarité, de concurrence, de compromis ou de contournement. En France, l’auteur note qu’il n’observe aucune interaction entre vigiles et policiers. Cela montre selon lui la faiblesse de cette profession. La faible légitimité publique des prestataires privés est liée à l’histoire de la France selon l’auteur et cette faible légitimité explique le besoin des acteurs privés d’entrer dans des logiques de reconnaissance publique. 4 Dans les domaines de l’expertise du risque urbain et du risk management, ce sont développées des nouvelles technologies de surveillance. Cela a conduit à des processus d’hybridation du policing à l’échelle locale dans ces domaines. L’hypothèse du brouillage des frontières du policing public et privé se substituait progressivement à la thèse de la concurrence à forces égales. Nouveauté dans l’histoire : la loi d’orientation et de programmation de la sécurité (LOPS) de 1995 reprend l’idée pour la première fois d’une coproduction de sécurité publique et privée. Mise en place d’une gestion pluraliste de la sécurité des personnes, des biens et des informations. Changement de position : les fonctionnaires commencent à voir des vertus à la sécurité privée à caractère marchand. Le développement du dispositif des emplois jeunes des adjoints de sécurité a mis en avant le recours aux minorités visibles pour que la police « soit à l’image de toutes les composantes de la situation ». Les entreprises de sécurité privée vont par la suite intégrer les adjoints de sécurité dans leur rang (sorte de reconversion). Enquêtes sur les technologies de surveillance à distance Ce secteur a été confié au contrôle préfectoral ad hoc plutôt qu’à la CNIL. Ces technologies sont la pierre supplémentaire de l’édification d’un Etat de sécurité. En les confiant à la sécurité privée (on pense particulièrement aux policiers municipaux des collectivités territoriales) mais en les instrumentalisant à son profit, l’Etat a exonéré largement ces dispositifs d’un contrôle administratif. Y a-t-il une spécificité française dans l’art de gouverner la sécurité ? Au début du XXIème siècle, la reconnaissance du secteur privé par les pouvoirs publics est quasiment finie. On parle aujourd’hui d’une coproduction de la sécurité. Métaphore : « l’Etat apparaît ex post ante comme le barreur d’un navire qui essaie de contrôler un mouvement qui lui échappe, tandis qu’une multitude de rameurs, privés et locaux, mettent en œuvre la sécurité au quotidien ». 5 Il y a un changement dans les années 2000 : échec du modèle de la « prévention sociale » et apparition de l’idée de coproduction de la sécurité. Après l’acceptation par les entreprises de sécurité privée de devenir une profession réglementée, la conjuration du caractère liberticide du commerce et des technologies de la sécurité privée, et une fois constaté le rapprochement des polices d’Etat et des polices municipales, « la question de l’intangibilité des frontières du policing privé et du policing public perdait de son caractère idéologiquement clivé ». L’Etat central doit donc lâcher du lest. Chapitre 2 – Sciences sociales, policing public et privé Le policing est une notion anglosaxonne que l’on peut définir comme « l’action de restaurer de l’ordre ». « C’est donc un processus de mise en œuvre de fonctions de police incarnées par des agents spécialisés ou non (agents publics, privés, hybrides) au sein de différents niveaux sociopolitiques territorialisés : microlocal, local, régional, national, supranational ». « Policing » et sociologie politique La sociologie politique voit dans la « police » la principale, la plus légitime ou la pire des institutions spécialisées dans le policing intérieur d’un territoire. o Genèse des Etats et concentration des bureaucraties policières Analyse de Weber et Bourdieu : l’Etat s’est assuré progressivement le monopole de la violence en dépossédant ses concurrents intérieurs de la violence physique et du droit de l’exercer. L’Etat naissant a dû affirmer sa force physique à l’extérieur comme à l’intérieur. o Résistibles et irrésistibles monopolisations de la violence Le monopole de la contrainte revenant à l’Etat n’est pas une question réglée une fois pour toute. Il y a une frontière incertaine et mouvante entre violence légitime et violence illégitime. 