
le patient, mais qui n’est pas du ressort des urgences d’un centre hospitalier. Les hôpitaux sont surchargés.
Aujourd’hui, 70% des gens meurent à l’hôpital. Il est arrivé qu’une personne atteinte d’un cancer en phase
terminale ait dû attendre sept heures aux urgences avant d’être prise en charge. Nous sommes confrontés à
une logique terrible. Que faire de cette personne en fin de vie, lorsqu’on n’a pas de place pour les autres,
lorsqu’on n’a pas les moyens financiers pour l’accueillir, lorsque le médecin ne peut pas s’en occuper et que
l’infirmière n’a même pas le temps de lui parler ? On aimerait aider cette dame en train de mourir, mais il ne
nous est pas possible de le faire. C’est un exemple extrême, mais fréquent et significatif.
Sur le plan financier, le déficit ne cesse de se creuser. Les dépenses de santé augmentent régulièrement
d’année en année. Les médicaments, les soins ambulatoires et l’hôpital jouent, dans cet ordre, un rôle essentiel
en volume dans la croissance de la consommation de soins et de biens médicaux. Toutefois, en valeur, ce sont
les soins hospitaliers suivis des médicaments et des soins ambulatoires qui ont contribué aux plus fortes
augmentations. _ En 2003, le déficit prévu du projet de loi sur la Sécurité sociale est de 3,9 milliards d’euros.
Mais on sait que le déficit de 2002, de 3,3 milliards d’euros, est dû essentiellement au déficit des recettes
envisagées. Une diminution d’un seul point du PIB réduit les recettes de 1,5 milliards d’euros. Par contre, un
seul point d’augmentation de la masse salariale en France réglerait le déficit actuel de la sécurité sociale. Jean-
François Mattei, ministre de la santé, exclut une augmentation des cotisations qui serait forcément impopulaire.
Nous sommes confrontés à un phénomène classique : les dépenses augmentent de 5 à 7% par an, tandis que
les recettes augmentent beaucoup moins rapidement. Un contrôle plus serré des dépenses est nécessaire.
Même si elle n’est pas du tout dans la culture médicale, cette idée commence à faire son chemin.
Ces tendances à l’augmentation des dépenses de soin ne vont que s’accentuer, comme dans tous les pays
industrialisés. Le progrès technique est coûteux et les transformations du rapport au corps et à la maladie
pèsent sur les comptes. Le vieillissement est un facteur supplémentaire : des études ont montré qu’on dépense
beaucoup plus dans les cinq dernières années de sa vie et bien des personnes ont accès à des soins qu’elles
n’auraient pas eu autrefois. Il faudra bien se poser les vraies questions : soit rationner le système, soit y mettre
le prix.
Les nouveaux droits du malade
C’est dans ce contexte difficile que, depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité
du système de santé, un nouveau pouvoir trouve une légitimité dans l’hôpital : le pouvoir des patients. Le
changement introduit est considérable. Il ne tient pas tant au fait que le médecin doive informer le patient de
sa maladie (il le devait déjà en théorie), ni que le patient puisse refuser les soins (il le pouvait déjà, sans
toujours le savoir). D’après le texte de loi, il convient de trouver un nouvel équilibre des relations soignants-
soignés pour instituer un véritable partenariat : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé, et
compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
Il s’agit bien d’un changement culturel auquel les médecins ne sont pas préparés et qui nous vient directement
de la culture d’« autonomie » des États-Unis. Traditionnellement, notre culture médicale - suivant en cela la
culture de la société française -, était fondée sur la protection et le paternalisme : « C’est bon pour ce que vous
avez. Je sais mieux que vous ce qui est bon pour vous ». Ces idées ont bercé les études de nos médecins, voire
de nos infirmières, de tous ceux qui savent pour les autres. Rien, jusqu’à maintenant, ne troublait ce discours.
Ce qui est nouveau à présent, ce n’est pas seulement l’état d’esprit de plus en plus revendicatif et exigeant des
patients, mais la légitimation de cet esprit revendicatif sous forme de droits. Tout le monde le comprend quand
il est dans la position du soigné, mais cela engendre des modifications profondes de comportement pour le
corps médical dans son ensemble, pour les structures de soins, et remet en question la reconnaissance sociale
de ces professions et le statut du « savoir ».
On reconnaît ici l’influence des groupes de patients et en particulier des groupes de malades atteints par le
SIDA. Ce sont eux qui ont induit ce grand changement. Il a fallu, en effet, leur dire la vérité, alors qu’on avait
pu cacher le diagnostic pendant longtemps à ceux qui étaient atteints de cancer. Ils se sont regroupés et ont
exigé d’en savoir davantage. Ils ont fini par mieux connaître leur maladie, ce qui a modifié les rapports de
pouvoir et fait réfléchir les autres catégories de malades atteints en particulier des maladies dites chroniques.
À ceci s’ajoute un autre changement exprimé par les patients, le désir du non-acharnement, c’est-à-dire à la
fois la volonté d’être soigné, mais de ne pas l’être trop, ou dans des proportions qui maintiennent la qualité de
la vie. Le temps où quantité et qualité se rejoignaient est déjà loin et on sait que la prolongation de la vie peut
se faire au prix d’une existence non seulement médiocre, mais carrément inhumaine. D’où le choix de certains
de « mourir dans la dignité », ou en tout cas de refuser parfois pour leur parent des soins qui confinent à
l’acharnement thérapeutique. Pour le corps médical, cette évolution ne va pas de soi.
Ces phénomènes marquent un changement culturel profond. Les patients ont des droits : le droit de décider
pour leur propre santé, ce qui constitue une vraie révolution pour le corps médical ; ils revendiquent le droit de