chargée de recherche au CERI, responsable du programme « Law, Justice and Society in China ».
LES GRANDES LIGNES :
- La transition du leadership chinois autour du 18ème Congrès du Parti communiste chinois (PCC)
s'étant déroulée avec difficulté, le monde des affaires s’est un temps demandé s'il y avait un risque
d'effondrement de l'État-Parti.
- La mauvaise réputation du système judiciaire chinois demeure mais des progrès notables sont
observés. La sécurité juridique reste en effet relative.
- Protestations de masse et actions collectives se multiplient. Cette instabilité « sociétale » a des
répercussions sur le plan politique et a tendance à favoriser l’aile dure au sein du pouvoir. La
situation sociale est un facteur de risque pays et par conséquent de risque politique au sens large.
- À côté de la justice ordinaire, qui se développe, subsiste une justice d'exception (équivalent à la
« Raison d’Etat »), qui ne garantit ni les droits de la défense ni l’indépendance de la justice.
- Depuis l'entrée de la Chine à l'OMC fin 2001, le travail législatif est considérable, mais la
multiplicité des lois et règlements rend leur qualité et donc leur application difficiles.
- En l'absence de contrôle de légalité sans même mentionner un contrôle de constitutionnalité des
lois , la hiérarchie des normes reste floue. Celle-ci a tendance à s'inverser, les règlements locaux
passant avant les lois nationales.
- La Chine est en train de créer une justice moderne, rendue possible grâce à des budgets
confortables. Par ailleurs, pour construire son système juridique, elle puise à diverses sources
étrangères, pas toujours compatibles.
- Le système politique, complexe et non transparent, n'en est pas moins relativement prévisible
depuis les années 1990. Le calendrier politique de la Chine est fixé avec une grande précision.
- Dans un contexte de concurrence féroce, les entreprises étrangères doivent à la fois investir sur le
long terme (l’horizon des plans quinquennaux et des Congrès du PCC, également fixés tous les 5
ans) et avoir des business plans d’une grande réactivité à court terme (idéalement tous les ans au
rythme des réunions de l’Assemblée Nationale Populaire, ANP ou tous les 18 mois).
- Le respect des codes de conduite, du droit du travail, des normes sanitaires et environnementales
devient absolument nécessaire.
EXPOSE
1. La solidité de l'État-parti en question
Le sujet « Cadre juridique et risque politique en Chine » a toujours été important. Il l'est devenu
davantage pour deux raisons. En premier lieu, parce que la transition politique récente s'est mal
déroulée. Les hommes d'affaires étrangers et chinois ont ouvertement posé la question de savoir s'il
y avait un risque politique en Chine. Le régime autoritaire de l'État à parti unique, jusque là assez
favorable au business, ne finirait-il pas par s'effondrer ? Cette question hante les observateurs
depuis la chute du mur de Berlin et les événements de la place Tiananmen en 1989. Les faits l'ont
démentie, car il s'est passé beaucoup de choses depuis. La période de la réforme chinoise (1978 à
aujourd'hui) aura été plus longue que la période précédente (1949-1978). Les praticiens de la Chine
voyaient plus un pays en croissance rapide qu'une Chine en train de s'écrouler.
Mais le fait que la succession politique se passe mal a ramené la question dans le débat public. Des
actes graves se sont produits, en particulier l'affaire du dirigeant Bo Xilai. En arrière plan se posait
la question de l'indépendance de la justice chinoise, de l'existence d'une justice parallèle, celle du
Parti, d'un niveau de corruption considérable, du délitement moral du PCC, du rôle de la sécurité
publique, de la violence politique, etc. L'épouse de Bo Xilai a été condamnée pour avoir assassiné
un homme d'affaires britannique. Ce qui a précisément fait réagir la communauté des businessmen.
En second lieu, les institutions internationales dont la Banque mondiale s'intéressent de près à la
sécurité juridique dans les pays émergents et notamment en Chine. Jusque là, cela appartenait au
domaine du politique. Mais on s'aperçoit que c'est très lié au contexte général des affaires.
Dans une vidéo de trois minutes
(http://link.brightcove.com/services/player/bcpid875482272001?bckey=AQ~~,AAAAAK_PYqE~,d
FX017llKTs7h6Ep3eyO-OAM4GNnf5Ak&bctid=1653377355001), un homme d'affaires américain
assure que, pour lui, la Chine est un Eldorado, dans lequel il n'y a pas de problème de sécurité
juridique. Compte tenu des chiffres de Transparency International, qui classe la Chine de mieux en
mieux, même en matière de corruption, il ne voit pas pourquoi le problème se pose. Cette
intervention, faite dans le cadre d'une table ronde, a été diffusée sur YouTube et son équivalent
chinois. Elle a énormément fait réagir les hommes d'affaires, tant chinois qu'étrangers. La question
de la sécurité juridique et des risques politiques en Chine est désormais débattue.
Mauvaise réputation
Le système judiciaire chinois a plutôt mauvaise réputation, en Chine comme à l’étranger. Les cas ne
manquent pas où la justice a été rendue de façon totalement dépendante du pouvoir. En même
temps, les investissements étrangers se font dans un cadre de sécurité juridique relative. S'il est
dangereux de faire du business en Chine, pourquoi constate-t-on que c'est l'un des pays qui reçoit
les investissements directs étrangers (IDE) les plus importants au monde, tandis que la puissance
économique chinoise ne cesse de se développer ? C'est paradoxal.
Dès lors, deux questions se posent :
- Le cadre judiciaire et juridique en Chine est-t-il un risque ?
- En l'absence d'état de droit dans un État à parti unique et alors que la corruption reste présente, la
Chine politique elle-même constitue-t-elle un risque ? Bien que la réforme juridique et judiciaire
soit engagée depuis trente ans, comment se fait-il qu'il y ait toujours tant d'affaires de corruption ?
2. Alioration de la sécurité juridique
En réponse, on peut dire que la sécurité juridique en Chine n'est pas absolue, mais relative. Elle a
cependant tendance à s'améliorer. On va vers un mieux. En revanche, cette progression n'est pas
linéaire. Elle se fait par des effets de stop and go, qui ne sont pas indépendants des évolutions
politiques. D'où l'importance de regarder de très près l'agenda politique en Chine et la réalité du
système politique chinois. L'objectif à atteindre n'est pas non plus fixé (est-ce vraiment l’Etat de
droit ?). On a vu des avancées du moment de l'entrée de la Chine à l'Organisation mondiale du
commerce (OMC) en 2001 jusqu'à la période post-Jeux olympiques de Pékin, soit après 2008.
Ensuite, pendant le deuxième mandat de l'ère Hu Jintao (2007-2012), une radicalisation politique
importante, à laquelle on ne s'attendait pas, a donné un coup d'arrêt à cette évolution.
On ira sans doute vers de plus en plus d'effets de stop and go, parce que le système politique est de
plus en plus acculé aux mouvements et pressions de la société, laquelle est de plus en plus
complexe. Et aussi parce que la réforme chinoise passe du quantitatif tout était à faire au
qualitatif, qui demande des choix d'ordre politique. Comment forme-t-on les juges, les avocats ?
Quelle place la loi donne-t-elle aux avocats, par exemple par rapport à la sécurité publique ? Quel
rapport de dépendance peut-on admettre d'un avocat par rapport au pouvoir politique ?
Dès lors qu'on entre dans le qualitatif, la progression se fait toujours également en interaction avec
les médias, chinois ou étrangers (voir à ce titre les enquêtes du New York Times sur la corruption
des dirigeants chinois qui ont fait, en 2013, un grand bruit en République populaire) qui se
constituent, la société civile et en tension au sein du système politique, qui n'est pas univoque. Cela
rend plus compliquée la visibilité de la réforme.
Une préoccupation d'abord chinoise
Cette préoccupation de la sécurité juridique et du risque politique est plus chinoise et locale
qu'étrangère. Il y a un hiatus entre la perception du risque politique que pose la Chine par une
société occidentale européenne ou américaine et par le monde des affaires chinois. Les enquêtes de
terrain montrent, de la part des entrepreneurs chinois, une forte attente de réformes politiques,
juridiques, judiciaires, de plus grande transparence d'un système dont ils sont les premiers critiques.