6 o Privatisation d’Etats ou de fonctions régaliennes ? Dans les Etats post coloniaux, la privatisation des ressources publiques est un classique. Mais certains auteurs parlent de pillage avec les phénomènes massifs de vente du patrimoine public à des entreprises privées. Les frontières entre le privé et le public seraient particulièrement difficiles à tracer en raison de nombreuses pratiques de chevauchement. o Vers une pacification de l’usage de la force ? Une police incarnant la force sans droit serait aveugle, une police au service du droit sans la force serait une coquille vide, thèse de D.MONJARDET. Cette thèse va plus loin que celle du monopole de la violence légitime détenu par l’Etat. La tierce intervention de la force ne serait bien souvent que l’ultime recours pour faire cesser un processus de violence. La police est un tiers acteur amené à user parfois de violence pour prévenir d’autres violences sociales et privées plus douloureuses et traumatisantes. La police est un appareil d’Etat monopolisant la force mais cet appareil d’Etat est au service des particuliers. Chapitre 3 - Définir et compter des hommes, des services, des entreprises Les chiffres de la croissance des agents de surveillance privée seraient un indicateur d’adaptation du marché à une demande exponentielle de protection du public et/ou à une croissance de la délinquance contre les personnes et les biens que l’Etat ne parviendrait plus à satisfaire correctement. L’émergence des indicateurs dans le champ de la sécurité privée o Comparaisons des différents « métiers de l’ordre » Trois critiques de la sécurité privée : certains parlent de « polices parallèles », d’autres de « police privée » et d’autres encore de « milices patronales ». Deux dynamiques majeures ont lieu : 7 - un double mouvement d’externalisation des activités de sécurité : d’un côté une externalisation du centre vers la périphérie pour les emplois publics, avec notamment la remontée des polices municipales ; de l’autre, une externalisation de la sécurité interne aux entreprises vers une protection sous-traitée à des prestataires de services pour les emplois privés - un resserrement des activités de police sur le métier principal (police criminelle et police d’ordre) au détriment des activités de sécurité publique. Si la fonction publique est restée largement majoritaire (même sil elle décroît inexorablement), le secteur privé lui s’est affirmé. En 1995, on comptait un salarié privé pour cinq agents de la fonction publique (ce ratio doit être nuancé car il existe beaucoup d’agents de sécurité privé non déclarés). Analyse rétrospective des données morphologiques sur les agents o Croissance comparée des agents privés et publics Il y a un déclin significatif des effectifs de police et de gendarmerie et en même temps une hausse quasi continue des effectifs des agents privés. La loi d’orientation et de programmation de la sécurité en 1994 affiche pour la première fois la complémentarité des forces publiques et privées dans la production de la sécurité collective. o Renouvellement de la réflexion sur des indicateurs européens Trois sous-secteurs des entreprises de sécurité privées : - les activités industrielles de la protection, les équipements de vidéosurveillance, les équipements de transport de fonds, le traitement des valeurs et logistiques bancaire - les activités humaines de la sécurité privée passive et active - les activités plutôt intellectuelles et techniques de la sécurité privée Deux secteurs se sont détachés avec une hausse de leur CA : les techniques de surveillance à distance et la protection rapprochée. Le différentiel agents privés/agents publics est très supérieur en Afrique du Sud, bien supérieur aux USA, au Canada, en Australie et identique en Grande-Bretagne. 8 Chapitre 4 – Transformations et usages des techniques privées de surveillance à distance Le problème envisagé est de savoir si la liberté des citoyens est menacée par la technologisation des dispositifs privés de surveillance et de contrôle à distance dans les organisations et les « territoires urbains ». Les technologies, plus efficaces que l’homme, tendraient à se substituer à lui dans les tâches de veille, de contrôle des risques et des dangers de toutes natures. Technologies d’information et de communication (TIC) Il existe quatre modalités d’information : - le recueil de données des fichiers sur les personnes recherchées, disparues,… et dont le contrôle est exercé notamment par la CNIL ; - l’information transactionnelle liée à la croissance de l’utilisation des cartes mémoire et de l’information de retour délivrée par des supports numérisés ; - l’étude des traces laissées par l’enregistrement d’éléments identifiant les personnes ; - les moyens d’identification donnés par les capteurs utilisés par la vidéosurveillance. Le décuplement de ces techniques a connu de vives critiques à propos d’une nouvelle configuration policière qui ferait un recours de plus en plus fréquent à ces technologies dont l’usage qui pourrait constituer une menace pour la liberté des individus. Actuellement, l’offre des TIC est principalement proposée par des grands opérateurs de réseaux interconnectés sur le plan national (France Telecom, EDF-GDF) ou par des réseaux additionnés (Générale des Eaux, Bouygues,…). Or, ces opérateurs sont dotés d’un pouvoir économique fort mais d’une légitimité politique nationale faible, d’où leur volonté d’acquérir une légitimité politique locale en matière de sécurité. Ils fournissent donc des services de télésurveillance sur des territoires urbains localisés et notamment les municipalités en arguant de la défaillance policière. Régression ou renouvellement du contrôle social ? 