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L’EUROPE: UN MODELE ET UN LEVIER
POUR MONDIALISATION SOCIALE ET DÉMOCRATIQUE?
La stratégie des mouvements citoyens européens
Colloque international : l’humanisme européen à l’épreuve des réalités
contemporaines, Besançon. Organisé par l’université et la ville de Besançon, mai 2002.
Défendre l’humanisme européen, c’est notamment promouvoir l’expression
des libertés, des droits de l’homme, du citoyen et des travailleurs. C’est à dire la
citoyenneté civile, politique, sociale et économique.
Les mouvements citoyens (associations, ONG, syndicats) incarnent cet
humanisme, en s’en faisant le défenseur des ses différents droits et libertés en
Europe et dans le monde.
Le rôle des mouvements sociaux au plan européen et mondial est d’autant
plus nécessaire, car comme l’écrivait Pierre Bourdieu, dans son texte pour un
mouvement social européen, “il n’y a pas de politique sociale sans mouvement
social capable de l’imposer” (Bourdieu, 2002 : 82).
Ainsi parmi les groupes luttant contre la mondialisation libérale, certains
considèrent que l’Europe peut être une étape cessaire pour le
développement d’une mondialisation sociale et démocratique.
La question qui se pose est celle-ci : L’Europe peut-elle être un modèle et un
levier, pour parvenir à cet objectif?
Le problème réside notamment dans le calage entre le modèle social
européen incarné par certains Etats et la politique néo-libérale mené par l’Union
Européenne au plan international et en Europe.
A-LA DEMOCRATIE ET LA POLTIQUE INTERIEURE EN EUROPE SONT-
ELLES DES MODELES POUR LE MONDE?
A-1- LE MODELE DE LA POLITIQUE SOCIALE EUROPEENNE
On observe l’existence d’un modèle social européen, cependant il faut
distinguer l’orientation de la régulation politique mise en oeuvre au niveau :
- des Etats européens,
- et de l’Union européenne.
A-1-1- LA POLTIQUE INTERIEURE DANS LES ETATS EUROPEENS
Lorsqu’il est fait référence à un modèle social européen, il ne s’agit pas de la
politique menée conjointement par l’ensemble des Etats européens, au sein de
l’Union européen, mais de certains Etats ou les préférences pour une politique
sociale étatique est plus marquée.
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Docteur en sociologie, Largotec, auteur du livre Les mouvements sociaux face au commerce éthique,
Hermès/Lavoisier, 2007.
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On observe l’existence d’un modeler social européen, caractérisé par un Etat
plus régulateur et redistributeur, que dans la majorité des pays du monde.
La figure emblématique était le modèle scandinave, qualifié “d’Etat
providence social-démocrate avant qu’il ne subisse comme les autres Etats
européens, les pressions politiques et économique du néo-libéralisme mondial.
“Il se caractérise par un niveau élevé de protection sociale contre les risques
et par une offre importante de services sociaux, l’ensemble étant financé par un
impôt fortement progressif. Il affiche clairement un objectif de justice sociale
redistributive.” (Merrien, 1997 : 89).
François Xavier Merrien en décrit les caractéristiques principales:
- indemnités et services élevés;
- droits liés à la citoyenneté;
- indépendance au sein de la famille;
- droit sociaux accordés aux enfants et aux personnes âgées, aux personnes
sans ressources;
- droit à l’emploi” (Merrien, 1997 : 89).
L’Allemagne et la France, qualifiée par Merrien “d’Etat providence
corporatiste- conservateur”, participent-elles aussi à ce modèle, mais bien
qu’elles soient très puissantes, elles sont moins emblématiques, car le volet
social y est moins développé.
Notons que le modèle anglo-saxon qu’il nomme “Etat-providence libéral ou
résiduel”, est bien différent. Il accorde un rôle essentiel aux mécanismes du
marché en limitant pour l’essentiel sa protection aux plus faibles” (Merrien, 1997
: 88).
Il ne s’agit pas pour les mouvements citoyens européens, d’imposer le
modèle social européen aux autres pays du monde, via les organisations
internationales publiques (OIP). Mais simplement de proposer une orientation
politique plus sociale, face au modèle économique libéral, qui règne
particulièrement dans les organisations internationales économiques, tel l’OMC,
la FMI ou l’OCDE.
A-1-2- LA POLTIQUE INTERIEURE EN EUROPE MENÉE PAR L’UNION
EUROPÉENNE
Alors que le modèle des Etats en Europe est pour la majorité d’orientation
plutôt sociale étatique, Au plan européen, paradoxalement, la politique
intérieure menée par le conseil des ministres et la commission est néo-libérale.
