Les usines vivantes du médicament - Université Paris-Sud

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Les Usines Vivantes du Médicament
date :
lundi 5 décembre 2005
auteur :
Perrine Vennetier
expert :
Aimé Nato
La pharmacie utilise depuis longtemps les vertus médicinales des plantes. Mais, grâce
aux techniques récentes de génétique, les végétaux pourraient jouer un nouveau rôle :
devenir des ateliers de fabrication de médicaments.
Aimé Nato, de l’Institut de Génétique et de Microbiologie de l’université Paris-Sud, tente
ainsi de transformer des plants de tabac !
En 1997, les chercheurs ont réussi
pour la première fois à produire une
protéine humaine dans un végétal. Il
s'agissait d'hémoglobine - le
transporteur de l’oxygène dans le
sang - dans un plant de
tabac. © Jacques Rougier/INRA
Lorsque l’on parle d’OGM, on pense immédiatement aux plants de maïs résistant aux insectes. Mais ce ne sont
pas les seuls ! On modifie en effet de nombreux organismes – micro-organismes, animaux ou même végétaux –
à d’autres fins : pour produire des médicaments. Par exemple, des bactéries génétiquement modifiées produisent
de l’insuline qui sauve les diabétiques. Ou encore, des levures, OGM elles aussi, permettent de fabriquer des
vaccins
contre
l’hépatite
B.
Pourquoi utiliser des OGM pour produire des molécules thérapeutiques ? En règle générale, les médicaments
sont produits chimiquement. Mais certaines molécules, les protéines, sont trop complexes pour être synthétisées
par cette voie. Dans ce cas, les scientifiques ont recours à des organismes vivants. Ceux-ci sont tout indiqués
pour produire des protéines puisqu’ils le font naturellement ! Mais les protéines produites naturellement par les
organismes ne sont pas les mêmes que celles de l'homme. Les scientifiques doivent donc modifier le programme
génétique des organismes pour les obliger à fabriquer la molécule précise qui permettra de soigner telle ou telle
maladie.
Aujourd’hui, un quart des nouveaux médicaments sont issus de biotechnologies. Et c’est désormais dans les
plantes, qui présentent de nombreux avantages, que les chercheurs voudraient produire de nouveaux
médicaments. S'ils réussissaient, les plants de tabac deviendraient bons pour la santé !
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01/ Des usines vivantes
Modèle moléculaire de la
bactérie appelée Escherichia
Coli, la plus utilisée pour la
production
de
protéines
thérapeutiques. © Dino
Moras/CNRS Photothèque
De nombreuses maladies, comme le diabète, l’hémophilie ou certaines formes de nanisme
sont provoquées par une production défaillante de protéines. Pour soigner les personnes
atteintes, il faut donc leur administrer ces molécules.
Mais, pendant longtemps, les scientifiques n’ont pas su comment les produire. On allait donc
chercher les protéines déjà fabriquées dans des tissus humains ou animaux. Ainsi, l’insuline
pouvait être extraite de pancréas de porcs et l’hormone de croissance prélevée sur des
cadavres humains. Mais les quantités obtenues n'étaient pas toujours suffisantes. Et surtout,
cette technique présentait un risque de transmission de maladie.
La fin des années 70 marque un véritable tournant. On découvre alors comment modifier
génétiquement des bactéries pour qu’elles produisent ces protéines que la personne malade
produit mal, ou ne produit plus.
En 1977, on obtient la toute première protéine produite par une bactérie OGM : la
somatostatine, une hormone impliquée dans le fonctionnement de l’appareil digestif.
Aujourd’hui, les bactéries OGM produisent des insulines et des hormones de croissance qui
ont supplanté l’utilisation de protéines naturelles. En termes d’approvisionnement comme de
sécurité sanitaire, les avantages de ces micro-organismes sont indéniables. Une cuve de 500
litres de bactéries Escherichia Coli remplacerait ainsi 35 000 donneurs humains ! Mais ce
mode de production souffre de quelques défauts. En particulier, les bactéries contiennent des
facteurs capables de déclencher des fièvres, qu’il faut éliminer par des méthodes de
purification
coûteuses.