9 Selon l’auteur, les thèses relatives à un nouveau contrôle social généré par les TIC sont encore spéculatives. Des usages variés des techniques de surveillance à distance o Particuliers et télésurveillance Les législations internes des Etats membres ou la législation européenne n’évaluent que ce que le droit interdit de faire par l’utilisation des TIC dans leurs appropriations sociales et policières. Elles ne permettent donc qu’un contrôle ex-post en constatant que les dispositifs de sécurité ont été détournés ou transformés en portant atteinte à leur vie privée. o Pouvoirs locaux, organisations publiques et privées, vidéosurveillance L’utilisation de la vidéosurveillance par les maires dans les centres-villes était censée offrir une meilleure sécurité aux citoyens. Cette installation serait envisageable soit dans une stratégie de surveillance, soit comme une aide secondaire, soit enfin comme un élément central de sécurité. Les études effectuées montrent que les utilisateurs conçoivent plutôt la vidéosurveillance comme un complément à un dispositif de contrôle social préexistant que comme un vrai produit de substitution. o L’Etat face aux usages de la vidéosurveillance dans l’espace public Contrairement à l’Angleterre, la vidéosurveillance en France a été perçue plus comme une technique menaçant les libertés fondamentales que comme un dispositif de prévention de la délinquance. Les seules institutions qui semblent bénéficier du développement de ces techniques sont la police et la gendarmerie qui justifient d’un taux d’élucidation plus élevé concernant les délits contre la propriété et l’aide à l’identification a posteriori des suspects. Depuis les années 90, de nouvelles techniques de surveillance sont quant à elles perçues positivement comme la détention à domicile par l’intermédiaire du bracelet électronique, qui réduit les coûts liés à l’emprisonnement et permet une meilleure réinsertion. L’enregistrement audiovisuel de l’audition de mineurs victimes d’abus sexuels a également été salué car il évitait leurs multiples auditions. 10 En matière de vidéosurveillance, le décret de 1996 a substitué à la CNIL les Commissions départementales de vidéosurveillance (CDV) dont l’autonomie est pourtant moins garante des libertés. La CNIL est cependant mobilisable dès qu’un enregistrement numérique d’images pourrait aboutir à la constitution de fichiers nominatifs. On estime qu’il y a un « système de vidéosurveillance » dès lors qu’ « une caméra est couplée à un moniteur (écran qui permet la visualisation des images), sauf les usagers équipés d’un moniteur visible de tous ». Le prochain enjeu est de transposer en droit interne la directive européenne relative à la « protection des personnes physiques à l’égard de traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données ». Chapitre 5 – Les enjeux d’un contrôle de l’Etat La réglementation du secteur de la sécurité privée a débuté en France en 1983 puis ensuite dans les autres pays d’Europe sauf en Grande-Bretagne. Des « polices privées » à…la « sécurité privée » La police privée résidait historiquement dans la figure du détective qui enquêtait sur la vie privée des individus. L’année 1992 voit la première tentative de lutte contre les pratiques de reconversion des fonctionnaires de la préfecture de police dans les agences privées. En 1942, c’est la première réglementation officielle des « agences privées de recherche » qui établit le métier de détective. Sous la IVème et la Vème Républiques, les missions des détectives privés deviennent des prestations externes légitimes car réglementées, et les sociétés de gardiennage de protection et de sécurité sont dissociées des détectives. Dans les questions au gouvernement depuis 1987, les parlementaires n’emploient plus le terme de « police privée » mais de « gardiennage et sécurité ». Faire soi-même ou faire faire par d’autres ? 11 Deux arguments expliquent la préférence pour un service extérieur plutôt que pour un service de sécurité interne. D’une part le coût est moindre, que l’entreprise soit publique ou privée. D’autre part, la qualité de la prestation fournie est meilleure en termes de flexibilité (par exemple, le remplacement d’un agent absent). Les banquiers furent les premiers à faire appel aux sociétés de convoyage de fonds pour le transport de leurs valeurs et la sécurisation de leurs parcs de distributeurs automatiques de billets, suivis des bijoutiers, industriels et autres professions à risque. L’apport de l’économie néo-institutionnelle Les travaux de WILLIAMSON en 1994, MENARD en 1990 et LOTTER en 1995, théoriciens de l’économie néo-institutionnelle, montrent que le besoin de diminuer les coûts de transaction dans le domaine de la protection n’implique pas nécessairement un processus d’externalisation « systématique et complet ». Le processus d’externalisation doit réunir trois conditions : la faiblesse des marges d’incertitude sur la fiabilité du partenaire, des possibilités de transaction fréquentes et des coûts d’usage alternatifs ou de rechange soient forts (investissements, équipements, capital humain). Cadrages réglementaires du secteur de la surveillance et de la protection privée Il semble que la réglementation soit largement liée aux évènements d’actualité, comme la loi fondatrice de 1983 qui a suivi le tabassage à mort d’un clochard par des vigiles en 1981 et l’implication d’une société de gardiennage comme « briseur de grève » dans un conflit du travail. o Première arrivée de la gauche aux affaires La méfiance des pouvoirs publics domine à partir des années 1970 jusqu’aux années 1980. La loi du 12 juillet 1983 instaure une multitude d’interdictions accompagnées de sanctions pénales et ses décrets d’application sont promulgués en 1986 suite à une vague d’attentats terroristes à Paris. En 1985, une convention collective sur les agents de surveillance et de sécurité est signée et en 1986 est homologué le certificat d’aptitude professionnel. o Les polices de la ville 12 Le décret du 26 novembre 1991 oblige le télésurveilleur à déterminer l’origine du déclenchement de l’alarme avant de faire déplacer la police, pour réserver son intervention dans le seul cas d’une tentative d’effraction, ou pour les pompiers dans le cas d’un incendie. Par conséquent, le texte prévoit la sanction de tout appel injustifié. On remarque au niveau des collectivités locales que les contrats foisonnent entre les polices municipales et les télésurveilleurs privés. o La consécration politique de la « coproduction » de sécurité La loi d’orientation et de programmation sur la sécurité du 21 janvier 1995 reflète une certaine confiance vers le secteur privé. Il est désormais autorisé à « faire » contrairement à 1983, et on admet que certaines prestations de la sécurité privée participent à la production de la sécurité collective. En 1996, un décret réglemente la vidéosurveillance dans les espaces publics et les sites privés ouverts au public et en 1997, plusieurs décrets obligent les professionnels ou les gestionnaires de « lieux particulièrement exposés aux risques de la délinquance et d’insécurité » à se protéger eux-mêmes (banquiers, bijoutiers,…). Selon l’auteur, le développement de la sécurité privée ne doit pas être perçu comme une remise en cause du rôle de l’Etat dans la mesure où « l’Etat a veillé à encadrer son champ d’action » et « la demande de substitution du secteur privé au secteur public reste marginale ». Il fait remarquer qu’il n’y aurait de « difficulté d’articulation entre les acteurs privés et publics que sur un nombre limité de territoires » (établissements qui reçoivent du public tels que les hôpitaux, centres commerciaux, aéroports, stades,…). o La sécurité privée mobilisée après le 11 septembre 2001 Depuis les attentats, la France est dans un « état d’exception », c’est-à-dire que les différents gouvernements tirent partie sur le plan interne d’une forme d’union favorisée par le contexte d’un environnement international délicat. Les lois LOPSI du 29 août 2002 et LSI du 18 mars 2003 s’inscrivent dans la continuité de la loi de sécurité quotidienne du 15 novembre 2001. En effet, la loi LSI prévoit que s’appliquent ad vitam aeternam certaines dispositions antérieurement « transitoires » ou « exceptionnelles », et élargit les pouvoirs de contrôle reconnus aux agents stadiers. Au-delà des personnes « dangereuses », ce sont également les manifestations d’ « incivilités » qui sont réprimées. L’auteur, pour qui c’est une loi « fourre13 tout », laisse les policiers publics vainqueurs puisqu’ils bénéficient de nouvelles armes pour intensifier la lutte contre les infractions connexes au terrorisme (trafics de stupéfiants, vols et recels associés), contre la cybercriminalité et contre la délinquance sexuelle, notamment par un accès facilité au fichier des personnes recherchées et par l’élargissement du champ des suspects pouvant faire l’objet d’un fichage