Elle est caractérisée par une très faible politique macro-économique, très peu
de redistribution et des droits sociaux quasi-inexistants.
La limitation du budget européen à (1,27% du PIB), limite le veloppement
de fonds structurels qui permettraient l’harmonisation des systèmes de
protection sociale.
De plus il n’y a pas de socle commun de droits économiques et sociaux. La
charte des droits fondamentaux européens est très en recul en comparaison de
certaines “législations nationales et de plusieurs des conventions de l’OIT. Ainsi
le droit à la protection sociale est réduit à un droit d’accès aux prestations de
sécurité sociale et aux services sociaux. (...) Le droit des salariés font l’objet de
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dispositions vagues ne fournissant aucune garantie” (Cécile Robert, 2002 : 14)
sur les questions se rapportant aux droits syndicaux, aux négociations
collectives notamment.
Par ailleurs dans le cadre du livre Vert (UE, 2001), la commission
européenne, oriente sa réflexion vers la responsabilité sociale des entreprises.
Elle se dirige ainsi vers une économie les questions sociales sont régies de
manière croissante par l’éthique et les engagements volontaires des
entreprises, à travers notamment des codes de conduite et des labels sociaux.
C’est une approche visant à réguler la dimension sociale de l’économie, qui est
incitative plus que contraignante. Elle évite les dérives liées au protectionnisme
déguisé des clauses sociales dans le cadre des relations avec les pays en
développement. Cependant elle semble inadaptée au développement d’une
législation sociale forte, au sein des pays européens.
La politique intérieure européenne néo-libérale recherche surtout à la
déréglementation. Elle ne correspond donc pas à l’attente des mouvements
sociaux européens, qui souhaitent un régime politique plus démocratique et
régulateur du social et de l’économie.
A-2- L’EUROPE, UN MODELE POUR UNE ORGANISATION
DÉMOCRATIQUE INTERNATIONALE ?
Après avoir examiné dans quelle mesure, la politique européenne peut-elle
être un modèle pour le monde, observons dans quelle mesure l’Union
Européenne pourrait être un modèle pour le développement d’une démocratie
internationale?
Les “pères fondateurs”, dont Jean Monnet imaginaient la construction d’une
Europe dérale. Pour certains, l’Europe est encore le laboratoire d’un
fédéralisme international. La future et éventuelle réussite de l’Europe dans ce
domaine pourrait être ainsi transposée au plan mondial, pour supplanter les
faiblesses actuelles de l’ONU, afin que celle ci deviennent véritablement
démocratique et forte.
La situation démocratique actuelle de l’UE
Actuellement le conseil des ministres dispose du pouvoir de décision
principal, (notamment législatif) mais se réunit rarement. Cependant selon
Pierre Jacquet et Jean Pisany-Ferry (2000) l’UE ne dispose pas “de charte de
politique économique”, ni d’un exécutif collectif”. C’est pourquoi rien ne garantit
la “prévisibilité des politiques économiques”
Tandis que la commission cumule parallèlement un pouvoir d’initiative,
d’exécution et de contrôle. La séparation des trois pouvoirs, dont Montesquieu
faisait une des conditions première de la démocratie ne s’avère donc pas
suffisante.
De plus le pouvoir législatif du parlement européen est faible. Or il est un des
organes essentiels de la représentation démocratique des citoyens.
Par conséquent à l’état actuel l’Union Européenne ne peut représenter un
modèle pour la constitution d’une organisation démocratique internationale.
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Les propositions pour l’ONU
Cependant, certaines ONG (tel l’AITEC) proposent d’ors et déjà la création
d’un parlement à l’ONU, ainsi qu’il existe à l’Union Européenne. Bien
évidemment elles souhaitent que celui-ci dispose d’un pouvoir législatif fort, à la
différence des parlementaires européens.
Leur seconde proposition consisterait à créer un parlement des ONG, visant
ainsi à élargir la participation des citoyens à la régulation politique
internationale.
Enfin selon ces ONG, pour renforcer encore la démocratie internationale, les
trois organisations économiques les plus puissantes, que sont l’OMC, le FMI et
la Banque Mondiale devraient être placées sous la direction politique de l’ONU.
Au plan de la démocratie européenne, si l’Union européenne peut être
considérée comme le laboratoire d’une fédération internationale d’Etats, elle
n’apparaît donc pas aujourd’hui, comme un modèle de démocratie,
transposable en l’état au plan mondial.
B- LA POLITIQUE EUROPÉENNE EXTÉRIEURE EST-ELLE UN MODELE
POUR LE MONDE EN MATIERE DE REGULATION POLITIQUE ET
DEMOCRATIQUE?
