Histoire de l’Europe monétaire (1998) Ouvrage de Jean Pierre Patat qui retrace, après un rappel sur les fonctions de la monnaie et les avantages ou inconvénients attendus d’une monnaie unique, l’histoire des tentatives de coopération monétaire en Europe, avant de décrire le processus menant à la monnaie unique. La monnaie, instrument essentiel de la cohésion d’un espace économique. L’auteur distingue trois grandes étapes dans l’histoire monétaire : La fin du troc et l’introduction d’instrument permettant de régler les échanges selon le principe de l’étalon La création de monnaie fiduciaire et scripturale et donc le mécanisme de création monétaire La création de la banque centrale, qui a le monopole de l’émission de monnaie ce qui lui donne une crédibilité qui explique son autre rôle : celui du maintien de la stabilité monétaire. On peut distinguer plusieurs avantages monnaie unique, qui vont au-delà de ces inconvénients : homogénéité des prix sur tout un territoire, baisse des coûts de transactions des coûts de conversion etc. Cependant, c’est une contrainte qui s’impose à tous et peut créer des problèmes de compétitivité entre des régions d’une même zone où existe la monnaie unique. Le bilan des expériences de coopération monétaire européenne. L’étalon or a fonctionné jusqu’en 1914 sur un système fondé sur la confiance, que permettait la complète convertibilité de chaque monnaie européenne en or. Les banques centrales nationales intervenaient en augmentant ou en baissant les taux d’escompte (taux d’intérêt). Cependant le système avait tendance à s’éroder, le déficit de la balance des paiements était chronique mais il n’était pas visible par manque de statistiques. Entre les deux guerres, échec de la tentative de retourner à système d’étalon or (le Gold Exchange standard) car période de grands déséquilibres (inflation, chômage) qui rend impossible le maintien des parités. Apparition de la notion de zone monétaire, autour du dollar et de la livre. NB :définition page 16 : « une zone monétaire est un groupe de pays, généralement dominer économiquement par l’un d’entre eux, intérieur duquel la convertibilité à un cours de change fixe est intégral, les mouvements de capitaux totalement libres et les réserves de change (…) mises en commun. » Les accords de Bretton Woods (juillet 1944) recréent un système très contraignant de convertibilité or. En Europe, pour accompagner le plan Marshall sont créés l'Office européen de coopération économique et la banque des règlements internationaux (1948). En juin 1950 est créé le premier accord en matière monétaire : l'union européenne des paiements, qui permet de mettre en place un système de paiements multilatéraux entre France, Belgique, Italie, RFA, Pays-Bas avec une garantie de change (monnaie arrimée à l'or) et des compensations entre banques centrales créditrices et débitrices. Dans le traité de Rome, il n'existe aucune référence à une union monétaire mais c'est une coordination des politiques qui est prônée. C'est à la conférence de La Haye (1962) qu’est décidé le principe de l'union économique et monétaire, à l'échéance de 1980. Le rapport Werner de 1971 en donne toutes les étapes jusqu'à une monnaie unique (préfigure le rapport Delors de 1989). Mais refus des autorités françaises et allemandes. Après la fin du système monétaire international (décembre 1971), l'Europe décide de créer le « serpent monétaire européen » : marges de fluctuation de 2,25 % entre les monnaies européennes et 2,25 % par rapport au dollar : c'est le tunnel (1972). En 1973 est créé le fonds européen de coopération monétaire (FECOM) et l'écu : unité monétaire commune (panier de monnaies). Le FECOM est considéré comme l'embryon de la banque centrale européenne. Le système monétaire européen est créé le 13 mars 1979, sur le principe du serpent : des taux de change fixes ajustables, une mise en commun partiel des réserves de change des banques centrales et la répartition des charges d’ajustement sur les marchés des changes. La France, en s'arrimant par des changes fixes espérait pouvoir mener, par cette politique de franc fort une politique de désinflation compétitive. Le SME a globalement bien fonctionné : peu de réajustement des monnaies, inflation à peu près maîtrisée (fortement diminué en tout cas), etc. cependant, on a constaté une tendance à créer en fait une zone Mark : les pays coordonnaient leurs politiques en fonction de l'Allemagne (de l'Ouest). L'échéance de l'acte unique et la nouvelle notion d'union monétaire européenne. La genèse L’idée de l'UEM naît : Avec le marché unique, qui oblige à avoir des politiques monétaires étroitement coordonnées. Ce marché est né en janvier 1993 sur trois principes : la liberté d'établissement, la