de leurs empreintes génétiques. En matière de contrôle des territoires urbains, le policing d’Etat, faisant intervenir des acteurs publics et privés, met en évidence l’affaiblissement de la souveraineté de l’Etat central. La France se singularise également par la création d’autorités indépendantes sans pouvoirs destinées à contrôler des agents de sécurité dans leur ensemble, qui sont mis sur un pied d’égalité au nom de la défense des libertés publiques bien qu’ils dépendent d’instances respectives de contrôle. Chapitre 6 – Gouverner ou piloter la protection des publics Crise de légitimité des polices publiques et nouveaux cadres d’action Les doutes existant sur les capacités de la justice et de la police à réguler les désordres sociaux seraient liés à deux facteurs d’après BAYLEY (1996), SHEARING (2001), FORST et MANNING (1999). Le premier réside dans les changements sociopolitiques qui suscitent une complexité sociale et de nouveaux besoins de réassurance. Le second est lié à la crise financière qui affecte l’Etat social. La conséquence en serait l’ « irrésistible privatisation du contrôle social » par de nouveaux producteurs de sécurité. Cela passe par la création de polices locales à proximité des citoyens, qui sont des polices publiques « régionales » aux Pays-Bas, « régionales » et « municipales » en Espagne, ou « municipales » en France. Irréversible découplage entre commanditaires et fournisseurs de sécurité ? Il faut évaluer le rendement des différents dispositifs (fonctions d’audit, fonction de facilitation équitable,…) qui peuvent être en conflit ou en partenariat dans la production de la sécurité collective. Rendre compte des nouvelles manifestations du « policing » public 14 Pour les sociologues et politologues, trois courants opposés tentent d’expliquer le « monopole d‘Etat de la violence légitime » : la thèse de la perte de la souveraineté de l’Etat central, la thèse de l’Etat surchargé et la thèse de la relégitimation répressive de l’Etat. Cependant, aucune de ces thèses ne répond à la question centrale de savoir comment s’effectue la régulation du policing local à partir des « systèmes d’action concrets » dans la sécurité publique. Il vaut donc mieux se concentrer sur le fait que l’Etat tente au mieux de réguler, aux niveaux national et international, les diverses activités de policing. Il semblerait que soit mise en avant l’efficacité à moyen terme plutôt que les conséquences envisageables à long terme concernant la qualité du service public auprès de la société civile. L’introduction des normes du nouveau management public (NMP) dans l’appareil policier Les normes du NMP imposent un contrôle externe aux forces de police par une coopération beaucoup plus proche des administrations et des partis au pouvoir qui deviennent plus soucieux des objectifs et de la qualité des services offerts. Toutefois, de vives critiques sont formulées sur le NMP qui généraliserait les politiques de la loi et de l’ordre vers une « tolérance zéro ». Il en résulte qu’un management optimal devrait, selon l’auteur, se penser au niveau interne ainsi qu’à l’égard de l’ensemble des populations. Les policiers devraient surtout rechercher la qualité de leur écoute envers les citoyens ainsi qu’au commissariat plutôt que de vouloir privilégier la redevabilité au vu des normes comptables internes. Synthèse et futures pistes de recherches autour de l’Etat régulateur Cet ouvrage met en avant les logiques de privatisation de certaines fonctions policières, qui sans signifier le déclin de l’Etat, souligne la nécessité pour celui-ci de devenir efficace autrement afin de garantir une certaine cohésion sociale. La privatisation s’explique par des rhétoriques diverses : la rhétorique de substitution des organes (reconversion des policiers, gendarmes et militaires dans les entreprises privées) ; la rhétorique de délégation contrôlée ; la rhétorique d’externalisation ou d’internalisation des fonctions stratégiques et la rhétorique du brouillage des frontières de l’ordre public et privé produit au sein d’une propriété de masse hybride, engendrant une police grise et dont la réelle efficacité reste en suspend. 15 Les politiques de sécurité des personnes et des biens doivent prendre en compte plusieurs contraintes dont l’importance du local (pressions de la mondialisation) et la conservation par l’Etat de sa fonction de dépositaire du pouvoir. Au terme de cet ouvrage, on voudrait une sociologie politique mobilisée sur une connaissance plus approfondie des politiques de sécurité et de gestion des risques en prenant en compte les acteurs du terrain. Le policing privé tendrait donc à devenir un véritable dispositif occupant une place légitime dans un plus vaste ensemble. 16