Depuis toujours, la pharmacie utilise le monde végétal comme source naturelle de molécules
d’intérêt thérapeutique. L’aspirine est un dérivé d’une molécule produite par le saule et plus
récemment, le Taxol, un anti-cancéreux, a été extrait de l’if (arbre de la famille des
Cupressinées). Désormais, les scientifiques tentent également d’exploiter les plantes d’une
manière différente : ils modifient leur ADN pour les forcer à produire des protéines humaines.
En 1997, un végétal génétiquement modifié s’en révèle capable : les chercheurs arrivent alors
à faire secréter, par un plant de tabac, de l’hémoglobine. Si la molécule ressemble à s’y
méprendre à son homologue naturelle, elle s’avère malheureusement incapable de jouer son
rôle de transporteur de l’oxygène dans le sang. Mais le principe a fait ses preuves !
Au centre scientifique de l’université Paris-Sud à Orsay, Aimé Nato pousse plus avant ces
recherches sur les plants de tabac modifiés. Dans la salle conditionnée de l’Institut de
génétique et de microbiologie, le visiteur découvre une étonnante collection de tabac : des
cultures in vitro, des flacons avec des racines isolées en milieu liquide, des boîtes plates
parsemées d’amas cellulaires. Ces différentes formes de Nicotiana tabacum sont modifiées
dans le même but : servir de fabrique à de nouvelles molécules d’intérêt thérapeutique, des
anticorps.
Les anticorps sont des protéines qui font partie du système de défense du corps humain. Ils
servent comme outils de diagnostic. Ils sont également testés pour servir au traitement de
nombreuses maladies, notamment le cancer. Aujourd'hui, les anticorps sont obtenus grâce à
des cellules de mammifères modifiées et mises en culture. Mais cette technique est coûteuse
et son rendement est limité. Il est donc crucial de disposer d’une méthode de production plus
efficace.
C'est ce défi que veut relever Aimé Nato avec des plants de tabac. « Le tabac présente de
nombreux avantages, explique le chercheur. D’une part, on connaît bien son génome ce qui
facilite les manipulations. D’autre part, le tabac ne se croise pas facilement avec d’autres
espèces, ce qui écarte les risques de dissémination (s'il était cultivé en plein champ à
l'extérieur, ndlr). Enfin, comme les autres plantes, le tabac permet une assez bonne ”finition”
de la molécule : il est capable notamment d’y ajouter des sucres (« glycolysation ») qui
permettront à la protéine d’être biologiquement active dans l’organisme. »
En collaboration avec des chercheurs de l’Institut Pasteur de Paris, Aimé Nato, Yves
Henry et leurs collègues ont donc cherché à produire des fragments d'anticorps particuliers
impliqués dans les réactions inflammatoires. Pour cela, ils ont tout d’abord isolé le « gène
d’intérêt », ce morceau d’ADN qui expliquera à la plante comment produire l’anticorps.
Ensuite, ils ont construit un transporteur pour ce gène : un anneau d’ADN appelé « plasmide »
et dont ils se sont procurés de nombreuses copies. Chaque plasmide a alors été introduit dans
une cellule du plant de tabac, lui intimant de produire l’anticorps désiré.
Après s’être assuré que l’anticorps recombinant était bien actif, il ne restait aux chercheurs