Monseigneur Charles GAY (1815-1892)
Lettres à une carmélite extraites du cinquième volume de
correspondance de direction spirituelle.
1
I
29 octobre 1870
J’ai lu votre lettre, ma bien chère fille ; j’y sens la grâce de votre retraite et l’accent d’une âme qui,
sollicitée par Jésus, est vraiment décidée à lui donner tout contentement et toute gloire. Oh ! quelle
dette que celle- ! qu’elle est sacrée et qu’elle est douce ! C’est vrai pour toute créature ; cela me
semble encore plus vrai pour vous, que Notre-Seigneur a prévenue si jeune et de tant de manières.
Votre amour peut grandir jusqu’à égaler celui des séraphins, il resterait encore sans proportion avec
celui que Dieu vous témoigne. Vous n’avez qu’un refuge et un secret, si, comme je n’en doute pas,
vous voulez accomplir toute justice, dans la mesure au moins du possible.
Il faut être avec Jésus et en Jésus, l’hostie de Dieu et des hommes ; victime de l’un, victime pour les
autres. Il faut que vous viviez liée sur l’autel qui est Jésus, livrée à ce saint glaive de la volonté du
Père céleste et consumée par ce feu sacré qui est l’Esprit du Père et du Fils.
C’est la foi qui vous unira à Jésus ; c’est l’obéissance qui vous tiendra livrée au Père ; et ce qui vous
livrera au Saint-Esprit, c’est la charité. Vous dites bien, mon enfant, et répétez les propres paroles
que Dieu vous dit, en m’écrivant que vous devez être tellement occupée de cette œuvre divine, que
vous deveniez comme étrangère à tout le reste.
Votre œuvre, si vous la faites bien, s’étendra par son influence et ses effets à tout ce que vous
aurez paru abandonner pour elle. Ce que vous quitterez gagnera plus à vous perdre qu’à vous garder.
En vous gardant, ces choses et ces personnes n’auraient eu que vous, et c’est bien peu. En vous
perdant, elles recevront Jésus par vous et vous-même passée et transformée en Jésus. Ce bon Maître
a faim et soif d’écouler sa miséricorde, sa lumière, sa vie, sa joie et toutes les grâces dont il est plein.
Il faut pour cela des appendices à son humanité ; des créatures fidèles, dévouées, aimantes, qui ne
soient point effrayées de la part faite en ce monde à cette divine humanité ; des âmes pour qui la
croix soit un attrait et non pas un scandale. Car c’est ce mystère de la croix qui est définitivement le
-
1
Charles Gay, Correspondance de Monseigneur Gay, évêque d’Anthédon, lettres de direction spirituelle,
cinquième série, Introduction de l’abbé Henri Brémond, Tours.
sort terrestre de Jésus. Pour être associée à son œuvre, il faut entrer dans ses états. Il ne suffit pas de
l’épouser par l’esprit, ce que fait la foi ; il faut que notre être l’épouse, et cela se fait par toutes les
vertus, surtout par l’amour qui va de lui-même à l’union, à la conformité parfaite et à une sorte
d’identité de vie. Donc, chère enfant, soyez bien ferme contre le démon, le monde et vous-même.
Soyez séparée de tout cela, hostile à tout cela, et au contraire soyez toute appliquée à Jésus et
employée à son ouvrage. Virginisez-vous de plus en plus en vous tenant de plus en plus à distance de
tout le sensible, de tout le terrestre et de tout ce qui est purement humain ; et chaque jour aussi
immolez-vous par un grand amour pour Dieu, pour vos sœurs, pour vos frères et pour toute créature.
Je prie notre bon Seigneur de vous faire bien comprendre ce que je vous écris et surtout de vous
donner la vertu de le pratiquer. Priez pour mois. Je vous bénis de tout mon cœur au nom de notre
adoré Maître.
Votre tout dévoué père,
Charles, pr.
II
23 décembre 1871
… Les goûts du bon Dieu ne changent pas ; ceux qu’il instruit de préférence, ce sont les plus ignorants
et, s’il y a une âme plus indigente qu’une autre et plus infirme, c’est à celle-qu’il donne le plus,
c’est celle-là qu’il soutient davantage.