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Les levures, en revanche, ne présentent pas ces défauts. « Contrairement aux bactéries, les
levures ne produisent pas ces facteurs toxiques », explique Jean-Marie Beckerich, directeur
de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).L‘industrie
pharmaceutique modifie donc des levures – la classique levure de boulanger – pour produire
un vaccin contre l’hépatite B. Mais là encore, la technique n’est pas apte à produire n’importe
quelle molécule. Par exemple, la structure en trois dimensions de la molécule recombinante
n’est pas toujours identique à celle de la protéine naturelle, ce qui induit un risque de rejet ou
de
moindre
efficacité.
Quels organismes ont un fonctionnement encore plus proche de celui de l’homme ? Les
animaux ! Dans les laboratoires, des mammifères – lapins, brebis… - génétiquement modifiés
commencent ainsi à produire des médicaments. On récupère alors les molécules dans leur lait.
L’efficacité thérapeutique de molécules ainsi produites est en cours d’évaluation sur l’homme.
« Chacun de ces OGM présente des avantages et inconvénients, souligne Louis-Marie
Houdebine, qui travaille sur les lapins transgéniques à l’Inra. Mais aucun ne constitue un
système miracle. » La recherche continue donc et se tourne vers les plantes comme nouvelles
usines à médicaments. En théorie, celles-ci présentent de nombreux avantages parmi lesquels
une grosse capacité de production, une meilleure « finition » de la molécule et un moindre
risque de transmission de maladie.
02/ Du tabac pour la santé ?
Ce schéma présente de manière
simplifiée
les
étapes
de
fabrication
d’une
plante
transgénique. Dans les faits, les
chercheurs utilisent en plus du
gène de la « protéinemédicament
»
d’autres
morceaux d’ADN. Ceux-ci
permettent d’activer le gène et
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de s’assurer que celui-ci a bien
été intégré dans les cellules des
végétaux. © Conseil général de
l’Essonne/J.Ray
Depuis toujours, la pharmacie utilise le monde végétal comme source naturelle de molécules
d’intérêt thérapeutique. L’aspirine est un dérivé d’une molécule produite par le saule et plus
récemment, le Taxol, un anti-cancéreux, a été extrait de l’if (arbre de la famille des
Cupressinées). Désormais, les scientifiques tentent également d’exploiter les plantes d’une
manière différente : ils modifient leur ADN pour les forcer à produire des protéines humaines.
En 1997, un végétal génétiquement modifié s’en révèle capable : les chercheurs arrivent alors
à faire secréter, par un plant de tabac, de l’hémoglobine. Si la molécule ressemble à s’y
méprendre à son homologue naturelle, elle s’avère malheureusement incapable de jouer son
rôle de transporteur de l’oxygène dans le sang. Mais le principe a fait ses preuves !
Au centre scientifique de l’université Paris-Sud à Orsay, Aimé Nato pousse plus avant ces
recherches sur les plants de tabac modifiés. Dans la salle conditionnée de l’Institut de
génétique et de microbiologie, le visiteur découvre une étonnante collection de tabac : des
cultures in vitro, des flacons avec des racines isolées en milieu liquide, des boîtes plates
parsemées d’amas cellulaires. Ces différentes formes de Nicotiana tabacum sont modifiées
dans le même but : servir de fabrique à de nouvelles molécules d’intérêt thérapeutique, des
anticorps.
Les anticorps sont des protéines qui font partie du système de défense du corps humain. Ils
servent comme outils de diagnostic. Ils sont également testés pour servir au traitement de
nombreuses maladies, notamment le cancer. Aujourd'hui, les anticorps sont obtenus grâce à
des cellules de mammifères modifiées et mises en culture. Mais cette technique est coûteuse
et son rendement est limité. Il est donc crucial de disposer d’une méthode de production plus
efficace.
C'est ce défi que veut relever Aimé Nato avec des plants de tabac. « Le tabac présente de
nombreux avantages, explique le chercheur. D’une part, on connaît bien son génome ce qui
facilite les manipulations. D’autre part, le tabac ne se croise pas facilement avec d’autres
espèces, ce qui écarte les risques de dissémination (s'il était cultivé en plein champ à
l'extérieur, ndlr). Enfin, comme les autres plantes, le tabac permet une assez bonne ”finition”
de la molécule : il est capable notamment d’y ajouter des sucres (« glycolysation ») qui
permettront à la protéine d’être biologiquement active dans l’organisme. »
En collaboration avec des chercheurs de l’Institut Pasteur de Paris, Aimé Nato, Yves
Henry et leurs collègues ont donc cherché à produire des fragments d'anticorps particuliers
impliqués dans les réactions inflammatoires. Pour cela, ils ont tout d’abord isolé le « gène
d’intérêt », ce morceau d’ADN qui expliquera à la plante comment produire l’anticorps.
Ensuite, ils ont construit un transporteur pour ce gène : un anneau d’ADN appelé « plasmide »
et dont ils se sont procurés de nombreuses copies. Chaque plasmide a alors été introduit dans
une cellule du plant de tabac, lui intimant de produire l’anticorps désiré.
Après s’être assuré que l’anticorps recombinant était bien actif, il ne restait aux chercheurs
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qu’à trouver la meilleure méthode de récolte. Dans les feuilles ? Pourquoi pas. Les cellules
des végétaux possède en effet cette extraordinaire capacité à redonner naissance à n’importe
quelle partie de la plante, voire à la plante entière.
Mais ayant constaté que les fragments d’anticorps s’accumulaient dans les racines, Aimé Nato
et ses collègues ont privilégié la culture de racines en milieu liquide.
Et ça marche : les racines « recrachent » les anticorps dans leur bain de culture. « Comme ce
milieu est minéral, composé d’eau et de sels, la purification de la molécule thérapeutique est
facilitée et le risque de transmission d’agents infectieux est inexistant ! », insiste Aimé Nato,
dont le prochain défi est d’améliorer le rendement de cette technique prometteuse.
03/ Un principe qui prend racine
Culture de racines de tabac qui
rejettent dans le milieu les
molécules thérapeutiques.
© Bruno Lascaux/ MVE UPS
XI
L’utilisation de plantes génétiquement modifiées dans un but thérapeutique n’en est encore
qu’au stade expérimental. Aucune molécule produite par ce biais n’a abouti pour l’instant à
une commercialisation. Mais la recherche s’active et explore de multiples pistes !
Parmi les projets les plus avancés de production d’anticorps dans le tabac, une entreprise
américaine de Biotechnologies (Planet Biotechnology) a obtenu une protéine (appelée
immunoglobuline) qui empêche l’adhésion des bactéries sur les dents. Des essais cliniques ont
été menés pour en mesurer l’innocuité sur l’homme. Si elle confirmait son efficacité, cette
immunoglobuline pourrait être utilisée en application locale pour prévenir les caries dentaires.
Toujours dans le tabac, la production de collagène – une substance utile à la réparation de la
peau
est
également
bien
avancée.
Les recherches se poursuivent aussi sur d’autres plantes : pomme de terre, colza, maïs.
L’entreprise Meristem Therapeutics a ainsi modifié du maïs pour lui faire produire plusieurs
kilogrammes de lipase gastrique, une enzyme digestive qui aide les personnes atteintes de
mucoviscidose. Ce médicament n'est pas encore autorisé mais il a passé avec succès de
5
premières
phases
d'essai
sur
l'homme.
Enfin, différents modes de production sont envisagés : en plein champ ou en laboratoire. Dans
le premier cas, ce sont les plantes entières, cultivées en plein champ, qui servent d’ateliers de
fabrication. Le prix de revient est alors minime. Mais ce mode de production se heurte à des
incertitudes. Il faut mesurer par exemple les risques de dissémination dans l'environnement,
mais aussi ceux pour la santé humaine. Les protéines sont en effet capables de déclencher des
allergies. Une exposition répétée des populations environnantes à ces protéines pourrait donc
s'avérer potentiellement néfaste. Le second mode de production, en laboratoire, écarte ce
risque puisque ce sont des cellules cultivées in vitro ou dans des fermenteurs qui sont
chargées de produire les molécules d’intérêt thérapeutique. Mais dans ce cas le coût
augmente. Des voies intermédiaires se dessinent : l’utilisation de lentilles d’eau en milieu
confiné permettrait par exemple d’allier les avantages des deux modes de production.
À plus long terme, les chercheurs tentent de fabriquer des vaccins dans des plantes
comestibles comme la tomate ou la banane. Non seulement pour les produire mais aussi pour
les administrer ! Ces « vaccins à croquer » ("edible vaccines" en anglais) se conserveraient
alors à température ambiante et pourraient être délivrés par voie orale, ce qui éliminerait le
matériel d’injection.
En mars 2005, des chercheurs américains ont montré que cette approche n’était pas
qu’un doux rêve. Ils ont en effet testé sur une trentaine de personnes un vaccin de rappel
contre l’hépatite B contenu dans une pomme de terre génétiquement modifiée. Résultat :
le vaccin-patate s’est révélé efficace dans 60 % des cas.
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