liberté des mouvements de capitaux qui s'exercent à partir du 1 juillet 1990 et la liberté de prestation de services qui permet à toutes banques ou compagnies d'assurances de proposer ses services dans toute la zone du marché unique. Le problème du triangle des incompatibilités est exacerbé d'où des politiques monétaires contraintes. Avec l'idée d'une unification des politiques monétaires autour d'une banque centrale européenne (BCE). Au début des années 90, les politiques monétaires poursuivent chacune un objectif propre avec quand même une volonté d'inflation maîtrisée. Il existe « des degrés dans les appréciations des niveaux tolérables d'inflation » mais aussi une incompatibilité entre le maintien de dévolution de masse monétaire et le maintien du cours des devises. En effet le SME peut être considéré comme un système de change fixe qui rend incompatible ces deux éléments. Le grand marché de 1993 laisse entrevoir la possibilité de grands mouvements de capitaux incontrôlés d'où une grande coordination des politiques exigée (exemple de la mauvaise coordination des politiques suites à la baisse du dollar en 1986-1987). À partir de janvier 1988 l’idée est lancée, en France d'abord, d'une BCE qui contrôlerait l'émission et la circulation d'une monnaie unique (Balladur). L'idée d’UEM. L'UEM est la forme la plus achevée de zone monétaire : on a plus de monnaie de référence mais une monnaie unique. Le processus d'intégration monétaire est irréversible, on n'a pas de « monnaie forte » à laquelle se raccrocher et pas de possibilité de modifier parités entre les monnaies, ce qui en fait sa principale différence avec une zone monétaire. De plus il n'existe pas d'équivalent historique à ce processus unique (les États-Unis ou l'Allemagne se sont construits autour d’un fédéralisme et d'un sentiment national fort). Le plus original est qu'il n'existe pas de monnaie dominante mais qu'il est créée une nouvelle monnaie qui doit permettre l'union de pays disparates qui ont des situations économiques différentes. Les principaux avantages attendus sont la suppression des risques de change et la baisse des coûts de transaction qui doit permettre l'ouverture des échanges, la stabilité des prix, un taux d'intérêt plus avantageux, et une baisse des disparités de développement en permettant aux pays de ne pas avoir de contraintes de balance des paiements. Selon l'auteur, ce dernier point est une « fausse bonne idée » car l'absence de contraintes encouragerait de plus fortes disparités entre les pays (laxisme) ce qui serait nuisible à l'Euro. Le problème central reste de savoir comment mettre en place cette UEM. Les positions nationales respectives face au projet d'union monétaire. On distingue trois groupes de pays : La Grande-Bretagne est opposée par principe à la monnaie unique : opposition à la supranationalité, pas de perte de souveraineté que symbolise la perte du contrôle de la monnaie. Les Allemands sont favorables mais pas demandeurs : il souhaite une lente harmonisation des principaux indicateurs économiques au niveau communautaire, en particulier la stabilité monétaire. Selon la « thèse du couronnement », il souhaite un contrôle de la monnaie par une banque centrale largement indépendante. La France Italie et la Belgique sont favorables à l'UEM en fonction d'une position qui va dans le sens un approfondissement institutionnel en plus de la convergence économique (c'est la thèse institutionnelle). Premiers pas et concessions réciproques : 1988 -- 1989 Le rapport Delors de juin 1989 est favorable à une conception maximaliste de l'union économique et monétaire prônant une monnaie unique et une politique monétaire unique, respectant quand même le principe de subsidiarité. «Ce principe veut que les compétences des organismes communautaires supranationaux, qu'il faudra bien créer, soit limitées aux seuls domaines dans lesquels une décision collective est nécessaire, toutes les fonctions qui pourraient être exercées au niveau national devant rester de la compétence des états membres». Dans ce rapport, L'union économique doit se faire en parallèle de l'union monétaire ce qui justifie l'achèvement du marché unique, une politique de concurrence à l'échelle communautaire, une politique communautaire de diminution des inégalités de développement (politiques structurelles) et une politique macroéconomique à l'échelle communautaire qui suppose une coordination étroite des actions des gouvernements et impose des règles budgétaires strictes. Le rapport décrit aussi les étapes institutionnelles à suivre pour la mise en place de l'UEM, c’est un processus irréversible sans retour en arrière possible, et progressif selon trois étapes : À partir de juillet 1990 coordination des politiques À partir de la signature du traité réformant le traité de Rome (ce sera le traité de Maastricht), coordination intérieure dans un cadre préétabli (critères de convergence). Création du système européen des banques centrales qui fixe les orientations monétaires pour ensemble de la communauté (début de la mise en commun des réserves de change) Fixation irrévocable des parités avec, en fin de processus, l'adoption d'une monnaie unique. On peut résumer ce rapport ainsi : c'est une avancée considérable dans l'union économique et monétaire mais qui nécessite une démarche progressive par l'ambition même de l'objectif final c'est-à-dire une monnaie unique, qui l'a emporté sur l'idée d'une monnaie parallèle qui a aussi été étudiée. On peut considérer que c'est une forme de conciliation des démarches allemandes et françaises présentées ci-dessus. Les suites du rapport Delors de (1989 -- 1991). Un contre-projet britannique propose la mise en concurrence générale des monnaies du système monétaire européen, qui auraient toutes un pouvoir libératoire dans tous les pays d'Europe. Il résulterait de ceci qu'à long terme une monnaie deviendrait hégémonique ce qui laisserait présager une zone Mark et reviendrait en fait à faire du deutsche mark la monnaie unique européenne. Une première étape du rapport Delors est entamée sous la présidence française au deuxième semestre de 1989. Il est mis en place un système de surveillance des principaux indicateurs, le conseil européen propose des recommandations de politique économique et le rôle du comité des gouverneurs des banques centrales et renforcer. Par contre, le passage à la deuxième étape est plus difficile. Le rapport Guigou (octobre 1989) est une série de questions sur la convergence et les conditions d'obtention de cette convergence. Le 13 novembre 1989, il est décidé d'abandonner le projet britannique est de réunir une conférence intergouvernementale afin de modifier le traité de Rome. L'année 1990 sera une année de réflexion à propos des avantages de l'UEM, avec les travaux de la Commission des Communautés. L'aboutissement de cette réflexion conduira au traité de Maastricht qui bâtit l'architecture de l'UEM : Une monnaie unique et non une monnaie commune Trois phases pour le passage à cet monnaie unique : la première déjà engagée depuis 1990 ; après le 1er janvier 1994 une deuxième phase de coordination des politiques et d'accentuation des disciplines budgétaires et la création de l'institut monétaire européen (embryon de la banque centrale européenne) ; la troisième phase à partir du 1er janvier 1997 ou 1999 avec des parités fixes, une politique monétaire menée par le SEBC c'est-à-dire la BCE plus leses banques centrales nationales (BCN). C'est un processus irréversible validé par des critères économiques de convergence qui empêchent un retour en arrière et un critère juridique d'indépendance des BCN. C'est un processus à plusieurs vitesses selon la date d'entrée de chaque pays dans l'UEM. Il existe une possibilité « d'opting act », utilisé par la Grande-Bretagne et le Danemark. De l'écu à l'euro (1992 -- 1998) Les crises de change de 1992 à 1996 Des doutes sur certains pays ajoutés à une perception que l’Europe entre en récession et à la volonté de certains agents de faire échouer le processus d'unification impliquent plusieurs crises de change en particulier les attaques contre le franc français qui est au centre du processus d'unification monétaire. Il y a plusieurs crises : Septembre octobre 1992 : attaques contre des monnaies faibles et le franc, alors qu'il n'existe pas de critères objectifs de dévaluation (les fondamentaux sont bons), accentuées aux alentours du référendum de Maastricht en France (20 septembre 1992). Cependant la non dévaluation du franc entraîna l'apaisement des marchés. Novembre 92 février 93 : ralentissement économique sensible, doutes sur les législatives françaises, entraîne des attaques plus larvées contre le franc français et la livre irlandaise. Dévaluation de l'escudo et de la peseta. Juillet 1993 : crise la plus violente. Inquiétude de la déflation, baisse des taux en France cinq fois de suite. La réunion du comité monétaire à la demande des autorités allemandes, décidé l'élargissement des marges de fluctuation à ± 15 %, ce qui entraîne un apaisement. En 1994, le calme revient mais en 1995, la baisse du dollar et doute sur la bonté de l'Allemagne de continuer l'intégration (plus des présidentielles en France) entraîne une hausse des tensions avec des pressions sur le franc en février et octobre 1995. 1996 97 : on ne parle plus de crise, mais de quelques tensions comme par exemple autour des législatives anticipées de 1997 en France. Les grands dossiers opérationnels pour le passage à l'euro 1. Le nom de la monnaie unique est décidé fin décembre 1996, après un ensemble de discussions passionnelles. 2. Le scénario de passage à la monnaie unique est décidé A partir du 1er janvier 1999, la politique monétaire de change sera unique et en euro, système de paiement de gros se fera en euro et il est décidé une période transitoire jusqu'au 1 janvier 2002 pendant laquelle les monnaies nationales continueront à circuler. Le 1 janvier 2002 est introduit l'euro fiduciaire avec une double circulation jusqu'en juillet 2002. Cette période transitoire repose sur une subtilité juridique qui consiste à dire qu'à partir de 1999, l'euro et la monnaie officielle mais que les monnaies nationales sont des « subdivisions non décimales de l'euro ». 3. L’environnement monétaire et budgétaire de la zone euro. L'environnement monétaire passe par définition du SME pour les pays qui ne sont pas dans l'euro. Au conseil de Dublin de 1996 sont des décider des marges de fluctuation à partir de l'euro, relativement large pour ces monnaies. Cependant l'objectif de stabilité des prix peut entraîner le fait que la BCE limite ses interventions pour maintenir les parités vis-à-vis de ces monnaies. L'environnement budgétaire impose continuer la convergence après le passage à l'euro : c'est la base du pacte de stabilité de croissance (Amsterdam 1997), qui comporte un objectif de convergence (la limite des 3 % de déficit budgétaire) et de « respiration » c'est-à-dire le principe de stabilisateur automatique, car l'objectif final est bien d'obtenir un équilibre budgétaire qui permet d'avoir cet respiration dans le cadre des 3 % de déficit autorisé. 4. La construction du SEBC. Pour la politique monétaire, utilisation d'agrégats de monnaie européens, et d’une balance des transactions européenne. L'objectif final est de maîtriser l'inflation, alors que l'objectif intermédiaire consiste à contrôler l'évolution de la masse monétaire (agrégat), ainsi que d'autres indicateurs. Le principe des réserves obligatoires est retenu et il est mis en place un certain nombre de techniques de « réglage fin » tel que les pensions quotidiennes etc. Pour le système de paiement : le système Target repose sur le principe de règlement brut c'est-à-dire des lambeaux du paiement (pas de différer de paiement). Ce système permet la diffusion rapide des décisions de politique monétaire. Enfin les différents pays s'entendent sur les billets en euro : coupures, taille, dessins etc. 5. L’organisation des tâches entre la BCE et les BCN. La BCE décide, et les BCN préparent et mettent en oeuvre les décisions, comme par exemple des interventions sur les changes etc. les BCN transfèrent à la BCE des avoirs de réserves de change (50 milliards d'euros). Elle reste proche de leur système bancaire, ce qui leur permet une meilleure connaissance est ainsi une gestion plus décentralisée de politique monétaire. 6. La convergence économique. Elle est appréciée par quatre critères : l'inflation, les finances publiques, le taux de change, et les taux à long terme. L'ensemble des gouvernements a en général pris des mesures correctrices, le critère le plus dur à atteindre étant le critère budgétaire. Le résultat est que 14 pays sur 15 ans plus ensemble des critères ou presque, celui de dette publique ayant été ± abandonné. Conclusion En 1998,11 pays ont été qualifiés pour la monnaie unique, et 12 un an plus tard après de gros efforts de la Grèce pour intégrer l'UEM. La Grande-Bretagne le Danemark ont fait jouer la clause d’opting act, et la Suède n'a pas ratifié le traité de Maastricht. Le 1 juin 1998 naissait la BCE. L'auteur conclut sur plusieurs remarques : 1. « Cette entreprise jugée par beaucoup irréaliste politiquement, économiquement dangereuse et techniquement impossible a réussi ». 2. « l'union est large » : elle comprend en effet 12 pays et surtout l'ensemble des pays du Sud qui ont longtemps été considérés comme laxistes, alors que c’est eux qui ont fait les plus gros efforts pour rejoindre l'UEM. 3. « L'union monétaire et décentralisée est n'est le clone d'aucun pays ni d'aucune monnaie. » Cela met fin à la crainte de voir la zone euro comme une « zone deutsche mark », où la Bundesbank mènerait la politique monétaire européenne. 4. « L'union monétaire est entreprise non seulement technique mais « stratégique » ». C'est un enjeu stratégique d'une part pour les acteurs économiques (plus de visibilité et de liberté), d'autre part pour les gouvernements qui peuvent se consacrer à des politiques structurelles et enfin pour les relations monétaires internationales : il est possible d'assister à un rééquilibrage à terme des rapports monétaires internationaux, mais cela dépend maintenant uniquement de l'Europe.