Il est bien possible que vous ayez reçu, en effet, la grâce de cette visite que vous me racontez dans
votre simplicité ; mais, comme en ces sortes de choses l’illusion est fréquente, je vous prie, chère
enfant, de ne point vous attacher à cela comme à une chose extraordinaire et surtout de ne point
vous y appuyer comme sur un fait certain. Ce qui est vrai et sûr et bon dans tout cela, c’est cette
pensée qui vous a été suggérée d’être plus pauvre que vous n’êtes, et de vous quitter après avoir
quitté vos biens. La pauvreté, en effet, serait plus apparente que réelle et surtout elle serait peu de
chose si elle n’allait pas au dépouillement intérieur. Il y a des gens qui n’ont ni sou ni maille et qui
sont tellement propriétaires d’eux-mes, qu’ils ne seront jamais au nombre de ces pauvres
auxquels le royaume de Dieu appartient. Pour vous, vous devez être tout entière à Celui qui vous a
aimée, choisie, appelée, épousée ; votre cœur, votre vie, votre temps, vos actes, votre force, il faut
que tout passe entre ses mains et que vous lui reconnaissiez un droit absolu et éternel d’en faire tout
ce que bon lui semblera. Il faut aussi que vous entriez pratiquement dans cet esprit de dépendance
humble, docile, aimante, totale, que votre chère maîtresse vous a expliqué. C’est ce qui achèvera de
vous rendre vierge et vraiment épouse de Jésus, semblable comme il se peut à cette première de
toutes les vierges et de toutes les épouses, qui est la très sainte humanité. Si vous marchez dans
cette voie, vous suivrez de près cette autre Vierge sous la protection de laquelle je crois que vous
êtes plus que jamais et qui vous donnera d’autant plus d’assistance qu’elle reconnaîtra plus en vous
les états et la vie de son suprême amour, Jésus.
Donnez-vous donc sans cesse, chère enfant, et laissez-vous prendre à tout instant par le bon Dieu.
Soyez petite, toute petite : le temps nous sommes y est favorable. La crèche doit vous être une
école ; elle contient votre modèle, qui est d’abord votre Maître.
Nous sommes bien heureux, chère enfant, de vous voir si saintement disposée et pleine de bon
vouloir. Tout ira bien, nous l’espérons de la plus ferme espérance. Nous ne cesserons de vous
recommander à Dieu comme notre enfant très chère, et nous vous demandons aussi de prier pour
nous.
Je vous bénis de tout mon cœur au nom du saint Enfant Jésus et de sa Mère.
Votre tout dévoué père,
CHARLES, pr.
III
Dimanche de la Pentecôte 1872.
Oui, chère enfant, je remercie Dieu de tout mon cœur pour toutes les grâces qu’il daigne vous faire,
et c’est la vérité que chaque jour je prie spécialement pour vous. Votre piété filiale me rend cette
charité, j’en suis bien sûr.
Dieu fait son œuvre en sa petite servante. Simplifiez-vous de plus en plus et devenez toute
transparente, afin que la douce lumière de Jésus-Christ puisse tout remplir en vous. Cette
transparence spirituelle, c’est l’exquise pureté de la conscience et du cœur, c’est la victoire complète
sur l’amour-propre et l’abandon pratique de tout propre intérêt.
Il faut ne se rechercher soi-même en rien, mais Jésus seul, son service, sa gloire, sa joie. Il faut lui
être toujours une joie. C’est ce que lui a été sa mère. Elle le consolait de tout, autant qu’il voulait être
consolé sur la terre, car il était venu pour y pleurer et y souffrir.
Vous faites bien de vous attacher en tout au plus humble, au plus caché, au plus pauvre : c’est bien
servir l’amour qui, de lui-même, occupe toutes les places qu’on lui fait. Je pense que cette retraite de
la Pentecôte vous aura valu bien des grâces. Recevez tout, gardez tout, profitez de tout, et que
chaque semence donne son fruit, un fruit pratique. Dieu veut des œuvres. Je vous ai établi, dit Jésus,
pour que vous portiez du fruit, et du fruit qui demeure.
Tenez-vous, quoique indigne, à l’école de la sainte Vierge, et soyez saintement avide de ses leçons.
Le moyen qu’elle continue de vous les donner, c’est de travailler fidèlement et courageusement à
faire passer dans votre conduite les lumières qu’elle vous communique. Appelez sans cesse le Saint-
Esprit, qui doit être comme l’âme de votre âme et le principe de toutes vos actions. Dans la mesure
vous aurez l’esprit de Jésus, vous serez l’épouse de Jésus, l’enfant de Marie et la fille très aimée
du Père céleste.
Adieu, ma chère enfant, je vous bénis de tout mon cœur et suis toujours dans la charité de Notre-
Seigneur votre tout dévoué père,
CHARLES, pr.
IV
26 décembre 1872.