Il faut déconstruire la perception selon laquelle les entreprises étrangères seraient moins bien
traitées par les tribunaux chinois. La question se pose aussi pour les investisseurs chinois. Par
exemple, la question de la propriété intellectuelle est d'abord une question locale, interne, ainsi que
le montre Me Desevedavy. Pour les Japonais, la Chine est un risque en soi et le fait d'être une
société japonaise en Chine représente un risque très important. Parce qu'elle l'est, on peut penser
qu'elle finira par être traitée.
Grande instabilité sociétale
La très grande instabilité sociétale plus large que sociale va créer de l'instabilité politique. C'est
plus dangereux pour le contexte des affaires que le contexte politique seul. L'instabilité sociétale se
traduit par l'augmentation du nombre de contestations, de protestations, d'actions collectives très
importantes, qui tiennent aux expropriations massives, aux risques sanitaires ou environnementaux
mais aussi aux mouvements nationalistes qui peuvent déborder y compris l’agenda politique du
gouvernement de Pékin. Ces derniers sont aujourd'hui la première cause de protestation. Ce
contexte sociétal, que l'on avait tendance à minorer, devient non négligeable pour les entreprises en
Chine.
Les droits de l'homme ne sont pas hors sujet. Car on doit tenir compte du contexte extra chinois,
celui de l'opinion publique internationale. La question de savoir si les entreprises étrangères ou les
multinationales commerçant en Chine respectent les codes de conduite, les chartes de responsabilité
sociale devient aussi une préoccupation importante. Apple est dans une situation difficile depuis le
printemps 2013 en Chine. Le gouvernement mène actuellement une campagne médiatique, parfois
difficile à saisir, contre ce géant de l'informatique. Apple dépend de sous-traitants comme Foxconn,
qui font l'objet, depuis dix-huit mois, de nombreux reportages pour dénoncer le non respect du droit
du travail, les suicides des jeunes migrants (on se reportera avec intérêt aux analyses de China
Labor Bulletin basé à Hong Kong notamment). La presse internationale s'est faite l'écho du travail
des journalistes chinois. Foxconn a la particularité d'être une entreprise taïwanaise, ce qui ajoute un
élément politique à l'affaire.
Auparavant, on avait une vision assez holiste du contexte des affaires en Chine. Il faut la conserver,
mais y ajouter des éléments qui étaient jusqu'à présent considérés comme périphériques.
3. L'affirmation du droit
La sécurité juridique se définit par :
- L'affirmation du principe de légalité. Cela paraît évident, mais on ne doit pas oublier que la Chine
est une société autoritaire et en partie post-« totalitaire » si l’on tient compte de la période maoïste.
Le système juridique et judiciaire y ont été totalement détruits entre les années 1910-1920, sous le
Parti Nationaliste du Kuomintang (KMT ou Guomindang), avant même l'arrivée des communistes.
À partir des années 1980, à l’ère post-Mao, la reconstruction du droit chinois s'est faite, contre la
propre tradition juridique des codes de la Chine, en intégrant des apports de tous les droits et toutes
les traditions. Par conséquent, le droit chinois est aujourd’hui, par essence, comparatif et, en
l’occurrence, très peu chinois. Cela crée des difficultés, car les professionnels du judiciaire –
avocats, procureurs, juges, greffiers intégrés à la culture chinoise, ont du mal à travailler avec le
droit de leur pays.
- Le principe de l'égalité. L'idée du principe de légalité, c'est de fixer des lois et de les faire
appliquer selon le principe de l'égalité de tous.
- La garantie de la qualité de la loi. Elle doit être compréhensible, relativement transparente,
accessible. C'est une chose d'avoir des lois, mais si l'on ne peut pas en trouver le texte, si plusieurs
textes sont en concurrence sans que l'on sache lequel fait autorité, c'est un vrai problème.
- Une dimension de prévisibilité. Si l'on connaît le système dans lequel on évolue, on peut anticiper
la façon dont ce système sera appliqué.
- Le principe de la non rétroactivité de la loi.
L'affirmation du principe de légalité, de l'importance du droit ne cesse de prendre de l'importance et
de grandir en Chine depuis trente ans. L'idée selon laquelle la Chine est un vaste « Far West », dans
laquelle on peut faire n'importe quoi, sur la base de relations interpersonnelles (les fameux
« guanxi »), de corruption, de réseaux, d'informel, d'absence de droit, est fondamentalement
erronée. C'est aussi une erreur de considérer le système juridique comme suffisant. Quand on
s'engage dans une opération d'affaires, il est très important de maîtriser les deux aspects de la
question et d’adopter une conception holiste du monde des affaires, politique et social.
Justice ordinaire et justice d'exception
À côté d'une justice ordinaire subsiste une justice « d'exception ». La première gère les conflits
quotidiens et peut traiter les différends entre sociétés étrangères et chinoises. La seconde, maîtrisée
par le pouvoir, se fonde sur la Raison d'État, la protection de la sécurité de l'État, le secret et les
arguments nationalistes. Elle n'offre aucune garantie au justiciable, car ni les médias ni la justice ne
sont indépendants.
Comme tous les régimes communistes, la Chine est une grande adepte de statistiques. Chaque
année, en mars, lors de la session de l'Assemblée nationale populaire, la Cour populaire suprême et
le Parquet populaire suprême produisent un rapport d'activité. Y sont détaillés le nombre de cas
traités, les types de litiges, etc. Depuis 2005, on y trouve le nombre de condamnations pour atteinte
à la sécurité de l'État. Ce nombre ne cesse d'augmenter, alors qu'on s'attendrait à la voir diminuer en
raison d'une professionnalisation croissance de la justice. Il y a eu un millier de cas en 2012, d’après
l’ONG Dui Hua basée entre Hong Kong et la Californie. Dans ces cas, le nombre d'affaires relatives
aux transactions et au business est en déclin. En revanche, les affaires d'ordre politique portent sur
la dissidence, le terrorisme d'État ou les actions qualifiées comme telles. Sont poursuivies en grande
majorité des personnes du Xinjiang, du Tibet et autres foyers de « dissidence ».
La Chine possède la justice émergente d'un pays émergent. Cela peut paraître étonnant, compte tenu
de la longueur et de « l'épaisseur » de la civilisation chinoise, ainsi que de la culture juridique
antérieure au 20e siècle. Aucun pays de la dimension de la Chine ne construit aujourd'hui tout un
nouveau système juridique et judiciaire. La profession d'avocat, par exemple, est nouvelle. Elle n'a
pas d'histoire et se construit selon des codes empruntés à l'étranger.
Un agenda législatif imposant
Depuis trente ans, et plus encore depuis l'entrée de la Chine à l'OMC, au début du 21e siècle,
l'agenda législatif du pays est considérable : lois sur les professions juridiques et judiciaires (2002),
sur les sociétés (2006), sur les fusions-acquisitions (2006), sur la propriété (2007), lois du travail et
sur les contrats de travail (2008), sur les monopoles et la concurrence (2008-2010), la sécurité
sociale (2012), sur les investissements stratégiques, sur la propriété intellectuelle Ces lois sont
régulièrement amendées. On ne peut pas dire que la norme juridique soit négligeable. Il y a aussi
des lois sur la propriété intellectuelle, les marques, la contrefaçon, etc (cf. S. Balme, World Bank
Legal Review, décembre 2012).
Depuis 2002, les personnes souhaitant devenir juge, avocat, procureur doivent passer l'examen
national des professions juridiques et judiciaires. Elles ne sont pas forcément formées au droit à
l'origine il y a beaucoup d'autodidactes mais, une fois réussi le concours, elles ont droit à une
formation. Le niveau de professionnalisation s'accroît.
De 1979 à 2005, le nombre de règlements administratifs (+14,4% par an) et locaux (+33,1% par an)
n'a cessé d'augmenter. C'est une des raisons pour lesquelles la sécurité juridique est relative. Les
normes existent ; elles sont difficilement appliquées, parfois difficilement applicables. Et il y a un
vrai problème de hiérarchie des normes.
Cette hiérarchie est totalement inversée. La norme juridique nationale devrait être essentielle.
Finalement, la norme locale est la plus importante. Elle crée des conditions spécifiques, sans
qu’aucune institution, aucune cour puisse régler cette hiérarchie des normes. Le système se gère
mal de deux manières. D'abord par l'Assemblée nationale populaire, qui vote les lois et les
amendes si elle les juge peu ou non applicables. Ce sont le Parti et les lobbies en son sein qui
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