La politique qui est menée par l’Union européenne au sein des organisations
internationale est de même nature que celle qu’elle mène en Europe. Mais elle
s’avère encore plus radicale dans ses orientations libérales, en prônant
notamment un développement d’une gouvernance européenne, dans le cadre
du livre blanc (Commission des Communautés Européennes, 2001).
La gouvernance globale: un objectif pour l’Union Européenne.
Le concept de gouvernance, prend des significations variées, au fur et à
mesure qu'il se diffuse dans le langage contemporain. Il faut donc distinguer
l'usage de cette notion, comme simple "action de gouverner", telle qu'elle est
utilisée par certains politologues et la théorie de la gouvernance globale,
d’orientation libérale.
C’est cette dernière qui règne au sein des organisations internationales
publiques, telle que l’OMC et privées telle que la Chambre Internationale de
Commerce.
La gouvernance globale s’appuie notamment sur la société civile pour
remplacer ou renforcer le rôle de l’Etat. Elle peut être décrite comme un régime
de régulation "polycentrique" du politique, en prolongeant l'analyse de Bruno
Jobert (1998 : 131). Dans ce cadre l'Etat et les pouvoirs publics, ne sont qu'une
"sphère d'autorité" (J.Rosenau, 1992) parmi d'autres et ne disposent pas de la
capacité à préserver l'intérêt général, ou ne cherchent pas à y parvenir. Au
mieux ils n'exercent qu'un pouvoir d'arbitrage (J.Brown, 2000), qui peut se
fonder, soit sur l'intérêt général (celui du plus grand nombre ou des plus
favorisés), soit sur le rapport de force.
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Cette vision d’une société régie par la gouvernance globale, fournit un
soubassement théorique à l’idéologie néo-libérale, qui considère que l’Etat, est
un obstacle aux libertés des acteurs économiques. Mais lorsque la société
civile, (que ce soit les ONG ou les entreprises) se substitue complètement à
l’Etat dans ses fonctions d’orientation, de sanction et d’opération, alors cela
constitue une atteinte à la souveraineté populaire et cela conduit à la disparition
des régulations par les pouvoirs publics.
Régulation conjointe internationale contre gouvernance globale
Les choix politiques des mouvements citoyens s’opposent à l’orientation de
la régulation mis en oeuvre dans le cadre de la gouvernance globale. Ils
cherchent au contraire à promouvoir un régime de régulation politique, qui
permettent à la fois la participation de la société civile aux régulations dé
l’économie (démocratie), sans évincer les pouvoirs publics garant de l’intérêt
général (politique social étatique).
La théorie de la régulation conjointe développée par Jean Daniel Reynaud
(1979, 1988), permet d’analyser plus précisément ce choix politique.
La régulation conjointe, résulte d’un compromis entre la régulation autonome
et la régulation de contrôle. Cette dernière est issue des acteurs disposant du
pouvoir de décider de la création de règles et d’en sanctionner leur violation, en
“s’efforçant de maîtriser la situation” (Reynaud J.D., 1991 : 123).
Dans le cadre de régulation autonome, les acteurs tentent de réguler par
eux-mêmes leurs univers. Dans le cas qui nous concerne, cela correspond aux
régulations des acteurs économiques par les acteurs sociaux (ONG,
Syndicats...). Les régulateurs de contrôle, lorsqu’ils observent des dérives par
rapport à leurs propres systèmes de normes, vont tenter de réorienter les
acteurs agissant dans le champ de la régulation autonome. Dans le cadre de la
mondialisation, les organisations internationales publiques (OIT, OMC, FMI,
Banque Mondiale, Union Européenne...), sont susceptibles d'exercer une
régulation de contrôle sur la régulation autonome des acteurs privés ONG,
syndicat, lobbies, acteurs économiques...).
C’est cette double régulation, que J.D. Reynaud nomme régulation conjointe.
Lorsqu’elle s’exerce au plan international, elle peut-être dénommée régulation
conjointe internationale. A ce niveau elle permet un arbitrage par les pouvoirs
publics. Sans elle, la régulation par la seule société civile risque de ne posséder
ni la légitimité démocratique, ni la capacité à préserver l’intérêt général, si les
lobbies industriels exercent leur domination.
La voie nationale, une alternative à la voie européenne ?
Dans la mesure ou le levier de l’Union Européen est inopérant actuellement,
certaines organisations citoyennes se tournent à nouveau vers leurs Etats.
Certains d’entre eux telle l’Allemagne et la France possèdent à la fois la
puissance économique et politique et disposent d’une tradition sociale étatique
forte. Mais peuvent-elles être utilisées comme des leviers pour réorienter la
politique de l’UE dans le monde ?
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