Que Dieu et la sainte Vierge soient bénis des grâces qu’ils vous ont faites, ma très chère enfant.
Gardez tout cela, vous disant que ce sont des semences que Dieu vous donne et qu’elles doivent
produire des fruits. Ces fruits viendront sans doute avant tout de la grâce, et celui-là seul peut
achever l’œuvre qui l’a si miséricordieusement commencée : mais il ne la finira pas sans votre
correspondance fidèle, active, persévérante. Tenez-vous donc bien sous cette grâce et ne lui refusez
jamais rien.
Vous ne savez pas encore à quel point vous devez être petite. Je vous engage à le demander à
l’enfant de Bethléem. C’est une science trop divine pour qu’un autre qu’un Dieu puisse vous
l’apprendre. Et Dieu s’est fait hommes justement pour cela ; je dis pour vous apprendre toute la
science du salut, dont la petitesse chrétienne est une partie très importante. Tous y sont tenus, mais
tous ne sont pas appelés à y entrer au même degré. Pour vous, vous devez, ce me semble, aller au
dernier bout. C’est par l’humilité que vous resterez pure et progresserez dans la pureté. Une humilité
simple, paisible, égale, joyeuse, se traduisant en obéissance et en soumission. Au reste, Marie est
votre modèle : en se faisant votre maîtresse, elle vous dit comme saint Paul : Imitez-moi comme moi-
même j’imite Jésus. Le fait est que, comme Jésus est la très pure et très parfaite image de Dieu,
Marie, à son tour, est l’image fidèle de Jésus. Et tout cela, c’est l’exemplaire posé devant nous sur la
montagne et que nous devons contempler sans cesse afin de nous y conformer en tout.
J’accepte bien que vous vous donniez et redonniez encore à Dieu, à ses droits sur vous et à tous ses
desseins sur votre vie, pour l’Église et spécialement pour les prêtres. Ils sont le sel de la terre : s’ils
étaient saints comme ils doivent l’être, la terre ne serait pas infectée comme elle l’est. Oh ! que le
mal est grand, ma pauvre enfant ! qu’il est armé, qu’il est audacieux et que Dieu semble le laisser
libre ! Prions, supplions, conjurons, afin que le règne de Dieu arrive et que Jésus ait sa place ici-bas.
Vous n’êtes rien ; mais dans la grâce vous pouvez servir à cette œuvre. Consacrez-vous-y plus que
jamais ; c’est votre état depuis le jour où vous vous êtes faites, où Dieu vous a faite carmélite.
Je prie pour vous, faites-le pour moi. Je suis chargé d’un travail que je vous demande de
recommander tout spécialement à la sainte Vierge.
Adieu, ma bonne petite enfant ; je vous bénis de tout mon cœur comme votre vrai et dévoué père.
CHARLES, pr.
V
24 février 1874.
…Dieu vous fait grandir un peu et commence à vous donner des devoirs moins faciles, comme à une
petite écolière qui fait de vrais progrès et que le maître entend voir progresser encore davantage.
Comme sa grâce vous a été fidèle, comme elle a abondé en vous ! Comme elle a su vous maintenir en
paix pendant ces orages ! Ainsi en est-il toujours pour les âmes qui se confient fermement et
s’abandonnent simplement. Rendez bien grâces, vous souvenant que la meilleure manière de
reconnaître les dons de Dieu est de les faire valoir et fructifier, car c’est pour cela que Dieu les donne.
Ne cessez point de vous appliquer à l’humilité, à la pureté, à l’esprit d’innocence et de candeur ;
c’est-à-dire, en somme, à l’esprit d’enfance. Le mot de votre vie spirituelle est là, pour le moment du
moins, et je pense que dans la suite et que la grâce vous conduise, cette vie gardera toujours en
vous ce caractère. Dilatez d’ailleurs votre cœur dans l’amour.
La charité fait cette merveille d’adapter en quelque sorte notre pauvre petit cœur aux dimensions
du cœur de Jésus-Christ. Elle nous fait réellement entrer dans ses œuvres et par là nous embrassons
la création entière et même le Créateur. Que tout cela est grand et beau : mais d’abord que c’est
vrai ! Appuyez-vous sur ces grandes et ineffables certitudes du monde surnaturel, et votre vie
s’épanouira de plus en plus en Dieu.
Adieu, chère enfant ; priez toujours pour moi et ces temps-ci avec quelque insistance, à cause d’un
besoin plus particulier où je me trouve.
Comptez sur ma prière et sur ma toute paternelle affection.
Votre tout dévoué père,
CHARLES, pr.
1 / 7 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !