Aide à la gestion des conflits en aménagement du territoire

AIDE A LA GESTION DES
CONFLITS EN AMENAGEMENT
DU TERRITOIRE
APPROCHE MULTI-AGENTS ET MODELES COGNITIFS DES ACTEURS
Nils FERRAND, Guillaume DEFFUANT
Cemagref LISC
L'aménagement et la gestion des territoires constituent un champ d'étude
privilégié pour l'analyse des conflits et la conception d'outils adaptés à leur
gestion. En effet, on peut observer une grande variété de contextes, de
types d'acteurs, et de dynamiques. Par ailleurs, les évolutions actuelles dans
les modalités de la décision publique, avec des orientations vers des
démarches participatives, justifient un besoin accru en outils ouverts
permettant de gérer les conflits qui se multiplient proportionnellement au
nombre d'acteurs.
Dans ce papier, nous nous proposons d'explorer différentes modalités de
"représentations des conflits de représentations", après en avoir proposé des
éléments de typologie. Cette réflexion s'inscrit dans une perspective
ingénieriste de conception d'outils d'aide à la gestion. L’analyse des
différentes représentations présentes et construites dans les processus de
décision en aménagement du territoire nous permet de de catégoriser les
"objets" ou "sources" de conflits entre les acteurs. Dans un objectif de
gestion, nous étudions alors les perspectives de développement d'outils
dédiés, auxquels nous consacrons la suite du papier. Ces outils, conçus
selon une approche multi-agents, ont vocation à assister des utilisateurs
dans leur évolution en situation de conflit. Pour ce faire, ils s'appuient sur
des modèles de représentations permettant d'illustrer et d'aider à résorber
partiellement les conflits. Nous tentons d’expliciter les hypothèses
cognitives sous-jacentes à ces différentes approches.
Nous proposons trois exemples appliqués dans des cadres d'aide à la
décision ou la négociation.
Enfin, nous proposons une discussion en deux parties points : sur le rôle
des conflits dans l'aménagement, et sur le rôle des outils de gestion ; en
concluant sur les perspectives de développement de nouveaux outils.
LES OBJETS DE CONFLITS EN AMENAGEMENT DU
TERRITOIRE
Nous situant dans le cadre de l’aménagement du territoire, nous allons
considérer des conflits relatifs aux usages ou modes de gestion du sol ou
d’autres ressources environnementales (eau, air, paysages). Les
exemples auxquels nous nous référerons sont l’implantation
d’infrastructures linéaires (lignes électriques, autoroutes, TGV), la gestion
de bassins versants, et la gestion intégrée d’un territoire (affectation de
crédits et divers zonages). Parmi les autres sources de conflits
« classiques », on peut citer les remembrements, le classement en zones
protégées sous divers régimes (p.e. NATURA 2000), l’urbanisme en
général, la gestion forestière…
L’ensemble de ces exemples présentent différentes caractéristiques
communes. Tout d’abord, ces situations sont relatives à l’espace : il s’agit
de déterminer « quoi faire ». On peut reporter les attendus de ces
conflits sur des cartes. D’autre part, ce sont des situations ouvertes,
concernant l’ensemble de la population d’un territoire (et même au delà :
cf. la place du Club Alpin Français « parisien » dans les conflits en
montagne), et soumises à des procédures réglementées, contrôlées par
l’administration publique. Elles font participer différentes « classes »
d’acteurs : élus, administrations, opérateurs publics et privés, associations,
public ; « effectifs » ou « intentionnels »
1
[Mermet, 84] ; à différentes
échelles, depuis le hameau jusqu’à l’Europe. Les intérêts en jeu (« enjeux »
ou « critères ») sont multiples : économie, agriculture, écologie, paysage,
patrimoines divers, politique, situation sociale, etc. Enfin, ce sont en
général des processus longs (une à plusieurs années) et présentant des
suites de revirements (le conseil d’état est un acteur important de la
régulation de ces procédures), avec des modalités successives dans la
gestion de la décision collective (conflit « pur », arbitrages, jugements,
contrats, négociation) [Dupont, 94].
Cette première partie donne quelques précisions sur ces objets de conflits.
La description des conflits eux-mêmes et de leur développement doit se
faire à l’aune d’une vision de la cognition des acteurs impliqués, qui ne
sera pas spécifique aux problèmes d’aménagement (la deuxième partie y
sera consacrée).
1
« Gestion effective : mode de conduite du milieu telle qu’elle résulte de l’ensemble des actions humaines qui l’affectent. [ ] Gestion
intentionnelle : initiatives qu’un acteur spécialisé entreprend, dans le contexte d’une situation de gestion effective, pour faire évoluer l’état du
milieu dans un certain sens ». On peut parler de « gestion sans maîtrise ».
LAPPROPRIATION DE LESPACE
Les acteurs évoluent dans un environnement naturel ou artificiel partagé,
mais leur appropriation en est très variable. Chacun perçoit des « facettes »
différentes et une organisation particulière. Les caractéristiques saillantes
vont d’indices visuels simples (présence ou absence de différents éléments)
à des interprétations complexes, rappelant les rationalités sous-jacentes à la
construction diachronique de lespace (l’espace comme construit social,
miroir de la société qui lutilise). L’espace s’organise comme une
hiérarchie de territoires appropriés, avec des trames complexes, fortement
distendues par les vécus personnels et familiaux. L’espace se reconstruit
aussi continuellement et cycliquement au gré des activités et des pratiques
qu’il supporte. L’interprétation de l’espace est ainsi faite à l’aune de son
utilisation. C’est évidemment la première source de divergence d’intérêt, de
conflits d’usages.
REGULATIONS ET REGLEMENTATIONS
Comme nous l’avons indiqué, les conflits en aménagement du territoire
s’inscrivent toujours dans un cadre réglementé, avec des procédures
enchevêtrées destinées à les gérer. De plus, différents mécanismes de
régulation sociale informelle interviennent (valorisation ou rejet des
« meneurs » du conflit, règlements amiables, compensations). Chacun se
fait cependant juge de son propre droit lorsqu’il sagit dun territoire
approprié, « patrimoine » de longue date, très proche pour au moins une
des « topo-logiques ». Même dans le strict cadre des institutions, se référant
nominalement aux textes, les attributions sont sujettes à discussion, et les
responsabilités sont diffuses.
Les conflits portent ici sur les droits de chacun, sur l’interprétation des
textes, sur les responsabilités, et sur les attentes sociales que l’on peut avoir
(p.e. « ça va se régler tout seul... » vs. « au maire d’en décider »). Ce cadre
s’étend aussi aux procédures dans leur déroulement, avec des règles
précises sur la conduite des décision.
HISTORIQUE DES PROJETS
La « mémoire » des décisions et conflits est en défaut. Sur de longs termes
(plus de 15 ans pour certains projets d’infrastructure), les acteurs
institutionnels changent plusieurs fois, le contexte évolue, et des strates
successives d’études intermédiaires, de p-projets, de négociations
« préalables » s’accumulent, avec pour témoins durables les habitants et les
archives de presse. On peut considérer ce type de processus comme une
maturation parfois nécessaire, mais elle est rarement capitalisée ; et certains
oublis induisent des conflits, lorsqu’ils concernent des faits et dires
considérés par certains comme des engagements, en particulier dans le cas
de l’état, contraint à la continuité, ou des élus, contraints à la cohérence
politique (forme de « vertu » à la Montesquieu).
DYNAMIQUES DU MONDE, EXPLICATIONS ET
CAUSALITES
Un « méta-enjeu » couramment évoqué pour l’aménagement est la
durabilité (perpétuation des conditions actuelles) ou la viabilité
(perpétuation des capacités de contrôle sous des contraintes identifiées). Il
ne sagit donc pas seulement de considérer comment et sont les choses,
mais aussi, et surtout, comment et elles vont, et quelle est leur
organisation. Chacun se représente donc des processus à partir
d’hypothèses de dépendances et de causalité, avec des formes plus ou
moins naïves de physiques qualitatives. Ceci conduit, vers le futur, à des
résultats discordants, et, vers le passé, à des explications contradictoires.
Les interprétations des phénomènes connus, et / ou la pvision des futurs
possibles, sont ainsi contingents à des dissensions omniprésentes dans la
perception des facteurs.
Les processus concernés peuvent être lévolution de l’environnement, les
dynamiques socio-économiques, les réponses sociales, la résolution des
conflits elle-même, et tous leurs couplages.
Les conflits se développent autour de ces objets. La compréhension du
développement de ces conflits va dépendre des modèles cognitifs postulés
pour les acteurs. Ainsi, selon ces postulats, les directions de travail pour le
développement d’outils d’aide à la résolution des conflits vont être
différentes. Nous abordons ce point dans la partie qui suit.
PLACE DES CONFLITS DANS L'AMENAGEMENT
Comme le note Rocher [1968, vol. 3, p. 127], « conflits et
contradictions sont un facteur de changement social, [...qui] naissent
directement de laction sociale. [...] Ils sont engendrés par le
fonctionnement normal de tout système social. [... Le conflit] est une des
voies nécessaires par laquelle passe la société pour s’adapter sans cesse à
des situations nouvelles et pour survivre dans le cours de sa propre
évolution. » Il s’agit donc d’un mode de réponse sociale à des changements
environnementaux. Mais le conflit est successivement « productif »,
lorsqu’il conteste des schémas et pratiques établis, dont la viabilité n’est
plus assu ; puis « contre- productif », lorsqu’il empêche la réalisation
effective des adaptations. Ainsi Mermet [92], s’agissant de gestion de
l’environnement, interprète deux types d’actions : « - celles qui, en créant
une tension, une pression en faveur de l’environnement, déclenchent et
entretiennent le processus de traitement de tel ou tel problème [...] celles
qui, dans le cadre des rapports de tension ainsi créés, permettent à
l’équilibre atteint à un moment donné entre les préoccupations
d’environnement et les autres enjeux sociaux de s’inscrire dans les faits,
par la recherche d’accords sur des programmes daction d’une part, leur
mise en œuvre scientifique et technique d’autre part. » Plus loin, il ajoute
que « la primauté [...] reste [...] à l’axe du conflit. C’est le premier sur le
plan chronologique, [...] sur le plan fonctionnel, [...] sur le plan logique,
dans la mesure c’est la fracture qu’il institue, à un moment donné, entre
notre gestion effective de lenvironnement et nos objectifs en la matière,
qui ouvre lespace la collectivité peut traiter ces questions elle fait
figure à la fois de maladie et de docteur. »
En résumé, le conflit est nécessaire, impératif, structurant, mais il doit être
encadré pour ne pas devenir en tant que tel une stratégie pour les acteurs, et
un enjeu qui prédomine sur les finalités. Pour ce faire, le cadrage
procédural et ladaptation dynamique au moyen de l’explicitation des
représentations sont des médiateurs possibles. La partie qui suit propose
une réflexion sur le développement d’outils d’aider à ce type de contrôle et
de résolution des conflits.
PRINCIPES ET EXEMPLES DE CONCEPTION DE
SYSTEMES DAIDE A LA GESTION DES CONFLITS
RECOURS AUX APPROCHES MULTI-AGENTS
Les exemples décrits dans la suite font appel à une conception multi-
agents
3
qui est bien adaptée aux problèmes décrits dans la section
3
Les systèmes multi-agents permettent de décrire un système complexe sous forme d’un ensemble d’entités individualisées en
interaction. Ces entités sont décrites par un état (descripteurs quantitatifs, qualitatifs ou symboliques) et une évolution
(dynamique), et susceptibles d’interagir simultanément entre elles, et avec un ensemble de données et processus extérieurs
(environnement). Ces entités sont structues au sein d’une organisation qui peut être spécifiée explicitement par les catégories
d’agents ou leurs interactions (coordination), ou apparaître (émerger) au cours du processus, et constituer ainsi une information
complémentaire produite par le système. L’implantation informatique de ce système permet d’en simuler la dynamique, dans
certaines conditions de résoudre les problèmes afférents, instrumenter sa gestion pour / par un ensemble d’acteurs, en identifiant en
son sein un ensemble d’entités individualisées .Ces simulations peuvent en effet faire apparaître :
soit une image prospective du système (apparition de comportements ou structures particulières :
simulation prospective
),
soit des configuration stables satisfaisant les contraintes introduites (
résolution de problèmes
),
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